Alors que l’heure de Noël est sur le point de sonner, je suis gagnée par un drôle de sentiment… L’impression que ce Noël pas tout à fait comme les autres inaugure une nouvelle façon de célébrer, plus intime, plus sobre, plus profonde. Resserré autour du noyau familial - tout en gardant les distances – ce moment de partage n’aurait-il pas cette année une saveur particulière ? Noël sera-t-il plus « light » ? Moins de monde autour de la table, mais quitte à être moins nombreux, n’est-ce-pas aussi l’occasion de célébrer la famille plus intensément, avec le cœur grand ouvert ?

Personnellement, en plein lancement de mon activité, avec un mari dirigeant absorbé par ses affaires, une jeune adulte exaltée par de nouvelles libertés et un adolescent cloué devant son ordinateur…, j’avoue être depuis quelques temps désemparée devant l’éclatement de mon cher noyau familial ! A force de se croiser sans se voir, de s’écouter sans s’entendre dans le tourbillon du quotidien, la perspective de ce Noël confidentiel vient réveiller chez moi le besoin de serrer dans mes bras ceux que j’aime. De célébrer ma famille en cette période de fêtes. De prendre le temps de redécouvrir chaque membre de mon clan à la lumière d’un feu de cheminée, au coin du sapin. Un Noël pour retisser les liens qui nous unissent, se témoigner de la gratitude et se dire combien chacun compte.

Le besoin de témoigner de la gratitude en cette veille de Noël, alors que la crise sanitaire couve toujours, semble d’ailleurs avoir gagné la sphère professionnelle. En effet, j’entendais cette semaine à la radio que les entreprises avaient particulièrement choyé leurs collaborateurs cette année pour les remercier de leur contribution exceptionnelle en cette période de Covid. Au-delà du principe de gratification, n’est-ce pas là avant tout l’occasion de célébrer le « clan professionnel » ?

Faire vivre la magie de Noël, en proximité, même par écrans interposés

Partout, on entend que la troisième vague de Covid-19 sera celle de la santé mentale, avec une forte hausse des états dépressifs liés aux bouleversements induits par la crise sanitaire. Incapacité de voir le bout du tunnel, solitude, perte de repères…, les sujets d’inquiétude sont nombreux et avec la répétition du confinement et la durée de la crise, les ressources pour s'adapter s'épuisent.

Alors comment profiter de la magie de Noël pour redonner le moral aux troupes ? En célébrant la communauté professionnelle, en retissant les liens de l’équipe, qu’elle soit en télétravail, en chômage partiel ou en petit comité. Rien d’ostentatoire cette année et c’est tant mieux car en entreprise comme au sein de la famille, la proximité est de mise. Il est temps de bannir les grands discours impersonnels déployés à grands renforts d’outils de communication : vidéo du dirigeant, carte de vœux corporate... L’heure est à la simplicité, à l’écoute, à la solidarité. Pour stimuler la bonne humeur, pourquoi ne pas colorer la dernière réunion de l’année, a plus forte raison en visio, en invitant chacun à décorer son environnement de travail aux couleurs de Noël. Et pour les collaborateurs en présentiel, le traditionnel « Secret Santa » qui favorise l’échange de petits cadeaux de façon anonyme constitue également une occasion de se retrouver et d’exalter le plaisir de donner et de recevoir.

Comme en témoignent les dirigeants, managers et collaborateurs de TPE-PME que notre collectif de professionnels de l'accompagnement humain Act4 Talents a interviewés lors du premier confinement dans son étude « Regards croisés », l’humour et la bonne humeur ont été déterminants dans cette période de forte incertitude. L’objectif étant de souder les équipes et de favoriser un contexte propice au dialogue, entre collègues et aussi avec le manager de proximité, pour mieux prendre le pouls de chacun. Parmi les bonnes pratiques qui sont ressorties de l’étude, certains managers ont d'ailleurs eu l’idée de constituer des binômes pour éviter l’isolement en télétravail, stimuler le soutien et la coopération.

Moins, mais mieux

Cette crise sanitaire avec ses contraintes de distanciation sociale nous amène nécessairement à revoir le périmètre du clan familial comme professionnel et à privilégier les groupes à taille humaine. Finalement, la Covid ne précipiterait-elle pas un mouvement déjà amorcé depuis plusieurs années selon lequel il fait bon travailler dans les petites structures ?

Les TPE et les PME ont la cote car elles sont réputées pour leur ambiance familiale et rassurante ; la proximité qui y règne est le gage d’échanges plus réguliers et d’une meilleure connaissance des missions de chacun. Les méthodes de travail y sont plus transversales et bien souvent les tâches qui sont confiées aux salariés demandent plus de polyvalence. Grâce à une hiérarchie moins complexe et un processus de prise de décision simplifié, les entreprises à taille humaine peuvent être plus réactives et octroient plus d’autonomie et de liberté à leurs collaborateurs.

Ambiance rassurante, proximité, échanges plus réguliers, polyvalence, réactivité, autonomie… Ce sont précisément les enjeux qui ont émergé de notre étude sur les évolutions du management et de l’organisation à l’épreuve de la crise sanitaire. En travaillant à distance ou au sein d’équipes très resserrées, il a fallu créer des rituels plus réguliers pour rassurer, pour partager sur les besoins de chacun. Afin de maintenir l’activité tout en palliant l’absence de certains de leurs collègues, les salariés ont dû faire preuve de polyvalence. Et tester leur autonomie, en distanciel, loin de leur hiérarchie. Avec à la clé, une explosion de sens pour des individus qui ont ainsi pu activer leur « pouvoir agir » et développer à cette occasion des compétences relationnelles fortes telles que l’écoute, l’empathie et la solidarité.

Cette nouvelle humanité que beaucoup ont pu expérimenter dans cette crise inédite a permis d’exacerber le sentiment d’appartenance et l’engagement au sein des organisations. Elle a porté le sens à un niveau inégalé et révélé des ressources insoupçonnées chez les individus. Elle est à n’en pas douter le meilleur vaccin contre l’épidémie de dépression qui nous menace ! Alors, apprenons à célébrer cette humanité nouvelle au sein de nos clans professionnels. Sachons distribuer la gratitude avec sincérité et générosité à nos collaborateurs les plus proches. Car la gratitude est contagieuse ; elle pourrait bien gagner les moindres recoins de nos organisations !!!  

La période que nous traversons est incroyable ! Jamais nos modes de vie n’ont connu autant de remises en question, à travers nos interfaces privées comme professionnelles. La crise sanitaire, subordonnée à un contrôle de nos mouvements et relations, ainsi qu’à une privation de libertés jamais vue dans notre société contemporaine, constitue un révélateur à très grande échelle du pouvoir de la contrainte sur la transformation. Car, à n’en pas douter, le corollaire de cette crise sera notre capacité à s’adapter à ces contraintes et à apprendre de ces nouvelles conditions de vie et de travail.

C’est pour comprendre ces mécanismes de transformation que nous avons entrepris d’analyser les dispositions des organisations et des individus à apprendre de leurs situations de travail pour s’adapter aux mutations qui les bousculent. Au sein d’Act4 Talents, nous avons ainsi créé l’Observatoire des mutations du travail avec une première étude inédite sur la crise de la Covid-19 !

Pendant plus de 15 semaines, du mois d’avril au mois de juillet 2020, nous nous sommes immergés au sein de 24 TPE-PME de la région Auvergne-Rhône-Alpes afin d'appréhender comment leur organisation et leur management étaient impactés à l’épreuve de la crise.

Pour bénéficier d’une perception la plus réaliste possible des situations vécues dans les entreprises, nous sommes allés chercher les regards croisés de dirigeants, de managers et de collaborateurs pour confronter leurs perceptions. Nous les avons invités à prendre un peu de hauteur de vue sur l’enchaînement des événements et leurs conséquences. Des paroles vibrantes d’un contexte exceptionnel et d’émotions exacerbées que nous retraçons dans cet observatoire et à la lumière desquelles nous avons identifié 5 enjeux pour se projeter positivement et initier des transformations porteuses de valeurs pérennes dans les organisations.

5 enjeux pour se projeter vers un futur souhaitable

  1. La durée et la complexité de la crise ont imposé une communication transparente et régulière à tous les échelons de l’entreprise pour informer au jour le jour des nouvelles mesures, rassurer les individus, maintenir la cohésion des équipes et l’efficacité organisationnelle. Une cohésion qui, si elle n’a pu être maintenue, appellera à retisser les liens en sortie de crise.
  2. Cette situation d’état d’urgence inédite a propulsé chacun des échelons de l’entreprise en dehors de sa zone de confort. Les efforts déployés pour maintenir l’activité ou anticiper les besoins du marché ont généré pour nombre d’individus un surplus de travail et une charge mentale qu’il faudra « soigner » afin de recharger les batteries et être prêt pour une relance efficiente de l’activité.
  3. Cette situation inédite a constitué pour les individus un révélateur de compétences insoupçonnées avec le développement de capacités nouvelles, notamment relationnelles, sur lesquelles ils convient d’investir pour construire la relance.
  4. Cette crise a activé une fierté forte et unanime d’avoir contribué individuellement et collectivement à « tenir la maison » et préservé l’activité au maximum de ce qui était possible. Une mobilisation à travers laquelle chacun a pu vivre une explosion de sens qui renforce le sentiment d’appartenance et qu’il faudra s’employer à entretenir quelles que soient les conditions de reprise de l’activité.
  5. La distanciation sociale a conduit la relation clients à se réinventer, avec l’émergence de nouveaux liens empreints de plus d’humanité, et déployés à partir de nouveaux outils numériques dans un objectif d’efficacité et de maîtrise du bilan carbone pour l’entreprise à plus long terme.

Pour aller plus loin dans la compréhension des enjeux, nous vous invitons à télécharger l’étude complète sur notre site Act4 Talents.

Au moment de nos échanges avec les entreprises, entre fin mars et juillet, personne ne pouvait présager de la durée et de l’impact de la crise. Il était impossible alors de considérer si les adaptations mises en place par les organisations pendant le confinement allaient contribuer à des transformations durables ou être vite oubliées au bénéfice d’un retour à la normale. Nous portions un espoir collectif que la situation d’état d’urgence que nous venions de traverser ne pouvait qu’être temporaire, que l’été balayerait les effets du virus et que progressivement, nous pourrions revenir à une activité quasi-normale en septembre…

La « trêve » a été de courte durée ! Si dans notre espace privé nous avons pu relâcher un peu les contraintes pendant les vacances estivales, se retrouver en famille, se dépayser et savourer une forme de liberté retrouvée ; dans la sphère professionnelle, point de relâchement. La plupart des entreprises ont dû maintenir un mix présentiel/distanciel pour répondre aux exigences de distanciation sociale, avec l’obligation du port du masque au bureau lors des échanges interpersonnels. Et très rapidement, fin septembre, le spectre d’une deuxième vague a été confirmé avec le durcissement des mesures sanitaires et pour finir l’annonce d’un retour au confinement…

Rendre la nouveauté désirable dans une société qui perd ses repères

Dans nombre d’organisations, la rentrée de septembre a été vécue comme une « gueule de bois ». Après des vacances en demi-teinte, sans liberté de voyager à notre gré, à moitié masquées, bercées par de nombreuses inconnues… Le retour au travail a été froid et atone, en présentiel, amputé d’une partie des collègues ou en distanciel sans la possibilité d’échanger autour d’un café sur les plaisirs de vacances… Dans un de ces récents articles, Pierre-Yves Gomez, économiste et professeur à EM Lyon, voit dans cette période les signes d’une dépression collective : « Le fait que les choses ne reprennent pas « comme d’habitude » est déroutant. La société semble perdre ses repères ».

Une dépression en cascade avec des salariés perdus et démotivés, des managers désemparés par l’ampleur de la tâche, et des dirigeants fragilisés par de longs mois de bataille pour maintenir leur entreprise à flot et engourdis par le poids des responsabilités à faire respecter les mesures barrières dans les bureaux. Car toutes ces contraintes qui entravent notre autonomie, ce contrôle de nos moindres faits et gestes pour endiguer l’épidémie, contribuent in fine à bloquer notre énergie. Après de années d’une course effrénée vers le « toujours plus », nous avons été brutalement stoppés dans notre élan le 17 mars 2020. Nous avons alors fait l’expérience de l’immobilisme, du sur place. Un changement de rythme déstabilisant qui nous a amenés à nous questionner sur les fondamentaux de la condition humaine et à observer, grâce à la prise de recul qui nous était offerte alors que nous étions confinés, la vacuité de notre vie en mode accéléré. Sept mois plus tard, alors que la crise s’éternise, nous sommes réduits à un mouvement fatalement ralenti et de plus en plus sujets à l’inconfort de la privation de liberté. Une nouvelle réalité qui vient percuter la réalité antérieure, celle de l’exhortation au mouvement.

Face à cette perte de repères qui peut être synonyme d’angoisses, Pierre-Yves Gomez nous engage à nous focaliser sur les habitudes prises dans cette nouvelle réalité. Comme nous vous y invitons dans notre étude Regards croisés : observer comment les circonstances ont fait évoluer nos pratiques de travail et créer l’espace pour un dialogue ouvert et sincère dans lequel chacun pourra exposer son expérience du travail pendant cette période de crise. Dresser le bilan de ce que l’on a perdu et de ce que l’on a gagné individuellement et collectivement à travers cette épreuve. Tirer les enseignements de ce qui a fonctionné et de ce qui ne fonctionne plus aujourd’hui dans nos pratiques de travail pour construire ensemble un futur souhaitable.

Selon Pierre-Yves Gomez, « Pour accompagner le changement, il faut ne pas se concentrer sur ce que l’on perd, le monde frénétique d’hier. Il faut rendre la nouveauté du monde désirable, appétissante. On n’assiste pas à l’effondrement du monde d’avant – d’ailleurs beaucoup de choses vont perdurer – mais à l’émergence de comportements nouveaux et intéressants. A ce que nous ferons des occasions qui nous sont offertes. »

Favoriser l’expression de récits collectifs autour des expériences vécues du travail

Les 5 enjeux qui ressortent de notre étude qualitative, constituent le socle de ce processus de dialogue qu’il nous semble impérieux d’animer au sein des équipes afin de favoriser l’expression des humanités du travail. De quoi parle-t-on lorsque l’on évoque les humanités du travail ? Pour comprendre quel est l’impact de cette crise sur les individus au travail, il faut développer une compréhension de la sensibilité des humains à l’égard des autres dans cette période exceptionnelle. Sans l’intégration de cette compréhension dans les modèles de management, aucun dirigeant ou manager ne sera en mesure d’appréhender l’explosion des émotions suscitées par ce contexte contraignant.

Boris Cyrulnik nous explique que donner l’occasion d’exprimer ses émotions, ses ressentis, modifie les perceptions du passé. Quand on est vulnérabilisé par un événement de la vie ou une situation particulière, on a la possibilité de remanier la représentation du réel par le récit que l’on en fait. On trouve ainsi la liberté d’agir par nos récits pour remanier intentionnellement le réel et mieux vivre ensemble. Lorsque ces récits sont collectifs, partagés avec quelqu’un ou un groupe en qui on a confiance, la parole a une fonction affective et socialisante. Cette parole est d’autant plus précieuse aujourd’hui, alors que nous travaillons dans un mix distanciel/présentiel et que nous ne communiquons plus avec nos collègues que derrière un écran ou à travers un masque. Des filtres à émotions particulièrement efficaces ! Il nous faut donc aller chercher les émotions masquées à travers le récit collectif et réapprendre à travailler ensemble en permanence.

Les entreprises ont la responsabilité d’investir pleinement ces territoires d’engagement que sont le management et l’organisation pour permettre à leurs collaborateurs de transformer l’épreuve qu’ils traversent actuellement en expérience dont chacun pourra tirer du positif. Pour commencer ce travail de co-construction, un temps de prise de recul s’impose. Un temps pour libérer la parole et écouter les besoins de chacun. Un temps pour permettre au collectif de se retrouver et à la coopération de reprendre corps sereinement. C’est sur le terrain de l’échange que l’on pourra explorer les impacts de la crise et tirer les enseignements sur ce qui a fonctionné et ce qui ne fonctionne plus. Reconsidérer et réajuster nos anciens modèles pour imaginer d’autres alternatives. Et enfin, accepter de désinvestir le superflu et de se recentrer sur l’essentiel.

A la lumière de nos 5 enjeux, quelles sont les questions à se poser collectivement pour se projeter positivement et initier des transformations porteuses de valeurs pérennes dans nos organisations ?

  1. La communication : quels rituels pour permettre aux collaborateurs de rester reconnectés entre eux et pour tisser les liens de la responsabilisation et de la confiance au niveau du management ?
  2. La gestion de la crise : comment prendre le pouls de l’organisation, adapter les objectifs individuels et collectifs aux moyens réellement disponibles, prioriser les activités et clarifier le « qui fait quoi » ?
  3. Les capacités nouvelles : comment permettre aux collaborateurs de révéler leur raison d’être au service du collectif et de s’illustrer à travers de nouveaux rôles au sein de l’entreprise ?
  4. Le sens : comment capitaliser sur les nouvelles pratiques de travail expérimentées pendant le confinement pour mettre en chantier une nouvelle architecture du travail pensée et modélisée par les collaborateurs pour les collaborateurs ?
  5. La relation clients : comment combiner « moments privilégiés en présentiel » et digital pour les échanges courants avec le client ?

Explorer ce regain d’humanité et l’envisager comme l’amorce d’un changement culturel vers plus d’entraide et de solidarité

Ce que nous révèle l’étude Regards croisés en premier lieu, c’est le formidable regain d’humanité qui a transcendé les organisations au travers de cette crise. Cohésion, adaptation, créativité, intelligence relationnelle, vouloir agir, sens, sentiment d’appartenance, liens, confiance… sont autant de termes qui illustrent ces vécus collectifs et témoignent de l’amorce d’un changement culturel vers plus d’entraide et de solidarité. Le prolongement de notre étude nous conduira à réinterroger dirigeants, managers et collaborateurs afin de déceler les apprentissages profonds qui se seront matérialisés au fil des mois. Nous serons ainsi en mesure de confirmer ou d'infirmer la tendance selon laquelle cette crise pousse vers une plus grande humanisation de la gestion des organisations.

Nous vivons aujourd’hui un véritable renversement de valeurs ! Alors que la plupart des pays d’Europe se mettent en situation de sacrifier leur économie pour sauver des vies humaines, comment ne pas réinterroger la place des hommes et des femmes dans les organisations. Cette crise « existentielle » qui impacte respectivement l’existence des entreprises et celle des humains, peut-elle être le terrain d’une réconciliation entre performance économique et réalisation humaine autour de nouvelles valeurs de travail ?

Quelques lectures et une vidéo inspirante :
L'OBS - Comment la crise du Covid a sonné la fin du « toujours plus »
THE CONVERSATION - Transformation numérique : comment ne pas manquer la phase qui s’ouvre dans le travail ?
YOUTUBE - Boris Cyrulnik - Le récit de soi

Vous connaissez certainement l’allégorie des 3 tailleurs de pierre : Un homme rencontre sur un chantier trois tailleurs de pierre. Au premier qui travaille mécaniquement sa pierre avec un air sombre et fatigué, il demande ce qu’il est en train de faire ; ce dernier lui répond qu’il taille une pierre. Quand il pose la même question au second qui effectue le même travail, mais de façon un peu moins mécanique, ce dernier explique qu’il taille une pierre pour construire un mur. Il s’approche alors du troisième qui semble heureux, voire radieux, où nulle trace de fatigue ne se lit sur son visage alors qu’il effectue le même travail, avec exactement les mêmes outils et la même technique, que les deux autres. Quand notre homme lui demande ce qu’il est en train de faire, le troisième tailleur de pierre lui répond avec un large et lumineux sourire : « je suis en train de construire une cathédrale ».

Cette allégorie du sens au travail a une résonance particulière en cette période de retour des collaborateurs au bureau et de reprise du « business as usual » dans beaucoup d’organisations. Car pour certains, l’expérience du travail vécue pendant la période du confinement s’est véritablement apparentée à la construction d’une cathédrale !

Le confinement a provoqué une explosion du sens au travail

Un travail centré sur l’essentiel, où chacun, quelle que soit sa mission, a pu prendre une part active à la survie de son organisation et se sentir utile. Une période qui a stimulé la solidarité entre collègues, qui a fait grandir les individus en s’adaptant à de nouvelles missions, à de nouveaux outils, avec une forte productivité pointée sur la continuité de l’activité, qui a poussé chacun en dehors de sa zone de confort… Une expérience qui a bousculé les équilibres et qui a interrogé sur sa « juste place » dans son organisation et dans la société en général.

Cette sensation d’être monté au front et d’avoir « soutenu la maison », coûte que coûte, a suscité une « explosion de sens » à tous les étages de l’organisation. Que la mission pendant le confinement ait pris un caractère exceptionnel ou qu’elle ait simplement consisté à maintenir l’activité dans un nouveau contexte et un nouvel environnement de travail, il semble que chacun y ait trouvé sa petite part de sens.

Pour bien comprendre comment cette période de crise a boosté la question du sens au travail pour un grand nombre de collaborateurs, je vous propose de mettre en perspective les travaux des chercheurs E.Morin et B.Cherré et leurs prérequis du sens au travail :

La crise du Covid-19 a souvent coché toutes les cases !

Cette explosion du sens au travail a activé deux manifestations positives qui ont pu contrebalancer les effets négatifs de la crise sur les individus. En premier lieu, le sens trouvé dans l’activité de travail, qu’elle ait été vécue à distance, sur site, en chômage partiel… a permis de maintenir un certain équilibre psychologique. Là ou certains collaborateurs ont été privés de travail du fait de l’arrêt total de leur activité, ceux qui ont pu maintenir tout ou partie de leur activité semblent avoir été moins frappés par l’anxiété et le stress inhérents à la situation de crise traversée. Le second impact positif est l’engagement. Stimulés par de nouveaux enjeux pour maintenir le business dans leur entreprise (travail à distance, dématérialisation, nouvelles missions…), les collaborateurs ont su fournir les efforts nécessaires, en s’adaptant à un nouveau contexte de travail, de nouveaux horaires, de nouveaux outils, et ont témoigné ainsi d’une loyauté et d’un attachement forts à leur structure.

L’engagement qui s’est matérialisé pendant la période du confinement semble pourtant souffrir de l’obligation de revenir au bureau. Comme en témoignent les dirigeants croisés récemment, le retour physique en entreprise n’a suscité que peu d’enthousiasme, même de la part des collaborateurs les plus engagés. Si quelques volontaires ont trouvé dans cette reprise une opportunité de quitter l’isolement du confinement ; pour la plupart des effectifs, il a fallu se montrer ferme et souvent, imposer de reprendre le rythme « métro-boulot-dodo » lorsque l’aménagement des bureaux le permettait, à grand renfort de mesures sanitaires.

Pierre-Yves Gomez, professeur de stratégie à emlyon business school où il dirige l’Institut français de gouvernement des entreprises, pose la situation en ces termes : « L’exigence de « remettre » aujourd’hui les salariés au travail montre bien que quelque chose a été cassé dans le mouvement économique frénétique qui était le nôtre. Après le choc dépressif qu’a causé le confinement pour beaucoup, il faudra trouver des raisons substantielles pour embarquer les équipes au travail, et ce sera d’autant plus difficile que l’on prévoit un accroissement du chômage et de la précarité sociale. Les entreprises qui misent sur des discours morbides de type : « il faut vous mobiliser sinon nous allons disparaître » se fourvoient si elles pensent que dans notre société individualiste, cela peut constituer un discours stimulant. »

De retour au bureau, savoir faire battre le cœur du travail

Si on comprend bien l’impérieuse nécessité des organisations de se mettre en ordre de marche pour retrouver une activité optimale, la question qui se pose au management est sa capacité à maintenir l’engagement des collaborateurs dans un contexte de retour au travail « forcé ». Et donc, de trouver de nouveaux leviers de sens au travail.

Surtout si l’on considère l’écart substantiel entre l’expérience du travail vécue avant et pendant le confinement. Dans l’urgence de la crise, chacun a dû adapter son métier à une nouvelle réalité de travail, en autonomie, à distance ou sur site mais déconnecté de son équipe et de son management. Faire preuve de créativité pour imaginer de nouvelles façons de faire son travail, à l’épreuve de certaines contraintes, certes, mais toute en bénéficiant d’une forme de liberté inédite. S’essayer à de nouvelles missions devenues vitales pendant la crise et développer sa polyvalence. Voir moins ses collègues, mais les écouter davantage, à travers leurs savoir-faire, leur vécu, leurs émotions via des médias empruntés à la vie privée comme Whatsapp. Cet investissement énorme pour maintenir l’activité à tout prix pendant cette période a donné au travail une nouvelle saveur. Comme débarrassé de nombreuses entraves : réunions à répétition, ordres et contre-ordres, processus de décisions à rallonge, jeux de pouvoir... Chacun a eu voix au chapitre du travail et a retrouvé une certaine foi dans le travail. Ce « travail à cœur » dans lequel chacun se reconnaît, que décrit si bien le psychologue du travail Yves Clot dans son livre du même titre.

« Chaque fois que des salariés introduisent quelque chose d’eux-mêmes dans leur métier, les chances de développer leur santé augmentent. »

Alors pour continuer à faire battre le cœur du travail de retour au bureau, pourquoi ne pas capitaliser sur les nouvelles pratiques de travail que nous avons expérimentées pendant le confinement ? Profiter du retour des équipes pour mettre en chantier une nouvelle architecture du travail pensée et modélisée par les collaborateurs pour les collaborateurs. Une réflexion prospective sur le design d’avenir de leur organisation au service du travail bien fait, ce travail dont ils ont pris soin pendant la crise. Quelle place pour le télétravail demain ? Comment transposer les habitudes et les outils qui ont fait leurs preuves en confinement dans cette nouvelle configuration en remplacement des pratiques anciennes jugées moins efficaces ? En définitive, apprendre à renoncer aux routines obsolètes pour investir de usages plus appropriés sur lesquels on se rejoint collectivement.

Car un tel chantier est aussi l’occasion de construire ensemble à partir du besoin des individus de se retrouver et de retisser les liens physiques du travail pour faire communauté. Créer les circonstances permettant à chacun de partager cette petite part de sens invoquée localement pendant le confinement et contribuer ainsi à redonner du sens au niveau global de l’organisation.

Faire communauté pour cultiver ensemble la force de se projeter utilement et puissamment vers une nouvelle réalité de travail

Pour introduire cette notion de communauté, je vous propose de reprendre la métaphore de la construction de la cathédrale. Pour construire une cathédrale, une équipe d’artisans hautement qualifiés étaient rassemblés, sous l’égide du maître d’œuvre attaché à l’édifice. Ces artisans étaient organisés en loges qui établissaient les statuts et les règles de travail. Pour accompagner l’édification d’une cathédrale sur plusieurs siècles, les artisans qui se succédaient sur le chantier s’influençaient et se transmettaient les techniques et les modes à travers toute l’Europe.

Cet exemple de communauté de métier et de pratiques, complètement ouverte pour favoriser l’apprentissage entre pairs, et ainsi collaborer au service d’une œuvre remarquable, me semble d’une actualité frappante pour refonder nos organisations au lendemain de la crise.

Pour Yves Clot : « Cette communauté de pratiques forme un cercle d’échanges dans lequel on s’intéresse moins aux limites de chacun des participants qu’aux limites de l’activité elle-même ».

Commençons par recréer du lien. D’abord en proximité, au niveau de l’équipe, pour renouer avec le terrain, dans une communauté de mission où chacun pourra réinterroger sa place, mettre en débat l’activité et ainsi mieux articuler le travail du collectif. Ou dans une communauté de projet construite sur le mode collaboratif, en confrontant ses idées, en exposant ses modèles mentaux, pour se projeter collectivement dans l’action. Une communauté en vue de « réaliser un triple maximum », comme le décrit le philosophe Abdennour Bidar : « le maximum d’accord pour chacun entre ce qu’il est et ce qu’il fait ; le maximum d’apport pour chacun, de ce qu’il est et de ce qu’il fait, et le maximum de rayonnement de chaque communauté, comme petite centrale nucléaire d’énergie ». Ou encore, dans une communauté de métier, extérieure à l’organisation, pour partager des pratiques, apprendre les uns des autres, grandir ensemble et ouvrir des horizons. Une communauté ouverte sur des écosystèmes plus larges pour amplifier le champ des possibles et stimuler notre pouvoir d’agir localement et globalement.

Comme nous y invite Abdennour Bidar : « Agir local pour agir global. Se donner un terrain de développement concret – l’échelle et l’espace de la communauté d’action – pour y cultiver ensemble la force de se projeter utilement, puissamment, vers le plus vaste extérieur qui soit en continuant de participer, par son métier, ses divers engagements, à l’invention d’un nouveau monde. »

Faire émerger des communautés restauratrices

La période post-crise dans laquelle nous entrons est le terrain idéal pour créer des « communautés restauratrices », telles qu’inspirées par Peter Block, auteur, consultant et conférencier américain dans les domaines du développement organisationnel, du développement communautaire et de l'engagement civique. Des communautés d’intérêt, synonymes de diversité, qui se maillent par le rapprochement de représentations communes. Centrées sur un idéal à construire collectivement et une logique de don, ces communautés vont chercher à mobiliser les talents de tous les membres d’un territoire, d’un quartier, d’une organisation. Pour autant, elles ne cherchent pas à valoriser un leader mais à produire du leadership chez chacun à travers des actes de « communityship », rendus possibles grâce à une implication personnelle et une motivation intrinsèque très fortes de chaque membre. Leurs moteurs sont la confiance en l’avenir et une forte énergie collective. Pour qu’il y ait communauté, il doit y avoir une action collective qui permet de renforcer cette haute qualité relationnelle, avec force de débat et de dialogue. Et au fil du chemin de ces communautés d’apprentissage, il y a la création de savoirs partagés pour tous.

Dans la vidéo que vous trouverez en annexe de cet article, Denis Cristol, chercheur sur les communautés d'apprentissage, l'autoformation et les apprentissages informels, nous partage les quatre étapes pour créer des « communautés restauratrices » :

Pour Denis Cristol : « Les organisations du travail ont besoin de se rappeler que ce sont des communautés humaines. […] Beaucoup d’entreprises, à force de gestion et d’optimisation, ont enlevé toute la dynamique humaine, ces apprentissages sociaux et cette capacité d’embarquer tout le monde. […] Elles doivent restaurer une qualité de lien qui s’est dégradée. »

C’est à partir de l’intention de faire commun que nous pourrons contribuer à la création et au développement de ces communautés. En dépassant la simple volonté de mieux faire son travail ou de s’adapter aux mutations du travail, pour développer de nouvelles façons d’apprendre. Et créer des espaces, dans les organisations, où chaque individu n’est pas seulement l’objet des transformations qui l’impactent mais au sein desquels il se sent faire partie d’un tout porteur de sens et d’énergie pour continuer à s’engager… et construire des cathédrales !

Quelques lectures et une vidéo inspirantes
HUFFPOST - La vraie question que pose le télétravail, c’est l’utilité du travail ! 
LE MEDIABLOG DU COACHING - Entre sens et perte de sens au travail
LE COMPTOIRE - Pierre-Yves Gomez : « L’époque que nous traversons a rendu au travail réel une présence qu’il avait perdue »
LE MONDE - Abdennour Bidar : « Changer de vie pour changer la vie »
APPRENDRE AUTREMENT - Communauté restauratrice / Communauté rétributrice (vidéo)

Tiraillés, désorientés… les adjectifs sont nombreux pour traduire l’impact du déconfinement à venir, sur notre rapport au travail. Entre la perspective d’un retour au bureau, avec son lot de contraintes logistiques dans un contexte inédit de distanciation sociale et d’incertitudes : reprise de l’école, accès aux transports en commun, retour en open space, réunions en présentiel… et le maintien à domicile où une nouvelle réalité de travail s’est installée, tant sur le plan matériel que de l’organisation, pour beaucoup d’entre nous, la balance penche naturellement du côté de l’alternative rassurante du télétravail. Petit retour en arrière pour bien cerner la situation…

L’annonce du confinement à la mi-mars, à la fois prévisible et crainte, provoque sidération et chaos dans les organisations. Entre l’obligation de stopper certaines activités avec des mesures de chômage partiel à mettre en œuvre, et la poursuite du travail à coordonner, avec des sites de production à sécuriser et le déploiement massif du télétravail à marche forcée, les deux dernières semaines de mars ont mobilisé des trésors d’agilité et de créativité des équipes dans les entreprises. Une période de dérèglement s’ouvre alors, qui entraîne pour tout un chacun l’obligation de s’ajuster à de nouvelles règles de fonctionnement et à sortir de sa zone de confort. Une situation exceptionnelle qui va chercher profondément dans nos ressources adaptatives et face à laquelle nous ne sommes pas égaux. Elle provoque pour certains des postures de blocage et de résistance confortées par la durabilité des incertitudes, alors que pour d’autres, on assiste à un déblocage de potentiels et le développement de nouvelles possibilités. Cette phase d’apprentissage, qu’elle soit vécue positivement ou négativement, est déterminante pour s’engager dans le plan de déconfinement partiel annoncé à partir du 11 mai.

Car c’est à ce stade que les tiraillements se font les plus forts, notamment pour les collaborateurs qui ont quitté leur bureau le 16 mars dernier et qui depuis ont eu le temps de prendre leurs marques à leur domicile. Même si, pour la grande majorité d’entre eux, il a fallu au moins deux semaines pour organiser leur espace de travail, récupérer du matériel informatique, organiser les journées entre le temps consacré aux enfants, aux repas et au travail… ; après plus d’un mois, une nouvelle réalité, comme une forme de routine, s’est installée. Un cadre familier et sécurisant, bien que souvent précaire, chez soi, qui tranche avec les inconnues qui planent encore sur les conditions d’un retour au bureau, au-dehors.

Alors que le gouvernement a expressément demandé aux entreprises de maintenir le télétravail après le 11 mai, partout où c’est possible, au moins dans les trois prochaines semaines. Et que la pratique des horaires décalés est encouragée pour les personnes qui ne pourront pas télétravailler. Quelle perspective nous donne ce plongeon forcé dans les nouvelles formes de travail ?

Une accélération des transformations en mode « survie »

Aujourd’hui en confinement, 33% des salariés travaillent à leur domicile alors que seulement 6,6% étaient en télétravail avant la crise du Covid-19. Une continuité de travail qui tient plus du bricolage que du télétravail, certes ! Il peut d’ailleurs être utile de rappeler que la notion de « télétravail » est très normée en France. Si un salarié a l’opportunité de travailler à distance de son entreprise avec l’accord verbal de son employeur, il n’est pas techniquement en télétravail sauf à l’avoir formalisé contractuellement en précisant les conditions d’exécution du télétravail (jours, plages horaires…). Mais ne jouons pas sur les mots ! A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Et ce contexte que vivent actuellement au moins 8 millions de salariés, selon le ministère du Travail, s’apparente bien au télétravail, qu’il soit contraint, confiné, bricolé... Jusqu’ici, beaucoup d’entreprises n’avaient pas pris la mesure de ce qu’était le télétravail. Perçu comme un palliatif à une activité en présentiel, il n’était pas du tout pensé comme une nouvelle manière de pratiquer le travail. Il semble que cette perception soit en train de changer à l’épreuve du réel. Même les plus réfractaires, du côté des salariés, semblent avoir pris goût à l’exercice. Certains dirigeants y voient aussi un moyen de décrocher de leur quotidien bousculé pour échafauder des stratégies et construire des projets dans le calme de leur foyer. Quant aux entreprises, plutôt récalcitrantes, certaines études montrent que le travail à distance pourrait devenir la norme à mesure qu’elles se rendent compte qu'elles peuvent être aussi efficaces tout en économisant de l'argent sur l'immobilier commercial.

Et ce n’est qu’un début… Les effets collatéraux du travail à distance sont nombreux. Que dire de la démocratisation des outils numériques de visioconférence ou de webinar, de l’accélération de la dématérialisation de la relation clients et fournisseurs ? La transformation digitale, encore à la peine dans nombre de PME, est passée à la vitesse supérieure pour maintenir l’activité à distance. On a sorti les projets des tiroirs pour les déployer dans l’urgence, parfois même en profitant du confinement pour former les salariés à ces nouveaux outils, en distanciel, bien sûr !

C’est dire si tous les acteurs de l’entreprise ont su faire preuve de réactivité, d’adaptabilité, de créativité, voire de solidarité en s’épaulant pour se concentrer sur des missions vitales. Une situation inédite qui a mis tous les échelons de l’organisation, des dirigeants aux collaborateurs, en passant par les managers de proximité, dans une posture d’apprentissage inégalée. Chacun a été amené à revoir ses croyances, son périmètre d’intervention, ses modes de fonctionnement, pour les ajuster et trouver sa place dans cette nouvelle réalité. Un tournant dans l’organisation du travail qui a fait émerger un nouveau « patrimoine de compétences » sur lequel les entreprises devront capitaliser.

La question du management est également au cœur de ce grand chantier de transformations ouvert par la crise du Covid-19. Car pour maintenir la mobilisation des équipes, il a fallu être à l’écoute et prendre en compte les besoins individuels des uns et des autres. Et surtout, à travers l’autonomie libérée par le télétravail, les managers ont dû apprendre à faire confiance à leurs collaborateurs. Apprendre à laisser leurs talents s’exprimer en dehors d’un cadre contrôlant. Et adopter une posture de soutien et de créateur de liens pour maintenir le sens et la cohésion au quotidien.

Après avoir expérimenté le télétravail, à l’heure du déconfinement, les entreprises sont invitées par le gouvernement à pratiquer les horaires décalés afin d’éviter à leurs collaborateurs la promiscuité dans les transports en commun, notamment dans les grandes villes. Indépendamment des métiers nécessitant un travail de nuit et le week-end, coutumiers de cette pratique, ce test à grande échelle peut constituer une réelle ouverture pour des salariés qui aux « heures de bureau » sont systématiquement confrontés aux bouchons et bousculades dans les transports. Une opportunité de mesurer la compatibilité de leur mission avec un travail en décalage de temps avec leurs collègues.

Cette accélération des transformations qui saute aux yeux est éclairante sur un point : « en temps de crise, on n’attend pas le changement mais on saisit l’opportunité des nouvelles conditions de l’action pour le créer. »

Le « futur du travail », c’est maintenant !

Regardons le côté positif, cette épidémie du Covid-19, a contraint les individus à activer leur esprit critique et leur créativité pour ajuster leurs connaissances et contribuer à assurer, à leur échelle, la continuité de l’activité économique. A l’échelle des organisations, la crise a favorisé le déploiement d’un terrain d’expérimentation exceptionnel sur les nouvelles pratiques de travail et engagé les entreprises dans une transition que l’on peut entrevoir comme progressive, mais durable.

Comme le souligne Vincent Berthelot, consultant RH auprès des entreprises : « Ce formidable travail d’ajustement mutuel va nous faire gagner plusieurs années dans l’évolution des relations et modes de travail tant du point de vue du style de management, du sens du travail que de l’expérience salarié. Nul doute que les managers qui auront réussi avec leurs équipes à assurer une continuité dans le travail seront les premiers bâtisseurs de l’entreprise de demain basée sur la confiance, les compétences et l’engagement des salariés. »

Comment imaginer que les semaines cumulées de confinement puis de déconfinement n’auront pas marqué de leur empreinte notre vision individuelle et collective du travail. Que cette expérience ait été vécue positivement ou négativement, elle appelle nécessairement un changement.

« Il s’est passé trop de choses pour que tout revienne comme avant » souligne Philippe Silberzahn, professeur à emlyon business school et co-auteur de l’ouvrage Stratégie Modèle Mental. « Ce monde d’aujourd’hui va changer, ni révolution, ni retour en arrière, et il faut le construire. »

Et pour construire le monde d’aujourd’hui, nous allons devoir mobiliser beaucoup d’énergie et d’enthousiasme. Un simple effort de relance ne suffira pas. Les entreprises auront la responsabilité d’investir pleinement ces territoires d’engagement que sont le management et l’organisation pour permettre à leurs collaborateurs de transformer l’épreuve qu’ils viennent de traverser en expérience dont chacun pourra tirer du positif. Pour commencer ce travail de construction, un temps de prise de recul s’impose. Un temps pour libérer la parole et écouter les besoins de chacun. Un temps pour permettre au collectif de se retrouver et à la coopération de reprendre corps sereinement. C’est sur le terrain de l’échange que l’on pourra explorer les impacts de la crise et tirer les enseignements sur ce qui a fonctionné et ce qui ne fonctionne plus. Reconsidérer et réajuster nos anciens modèles pour imaginer d’autres alternatives. Et enfin, accepter de désinvestir le superflu et de se recentrer sur l’essentiel.

Nous pouvons aussi apprendre du formidable élan d’intelligence collective qui galvanise les milieux scientifiques du monde entier pour circonscrire l’épidémie de Covid-19. Une communauté massive aux compétences variées s’est mobilisée pour partager la connaissance : accès gratuit aux publications, plateformes ouvertes de travail collaboratif, équipes auto-organisées… Les entreprises de leur côté n’ont pas hésité à se mettre en réseau pour innover et répondre à l’urgence sanitaire. Des partenariats qui pourraient survivre à la crise et donner lieu à de nouvelles coopérations, généreuses et inspirantes, pour construire ce monde qui donne du sens et parle à nos valeurs.

Quelques lectures inspirantes
COURRIER CADRES - Coronavirus, confinement et management : Ceci n’est pas du télétravail !
Blog de Philippe Silberzahn - La course à « l’après » coronavirus: Le festival des lampadaires est ouvert
CADRE & DIRIGEANT MAGAZINE - Dépasser la crise COVID 19 en s’appuyant sur la dynamique et la puissance des équipes
FORBES - Télétravail Et Confinement : Dessiner Le Travail De Demain
THE CONVERSATION - Comment le coronavirus a réveillé l’intelligence collective mondiale

Avant-propos
A l’heure où je rédigeais cet article, fin février 2020, l’épidémie de Covid-19 semblait un phénomène distant pour bon nombre d’entre nous, aveuglés par nos préoccupations quotidiennes. Puis tout s’est accéléré. Emportés par une vague d’urgence, il nous a fallu revoir nos priorités, réorganiser nos activités, distendre nos relations, et accepter de suspendre le temps… Face à cette urgence qui nous étreint encore, distorsion entre la course immobile des confinés pour contenir l’évolution de l’épidémie et la course folle des soignants pour prendre en charge ses victimes, je reste étourdie. Alors, je choisis l’espoir et l’optimisme et je me prends à rêver… à la sortie de cette crise. En publiant cet article, sans en changer le moindre mot depuis son écriture, je prends le risque que tous ceux emprisonnés dans l’urgence du moment ne le lisent pas. Mais peut-être ne l’auraient-ils pas lu en temps normal ! Et je fonde l’espoir que tous ceux qui, comme moi, aspirent à rêver à demain, y trouvent matière à s’inspirer pour des jours meilleurs. Car il y est question de valeurs d’actualité, sécurité, excellence, respect et surtout d’humanisme… Bonne lecture.

J’ai découvert l’entreprise GGB au détour d’une newsletter, inspirée par l’objectif affiché par cette société industrielle, leader mondial dans la fabrication de paliers lisses hautes performances dont le siège français est basé à Annecy : « libérer le potentiel humain afin d’atteindre l’excellence ». Une raison d’être dont l’origine se trouve aux Etats-Unis, berceau d’un groupe industriel coté NYSE : EnPro Industries.

Pour bien comprendre comment une culture d’entreprise développée aux Etats-Unis peut trouver un ancrage local dans des sites de production implantés aux quatre coins du monde, je vous invite à un voyage entre l’Amérique du Nord et les bords du lac d’Annecy. Je vous invite à retracer les liens entre un groupe industriel comptant plus de 6 000 salariés dans le monde, EnPro Industries, et sa filiale, GGB France, un site de production regroupant près de 250 collaborateurs.

Une culture inspirée des standards industriels et portée par une figure humaniste

Revenons aux racines d’une posture made in EnPro Industries. Le groupe s’est structuré autour de valeurs répondant à la fois aux standards industriels internationaux et aux aspirations humanistes de ses dirigeants. Des valeurs contribuant au développement des possibilités de chaque collaborateur, pour atteindre l’excellence et établir des environnements de travail ouverts et créatifs, conformes aux normes de sécurité les plus élevées de l’industrie : la sécurité, l’excellence et le respect.

En introduisant une culture de la sécurité et de la santé dans ses valeurs de base, l’objectif d’EnPro est d’offrir à ses salariés les conditions de travail les plus sûres de l’industrie. Pour sa part, la quête d’excellence se reflète chaque jour dans la pratique des métiers du groupe, aux services client, production, commercial comme à l’innovation, pour construire une entreprise de premier ordre qui soit la meilleure en tout et partout. Enfin, pour EnPro, le respect va de pair avec le développement personnel des individus et des équipes, quelles que soient leurs origines, nationalités ou fonctions, favorisant ainsi la diversité et l’apprentissage entre pairs.

En 2012, cette culture s’est traduite par un mouvement baptisé Dual Bottom Line, porté par un CEO emblématique, Steve E. Macadam, et déployé au sein de chaque entreprise du groupe. Ce programme, basé sur un objectif de Double Résultat, accorde autant d’importance aux résultats financiers qu’aux réalisations et au bien-être de chaque salarié. Partant du constat que les collaborateurs centrés sur leur développement sont déterminés à atteindre l’excellence. Et par extension, que lorsque les salariés visent l’excellence, les résultats financiers de l’entreprise s’améliorent.

« Notre objectif est de créer pour nos employés un environnement propice à l’apprentissage, favorisant l’échange des connaissances et de l’information, afin de promouvoir l’indépendance et la liberté de pensée qui sont indispensables pour libérer le potentiel humain. » Extrait du site www.ggbearings.com

Au-delà d’un affichage très corporate de cette philosophie sur l’ensemble des sites entreprises du groupe, comment se décline-elle de façon très opérationnelle sur le terrain ? Comment ces valeurs trouvent-elles un terreau culturel propice à leur déploiement ?

Quittons les Etats-Unis et le groupe EnPro Industries pour s’immerger dans sa filiale française GGB France, au cœur du siège d’Annecy. Laetitia Bertin, responsable RH, est mon guide. Nous sommes vendredi soir en cette fin février 2020 et l’empreinte du groupe industriel mondial n’est pas loin… A peine passées les portes de l’entreprises, les valeurs mères s’invitent à mon rendez-vous. Sécurité oblige, un flacon de gel hydroalcoolique attend chaque visiteur à son arrivée. L’ombre lointaine du coronavirus plane sur l’entreprise dont le site GGB Suzhou en Chine vient tout juste de rouvrir pour reprendre progressivement son activité. Les valeurs de sécurité et de respect sont bien présentes, immédiatement visibles à mon arrivée. La sécurité est posée en responsabilité personnelle et partagée avec comme enjeu de veiller à son propre bien-être autant qu’à celui des autres.

Mais revenons au cœur du sujet qui m’a amenée à rencontrer Laetitia Bertin : comment s’y prend-on chez GGB France pour libérer le potentiel humain afin d’atteindre l’excellence ?

Une approche systémique de l’apprentissage

Le programme Dual Bottom Line est le socle d’un ensemble d’outils standardisés, une véritable Tool Box favorisant le partage de bonnes pratiques et l’apprentissage tout au long de la vie au service du développement personnel et professionnel de l’ensemble des collaborateurs.

Pour libérer le potentiel humain, la formation est un élément fondateur de la culture d’entreprise EnPro. Elle s’inscrit au cœur d’un système éducatif interne où chacun a la possibilité d’enseigner et d’apprendre des autres.

Dès leur recrutement, les salariés intègrent un plan de formation de deux jours, Building Our Workplace (BOW), pour les acculturer à l’esprit Dual Bottom Line. Depuis 2012, près de 6 000 salariés dans le monde ont ainsi été formés aux savoir-faire et savoir-être requis pour travailler dans les entreprises du groupe EnPro.

La fidélisation de la nouvelle génération d’ingénieurs d’application est au cœur des priorités avec le Strategic Workforce Development Application Engineer project. Ce programme en cours de développement vise à accompagner l’évolution de carrière et ainsi favoriser l’engagement de cette population clé pour GGB. Le projet s’articule autour de quatre grands enjeux. Tout d’abord la reconnaissance et la valorisation de cette catégorie de salariés. Ensuite, le développement de leur carrière et compétences dès l’onboarding à travers du mentorat, du coaching et des formations techniques, comme soft skills. Enfin, ce programme comprend l’animation d’une communauté dédiée aux ingénieurs d’application et la création d’une Leadership Team pour manager cette communauté.

Des modules de formation sont également proposés en interne comme en externe pour permettre à chaque salarié de construire sa carrière et de gérer son évolution au sein de l’entreprise, sur des thèmes très variés : comment bien communiquer, résoudre les conflits, développer l’esprit d’équipe ou encore affirmer son leadership.

Libérer les potentialités de chaque salarié

« La Tool Box nous apporte des réponses opérationnelles et éprouvées pour conduire avec succès le développement de nos collaborateurs. Toutefois, la liberté est donnée à chaque entité du groupe de déployer ces outils en les adaptant à sa propre culture pays » souligne Laetitia Bertin.

Cette notion de liberté est omniprésente dans la culture EnPro ; elle se matérialise à tous les échelons du groupe, au sein des entités comme des individus. Avec comme parti pris que les personnes au plus près du terrain et de l’activité sont les plus à même de définir les axes et les méthodes de travail. Une confiance est ainsi donnée aux individus leur permettant d’exercer leur autonomie et leur pouvoir d’agir, et de s’affirmer au travers de zones de responsabilisation.

« GGB donne à chaque employé la liberté de fixer ses propres objectifs et de décider de ce qu’il souhaite accomplir afin qu’il puisse se réaliser pleinement. » Extrait du site www.ggbearings.com

Chez GGB France comme dans les autres entités du groupe, c’est culturel, les salariés définissent leurs propres objectifs. Concrètement, en amont de l’entretien annuel, chaque collaborateur soumet à son manager les objectifs qu’il s’est défini pour l’année. Ces objectifs sont ensuite discutés et validés lors de l’entretien annuel. Une responsabilisation de l’ensemble des acteurs de l’entreprise qui a indéniablement fait son succès et participé à la création de gains à long terme.

C’est pourquoi, en 2020, avec sa démarche Better Works, GGB France a pris le parti d’abandonner les entretiens annuels au bénéfice de rencontres mensuelles orientées développement personnel. Ces conversations préparées par le collaborateur lui permettront chaque mois d’évoquer avec son manager ses réussites et ses points d’amélioration. Le pas suivant étant d’intégrer à ces échanges ouverts entre salariés et managers la dimension collective du travail, notamment au travers des objectifs d’équipe.

Une politique des petits pas vers le déploiement de l’intelligence collective

« Nous croyons qu’en développant un esprit de communauté, nous pouvons générer un degré d’engagement plus grand, maintenir un environnement ouvert à la discussion, et encourager une plus grande participation individuelle et collective dans les décisions journalières qui impactent notre activité. Privilégier la motivation, la prise de responsabilité et l’appropriation des projets, bénéficie autant à l’individu qu’à GGB. » Extrait du site www.ggbearings.com

La dimension communautaire chère au groupe mondial trouve son expression à travers des activités spécifiques à chaque pays, des challenges sportifs ou encore le soutien d’opérations caritatives. Pour Laetitia Bertin, cet esprit de communauté est moins adapté à la culture française qu’à d’autres nationalités. GGB France a donc choisi d’investir l’intelligence collective pour consolider une dynamique d’équipe porteuse d’innovations et d’amélioration continue, en s’appuyant sur les managers comme courroie de transmission.

Le déploiement de l’intelligence collective au sein de l’entreprise s’inscrit au plus haut niveau de la stratégie comme dans la diffusion de nouvelles façons de coopérer au sein des équipes opérationnelles à travers deux actions phares.

Le premier enjeu visait à associer un collectif de quarante managers à la co-construction du plan stratégique annuel avec le comité de direction. L’exercice, qui a consisté en année 1 à challenger les idées exposées par la Direction, s’est naturellement imposé comme une démarche vertueuse qui a permis d’aller plus loin en année 2, en invitant les managers à être davantage force de proposition sur les axes stratégiques à développer.

Pour Laetitia Bertin : « Nous avançons pas à pas, notre ambition étant d’aller plus loin avec ce collectif, dans un souci d’excellence et de performance, en élargissant cette réflexion stratégique aux collaborateurs. »

Aujourd’hui, GGB fait face à une population en fort renouvellement du fait de nombreux départs à la retraite et avec l’arrivée concomitante dans l’entreprise des nouvelles générations, notamment parmi les ingénieurs. Ces nouveaux acteurs ont de fortes aspirations en termes de compréhension des enjeux de l’entreprise et de coopération. La formation des managers à la facilitation et aux outils d’intelligence collective est une réponse à ce mouvement qui s’opère vers une meilleure auto-régulation du travail et la construction d’une dynamique collaborative. Des sessions de co-développement sont également proposées aux managers d’équipes et de projet. Un groupe de co-développement au féminin s’est même spontanément structuré pour revisiter certains freins ou résistances et explorer de nouvelles perspectives.

Le chemin tracé par le groupe EnPro Industries pour ses filiales est éclairant. Lorsqu’elles sont portées au plus haut niveau et matérialisées dans des actions structurantes et à fort impact pour les salariés, les valeurs irriguent toutes les entités et toutes les strates de l’entreprise, au-delà des frontières. Les moyens déployés par EnPro pour soutenir les capacités d’apprentissage de ses collaborateurs, assortis d’une culture de la confiance porteuse d’autonomie et de responsabilisation, confèrent indéniablement à ses filiales un fabuleux terrain de jeu pour développer leurs talents. Dans un environnement industriel pourtant marqué par de hautes exigences en termes de sécurité et d’excellence, force est de constater que la liberté donnée à chaque individu de se réaliser dans son travail agit comme un exhausteur et stimule les performances.

L’exemplarité en management repose sur une idée simple : s’appliquer à soi-même ce que l’on attend de ses collaborateurs. Mais pour qu’elle agisse pleinement et puissamment sur une équipe ou une organisation, l’exemplarité doit être considérée comme une exigence comportementale majeure à cultiver et à développer. L’exemplarité est indissociable de l’activité managériale, a fortiori dans les environnements incertains et complexes dans lesquels nous évoluons aujourd’hui. Car un comportement exemplaire stimule l’engagement et la volonté de coopérer. A l’inverse, un défaut d’exemplarité peut compromettre projets et performances.

« Il est nécessaire d’apprendre l’exemplarité pour devenir un bon manager. »

Pour bien comprendre les clés de cette attitude essentielle et exigeante, Tessa Melkonian, professeur à emlyon business school, a partagé le fruit de ses recherches dans un ouvrage très pragmatique dans lequel elle s’attache à expliquer Pourquoi un leader doit être exemplaire.

Manager c’est incarner un « modèle » comportemental

Dans son livre, Tessa Melkonian utilise le terme leader pour refléter la pluralité des figures d’autorité concernées par la question de l’exemplarité. Car c’est dans une relation d’autorité que la notion d’exemplarité prend tout son sens. C’est montrer à travers ses propres comportements ce qui est attendu de ses collaborateurs et le chemin à suivre. Cette définition porte l’image d’un modèle qui s’incarne dans l’alignement de ses comportements avec son discours. Une approche qui revient à l’idée simple de ne pas demander aux autres de faire quelque chose tout en montrant l’inverse. Pour être considéré comme digne de confiance par ses collaborateurs, un manager doit donc non seulement faire la preuve de sa compétence professionnelle, mais il doit également démontrer sa capacité à être exemplaire en toute occasion.

A l’heure où les efforts demandés aux salariés sont de plus en plus importants et où les leviers traditionnels de motivation s’amenuisent (rémunération, évolution professionnelle, sécurité de l’emploi…), l’exemplarité managériale n’est plus une option. Suivre les comportements d’une figure d’autorité est un bon moyen de réduire l’incertitude. Dans ce contexte, plus que jamais, les collaborateurs observent les comportements de leur hiérarchie et de leurs dirigeants pour déterminer s’ils répondront aux demandes d’adaptation et de coopération de l’organisation ou si, au contraire, ils ne feront que le strict minimum…

Pour Gaston Courtois, dans L’art d’être chef (1958) : « … la vie du chef parle toujours plus fort que sa voix et si sa vie est en contradiction avec ses paroles, il y a un illogisme qui scandalise les faibles et révolte les forts ».

Les bienfaits de l’exemplarité…

La recherche a démontré l’impact majeur des figures légitimes d’autorité sur les comportements des salariés, notamment sur leur capacité d’apprentissage, leur état d’esprit et leur volonté de coopérer.

… sur l’apprentissage

En observant les figures d’autorité jugées légitimes, les individus identifient les comportements à adopter et ceux à bannir. Ce phénomène est particulièrement marqué en période d’incertitude et de changement. Le leader permet ainsi aux collaborateurs d’être plus rapidement dans l’apprentissage ou l’adoption du comportement attendu dans une situation donnée, avec un coût cognitif associé plus léger.

« Dans le contexte incertain et instable d’aujourd’hui, il faut adopter des comportements inédits, notamment en matière de créativité, d’autonomie et d’influence. Et pouvoir observer une personne adopter un tel comportement dans son environnement permet à l’individu de penser que c’est réalisable. »

… sur la satisfaction

Les études montrent clairement que dans un contexte de changement générateur d’incertitude pour les individus, repérer de l’exemplarité chez les leaders renforce la satisfaction des équipes et leur capacité à voir le changement de manière positive. Du même coup, l’exemplarité permet de réduire les réactions cyniques face au changement. Sans oublier les dirigeants et membres de comités exécutifs, qui ont eux aussi besoin que le président soit exemplaire quand le changement les concerne...

… sur la confiance et la coopération

Si les salariés se sentent justement traités, ils développent de la confiance vis à vis de l'organisation quant au fait qu'ils peuvent coopérer dans le cadre des changements qui se profilent. L'exemplarité du leader joue alors comme un signal sur le fait que la coopération est la meilleure option. Quand un leader légitime adopte des comportements de coopération, les individus sont beaucoup plus enclins à coopérer et à mettre au second plan leur intérêt personnel à court terme.

Comment cultiver et développer son exemplarité ?

Tout leader est exposé en permanence au regard de ses collaborateurs qui vont sonder s’ils peuvent lui faire confiance et capitaliser sur ses comportements ou s’ils doivent se méfier de lui et se protéger. Cette exposition est renforcée par l’incertitude actuelle et la somme des efforts d’ajustements auxquels tout un chacun est soumis dans les organisations. D’autant qu’avec les réseaux sociaux, les collaborateurs partagent de plus en plus rapidement leurs observations sur les comportements non-exemplaires de leurs leaders. Pour développer son exemplarité, un leader doit donc prendre conscience et accepter cette relation de transparence, fortement intensifiée par les réseaux sociaux.

L’exemplarité repose sur le respect des autres, l’exigence vis-à-vis de soi-même et une forme d’humilité qui encourage le leader à se soumettre aux mêmes exigences que les autres. Pour permettre aux leaders de renforcer leur exemplarité auprès de leurs équipes, Tessa Melkonian propose plusieurs leviers. L’idéal étant bien sûr de les combiner pour un effet positif maximum.

Choisir stratégiquement les comportements sur lesquels être exemplaire

Il est important de garder une forme d’humilité dans l’exercice de l’exemplarité : on ne peut pas être exemplaire sur tout. Il est donc vital pour le leader de choisir stratégiquement les comportements particuliers qu’il souhaite promouvoir auprès de ses collaborateurs et s’astreindre à les incarner au quotidien. Le leader doit s’engager uniquement dans les actions qu’il est en capacité de réaliser. Pour ne par perdre en crédibilité, mieux vaut aligner ses paroles avec ses actes et tenir au maximum ses engagements, ou ne pas s’engager.

Maintenir le lien avec le terrain et être à l'écoute de ses collaborateurs

L’exercice du pouvoir peut faire perdre le sens des réalités même aux plus vertueux. En conséquence, il est important pour tout leader de s’assurer de la présence de garde-fous qui lui permettent de maintenir le lien avec la réalité.

Préserver son écologie personnelle pour consacrer l’énergie nécessaire à l’exemplarité

L’exercice de l’exemplarité demande d’importantes ressources énergétiques au leader. Il doit veiller à préserver son écologie personnelle, c’est-à-dire maintenir le juste équilibre entre ses ressources et ses dépenses énergétiques. Il doit donc identifier les leviers à sa disposition pour maintenir cet équilibre délicat et chaque jour menacé.

Comme le disait Albert Schweitzer, Prix Nobel de la paix en 1952, « l’exemplarité n’est pas une façon d’influencer, c’est la seule ».

Il est donc essentiel de sensibiliser managers et dirigeants à l’impact de leurs propres comportements sur leurs collaborateurs et les effets produits en matière d’engagement. Les leaders doivent donner l’exemple de ce qui est attendu de tous, avec humilité et détermination.

La notion d’engagement est dans toute la littérature dès que l’on évoque les enjeux du monde de l’entreprise. Pour autant, votre entreprise vous renvoie-t-elle l’image d’une organisation engagée chaque matin lorsque vous poussez la porte de votre bureau ?

L’engagement, c’est le Graal des organisations. C’est la potion magique qui va permettre aux managers de démultiplier la performance de leur équipe et aux dirigeants d’accélérer la compétitivité de leur entreprise. L’engagement, c’est un sentiment profond d’attachement et de loyauté d’un individu pour son organisation. Un élan qui stimule le travail, non pas strictement pour percevoir un salaire ou pour garder son emploi, mais dans le but d’atteindre, voire de dépasser ses objectifs au sein de l’entreprise. L’engagement nous encourage à dépasser nos limites et à coopérer.

Face aux bouleversements qui affectent l’écosystème de l’entreprise : transformations continues et accélérées, nouvelles aspirations des salariés…, l’engagement est mis à mal. Les organisations sont donc confrontées à un défi de taille pour rester dans la course à la compétitivité : continuer à attirer des talents, engager durablement leurs collaborateurs et les faire monter en compétence. L’entreprise ne doit plus se poser en « consommateur de ressources » mais en « cultivateur de talents ». La performance économique demande désormais beaucoup de créativité, d’esprit critique, de coopération et de communication. Pour émerger, ces compétences ont besoin d’un environnement sain favorisant la confiance à travers la bienveillance, l’autonomie à travers la responsabilisation et l’intelligence collective à travers la coopération. Des compétences également stimulées par une raison d’être puissante agissant comme un exhausteur de talent. Développer l’engagement suppose donc une forte adéquation entre les valeurs de l’entreprise et celles du collaborateur, et une cohérence entre les éléments de sens dont elle est porteuse et leur traduction en actes vécus par les salariés. Et c’est là que la question de l’expérience collaborateur prend tout son sens.

« Comment une organisation peut-elle envisager d’attirer et de fidéliser les talents dont elle a besoin pour se développer si elle ne prend pas soin de l’expérience qu’elle leur fait vivre au quotidien ? »

L’Expérience Client se dresse en étendard de la plupart des entreprises commerciales, et c’est bien normal, puisque sans satisfaction et fidélisation client, pas de croissance sur des marchés de plus en plus concurrentiels… Pourtant, alors que les organisations mobilisent leurs forces vives pour délivrer au client la meilleure expérience possible, elles ont tendance à négliger l’expérience vécue au quotidien par leurs propres collaborateurs.

Créer une expérience positive durable

« Une entreprise, c’est avant tout une histoire d’hommes et de femmes qui vont unir leurs idées, parfois leurs moyens, leurs compétences, leurs savoir-faire, pour atteindre des objectifs communs. Une entreprise, c’est une aventure humaine ». Extrait de l’article [Collaborateur vs Client ? Et si on visait plutôt l’alignement des expériences…]

L’Expérience Collaborateur s’inscrit au carrefour de chaque interaction du collaborateur avec son organisation, avant même son intégration, tout au long de son évolution au sein de l’entreprise, voire même au-delà de son départ. Elle repose sur un principe de cohérence globale, définit par Séverine Loureiro et Myriam Lepetit-Brière dans leur ouvrage « Boostez l’Expérience Collaborateur », autour de cinq leviers d’engagement : le SENS, la mission commune ; l’IMAGE que l’entreprise renvoie et qui concourt au sentiment de fierté et d’appartenance des collaborateurs ; l’ECOSYSTEME qui désigne l’environnement physique, technologique et organisationnel dans lequel les collaborateurs évoluent, l’EPANOUISSEMENT favorisé par l’autonomie et la responsabilisation, alimentés par le développement continu des compétences et la reconnaissance exprimée par le management, et enfin, les CONNEXIONS, à savoir les relations des collaborateurs entre eux, avec l’organisation, avec le management…

La première question que devrait se poser tout dirigeant d’entreprise, notamment en amont de chaque changement de cap, pourrait se résumer ainsi : l’expérience que vivent mes collaborateurs est-elle alignée avec mon organisation et ses enjeux, actuels et futurs ? En bref, les conditions sont-elles réunies pour engager durablement mes équipes et les conduire vers de nouveaux challenges ?

Pour le savoir, pourquoi ne pas leur poser la question ? Evaluer et qualifier l’expérience vécue par les collaborateurs d’une entreprise est une étape déterminante pour identifier les points forts de l’organisation et les axes de progrès sur lesquels mettre le focus. C’est aussi, et avant tout, adopter une posture d’écoute et d’humilité. Les entreprises et leurs dirigeants doivent accepter qu’ils ne détiennent pas toutes les réponses et trouver les moyens d’aller les chercher. L’organisation doit apprendre à écouter, pas seulement ses clients et les marchés, mais aussi ses expertises internes, pour faire évoluer ses orientations dans la bonne direction. Pour ce faire, elle doit passer d’une communication hiérarchique descendante, proche du monologue, à une communication de proximité, de l’ordre du dialogue.

Ce changement de posture dans les organisations s’inscrit dans un nouveau registre de communication, entre écoute et dialogue. Un dialogue ouvert et sincère qui doit prendre sa source au cœur de l’entreprise, sur les questions du travail. Car donner la parole aux collaborateurs pour débattre des règles, des contraintes, des ressources…de leur activité, c’est les reconnaître dans leur autorité sur leur métier et c’est leur donner le pouvoir d’agir au sein de l’organisation. Dans un contexte où le changement est devenu la règle, il faut s’adapter continuellement. Et les solutions ne peuvent s’élaborer que dans un effort commun, par un dialogue permanent pour confronter les objectifs stratégiques avec les réalités opérationnelles. [à lire aussi : Manager, c’est se réapproprier l’essence (les sens) de la communication… et favoriser le dialogue]

Une communication managériale porteuse d’engagement

Cette communication moins instrumentalisée et plus horizontale vient aussi bouleverser la nature du lien managérial. Car il est essentiel que les organisations reconnaissent le manager dans son rôle de « meneur d’hommes » et le valorisent dans cette mission suprême. Avec comme priorité de remettre le manager de proximité au centre du travail dans un dialogue permanent avec les équipes. Et de faire du manager le « premier média » de l’entreprise, acteur d’une nouvelle communication managériale pour coconstruire le sens, exercer de nouvelles formes de reconnaissance et porter une autorité basée sur l’exemplarité. Un management ramené à ses vertus essentielles : créateur de lien social, révélateur d’intelligence collective, catalyseur de décisions, contribuant simultanément au développement des personnes et de l’organisation. [à lire aussi : Communiquer sur le travail, c’est bien… Communiquer dans le travail, c’est mieux !]

Parce que le manager se trouve à la charnière de contraintes humaines, entre les personnes, le travail et la stratégie, c’est à lui que revient la responsabilité de maintenir l’engagement de ses équipes. Cette nouvelle communication managériale est donc déterminante pour crée les conditions d’un engagement durable dans les entreprises.

Une nouvelle communication qui donne à voir l’entreprise, et qui l’incarne en transparence en réinvestissant le potentiel humain. Une communication qui prend soin de la relation, à l’écoute des besoins des salariés, et qui porte leur voix, comme signe d’appartenance et gage de confiance. Une communication porteuse de valeurs nouvelles pour bâtir un nouveau modèle d’entreprise, en trois dimensions : une entreprise plus incarnée, plus constructive et plus solidaire...

Pour attirer les talents, bâtir une entreprise plus incarnée

Quand on parle de compétitivité, d’innovation, de numérique, de mondialisation… quels que soient les enjeux, quelle que soit la taille de l’entreprises, le premier défi à relever est celui des talents. Attirer les savoir-faire et les savoir-être qui accompagneront l’organisation dans ses challenges actuels et futurs est un besoin impérieux pour les dirigeants. Mais à l’heure des réseaux sociaux et de la recommandation, la relation employeur/salarié s’est débridée et le rapport de séduction s’est inversé. On n’attire plus aujourd’hui à grand renfort de campagnes hyper-marketées. Il ne suffit plus de scander de beaux slogans pour s’affirmer comme une entreprise où il fait bon travailler… Car aujourd’hui, les candidats sont à l’affût de la réputation des organisations. Et ils ont les moyens de s’informer et de vérifier les gages de popularité des entreprises sur le Net.

Pour être attractive, l’entreprise doit être incarnée. La dimension humaine est déterminante dans sa visibilité car ses valeurs ainsi personnifiées créent un lien affectif, une source d’inspiration et une relation de confiance qui suscitent naturellement l’adhésion, voire l’engagement. Humaniser l’entreprise, c’est lui donner plus de profondeur et de proximité.

Le dirigeant est l’un des principaux visages de l’entreprise. Son rôle est de l’incarner en lui insufflant ses propres valeurs et en prenant la parole de façon régulière sur l’actualité de son entreprise, ses innovations, ses succès, ses distinctions… Son expression est également une excellente opportunité de se démarquer de ses concurrents. Par ailleurs, les réseaux sociaux constituent des médias propices à une certaine liberté de ton pour les entrepreneurs désireux de prendre position sur des sujets moins corporate !

« Sur les réseaux sociaux, les publications de dirigeants reçoivent en moyenne dix fois plus de partages que les contenus de marque. »

Pour conjuguer sincérité et originalité des messages, rien de tel que de donner la parole aux collaborateurs qui sont eux aussi d’excellents ambassadeurs des valeurs de l’entreprise. Valoriser leurs expertises ou leurs réalisations au travers de portraits sur le site carrières, publier des interviews filmées d’experts sur la chaîne YouTube ou le compte Twitter de l’entreprise… Ou encore poster des photos du dernier séminaire d’équipe témoignant de l’atmosphère d’une organisation à laquelle les salariés contribuent tous les jours, sont d’excellents moyens de construire une « marque employeur » efficace. Des contenus qui pourront être partagés spontanément par tous les ambassadeurs de la marque dans un stratégie d’e-advocacy. [à lire aussi : L’Entreprise Incarnée dans toutes ses dimensions]

Pour engager les talents, bâtir une entreprise plus constructive

Le premier réflexe de l’entreprise dans sa course effrénée à la compétitivité, consiste à durcir son niveau d’exigences en interne : toujours plus, toujours plus vite, toujours plus loin… Un réflexe qui met en tension l’ensemble de l’organisation. Pour autant, l’exigence sur le niveau d’exemplarité requis dans le management pour soutenir ces objectifs ne fait que rarement partie du programme... Comment attendre de nos collaborateurs qu’ils soient exemplaires dans leur mission et leurs relations quand leur propre expérience avec leur hiérarchie n’est pas optimale ? Question de bon sens, non ?

Les vertus de l’exemplarité et de la justice managériale

Les effets de l’exemplarité sont multiples, notamment sur l'engagement et la volonté de coopérer. Au niveau managérial, Tessa Melkonian, professeur en Management et Comportement Organisationnel à emlyon business school, définit l’exemplarité comme la capacité d’une figure d’autorité, manager comme dirigeant, à mettre en œuvre à son niveau les comportements qu’il/elle déclare attendre du reste de ses salariés. L’exemplarité, c’est montrer à travers ses propres comportements ce qui est attendu et le chemin à suivre. Des comportements qui doivent évidemment être cohérents avec le discours !

A l’heure où les efforts demandés aux salariés sont de plus en plus importants et où les ressources qui leur sont redistribuées fondent comme neige au soleil, l’exemplarité managériale prend une dimension significative car plus que jamais, les collaborateurs observent les comportements de leur hiérarchie et de leurs dirigeants pour déterminer s’ils répondront aux demandes d’adaptation et de coopération de l’organisation ou si, au contraire, ils ne feront que le strict minimum…

Pour être considéré comme digne de confiance par ses collaborateurs, un manager doit donc non seulement faire la preuve de sa compétence professionnelle, mais il doit également démontrer sa capacité à être exemplaire et juste en toute occasion.

« Un salarié qui se sent justement traité déclare être plus confiant, plus satisfait et épanoui, reste plus longtemps dans l’entreprise, a des comportements de citoyenneté organisationnelle, coopère plus avec ses collègues et produit un service de meilleure qualité. » Extrait de l’article [Etes-vous un manager juste ? Ou juste un manager…]

Pour Thierry Nadisic, enseignant-chercheur en comportement organisationnel à emlyon business school, un manager juste est celui qui sait mettre en interaction quatre sentiments de justice :

Ces compétences sont d’autant plus utiles dans les cas de plus en plus courants où les ressources financières sont rares et doivent être partagées. Aujourd’hui, on observe qu’en entreprise, les incitatifs financiers sont minces, voire nuls ou distribués à tour de rôle. A tel point que le système de rémunération, qui était une source de motivation, devient une source de démotivation pour certains, ou une dimension du travail qui ne suscite aucune attente. Pourtant, au-delà des augmentations de salaires ou des primes, il existe d’autres leviers organisationnels pour développer la motivation individuelle et la mobilisation collective

Le pouvoir de la reconnaissance dans le travail

La reconnaissance procure un sentiment puissant et stimulant qui touche aussi bien l’émetteur que le récepteur. Il existe peu d’outils RH ayant un aussi large éventail de retombées positives. Car la reconnaissance :

La notion de reconnaissance est bien plus large qu’on ne peut l’imaginer et au-delà des augmentations de salaires ou des primes, il existe une multitude de pistes pour développer la motivation individuelle et la mobilisation collective. D'ailleurs, une entreprise ne part jamais de zéro en matière de reconnaissance. Il peut donc être intéressant de commencer par identifier les pratiques existantes, puis de les compléter, afin d'établir une véritable culture de la reconnaissance dans l’organisation.

Pour être efficace, la reconnaissance au travail doit donc être partie prenante de la stratégie de l’entreprise et doit être déployée à tous les niveaux. Car elle n’est pas à sens unique, ni réservée à un groupe restreint de personnes que l’on doit motiver alors que d’autres n’en auraient pas besoin. Elle doit concerner tout le monde.

Pour reconnaître ses collaborateurs, il faut les connaître et donc être capable d’identifier leurs attentes personnelles en matière de reconnaissance. Car la reconnaissance s’exprime à travers des relations humaines. C'est pourquoi il est préférable de favoriser l’expression de la reconnaissance en face à face. Pour être authentiques et sonner juste, les gestes de reconnaissance doivent cadrer avec ses propres valeurs. L’impact sera d’autant plus fort, s’ils sont exprimés dans un délai court et s’ils soulignent le plus précisément possible une réalisation, un effort ou un événement particulier.

Les personnes qui font un bon usage de la reconnaissance au travail sont considérées comme possédant des qualités sociales fortes et génèrent un sentiment de confiance, de loyauté et un désir de travailler à leur côté.

Pour faire grandir les talents, bâtir une entreprise plus solidaire

Une tâche peut être réalisée seule mais pas un travail. Le travail nous inscrit dans un effort collectif. Cette expérience collective du travail se construit à partir des multiples liens humains qui se tissent, à la fois complexes et fabuleux, quand on prend un peu de recul sur l’ensemble des interactions qui ont favorisé la production d’un produit ou d’un service.

L’expérience collective du travail se traduit par la solidarité. Dans leur effort collectif, les collaborateurs sont solidaires entre eux. Cette solidarité est ce qui donne de la valeur au travail entrepris collectivement. C’est la raison pour laquelle elle doit être valorisée. Car prendre conscience de cette solidarité crée une confiance entre les travailleurs indispensable à la poursuite de leur coopération dans la durée.

« Quand on considère ces écosystèmes qui sont les organisations de travail, quand on mesure leurs impacts psychologiques, on demande que les systèmes soient plus résilients, et pour qu’ils soient plus résilients, il faut qu’ils soient davantage fondés sur la coopération » souligne Bruno Roche, philosophe et directeur du Collège Supérieur dans l’ouvrage L’art de coopérer, manager l’entreprise de demain.

La coopération ne s’impose pas, elle s’invite. Et le premier fondement de la coopération est le partage d’un objectif commun, une œuvre à bâtir ensemble, une aventure à vivre en équipe. Cette œuvre commune donne une finalité que l’on peut célébrer. Une réussite collective dans laquelle chacun se reconnaît, dans laquelle chacun identifie sa contribution, exprime ses talents, développe ses compétences, exerce ses responsabilités… Car dans chaque réussite collective, se dévoile une réussite individuelle.

Cette œuvre commune va renforcer un lien essentiel à la coopération, le lien de confiance. La confiance doit être un prérequis en entreprise. Elle engage et favorise naturellement la coopération entre les collaborateurs dans le sens où elle donne une vision positive et optimiste de l’avenir. La confiance libère le dialogue au sein du collectif et ouvre des perspectives d’innovation et de performance.

Du dialogue naissent les solutions

Le changement est devenu la règle dans les organisations et il faut s’adapter continuellement. Dans ce contexte, les solutions aux problèmes ne peuvent s’élaborer que dans un effort commun, par le partage de l’information, par un dialogue permanent pour confronter les objectifs stratégiques avec les réalités opérationnelles.

D’où l’importance de mettre en place des démarches facilitant l’expression des salariés comme les Espaces de discussion sur le travail, avec la volonté de renouer le dialogue autour des problématiques liées au travail. Ces espaces collectifs sont des espaces formels et réguliers co-construits avec les parties prenantes de l’organisation. Ils favorisent une culture de la discussion centrée sur l’expérience du travail et ses enjeux, et visent à produire des propositions d’amélioration ou des décisions concrètes sur la façon de travailler.

Dans son ouvrage Le travail à cœur, Yves Clot, psychologue du travail, insiste sur l’importance du collectif pour débattre du travail « bien fait » : « Une communauté de pratiques qui forme un cercle d’échanges dans lequel on s’intéresse moins aux limites de chacun qu’aux limites de l’activité elle-même… ».

Selon l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) les Espaces de discussion constituent de formidables leviers de performance pour les salariés, l’entreprise et le travail.

[à lire aussi : Les Espaces de discussion sur le travail]

Pour transformer en profondeur les pratiques professionnelles, les réponses traditionnelles en termes de formation sont aujourd’hui insuffisantes. Les entreprises doivent immerger leurs talents dans une culture de l’apprentissage en continu et mobiliser leurs ressources dans des situations de travail capacitantes. Elles doivent devenir « apprenantes ». 

Créer les conditions d’une organisation apprenante

Née des travaux de Peter Senge, professeur au MIT et fondateur de The Society for Organizational Learning, l’organisation apprenante se définit comme une organisation qui développe sans cesse sa capacité à bâtir son futur.

« Des organisations dont les membres peuvent sans cesse développer leurs capacités à atteindre les résultats qu’ils recherchent, où de nouveaux modes de pensée sont mis au point, où les aspirations collectives ne sont pas freinées, où les gens apprennent en permanence comment apprendre ensemble. »

Développer une organisation apprenante permet d’être plus flexible, efficace, rapide et à la pointe des besoins du marché en mettant les collaborateurs au centre de la réflexion. Ils deviennent ainsi acteurs de l'efficience organisationnelle, et ensemble, ils apprennent de leurs erreurs.

La principale caractéristique de l'entreprise apprenante est que tous les acteurs apprennent les uns des autres. Cette communication transversale permet l'émergence de formes d’innovation, d’intelligence collective ou d’adaptation permanente à l'environnement. C'est ce qui assure le développement durable de l'organisation.

Peter Senge distingue 5 disciplines indispensables aux organisations apprenantes :

  1. La pensée systémique : un cadre conceptuel, ainsi qu’un ensemble de connaissances et d’outils, qui permettent de comprendre les phénomènes dans leur intégralité, afin de nous à les changer réellement.
  2. La maîtrise personnelle : basée sur un niveau de compétence élevé et l’aptitude des individus à développer cette maîtrise personnelle en se concentrant sur leurs aspirations les plus élevées.
  3. Les modèles mentaux : un ensemble de croyances qui forgent l’identité des individus comme des organisations. Il nous faut exposer nos modèles mentaux, pour s’assurer qu’ils sont utiles par rapport à la réalité, les tester pour faire apparaître des conflits et le cas échéant, les ajuster.
  4. La vision partagée : la capacité à faire émerger « des représentations du futur » communes à tous, de manière à inciter chacun à l’adhésion et à l’engagement.
  5. L’apprenance en équipe par le dialogue : c’est la capacité des collaborateurs à laisser de côté leurs préjugés et à réfléchir ensemble. Dialoguer implique aussi de repérer les comportements dans les interactions qui gênent la capacité à apprendre de l’équipe.

L’organisation axée sur l’apprentissage est construite comme un système écologique qui stimule l’apprentissage continu à travers le travail.

L’entreprise n’est pas en dehors de la société, elle est la société ! C’est pourquoi elle a un rôle déterminant à jouer dans l’organisation de la vie au travail. Constituée d’hommes et de femmes animés par des aspirations sociales renouvelées et portés par un élan de « vivre ensemble » inégalé, l’entreprise est responsable de la qualité du lien social qui s’y inscrit.

En invitant ses collaborateurs au dialogue et à l’apprentissage continu au cœur du travail, elle leur donne l’espace pour se confronter à la réalité vivante du travail, et légitimer leur action dans la construction d’un bien commun auquel chacun donne du sens et à l’origine de toute communauté harmonieuse et solidaire. Car aujourd’hui, le sens ne se délivre plus comme une prescription élaborée par une figure d’autorité. La transmission hiérarchisée des valeurs et du sens a cédé la place à l’échange et l’apprentissage entre pairs.

« L’un des principaux enjeux de la Qualité de Vie au Travail se matérialise dans la communication au cœur du travail. » Voilà en substance ce que m’avait répondu une ancienne dirigeante de l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) lorsque je lui avais fait part de mon souhait d’apporter ma contribution au bien-être en entreprise. A l’époque, j’étais au tout début de mon exploration des déterminants de la Qualité de Vie au Travail et je n’ai saisi que plus tard combien le fait que mon parcours dans la communication m’amène sur ce champ d’action n’était pas le fruit du hasard.

Après avoir consacré près de deux ans à m’instruire sur ce vaste sujet, je suis aujourd’hui convaincue que le bien-être en entreprise est une équation à deux variables : le travail et la communication. Pour illustrer mon propos, je ferai référence à deux ouvrages qui me semblent très complets et structurants. A la fois pour comprendre ce qui se joue actuellement dans les entreprises et pour permettre au management d’adopter une posture nouvelle.

Quand j’évoque le travail, je parle de l’activité, du métier dans lequel je mets de moi, le travail dans lequel j’accompli une « œuvre », le travail dans lequel je noue des relations et j’apprends des autres. Ce travail-là, est admirablement dépeint par Pierre-Yves Gomez, professeur à EM Lyon business school, où il dirige l’Institut français de gouvernement des entreprises, dans son ouvrage Le Travail invisible, enquête sur une disparition.

Quant à la communication, elle a aujourd’hui un formidable rôle à jouer au cœur du travail pour redonner du sens et tisser du lien entre les salariés. J’avais l’intime conviction que les entreprises devaient adopter une nouvelle conception de la communication pour attirer et engager leurs talents durablement. Cette conviction a trouvé sa confirmation dans le livre publié récemment par Jean-Marie Charpentier et Jacques Viers, tous deux consultants-formateurs en communication, Communiquer en entreprise, retrouver du sens grâce à la sociologie, la psychologie, l’histoire…

Je vous invite à cheminer entre travail et communication, deux adjuvants à la très actuelle question de l’engagement humain durable, que toutes les entreprises devraient se poser aujourd’hui.

L’économie du travail vivant, un regard neuf sur notre société

Cette expression empruntée à Pierre-Yves Gomez me semble à elle-seule résumer tout l’enjeu à reconsidérer le travail en entreprise. Son postulat : « Nous devons voir le travail comme la ressource qui donne sens à l’activité économique et sociale et regarder le travailleur dans son effort et dans sa dignité. »

L’auteur fait ici référence au travail réel, le travail que fournissent les hommes et les femmes dans leurs activités quotidiennes. Et pour comprendre la nature du travail réel, il nous propose une représentation en trois dimensions :

Tarir une de ces expériences du travail revient à diminuer l’impact de l’ensemble. Le travail est une épreuve d’humanisation, ou de déshumanisation, selon que l’on en prend soin ou pas.

Et c’est bien là que le bât blesse car avec l’hyper-financiarisation de l’économie ces trente dernières années, le travail est devenu invisible. Invisible sur les radars des gestionnaires qui ne pointent que des résultats et des rendements rangés dans des tableaux… Car en prenant le pouvoir sur les ingénieurs, les techniciens, les commerciaux ou les responsables des ressources humaines, les représentants de la finance ont fait du profit le marqueur principal de ce langage chiffré.

« Il y a financiarisation lorsque la finance n’est plus une ressource pour réaliser les objectifs économiques mais devient l’objectif lui-même. L’atteinte du résultat financier est le but que se donne l’organisation, sa raison d’être ».

Les financiers aux manettes ont ainsi contribué à transformer les organisations en financiarisant le travail lui-même, réduit à des données chiffrées abstraites et globales dans des tableaux de bord. En accélérant les changements de cap et en construisant des stratégies éloignées du fonctionnement pratique des organisations, ils ont produit de la perte de sens et de l’inquiétude.

Selon Pierre-Yves Gomez, le travail a été altéré : « Or il constitue une dimension de l’être humain que l’on ne peut mépriser ou nier sans précipiter l’ensemble de la société dans une névrose inguérissable. Au point de détruire, finalement, même la valeur économique qu’il produit. »

Le travail est le prolongement de soi-même, une activité dans laquelle on se reconnaît. En rendant le travailleur invisible, on appauvrit la nature même du travail. Dans la vie, le travail n’est pas un détail. Il donne à chacun de nous sa place, sa responsabilité et sa dignité dans la fabrication du monde.

« C’est le travail des « vrais » hommes et des « vraies » femmes, leurs efforts, le temps qu’ils y consacrent et leur engagement personnel qui produisent les richesses et les profits. L’économie financiarisée a voulu ignorer ce principe de base : le travail humain est la source de la création de valeur économique. »

Le travail se vit et c’est toujours une personne qui en parle

L’enjeu désormais consiste donc à construire une société où le travail est de nouveau visible, celui des salariés ordinaires comme celui des managers, des dirigeants... Car le travail est une expérience de vie. Il fabrique de l’humain. Et lorsque nous parlons de notre travail, nous parlons de nous et de la façon dont il nous façonne.

Pour recréer de la valeur économique grâce au travail, Pierre-Yves Gomez nous invite à revisiter chacune des trois expériences qu’il nous fait vivre.

« Le travail ne permet pas uniquement la croissance des capacités personnelles ou l’expression de talents individuels. Il met au monde des produits et des services qui alimentent des communautés. Les objets autorisent des usages et configurent des relations humaines, une façon de vivre ensemble. »

Le travail donne un visage au travailleur

L’expérience subjective du travail est ce que nous mettons de notre individualité dans le travail. Quelle que soit notre fonction, caissière, ouvrier, ingénieur, manager, elle est nuancée par la personnalité avec laquelle nous accomplissons le travail.

Cette expérience subjective crée une valeur économique qui est valorisée par la reconnaissance. Pour bien travailler, le travailleur demande à être considéré, c’est-à-dire être vu pour lui-même, en tant que personne agissante et unique, révélée par le travail accompli. Sans reconnaissance, le travail est anonyme et donc vidé d’une partie de sa réalité, comme s’il avait été accompli par n’importe qui.

Une réalisation couronne l’effort fourni

Le travail produit quelque chose. A l’issue de l’effort, il y a un objet, un service, qui le matérialise, l’inscrit dans une réalité commune, l’objective donc. Et pour que le fruit du travail puisse être valorisé et ne reste pas dans sa dimension subjective, il doit être apprécié selon des critères d’évaluation partagés.

Cette valorisation de l’expérience objective du travail est plus couramment appelée performance. Quel que soit son contenu concret, la performance exprime toujours l’adéquation entre le résultat du travail et l’objet tel qu’il fallait le réaliser. Rendre la performance manifeste est ce qui fait la valeur du travail.

Le travail nous rend membre d’une communauté

Une tâche peut être réalisée seule mais pas un travail. Le travail nous inscrit dans un effort collectif. Cette expérience collective du travail se construit à partir des multiples liens humains qui se tissent, à la fois complexes et fabuleux, quand on prend conscience de l’ensemble des interactions qui ont favorisé la production d’un produit ou d’un service.

L’expérience collective du travail se traduit par la solidarité. Dans leur effort collectif, les travailleurs sont solidaires d’autres travailleurs. Cette solidarité est ce qui donne de la valeur au travail entrepris collectivement. C’est la raison pour laquelle elle doit être valorisée. Car prendre conscience de cette solidarité crée une confiance entre les travailleurs indispensable à la poursuite de leur coopération dans la durée. Sans elle, le réseau d’efforts se tarit et le travailleur isolé s’épuise.

Avec la financiarisation de l’économie et la compétition qu’elle a engendré, Pierre-Yves Gomez a constaté une hypertrophie de la dimension objective du travail. Les critères de performance ont pris le dessus sur les autres formes de valorisation du travail réel. Ainsi, l’expérience subjective a été dévalorisée par l’intensification du travail et la normalisation des procédures. Le travailleur n’étant plus perçu en tant que personne au travail mais uniquement au travers de sa production. Parallèlement, la dimension collective du travail a pâti elle aussi des outils techniques de gestion déployés pour intensifier les rythmes, contrôler et évaluer les résultats individuels. Ces outils ont affaibli le sentiment du faire ensemble en introduisant une compétition entre les membres de l’entreprise, les salariés comparant mutuellement leurs efforts et leurs rémunérations pour s’auto-évaluer.

Reconnaître le manager dans son rôle de meneur d’hommes

Pour revaloriser cette triple expérience du travail, le rôle du management est aujourd’hui à repenser. Sa place ne se situe pas dans son cockpit à piloter des indicateurs et des données chiffrées abstraites, loin du travail réel. Elle n’est pas davantage sur le dos de ses collaborateurs à contrôler la moindre fraction de leur activité en pointant l’objectif visé. Le management de la performance ne peut être dissocié d’un management humain.

« Il nous faut recruter des managers réconciliés avec leur propre métier […] pour redevenir ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être : des meneurs d’hommes. »

Le rôle du manager est littéralement de soigner les expériences subjectives, objectives et collectives que vivent leurs collaborateurs dans le travail réel. Le manager est celui qui permet au travailleur d’exercer sa liberté au cœur du travail ; liberté nécessaire pour que la part normalisée du travail soit acceptable. Elle permet de s’ajuster, de s’adapter quand il le faut et donc d’assumer son engagement personnellement. Elle exprime aussi sa dignité, la capacité d’agir de lui-même, malgré la contrainte de processus complexes. La mission du manager est également de donner du sens au travail de remettre de la cohérence globale dans des tâches éclatées, en pouvant dire à tout travailleur à quoi et à qui son travail est utile, suscitant ainsi le désir de la réaliser. Enfin, le rôle du manager est de savoir, quand il le faut, être fier de ses collaborateurs. En considérant la personne au travail et en la valorisant comme telle, en regardant objectivement sa performance, qui l’engage indépendamment des objectifs et en étant solidaire d’elle dans un travail commun.

« Mais changer les managers ne sera pas suffisant, il faudra aussi que les organisations les accueillent et les valorisent. »

Communiquer en entreprise, un acte managérial

L’entreprise est un organisme vivant qui construit sa valeur économique sur l’expérience vécue du travail réel par ses salariés et les multiples connexions tissées entre ses différentes parties prenantes. Échanger avec un collègue sur un projet, prendre la parole en réunion, conduire son entretien annuel avec son manager… la communication est partout. Et c’est dans la proximité que se joue la plus importante transformation de la communication en entreprise.

Pour bien comprendre quelle place occupe la communication dans les organisations aujourd’hui, Jean-Marie Charpentier et Jacques Viers, nous apportent l’éclairage des sciences sociales. La communication en entreprise hérite en France d’un lourd passé. Pour trois raisons au moins selon le sociologue Philippe Zarifian :

Un triple héritage qui pèse lourdement sur les volontés à ouvrir la communication tant il est ancré dans l’organisation du travail et dans la culture managériale. Pourtant, l’urgence à communiquer n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui dans les entreprises pour répondre à une tendance grandissante à la coopération dans le travail et au besoin de « faire société » face à une altération des liens sociaux et une perte de solidarité.

« Pour être crédible et acceptée, la communication doit faire le pont entre l’opérationnel et le stratégique en mettant à jour, pour les résoudre, les difficultés – voire les conflits – liées à l’activité quotidienne des salariés. La communication se transforme par le bas en quelque sorte. »

Pour accompagner le changement perpétuel qui bouscule les entreprises et les nouvelles aspirations des salariés, la communication doit changer de registre. Elle doit sortir du monologue descendant inspiré de sa fonction de relais d’information et repenser ses moyens d’action. La place du communicant est sur le terrain pour comprendre le travail et interagir avec les équipes et les managers. Il devient activateur de sens et pour cela doit inventer des formes renouvelées de dialogue. Car la construction du sens au travail doit être collective et, surtout, le sens doit pouvoir s’inscrire dans le travail quotidien.

Pour Guy Lochard, chercheur en sciences de l’information et de la communication : « L’important, pour que cela fasse sens, se situe notamment dans l’articulation entre les projets des entreprises et ce que chacun vit comme sujet dans son activité quotidienne. »

Le sens est une affaire de langage et, plus encore, de parole. Échanger sur le sens que chacun met dans son action est le préalable à l’engagement à travers un sens commun.

Communiquer en entreprise, c’est toujours d’une certaine façon parler du travail

L’acquisition des talents et l’engagement des salariés font désormais partie des préoccupations centrales des dirigeants ; il importe donc de créer les conditions d’une attractivité et d’un engagement durable dans les entreprises. « Hier, on calculait les gestes. On mesure désormais l’engagement. »

C’est en proximité, au cœur du travail, que les enjeux de communication sont les plus forts dans les organisations, à travers la parole des salariés et les échanges au sein des équipes avec le management. Car si la parole de l’entreprise est en apparence foisonnante et l’information omniprésente, la parole sur le travail au quotidien fait trop souvent défaut.

La communication dans le travail s’articule autour de deux dimensions fondamentales : l’écoute et la discussion. Elles ne vont pas de soi, d’une part parce qu’elles engagent les acteurs et d’autre part parce qu’elles appellent une suite. « On ne parle vraiment que si on est écouté, remarque François Hubault, ergonome. Et on sait bien aujourd’hui en entreprise que si ça ne remonte pas, c’est parce qu’on n’écoute pas ». L’organisation et son management doivent se mettre en situation d’écoute, c’est-à-dire entendre ce qui est dit pour en faire quelque chose.

Le rôle de la communication est ici d’ouvrir un dialogue permanent entre les acteurs de l’entreprise pour confronter les objectifs stratégiques avec les réalités opérationnelles. Ouvrir le débat au sein des équipes sur les différentes façons d’envisager l’activité et partager sur les critères du travail bien fait. En somme, créer des lieux d’expression sur l’activité dédiés à la coopération et permettant à chacun de développer son pouvoir d’agir dans une optique de résolution de problèmes.

Pour coopérer, selon Philippe Zarifian : « …il faut partager la compréhension des problèmes, confronter leur analyse, se projeter ensemble dans l’avenir et anticiper les actions à mener, voire coélaborer, coécrire en quelque sorte la conception de ce que l’on doit entreprendre ensemble. »

Un dialogue permanent avec les équipes qui ne peut s’inscrire que dans un management de proximité centré sur la question du travail.

Le manager, le premier média de l’entreprise ?

Dans des organisations souvent hyper-hiérarchisées, le manager de proximité a pris sa place au plus près du terrain. Paradoxalement, en matière de communication, s’il est attendu dans son rôle classique de relais, voire d’interprète des orientations de l’entreprise, il manque trop souvent à l’appel lorsqu’il s’agit d’être en relation avec ses collaborateurs et de tisser du lien au sein de son équipe, en proximité. « Plus la mondialisation gagne du terrain, plus les technologies suppriment les distances, plus on a besoin de retrouver du local et de la relation proche. »

Happés par le pilotage des indicateurs de performance et le suivi des process internes, les managers ont pris de la distance vis-à-vis du travail de leurs collaborateurs. Conséquence directe, ayant une connaissance plus limitée du travail réel de leurs équipes, ils sont moins en confiance pour en parler avec eux.

Cet éloignement managérial produit un triple effondrement : un effondrement du sens, de la reconnaissance et de l’autorité. « Il faut connaître pour reconnaître », résume Mathieu Detchessahar, professeur en sciences de gestion. Si on ne connaît pas le travail, on est dans l’incapacité de le reconnaître, avec les bons mots adressés à « ceux du métier ». Le « bravo » du chef distant, sans autorité, non reconnu, ne vaut rien. Il est considéré comme une manipulation. L’autorité, c’est la reconnaissance d’une parole qui fait avancer, « qui va m’augmenter ». L’autorité augmente la capacité d’action et suscite l’obéissance volontaire. »

C’est donc dans le dialogue, la discussion avec les salariés à propos du travail que se joue l’essentiel de la communication du manager. Pour être crédible au regard des collaborateurs, cette communication managériale se déploie en deux dimensions :

Discuter du travail, c’est bien souvent appeler à sa transformation pour s’adapter à de nouvelles contraintes, de nouvelles tendances du marché… C’est le fait de communiquer qui produit le changement, en confrontant les points de vue, en inventant de nouvelles façons de faire, en co-construisant le changement. « Communiquer dans le travail, c’est se mettre d’accord sur quelque chose à faire en commun et agir avec d’autant plus de force que cet accord est profond. »

Il revient au manager d’organiser le dialogue sur le travail pour produire non seulement des mots, mais des solutions. Cependant, trop souvent, le manager n’est pas investi de ce rôle qui demande un ajustement de l’organisation.

Combien de dirigeants sont prêts aujourd’hui à incarner cette nouvelle communication, plus humaine qu’instrumentale, orientée relations plus qu’outils, soutenue par la proximité plus que par la hiérarchie ?

Combien d’organisations sont prêtes à transformer leur communication au bénéfice d'une véritable culture du dialogue sur le travail ?

Avez-vous déjà expérimenté le changement, le vrai ? Celui qui s’impose à vous comme une évidence. Comme un mouvement qui vient de l’intérieur. Cette intuition que rien ne changera autour de vous si vous ne commencez pas par vous-même. Nombre de grands penseurs ou écrivains ont manifesté cette conviction profonde et inspirante, tels Gandhi : « Soyez vous-même le changement que vous voudriez voir dans le monde », Jacques Salomé : « La porte du changement ne peut s’ouvrir que de l’intérieur, chacun en détient la clé » ou encore Pierre Rabhi : « Tant que l’être humain ne s’est pas mis en chantier comme le premier maillon à partir duquel il peut provoquer le changement du monde, on va perdre son temps... »

Aujourd’hui, nous devons adopter le changement comme donnée d’entrée de notre quotidien, dans notre environnement professionnel comme personnel. Que le changement soit contraint par une réalité nouvelle ou qu’il soit libre et inspiré, il marque, pour le moins, un glissement d’une situation à une autre, bien souvent une transition plus nette, voire même une transformation radicale. Assimiler le changement devient donc une capacité déterminante pour laquelle il nous faut acquérir de l’entraînement. Comme une discipline sportive qui nécessite que nous entraînions notre corps, nos tendons et nos muscles à supporter un effort, voire à dépasser nos limites physiques ; le changement impose une gymnastique psychique régulière qui va permettre à notre cerveau de créer des connexions nouvelles et de réguler positivement nos émotions.

Nous devons expérimenter une nouvelle posture face au changement, ajuster notre réflexe de résistance et stimuler notre conscience et notre esprit critique pour transformer chaque surprise en opportunité.

Quand le changement s’invite dans notre réalité

La vie est une expérience. Elle implique donc le changement, à une petite comme à une grande échelle. A chaque étape de notre vie, des changements s’opèrent, souvent modestes, sans que nous y prêtions attention. Toutefois, la vie nous met parfois à l’épreuve et nous soumet à des chocs qui peuvent être violents. Ces chocs font bouger nos lignes et remettent en question nos certitudes. Ils créent une sorte de séisme intérieur qui irradie jusqu’à l’extérieur et bouscule notre écosystème. Pour autant, n’est-il pas possible de considérer le changement comme un phénomène positif ?

Pour Pierre-Marie Lledo, neurobiologiste qui dirige le département neurosciences de l’Institut Pasteur « L’homme a commencé à s’épanouir lorsqu’il a été confronté à l’inconnu, à de nouveaux obstacles. »

Selon lui, notre cerveau se nourrit du changement et se détruit de la routine. Avec comme raison d’être de nous permettre de nous adapter à des ruptures. Un constat scientifique complété par une étude du psychologue K. Anders Ericsson selon laquelle au-delà de 10 000 heures de pratique et d’expérience d’une activité, quel que soit le domaine (échecs, sport, musique…), notre cerveau change et franchit une nouvelle étape. A un moment donné, notre cerveau accumule tellement d’informations qu’il est capable de faire des connections instantanément. Ainsi, notre créativité est plus aiguisée et nous sommes plus inspirés pour dépasser nos capacités.

Accompagner le changement, entre résilience et audace

On parle souvent de « dépassement de soi ». Cette formule nous enjoint à aller « plus haut, plus vite ou plus loin », à dépasser nos limites et améliorer nos performances. La notion de « dépassement de soi » est très liée à une culture de compétition et de comparaison qui nous incite à compenser nos manques et peut nous amener à porter un regard plus négatif sur nous-même. Je lui préfère l’idée de « se réinventer », qui insinue que l’on part de notre état d’origine pour tendre vers un nouveau « moi » en devenir, en mettant l’accent sur ce qui nous distingue, notre unicité, nos talents et les ressources insoupçonnées que nous portons en nous.

Le changement personnel répond à une tension entre l’idéal et le réel. Chacun d’entre-nous aspire à un idéal de vie, formule des projets, lance des idées pour améliorer sa condition dans le monde et être aligné avec sa personnalité profonde. L’incarnation de cet idéal nous donne des ailes pour nous transcender et dépasser les obstacles. Car nécessairement, il y a des obstacles, réels ou fabriqués. Notre rapport à la réalité, nos croyances et nos peurs héritées de la plus tendre enfance viennent challenger cet idéal. Ces certitudes acquises dès notre plus jeune âge, familières et rassurantes, nous protègent d’un avenir aléatoire et incertain. Ces schémas, comme on les nomme en psychologie cognitive, nous aident à nous sentir en sécurité. Et c’est là tout le paradoxe, ces schémas ont forgé notre identité et nous nous accrochons à eux, même s’ils freinent notre développement personnel et nous font souffrir. Voilà pourquoi les praticiens de la psychologie cognitive estiment que les schémas sont si difficiles à enrayer.

Pour concilier le réel et l’idéal et avancer avec confiance vers nos idéaux, il nous faut faire preuve d’audace. L’audace est la capacité à affronter nos croyances et nos peurs et à prendre des décisions courageuses pour se dépasser et se réinventer.

Remettre en question nos croyances et nos peurs

Pour le médecin psychiatre Carl Gustav Jung, le véritable changement personnel et social n’est possible que par l’augmentation du niveau de conscience des individus : il faut assumer son « Ombre » plutôt que de la projeter sur les autres. C’est en ces termes qu’est introduit l’ouvrage Je réinvente ma vie, signé de deux spécialistes de la psychologie cognitive, Jeffrey E.Young et Janet S.Klosko. Ce livre, très pratique, est une réponse à la psychologie moderne qui encourage toute personne à faire des changements par elle-même, dans la mesure du possible.

Ce livre nous éclaire sur les schémas qui façonnent notre identité, qui influencent toutes les facettes de notre existence : nos relations interpersonnelles, notre travail, notre bonheur, nos humeurs, notre santé...

« Il faut regarder un schéma en face et le comprendre. S’en débarrasser requiert aussi beaucoup de discipline. Il faut être à l’affût de ses comportements et les modifier jour après jour. On ne saurait réussir du premier coup : le succès ne nous est donné qu’à force de travail et de persévérance. »

Pas à pas, cet ouvrage nous invite à mettre un nom sur le ou les principaux schémas cognitifs qui influencent nos comportements au quotidien, afin de mieux nous y confronter et les invalider par notre raisonnement. La première étape nous permet de déceler nos schémas et découvrir la façon dont ils affectent notre vie, afin d’être en mesure de les modifier. L’étape suivante consiste à ressentir les effets du schéma. Il est très difficile de guérir une douleur ancienne sans d’abord la revivre car nous disposons de mécanismes de défense. La dernière étape vise à attaquer le schéma rationnellement. Il s’agit de démontrer qu’il y a matière à changement. Pour invalider un schéma, nous devons avant tout énumérer tous les arguments pour et contre lui et ce, depuis notre naissance.

Il existe un réel parallèle entre les schémas cognitifs et les modèles mentaux détaillés dans mon article précédent [Crackez vos modèles mentaux, le pouvoir d’agir est en vous], inspiré de l’ouvrage Stratégie Modèle Mental. Ces deux approches désignent les croyances de base à partir desquelles une personne – pour les schémas cognitifs – ou une organisation – pour les modèles mentaux - se perçoit elle-même, perçoit le monde et les autres et dont elle finit par être prisonnière. Individuellement ou collectivement, nous avons la responsabilité de prendre conscience de ces croyances et de les exposer, de questionner leur utilité par rapport à la réalité de notre existence ou de notre entreprise et, le cas échéant, de les ajuster. Le point de départ de toute transformation, c’est nous. Et dans les organisations, c’est nous avec les autres, ceux qui veulent en faire partie.

Inspirer le changement autour de soi

Notre approche volontaire et audacieuse du changement et notre capacité à se transformer personnellement, vont être déterminantes pour essaimer la culture du changement dans notre entourage, comme dans notre organisation. On ne parle pas ici d’une quelconque forme d’autorité, mais plutôt d’une posture inspirante, que nos amis canadiens qualifient de « leadership transformationnel », rapportée au monde de l’entreprise.

Dans le MOOC développé par l’Université Laval au Québec, le « management responsable », qui compose avec la triple contrainte sociale, économique et environnementale du développement durable, suppose de repenser nos habitudes et nos préjugés et de modifier nos valeurs. Le déploiement de ce management responsable n’est possible que par la transformation des personnes, des entreprises et de la société dans son ensemble.

Transformer la culture d’une entreprise et susciter l’engagement des équipes demande un style de leadership transformationnel. Les managers qui affichent ce genre de leadership, par leur exemple et leur implication, élèvent le niveau de maturité, d’idéalisme et d’engagement de leurs collaborateurs. Ces managers misent sur l’accroissement de la conscience collective et sur le partage de leurs valeurs et de leurs préoccupations pour assurer l’atteinte d’objectifs collectifs.

Le leadership transformationnel se distingue par quatre grandes capacités :

1) L’influence charismatique signifie que la leader sert de modèle. Il donne l’exemple en s’investissant dans les enjeux de l’équipe, accepte les contraintes et s’approprie les intérêts collectifs, quitte à mettre ses intérêts personnels de côté. Ce rôle de modèle crée une vision partagée par les collaborateurs de l’entreprise qui se reconnaissent unis par une mission commune.

2) La motivation inspirationnelle relève de la capacité à donner du sens au travail et donc à favoriser le dépassement de soi et le fonctionnement en équipe. Le manager qui prend soin d’expliciter chaque tâche et de souligner son importance favorise la prise de conscience des collaborateurs de leur contribution à l’épanouissement de l’entreprise.

3) La stimulation intellectuelle consiste à inciter les collaborateurs à remettre en question leurs façons de faire, ce qui favorise l’engagement et l’autodétermination. Un manager faisant preuve de leadership transformationnel invite les employés à proposer de nouvelles idées et de nouvelles solutions, il valorise leurs points de vue et s’assure que leurs contributions sont reconnues. Il ouvre des espaces réservés à l’autocritique et à l’inventivité raisonnée, de manière à faire participer personnellement son équipe dans la définition des objectifs.

4) La considération individuelle renvoie à la capacité à porter une attention particulière aux intérêts et aux besoins de chacun de ses collaborateurs. Être attentif aux spécificités des personnes les rend plus habiles et plus autonomes. Le rôle du leader transformationnel est de les soutenir, sans toutefois mettre de pression. Il accorde une attention personnelle à ses collègues en fonction des besoins de réussite et de croissance.

Si cette dynamique est entretenue, elle nourrit la cohérence du groupe en développant des relations de confiance réciproque.

Le changement, catalyseur d’une entreprise apprenante

Face aux bouleversements qui s’annoncent en matière de compétences et de métiers, notamment du fait des technologies, les organisations doivent entreprendre un énorme effort de reconversion. Mais pour transformer en profondeur les pratiques professionnelles, les réponses traditionnelles en termes de formation sont aujourd’hui insuffisantes. Les entreprises doivent immerger leurs talents dans une culture de l’apprentissage en continu et mobiliser leurs ressources dans des situations de travail capacitantes. Elles doivent devenir « apprenantes ». Ce néologisme dépeint la volonté de rester continuellement en phase avec son environnement ; ce qui implique d’apprendre constamment pour évoluer de concert avec les changements qui surviennent autour de nous.

Comme en témoigne Gilles Verrier, Directeur Général du cabinet de conseil en ressources humaines Identité RH, dans son excellent article publié sur le site RH info [L’entreprise apprenante, enfin !] : « La vraie rupture pour le collaborateur serait d’apprendre en faisant et en comprenant comment et pourquoi il l’a fait ainsi. Avec cette approche, le travail lui-même est repensé et réorganisé comme activité apprenante. L’entreprise œuvre à engager ses collaborateurs dans des situations professionnelles où ils vont se développer. La formation classique est déplacée vers l’apprentissage au sein de l’activité. »

Pour modéliser l’entreprise apprenante dans son MOOC Le management responsable, l’Université Laval pointe cinq pratiques exemplaires à mettre en application :

1) Que l’entreprise réponde aux problèmes auxquels elle fait face de manière systématique plutôt qu’en fonction de ses intuitions ou ses habitudes. Elle tire ainsi profit de toutes les pistes de solutions disponibles.

2) Expérimenter continuellement de nouvelles façons de faire le travail, d’améliorer les processus, soit pour apporter des améliorations incrémentales, soit pour envisager des modifications radicales.

3) Tirer les leçons de ses erreurs. L’entreprise apprenante accorde une attention particulière aux échecs ou aux initiatives qui fonctionnent moins bien. En analysant les causes des échecs, elle détermine des méthodes qui peuvent se révéler utiles dans d’autres contextes.

4) Chercher activement à apprendre des autres, de ses concurrents et de toutes ses parties prenantes.

5) Savoir transférer les connaissances là où elles sont utiles en faisant voyager l’expertise à l’intérieur de l’entreprise et en encourageant la discussion et le partage.

Ce MOOC s’inspire des écrits de Rosabeth Moss Kanter, professeur en management à la Harvard Business School et auteur de nombreux ouvrages relatifs à la conduite du changement. Selon Rosabeth Moss Kanter, la créativité dans une entreprise est alimentée par l’interconnexion de ses parties prenantes internes et externes. Il faut multiplier les occasions d’être en contact avec le travail des autres, en prenant connaissance des besoins exprimés par les collaborateurs et les clients et en discutant de manière ouverte des enjeux soulevés. Il est aussi important de favoriser les échanges à l’extérieur de l’entreprise afin d’explorer ce qui se fait ailleurs et entrer en contact avec des idées et des méthodes de travail différentes (participer à des formations, assister à des colloques, créer des groupes de codéveloppement…).

Pour Rosabeth Moss Kanter, le manager doit faciliter l’implication et la motivation des collaborateurs face au changement. Un manager facilitateur de changement encourage le partage des connaissances et l’apprentissage organisationnel et motive les collaborateurs à mettre à profit leur savoir et leurs talents pour contribuer pleinement à l’atteinte des objectifs de l’entreprise.

L’accélération du changement dans notre environnement a favorisé un mouvement permanent qui nous embarque individuellement et collectivement, inexorablement. Notre capacité à accepter ce mouvement et enclencher une véritable dynamique intrinsèque de changement, conscientisée et audacieuse, rend l’aventure encore plus forte et engageante. Comme une invitation à se réinventer, chaque jour, par petite touche, et à faire grandir ceux qui nous sont proches, dans la sphère privée comme professionnelle.

Depuis plus de 20 ans, j’ai eu l’occasion d’expérimenter toutes les facettes de la communication, externe, interne, écrite, orale, digitale, institutionnelle, produit, événementielle… Pourtant, depuis quelques années, j’ai le sentiment que quelque chose sonne faux ! En confrontant mes pratiques professionnelles en communication à l’exercice du management de terrain au quotidien, j’ai constaté combien nous nous étions éloignés des règles de base de la communication interpersonnelle en entreprise. Et combien il était urgent de repenser le management à partir de l’essence même de la communication humaine. A partir des sens sur lesquels toute communication humaine exerce son influence.

Parce que l’entreprise est une affaire d’humains, elle se construit sur les multiples connexions tissées entre ses différentes parties prenantes. Échanger avec un collègue dans le couloir, négocier avec un client, prendre la parole en réunion, conduire son entretien annuel avec son manager… la communication est partout. Elle irrigue le système nerveux de l’organisation, alimente ses centres de ressources

Et si nous avions oublié le sens premier de la communication ?

Au XXe siècle, les chercheurs de l'Ecole de Palo Alto en Californie ont jeté les bases d’une approche systémique et interactionniste des phénomènes humains et modélisé ainsi les 5 grands principes de la communication interpersonnelle. Une découverte très utile pour comprendre l’impact de notre communication sur nos interlocuteurs.

1 – On ne peut pas ne pas communiquer

Lorsque nous communiquons, notre interlocuteur perçoit trois types de communication :

La congruence, quand notre corps est en phase avec ce que l’on dit, est donc primordiale pour une bonne communication. Il est également impossible de ne pas communiquer car « ne pas parler » constitue en soi une forme de communication et renvoie à un message de refus ou de rejet. Tout comportement, conscient ou non, constitue donc une communication.

2 – Toute communication présente 2 aspects : le contenu et la relation

Le message transmis par l'émetteur est le contenu. La façon dont ce message est reçu - compris et entendu - constitue la relation. C'est cette dernière - ou tout du moins la manière dont le récepteur s'implique dans celle-ci - qui traduit l’impact du message. Chacun interprète les informations qu'il reçoit en fonction de ses propres références. Dans le cadre d'une relation saine et de confiance, les protagonistes se concentrent sur l'information. A l'inverse, l'information sera déformée, ignorée, voire rejetée si la relation n'est pas sereine. Le récepteur s’impliquera donc dans la relation en fonction de son interprétation et non en fonction de l’intention première de l’émetteur.

3 – La nature de la relation dépend de la ponctuation des séquences de communication

Le mode de communication de l'émetteur influe sur le récepteur et vice versa. La relation est donc basée sur le para-verbal et le non-verbal, bien plus que sur les mots en tant que tels. Chacun interprète les messages transmis et reçus selon ses propres références : sa personnalité, son vécu, ses expériences passées... ainsi que le lien de pouvoir - hiérarchique ou non - ressenti face à son interlocuteur et les réactions - comportements - de ce dernier. Pour qu'une communication soit fluide et efficace, il est ainsi primordial de rendre explicites les messages émis ou reçus, par la reformulation par exemple, afin d’éviter toute interprétation erronée.

4 – La communication est simultanément digitale et analogique

L'être humain utilise deux modes pour communiquer :

Le contenu informationnel d’une communication est digital tandis que la relation ou les sentiments sont définis par la communication analogique.

5 – Tout échange de communication est symétrique ou complémentaire selon qu’il repose sur l’égalité ou la différence

Lors d'un échange entre deux personnes, chacun des protagonistes se positionne dans la relation :

Ce positionnement peut différer, de façon explicite ou implicite, en fonction du statut social, de la position hiérarchique, de l’âge, du niveau de compétences… Pour qu'une communication soit positive, chacun des protagonistes doit comprendre et accepter ce positionnement. Si tel n'est pas le cas, la communication a toutes les chances d'être de mauvaise qualité.

Voilà de quoi nous rafraîchir la mémoire sur le sens profond de la communication. Tout être humain est communication dans sa relation à l’autre. Rapporté à l’entreprise, au nombre et à la variété des connexions humaines qui s’y tissent chaque jour, ça laisse dubitatif sur le soin que nous apportons à notre communication interpersonnelle.

Une communication qui s'est instrumentalisée

Quel professionnel de la communication ne s’est jamais vu répliquer : « Ah, mais vous à la Com’, vous ne pensez qu’à communiquer ! » ? En effet, pour reprendre l’un des principes de l’Ecole Palo Alto, nous, communicants, avons acté que « nous ne pouvons pas ne pas communiquer ». Et que se taire renvoie à un message de refus ou de rejet.

Un simple exemple pour illustrer mon propos. Il nous est tous arrivé de voir notre train s’arrêter en rase campagne et subir une - trop - longue attente avant de connaître, a minima le motif de cet arrêt, idéalement une estimation du délai avant un redémarrage. Quel a été votre ressenti pendant tout le temps où vous êtes resté sans la moindre information ? D’abord de l’agacement lié aux conséquences que cet incident sur votre programme. Ensuite, de la colère provoquée par le sentiment de ne pas être considéré. Enfin, une perception altérée de l’image de l’organisation à l’origine de votre retard.

Toute communication - ou absence de communication - parle à nos sens et suscite une émotion, neutre, positive ou négative. Il est aisé de faire le parallèle avec le monde de l’entreprise. Une organisation qui ne prend pas soin de jalonner ses projets stratégiques de phases de communication, notamment auprès de ses collaborateurs, risque de céder la place à « radio moquette » et de susciter défiance et désengagement.

Ainsi, la communication s’est professionnalisée jusqu’à devenir un instrument sophistiqué, multiforme, au service de la stratégie des entreprises et de leur management. Tour à tour institutionnelle pour porter l’image d’une organisation, marketing pour vanter les mérites de nouveaux produits, événementielle pour mobiliser des publics, interne pour faire adhérer les collaborateurs, de crise pour réagir à une situation complexe… la communication s’est dotée d’outils toujours plus affutés pour toucher leurs cibles avec le maximum d’impact, à grands renforts de slogans et de storytelling.

Cette notion technique de la communication a petit à petit pris le pas sur l’approche authentique de la communication qu’est la relation humaine, notamment au sein des organisations. Elle a ainsi accompagné le management vertical de l’entreprise, déroulant une information top-down destinée à intégrer, faire adhérer et animer des collaborateurs souvent cantonnés dans leur posture de récepteurs de messages, avec leurs managers comme prescripteurs. Un modèle de communication dont nous voyons les limites aujourd’hui. Bousculés par l’émergence de nouveaux codes qui ont investi le monde de l’entreprise et contribué à émanciper les salariés.

Internet et les réseaux sociaux ont véritablement bouleversé notre rapport à l’information et à la communication, en offrant à tout un chacun un espace de liberté illimité pour diffuser et surtout partager une information qu’il a soigneusement sélectionnée, voire produite. Cette parole libérée sur la Toile appelle aujourd’hui une communication plus authentique. Elle invoque un changement de ton qui frôle la connivence, avec sobriété et humilité dans une posture d’égal à égal.

Passer de la communication au dialogue

Cette remise en cause d’une communication « instrumentalisée » orchestrée par un émetteur « sachant » vers sa cible « candide » est à mettre en perspective des nouveaux rapports des marques avec leurs clients et des nouvelles aspirations des collaborateurs de l’entreprise en matière de management, avec comme valeur commune : la confiance.

Une quête de confiance qui rend clients et collaborateurs solidaires dans leur engagement vis-à-vis de l’entreprise. La recherche de sens et de transparence, le besoin d’écoute et de reconnaissance des parties prenantes de l’entreprise ont ainsi fait tomber les frontières entre communication externe et communication interne.

Cette nouvelle communication s’érige en pivot de la « symétrie des attentions » et soutient ce principe fondamental selon lequel la qualité de la relation entre une entreprise et ses clients est symétrique de la qualité de la relation de cette entreprise avec ses collaborateurs. [à lire aussi : Collaborateur vs Client ? Et si on visait plutôt l’alignement des expériences…] Avec comme objectif de susciter auprès des clients et des collaborateurs, via la parole de l’entreprise, des émotions positives, ferment de leur motivation à agir et à s’engager en faveur de celle-ci.

Une nouvelle communication qui donne à voir l’entreprise, et qui l’incarne en transparence en réinvestissant le potentiel humain. [à lire aussi : L'Entreprise Incarnée dans toutes ses dimensions] Une communication ouverte sur le dialogue, où les marques échangent avec leurs clients et les managers débattent avec leurs équipes. Bref, une communication qui prend soin de la relation, à l’écoute des besoins des clients comme des salariés, et qui porte leur voix, comme signe d’appartenance et gage de confiance.

Selon le baromètre 2019 Paris Workplace, « La qualité des relations au travail est LE facteur le plus décisif pour générer du bien-être et de la performance. Les interactions, lorsqu’elles sont de qualité, facilitent la circulation de l’information, la transmission des savoirs et l’adhésion des collaborateurs. Ce faisant, elles deviennent un véritable levier de performance et d’attachement des salariés à leur entreprise ».

Et l’enjeu est bien là pour l’entreprise, dans cette nouvelle relation, plus horizontale, qu’elle tisse avec ses parties prenantes, en passant d’une simple logique d’adhésion à une véritable dynamique d’appropriation. D’une stratégie de communication à une culture du dialogue.

Un dialogue ouvert et sincère qui doit prendre sa source au cœur de l’entreprise, sur les questions du travail. Car donner la parole aux collaborateurs pour débattre des règles, des contraintes, des ressources…de leur activité, c’est les reconnaître dans leur autorité sur leur métier et c’est leur donner le pouvoir d’agir au sein de l’organisation. Dans un contexte où le changement est devenu la règle, il faut s’adapter continuellement. Et les solutions ne peuvent s’élaborer que dans un effort commun, par un dialogue permanent pour confronter les objectifs stratégiques avec les réalités opérationnelles.

Dans son ouvrage « Le travail à cœur », Yves Clot, psychologue du travail, insiste sur l’importance du collectif pour débattre du travail « bien fait » : « Une communauté de pratiques qui forme un cercle d’échanges dans lequel on s’intéresse moins aux limites de chacun qu’aux limites de l’activité elle-même… ».

La culture du dialogue sur le travail constitue un formidable accélérateur de progrès et un moyen d’irriguer toute l’organisation d’un souffle d’innovation. Une pratique susceptible de réconcilier performance sociale et performance économique. [à lire aussi : Les espaces de discussion sur le travail]

Dialoguer pour créer du lien et faire société

L’enjeu de la qualité du dialogue sur le travail dépasse d’ailleurs le cadre de l’entreprise et rejailli sur la société toute entière.

« Quand il est vécu à un bon niveau de dialogue, le travail devient une véritable « école de la citoyenneté » où l’on s’entraîne à examiner des problèmes de façon partagée et critique, où l’on est invité à cultiver les vertus de la dépendance assumée : écoute, prudence, maîtrise de soi, respect d’autrui… » - L’entreprise délibérée. Refonder le management par le dialogue, Mathieu Detchessahar

L’entreprise n’est pas en dehors de la société, elle est la société ! C’est pourquoi elle a un rôle déterminant à jouer dans l’organisation de la vie au travail. Constituée d’hommes et de femmes animés par des aspirations sociales renouvelées et portés par un élan de « vivre ensemble » inégalé, l’entreprise est responsable de la qualité du lien social qui s’y inscrit.

En invitant ses collaborateurs au dialogue sur le travail, elle leur donne l’espace pour se confronter à la réalité vivante du travail, et légitimer leur action dans la construction d’un bien commun auquel chacun donne du sens et à l’origine de toute communauté harmonieuse et solidaire. Car aujourd’hui, le sens ne se délivre plus comme une prescription élaborée par une figure d’autorité. La transmission hiérarchisée des valeurs et du sens a cédé la place à l’échange et l’apprentissage entre pairs.

Une relation plus horizontale qui vient bouleverser la nature du lien managérial. Aujourd’hui, manager prend une nouvelle dimension et requiert par-dessus tout des capacités empruntes d’humanité.

«  Il nous faut recruter des managers réconciliés avec leur propre métier […] pour redevenir ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être : des meneurs d’hommes.  » - Le travail invisible, Pierre-Yves Gomez

Un leadership ramené à ses vertus essentielles : créateur de lien social, révélateur d’intelligence collective, catalyseur de décisions, contribuant simultanément au développement des personnes et de l’organisation.

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