C’est véritablement un manifeste que je souhaite partager avec vous aujourd’hui, pour sortir nos organisations du sacre du « je » égocentrique et les faire entrer dans l’ère du « nous », l’ère d’une coopération décomplexée. C’est un article lu récemment qui a mis « le feu aux poudres » ! Avec un titre qui sonne comme un signal d’alarme : « Et si l’entreprise cessait d’être un panier de crabes ? ». Pour nombre de managers et de collaborateurs confinés, en télétravail, le constat a été sans appel… Chez soi, à l’abri des jeux de pouvoir, des luttes d’influence, des peaux de banane, des oppositions larvées, de la bullshit organisation, et j’en passe - tant les expressions des travers de nos organisations hiérarchiques sont nombreuses - le travail a pris une tournure plus sereine et responsabilisante, que l’horizontalité des relations a grandement favorisé pendant cette période.

Je suis frappée de constater combien nombre d’organisations restent sourdes et aveugles à ces faiblesses de leur management qui ont pourtant des impacts très lourds sur leur fonctionnement et leurs performances. Ce type de management par l’ego serait une fatalité, un mal incurable avec lequel nous devons cohabiter ? Qui n’a jamais croisé la route d’un manager dédouané de ses comportements toxiques sous prétexte qu’il est bon gestionnaire ou bon commercial. Qui n’a jamais souffert d’un comité de direction écartelé par des luttes intestines et réduit à de petits compromis sécurisant les pré-carrés de chacun de ses membres, au détriment de décisions plus collégiales, portées par l’intérêt général et tournées vers le bien commun.

Ces comportements autocentrés et défensifs sont l’héritage d’une culture du travail longtemps parcellisée et régie par la prescription et le contrôle. Dans l’ouvrage Communiquer en entreprise, signé par Jean-Marie Carpentier et Jacques Viers, le sociologue Philippe Zarifian découpe cet héritage en trois temps :

« En premier lieu, le taylorisme s’est traduit par une parcellisation des tâches très poussées. La séparation entre conception et production s’est accompagnée d’un isolement des postes de travail et d’un idéal managérial : le « zéro communication au travail » pour chasser les temps morts. En somme, la pure et simple interdiction de parler. En second lieu, il y a eu le modèle du métier qui, avec ses codes, a pu créer dans certains secteurs une non-communication portée par l’idéal des « secrets du métier ». En troisième lieu, il y a eu la division fonctionnelle du travail, inventée en France par l’ingénieur Henri Fayol. En créant une division entre les grandes fonctions de l’entreprise, elle a eu pour conséquence de restreindre les échanges entre ceux qui produisent et ceux qui vendent, entraînant un déficit de compréhension globale dans les organisations. »

Un triple héritage qui s’inscrit non seulement dans la culture managériale, mais aussi dans l’organisation du travail et qui a laissé des traces difficiles à effacer. Pourtant, dans une société faite d’incertitudes et de complexité, où l’environnement de travail est de plus en plus tendu, les relations sociales, bâties sur une confiance élevée, la sécurité psychologique et l’intelligence collective, sont le socle de la performance organisationnelle.

« Quand on considère ces écosystèmes qui sont les organisations de travail, quand on mesure leurs impacts psychologiques, on demande que les systèmes soient plus résilients, et pour qu’ils soient plus résilients, il faut qu’ils soient davantage fondés sur la coopération » souligne Bruno Roche, philosophe et directeur du Collège Supérieur dans un ouvrage intitulé L’art de coopérer, manager l’entreprise de demain.

Tendre vers une coopération décomplexée

Coopérer ? De quoi parle-t-on ? Pour comprendre, revenons à la nature même du travail, le travail réel, celui qui produit la valeur économique tel que décrit par Pierre-Yves Gomez, professeur à emlyon business school où il dirige l’Institut français de gouvernement des entreprises, dans son livre Le travail invisible, enquête sur une disparition.

Pour Pierre-Yves Gomez, le travail humain est une représentation en trois dimensions : « il est subjectif puisqu’il est toujours réalisé par un sujet singulier, quelqu’un qui travaille ; il est objectif car il produit un objet, un service, dont l’utilité et l’usage sont reconnus par d’autres (clients, collaborateurs, société) ; il est collectif parce que tout travail suppose une collaboration ou une coopération pour pouvoir produire, on ne travaille jamais seul ».

Ce modèle permet de repérer des dysfonctionnements lorsqu’une des dimensions est exacerbée au détriment des autres. On comprend alors aisément que si l’on néglige l’expérience collective du travail, et si l’on ne prend pas soin de la communauté sociale dans laquelle il s’inscrit, on diminue nécessairement son impact.

Alors collaboration ou coopération ? Et bien les deux. Car viser la collaboration, c’est penser à l’équipe d’abord. La collaboration au travail, c’est l’acte de travailler ensemble pour un objectif commun, grâce à des règles de fonctionnement partagées et une confiance affirmée. Alors que viser la coopération, c’est penser à l’entreprise d’abord. La coopération adresse d’autres leviers que sont le sens : pourquoi nous travaillons ensemble ; les valeurs communes aux parties prenantes de l’organisation et enfin, la fierté d’appartenance. Parfois, c’est la collaboration qui doit être renforcée, parfois c’est la coopération. Et toutes deux doivent être en interaction permanente pour susciter la meilleure dynamique collective possible.

Pour Sylvia Di Pasquale, rédactrice en chef de Cadremploi : « Le confinement a révélé qu’il était ainsi possible de coopérer autrement – plus sainement – depuis sa cuisine via les outils numériques. Cette coopération, entraide et horizontalité dont on nous rebat les powerpoints, est encore et toujours en chantier. Mais les enseignements du confinement pourraient bien permettre aux managers de garder de bons réflexes en surveillant les « angles morts de la productivité ».

La crise du Covid-19 a été le théâtre de multiples ajustements destinés à assurer la continuité de l’activité économique. Les coopérations non prescrites qui s’y sont déroulées ont permis aux systèmes de fonctionner, même en situation critique. C’est tout particulièrement durant ces situations difficiles que les actes de solidarité sont les plus forts et la coopération décomplexée.

La mission du management, top managers en tête, consiste donc à encourager la collaboration et la coopération au sein des équipes. Car cette expérience collective du travail se construit à partir des multiples liens humains qui se tissent, à la fois complexes et fabuleux, quand on prend conscience de l’ensemble des interactions qui ont favorisé la production d’un produit ou d’un service. Le fruit d’un travail dont la qualité dépend directement de la qualité des relations qui y ont contribué. Et c’est là que le bât blesse bien souvent !

Faciliter le passage des ego-systèmes à des éco-systèmes

Comment susciter une collaboration ou une coopération sincère et efficace ? En premier lieu, il faut créer le contexte. Cela impose de sortir d’une culture managériale qui valorise la performance individuelle en développant des d’objectifs collectifs. Le temps de la compétition entre collaborateurs est terminé, les managers doivent montrer l’exemple à leur échelle en s’inscrivant dans une dynamique de collaboration et de coopération avec leurs homologues. Pour créer le contexte, il s’agit également de donner du sens car la coopération ne s’impose pas, elle s’invite. Et le premier fondement de la coopération est le partage d’un objectif commun, une œuvre à bâtir ensemble, une aventure à vivre en équipe. Cette œuvre commune donne une finalité que l’on peut célébrer. Une réussite collective dans laquelle chacun se reconnaît, dans laquelle chacun identifie sa contribution, exprime ses talents, développe ses compétences, exerce ses responsabilités… Car dans chaque réussite collective, se dévoile une réussite individuelle. Cette œuvre commune va renforcer un lien essentiel à la coopération, le lien de confiance. La confiance doit être un prérequis en entreprise. Elle engage et favorise naturellement la coopération entre les collaborateurs dans le sens où elle donne une vision positive et optimiste de l’avenir. La confiance libère le dialogue au sein du collectif et ouvre des perspectives d’innovation et de performance. [à lire aussi : Le sens de la coopération. Poursuivre un bien commun]

Pour permettre à cette confiance de s’installer, chacun va devoir investir son « savoir être », être à l’affût des émotions, les siennes et celles de ses collègues ou collaborateurs. Si les émotions ont longtemps été reléguées à la sphère personnelle, il n’est plus à prouver que le contexte émotionnel en entreprise a un lien direct avec l’engagement et la performance des individus. L’entreprise évolue dans un monde complexe et changeant, voire violent. Une violence économique, psychologique et sociale, comme nous la vivons aujourd’hui, à la sortie de cette crise sanitaire. Dans ce contexte, l’intelligence émotionnelle prend tout son sens.

Le modèle d’intelligence émotionnelle adapté par le psychologue américain Daniel Goleman à la vie au travail se décline en cinq dimensions et vingt-cinq compétences :

L’intelligence émotionnelle est notre GPS ! Nous devons apprendre à en décoder les signaux pour mieux mieux vivre au quotidien, à titre individuel en améliorant notre gestion du stress, notre attention, la résolution de problèmes… Et à titre collectif, pour entretenir des relations plus saines et sereines avec ses collègues. Ainsi, elle facilite la communication, la collaboration, la cohésion et favorise un environnement de travail respectueux et ouvert aux transformations.

Dans son ouvrage Les communautés d’apprentissage, Apprendre ensemble à l’ère numérique, le chercheur Denis Cristol partage la théorie d’Otto Scharmer, maître de conférences à la Sloan School of Management du MIT, selon laquelle transformer la société exige une haute qualité relationnelle et de nombreuses aptitudes sociales : « il s'agit pour lui de faciliter le passage des ego-systèmes à des éco-systèmes prenant mieux en compte l’environnement et les besoins sociaux de chacun ».

Cette haute qualité relationnelle requise pour favoriser une bonne collaboration et coopération nécessite une pratique régulière de l’écoute, de ses propres besoins comme des besoins de ses interlocuteurs. Elle nécessite également la pratique de la discussion et du dialogue. Deux modes de conversation complémentaires et puissants lorsqu’ils sont en synergie.

Passer de la discussion au dialogue !

Une équipe qui veut apprendre à collaborer et coopérer de façon efficace doit savoir passer de la discussion au dialogue et inversement, tout en connaissant bien les différences entre les deux en matière de règles du jeu comme d’objectifs.

Aujourd’hui, on pratique plus souvent la discussion que le dialogue dans les organisations. Dans son ouvrage La cinquième discipline, Peter Senge, professeur de management et directeur du Center for Organizational Learning (Centre pour les organisations apprenantes) du MIT définit la discussion comme « un jeu de ping-pong où la balle passe rapidement de l’un à l’autre ». Dans une discussion, des points de vue différents sont exposés et défendus. Le but du jeu est de « gagner » et que l’une des opinions soit acceptée par le groupe. Même si chacun prend en compte le point de vue des autres, il cherche toujours à faire prévaloir son opinion. Lorsqu’une équipe doit prendre une décision, c’est la discussion qui s’impose. Sur la base d’une analyse commune, les différents points de vue doivent être discutés et pondérés, et l’un d’entre eux choisi.

Pour Peter Senge : « Le dialogue est d’une nature très différente […], il fait circuler le « sens », un flot continu de significations allant de personne à personne, comme un fleuve qui coule entre deux rives. Par le dialogue, une équipe accède à un niveau de compréhension qu’un individu seul ne peut atteindre. […] Le dialogue permet aux individus d’observer leur propre façon de penser. […] C’est un jeu d’esprit qui repose sur la volonté de lancer de nouvelles idées, de les examiner, de les mettre à l’épreuve ».

Le dialogue est par essence divergent. Son but n’est pas de mettre les gens d’accord mais de mieux comprendre les enjeux complexes. Les retombées du dialogue sur les liens qui unissent les participants sont considérables. Une confiance mutuelle s’instaure et chacun apprend à exprimer son point de vue librement.

Peter Senge évoque trois conditions pour favoriser le dialogue :

« Un des principaux enseignements de l’art du dialogue est l’existence d’une pensée collective, d’un « réservoir de sens et d’intelligence » accessible seulement à une groupe ».

Peter Senge nous invite à aller chercher une vision plus large que celle des points de vue individuels. En permettant à chacun d’exposer au regard des autres son point de vue personnel sur la réalité et de voir la réalité de l’autre à travers ses propres yeux, il y a de fortes chances pour que nous découvrions quelque chose que nous n’avions vu ni l’un ni l’autre.

Faire des désaccords une opportunité de confronter nos angles de vue

Cette pensée créatrice, à la découverte de solutions auxquelles aucun individu n’aurait pensé par lui-même, naît d’un nombre important d’idées contradictoires. Le conflit devient dans ces conditions une composante essentielle du dialogue. La force d’une équipe porte ici sur sa capacité à générer puis maîtriser ces conflits d’idées. Une discipline qui impose d’apprendre à regarder la réalité en face, avec lucidité, tout en débusquant nos propres mécanismes de défense pour la masquer.

Car aujourd’hui encore, admettre que l’on peut se tromper ou mal connaître un problème est un aveu de faiblesse. En prenant conscience de ces mécanismes de défense activés par nos peurs de révéler nos faiblesses, voire nos erreurs, aux yeux de l’équipe, nous nous affranchissons de protections aveuglantes. Désamorçons ces routines défensives qui, derrière l’excuse de nous protéger du jugement des autres, brident notre énergie et fonctionnent comme des murs bloquant l’accès à la co-création d’idées nouvelles.

Changeons de modèle mental ! Libérons-nous de ces routines défensives qui infectent les individus et contaminent les organisations. Elles ne sont ni une fatalité, ni une distorsion acceptable de la nature humaine. Juste un héritage dont nous pouvons nous soulager. Et portons haut et fort le besoin de discuter entre égaux et de mettre le débat au-dessus de l’autorité. Plaçons la confiance mutuelle comme moteur du dialogue et permettons à la pensée collective de s’épanouir pour éprouver de nouvelles idées. Une œuvre à bâtir ensemble, dans une coopération décomplexée, où le « nous » et le « je » se rejoignent pour célébrer les réussites.

A l’heure du déconfinement, nous surfons sur un paradoxe. Si notre protection individuelle comme collective passe jusqu’à nouvel ordre par le port du masque, il est de la responsabilité des organisations de profiter de cette période de transition pour inviter leurs collaborateurs à « tomber les masques » ! Car le visage masqué porte sur lui l’image du risque et de l’incertitude. Il impose la distanciation sociale. Loin de moi l’idée d’inciter à l’abandon des masques de protection, mais plutôt d’aller explorer derrière ces barrières de protection…

Car derrière ces masques, se cachent des expériences variées de l’épreuve que nous a fait vivre le Covid-19 qu’il nous faut libérer. Les salariés ont certes eu l’occasion d’expérimenter de nouvelles façons de pratiquer leur travail ; pour autant, le contexte dans lequel ces expérimentations se sont déroulées, à marche forcée, a pu laisser des traces. Isolement, chômage partiel, travail « bricolé », sur un coin de table au milieu du salon et des enfants, avec un faible débit internet, un accès limité à certaines données… Les équipes ont « tenu le coup » et « relevé le défi » pour reprendre certaines expressions qui remontent du confinement. Mais à quel prix !

A l’heure où les collaborateurs reprennent doucement le chemin de l’entreprise, il semble illusoire d’essayer de laisser cette crise derrière soi comme un mauvais souvenir, tant elle a bouleversé notre réalité de vie et de travail. Au contraire, il est temps de transformer notre vécu en mots et de verbaliser l’éventail d’émotions qui nous ont gagnées pendant cette période de confinement. Un temps pour libérer la parole et écouter les besoins de chacun à l’issue de ce « stress test », comme l’a formulé Catherine Joly, directrice de l’exploitation du cabinet Chappuis Halder & Co.

« L'expérience du Covid-19 a été le « stress test » que nul n'aurait jamais imaginé, une plongée sans préparation dans le monde digitalisé de l'entreprise. »

Une transition pour s’interroger et apprendre

Sans empiéter sur le débat du « monde d’après », il me semble pertinent d’investir pleinement la période de transition actuelle. La zone grise que nous traversons aujourd’hui est une étape cruciale de cicatrisation et d’apprentissage pour nos systèmes humains et organisationnels, particulièrement traumatisés par la crise. Trop d’entreprises semblent pressées de tourner la page pour relancer leurs activités et préparer la reprise. Car cette préparation de la reprise doit prendre en compte les dégâts causés par le Covid-19. Dresser le bilan de ce que l’on a perdu et de ce que l’on a gagné individuellement et collectivement à travers cette épreuve. Tirer les enseignements de ce qui a fonctionné et de ce qui ne fonctionne plus aujourd’hui dans nos pratiques de travail. Reconnecter les collaborateurs et retisser les liens qui, au mieux se sont distendus pendant la période du confinement, au pire ont disparu bel et bien. Ces liens rompus au niveau managérial mettront du temps et nécessiteront beaucoup de dialogue pour se renouer.

Car il ne faut pas négliger que cette impressionnante adaptation des équipes pour soutenir l’activité des organisations a nécessité d’aller puiser profondément dans les ressources de chacun. En quelques jours, la grande majorité d’entre-nous a dû mobiliser son énergie pour sortir de sa zone de confort, se jeter à l’eau pour s’approprier de nouveaux outils, de nouvelles pratiques… dans un isolement plus ou moins soutenable en fonction de sa situation professionnelle comme personnelle.

C’est sur le terrain du dialogue que l’on pourra explorer les impacts de la crise sur les acteurs de l’entreprise. Un dialogue ouvert et sincère où chacun pourra témoigner librement et en toute sécurité pour confronter sa réalité vivante du travail pendant le confinement. Un dialogue horizontal en confiance au sein des équipes et avec le management pour laisser s’exprimer les émotions et les besoins non servis. Un dialogue constructif pour questionner nos anciens modèles, les reconsidérer et les réajuster pour imaginer d’autres alternatives.

Comme le souligne le philosophe et conseil en identité narrative Philippe Nassif : « La parole échangée est notre oxygène, et elle est notre véhicule. Elle nous précède et elle nous enveloppe. Elle nous restaure et elle nous transforme. »

©RashonMusik

Cette transition, faite d’écoute et de dialogue, est une occasion unique de regarder la réalité sous différents angles et de développer la capacité des individus et des entreprises à identifier les défis essentiels sur lesquels construire la relance.

Pour l'entrepreneur Patrick Lévy-Waitz, également président de la fondation Travailler Autrement : « Il faut identifier impérativement les combats décisifs, quitte à abandonner nos habitus. Les transitions à venir en sont une opportunité unique : saisissons-la ! »

Dans le dialogue, explorer la vérité sur les situations vécues

Pour identifier les défis dans lesquels cette crise nous a projetés, nous devons prendre le temps d’observer les processus de changement qui se sont opérés en réaction au confinement et aller chercher des réponses nouvelles. Peter Senge, professeur de management et directeur du Center for Organizational Learning (Centre pour les organisations apprenantes) du MIT, nous invite à voir la réalité de tous les jours comme un tremplin plutôt que comme un obstacle et utiliser les forces du changement au lieu de leur résister. Apprendre à nous fier à nos observations plutôt qu’à notre conception de la réalité, nos a priori. Pour reprendre la métaphore de l’arbre et de la forêt, nous devons regarder au-delà des problèmes immédiats générés par le Covid-19 et prendre un peu de recul sur la situation vécue pour en cerner l’essentiel.

Comme l’exprime très simplement Peter Senge, dans son ouvrage La cinquième discipline : « Ce dont nous avons le plus besoin c’est de savoir identifier ce qui est important de ce qui ne l’est pas, les données sur lesquelles se concentrer et celles qui ne le nécessitent pas – et de le réaliser de manière à ce que cela aide les équipes à développer une compréhension commune. »

Cette prise de recul est nécessaire pour avoir une vision élargie permettant de faire émerger les représentations d’un futur souhaitable, commun à tous, qui suscitera adhésion et engagement. Pour créer cette « tension créatrice » décrite par Peter Senge, entre la vision d’ensemble et l’analyse lucide de la réalité, nous devons apprendre à poser les bonnes questions. Dépasser l’urgence de trouver des solutions immédiates, au risque de passer à côté des vrais problèmes, cachés derrière les « petits détails » du quotidien. Changer de posture pour sonder les profondeurs de la réalité en questionnant toutes les dimensions de cette réalité.

Une posture que le chercheur François Taddeï décrit ainsi, dans son dernier ouvrage Apprendre au XXIe siècle : « Cesser de penser en ingénieur et apprendre à penser en chercheur. Le premier cherche une solution ; le second cherche la bonne question. Le premier se désole quand une expérience dysfonctionne ; le second s’en réjouit, dès lors que ce dysfonctionnement est inédit – cela signifie qu’il est en présence de nouveaux possibles, qu’il va pouvoir labourer de nouveau champs de savoir. »

Adopter une posture de chercheur pour apprendre à (se) poser les bonnes questions

Notre capacité à se mettre à la place de l’autre, base de l’empathie, à regarder la réalité sous différents angles, de manière multidimensionnelle, est le socle de cette posture de chercheur. Frédéric Falisse, le coach et formateur qui a théorisé l’art de poser des questions : la « questiologie », en a fait le socle de sa technique. La discipline qu’il a développée ambitionne d’éveiller notre intelligence à interroger de façon pertinente, dans le but de découvrir de nouvelles possibilités, de nouvelles perspectives de développement personnel, relationnel ou professionnel. Poser des questions pour réfléchir et éduquer. Il a constaté que dans notre quotidien, nous n’exploitons que 15% des questions possibles. Tout simplement car lorsque nous posons des questions, nous cherchons avant tout à obtenir des informations qui confirment notre vision du monde et notre perception d’une situation.

Pour expliquer sa théorie, il cite la formule d’Einstein : « Si j’avais une heure pour résoudre un problème dont ma vie dépendait, je passerais les 55 premières minutes à chercher la meilleure question à me poser, et lorsque je l’aurais trouvée, il me suffirait de 5 minutes pour y répondre ».

Pour appréhender la « questiologie », Frédéric Falisse nous invite à nous mettre dans la peau de celui à qui nous posons la question en lui proposant de prendre une certaine posture. Dans la posture d’acteur, il s’interroge sur sa participation. En tant qu’observateur, il regarde ce qui se passe. En prenant une posture introspective, il réfléchit à ce qu’il ressent. Et enfin, en prise de recul, il se projette par rapport à la situation.

Tout se joue dans la qualité des questions. En coaching, on les appelle les « questions puissantes ». Des questions qui ont le pouvoir de nous faire cheminer. Partant du principe que si nous ne trouvons pas de solution à un problème, c’est que nous ne cherchons pas au bon endroit. Les meilleures questions nous amènent donc à nous décentrer de nos certitudes, et sont ouvertes pour laisser la place au silence et ouvrir sur nos ressources intérieures profondes.

J’ai eu l’occasion d’expérimenter une technique particulièrement efficace pour cheminer dans son questionnement avec l’appui du collectif : « De la question brûlante à la question puissante ». L’exercice consiste en un dialogue de questions ouvertes, qui fait progresser la réflexion à partir d’une question de départ. Dans cet échange, aucune solution n’est proposée par le groupe, juste des portes qui ouvrent sur d'autres points de vue en lien avec la question initiale. Très rapidement, la reformulation de nouvelles questions nous permet d’entrevoir la problématique de départ sous un autre angle et d’envisager de nouvelles possibilités.

En invitant leurs collaborateurs à « tomber les masques » et à questionner leurs représentations de la réalité en confinement, à la croisée de leurs postures d’acteur, d’observateur, en introspection et en prise de recul, les entreprises s’ouvrent à l’exploration d’une vision élargie sur laquelle construire la relance de leur activité. Et elles se positionnent ainsi en organisations apprenantes capables de tirer parti des processus de changement qui les impactent pour répondre aux grands défis à venir.

Quelques lectures inspirantes
LES ECHOS - L'entreprise d'après, ses promesses et ses défis
LE FIGARO - Patrick Lévy-Waitz, entrepreneur :
« Attention au mythe de la seule industrie
lourde, modèle 20e siècle »
L'ADN - Les managers doivent-ils devenir des artisans de la conversation ?

Tiraillés, désorientés… les adjectifs sont nombreux pour traduire l’impact du déconfinement à venir, sur notre rapport au travail. Entre la perspective d’un retour au bureau, avec son lot de contraintes logistiques dans un contexte inédit de distanciation sociale et d’incertitudes : reprise de l’école, accès aux transports en commun, retour en open space, réunions en présentiel… et le maintien à domicile où une nouvelle réalité de travail s’est installée, tant sur le plan matériel que de l’organisation, pour beaucoup d’entre nous, la balance penche naturellement du côté de l’alternative rassurante du télétravail. Petit retour en arrière pour bien cerner la situation…

L’annonce du confinement à la mi-mars, à la fois prévisible et crainte, provoque sidération et chaos dans les organisations. Entre l’obligation de stopper certaines activités avec des mesures de chômage partiel à mettre en œuvre, et la poursuite du travail à coordonner, avec des sites de production à sécuriser et le déploiement massif du télétravail à marche forcée, les deux dernières semaines de mars ont mobilisé des trésors d’agilité et de créativité des équipes dans les entreprises. Une période de dérèglement s’ouvre alors, qui entraîne pour tout un chacun l’obligation de s’ajuster à de nouvelles règles de fonctionnement et à sortir de sa zone de confort. Une situation exceptionnelle qui va chercher profondément dans nos ressources adaptatives et face à laquelle nous ne sommes pas égaux. Elle provoque pour certains des postures de blocage et de résistance confortées par la durabilité des incertitudes, alors que pour d’autres, on assiste à un déblocage de potentiels et le développement de nouvelles possibilités. Cette phase d’apprentissage, qu’elle soit vécue positivement ou négativement, est déterminante pour s’engager dans le plan de déconfinement partiel annoncé à partir du 11 mai.

Car c’est à ce stade que les tiraillements se font les plus forts, notamment pour les collaborateurs qui ont quitté leur bureau le 16 mars dernier et qui depuis ont eu le temps de prendre leurs marques à leur domicile. Même si, pour la grande majorité d’entre eux, il a fallu au moins deux semaines pour organiser leur espace de travail, récupérer du matériel informatique, organiser les journées entre le temps consacré aux enfants, aux repas et au travail… ; après plus d’un mois, une nouvelle réalité, comme une forme de routine, s’est installée. Un cadre familier et sécurisant, bien que souvent précaire, chez soi, qui tranche avec les inconnues qui planent encore sur les conditions d’un retour au bureau, au-dehors.

Alors que le gouvernement a expressément demandé aux entreprises de maintenir le télétravail après le 11 mai, partout où c’est possible, au moins dans les trois prochaines semaines. Et que la pratique des horaires décalés est encouragée pour les personnes qui ne pourront pas télétravailler. Quelle perspective nous donne ce plongeon forcé dans les nouvelles formes de travail ?

Une accélération des transformations en mode « survie »

Aujourd’hui en confinement, 33% des salariés travaillent à leur domicile alors que seulement 6,6% étaient en télétravail avant la crise du Covid-19. Une continuité de travail qui tient plus du bricolage que du télétravail, certes ! Il peut d’ailleurs être utile de rappeler que la notion de « télétravail » est très normée en France. Si un salarié a l’opportunité de travailler à distance de son entreprise avec l’accord verbal de son employeur, il n’est pas techniquement en télétravail sauf à l’avoir formalisé contractuellement en précisant les conditions d’exécution du télétravail (jours, plages horaires…). Mais ne jouons pas sur les mots ! A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Et ce contexte que vivent actuellement au moins 8 millions de salariés, selon le ministère du Travail, s’apparente bien au télétravail, qu’il soit contraint, confiné, bricolé... Jusqu’ici, beaucoup d’entreprises n’avaient pas pris la mesure de ce qu’était le télétravail. Perçu comme un palliatif à une activité en présentiel, il n’était pas du tout pensé comme une nouvelle manière de pratiquer le travail. Il semble que cette perception soit en train de changer à l’épreuve du réel. Même les plus réfractaires, du côté des salariés, semblent avoir pris goût à l’exercice. Certains dirigeants y voient aussi un moyen de décrocher de leur quotidien bousculé pour échafauder des stratégies et construire des projets dans le calme de leur foyer. Quant aux entreprises, plutôt récalcitrantes, certaines études montrent que le travail à distance pourrait devenir la norme à mesure qu’elles se rendent compte qu'elles peuvent être aussi efficaces tout en économisant de l'argent sur l'immobilier commercial.

Et ce n’est qu’un début… Les effets collatéraux du travail à distance sont nombreux. Que dire de la démocratisation des outils numériques de visioconférence ou de webinar, de l’accélération de la dématérialisation de la relation clients et fournisseurs ? La transformation digitale, encore à la peine dans nombre de PME, est passée à la vitesse supérieure pour maintenir l’activité à distance. On a sorti les projets des tiroirs pour les déployer dans l’urgence, parfois même en profitant du confinement pour former les salariés à ces nouveaux outils, en distanciel, bien sûr !

C’est dire si tous les acteurs de l’entreprise ont su faire preuve de réactivité, d’adaptabilité, de créativité, voire de solidarité en s’épaulant pour se concentrer sur des missions vitales. Une situation inédite qui a mis tous les échelons de l’organisation, des dirigeants aux collaborateurs, en passant par les managers de proximité, dans une posture d’apprentissage inégalée. Chacun a été amené à revoir ses croyances, son périmètre d’intervention, ses modes de fonctionnement, pour les ajuster et trouver sa place dans cette nouvelle réalité. Un tournant dans l’organisation du travail qui a fait émerger un nouveau « patrimoine de compétences » sur lequel les entreprises devront capitaliser.

La question du management est également au cœur de ce grand chantier de transformations ouvert par la crise du Covid-19. Car pour maintenir la mobilisation des équipes, il a fallu être à l’écoute et prendre en compte les besoins individuels des uns et des autres. Et surtout, à travers l’autonomie libérée par le télétravail, les managers ont dû apprendre à faire confiance à leurs collaborateurs. Apprendre à laisser leurs talents s’exprimer en dehors d’un cadre contrôlant. Et adopter une posture de soutien et de créateur de liens pour maintenir le sens et la cohésion au quotidien.

Après avoir expérimenté le télétravail, à l’heure du déconfinement, les entreprises sont invitées par le gouvernement à pratiquer les horaires décalés afin d’éviter à leurs collaborateurs la promiscuité dans les transports en commun, notamment dans les grandes villes. Indépendamment des métiers nécessitant un travail de nuit et le week-end, coutumiers de cette pratique, ce test à grande échelle peut constituer une réelle ouverture pour des salariés qui aux « heures de bureau » sont systématiquement confrontés aux bouchons et bousculades dans les transports. Une opportunité de mesurer la compatibilité de leur mission avec un travail en décalage de temps avec leurs collègues.

Cette accélération des transformations qui saute aux yeux est éclairante sur un point : « en temps de crise, on n’attend pas le changement mais on saisit l’opportunité des nouvelles conditions de l’action pour le créer. »

Le « futur du travail », c’est maintenant !

Regardons le côté positif, cette épidémie du Covid-19, a contraint les individus à activer leur esprit critique et leur créativité pour ajuster leurs connaissances et contribuer à assurer, à leur échelle, la continuité de l’activité économique. A l’échelle des organisations, la crise a favorisé le déploiement d’un terrain d’expérimentation exceptionnel sur les nouvelles pratiques de travail et engagé les entreprises dans une transition que l’on peut entrevoir comme progressive, mais durable.

Comme le souligne Vincent Berthelot, consultant RH auprès des entreprises : « Ce formidable travail d’ajustement mutuel va nous faire gagner plusieurs années dans l’évolution des relations et modes de travail tant du point de vue du style de management, du sens du travail que de l’expérience salarié. Nul doute que les managers qui auront réussi avec leurs équipes à assurer une continuité dans le travail seront les premiers bâtisseurs de l’entreprise de demain basée sur la confiance, les compétences et l’engagement des salariés. »

Comment imaginer que les semaines cumulées de confinement puis de déconfinement n’auront pas marqué de leur empreinte notre vision individuelle et collective du travail. Que cette expérience ait été vécue positivement ou négativement, elle appelle nécessairement un changement.

« Il s’est passé trop de choses pour que tout revienne comme avant » souligne Philippe Silberzahn, professeur à emlyon business school et co-auteur de l’ouvrage Stratégie Modèle Mental. « Ce monde d’aujourd’hui va changer, ni révolution, ni retour en arrière, et il faut le construire. »

Et pour construire le monde d’aujourd’hui, nous allons devoir mobiliser beaucoup d’énergie et d’enthousiasme. Un simple effort de relance ne suffira pas. Les entreprises auront la responsabilité d’investir pleinement ces territoires d’engagement que sont le management et l’organisation pour permettre à leurs collaborateurs de transformer l’épreuve qu’ils viennent de traverser en expérience dont chacun pourra tirer du positif. Pour commencer ce travail de construction, un temps de prise de recul s’impose. Un temps pour libérer la parole et écouter les besoins de chacun. Un temps pour permettre au collectif de se retrouver et à la coopération de reprendre corps sereinement. C’est sur le terrain de l’échange que l’on pourra explorer les impacts de la crise et tirer les enseignements sur ce qui a fonctionné et ce qui ne fonctionne plus. Reconsidérer et réajuster nos anciens modèles pour imaginer d’autres alternatives. Et enfin, accepter de désinvestir le superflu et de se recentrer sur l’essentiel.

Nous pouvons aussi apprendre du formidable élan d’intelligence collective qui galvanise les milieux scientifiques du monde entier pour circonscrire l’épidémie de Covid-19. Une communauté massive aux compétences variées s’est mobilisée pour partager la connaissance : accès gratuit aux publications, plateformes ouvertes de travail collaboratif, équipes auto-organisées… Les entreprises de leur côté n’ont pas hésité à se mettre en réseau pour innover et répondre à l’urgence sanitaire. Des partenariats qui pourraient survivre à la crise et donner lieu à de nouvelles coopérations, généreuses et inspirantes, pour construire ce monde qui donne du sens et parle à nos valeurs.

Quelques lectures inspirantes
COURRIER CADRES - Coronavirus, confinement et management : Ceci n’est pas du télétravail !
Blog de Philippe Silberzahn - La course à « l’après » coronavirus: Le festival des lampadaires est ouvert
CADRE & DIRIGEANT MAGAZINE - Dépasser la crise COVID 19 en s’appuyant sur la dynamique et la puissance des équipes
FORBES - Télétravail Et Confinement : Dessiner Le Travail De Demain
THE CONVERSATION - Comment le coronavirus a réveillé l’intelligence collective mondiale

L’exemplarité en management repose sur une idée simple : s’appliquer à soi-même ce que l’on attend de ses collaborateurs. Mais pour qu’elle agisse pleinement et puissamment sur une équipe ou une organisation, l’exemplarité doit être considérée comme une exigence comportementale majeure à cultiver et à développer. L’exemplarité est indissociable de l’activité managériale, a fortiori dans les environnements incertains et complexes dans lesquels nous évoluons aujourd’hui. Car un comportement exemplaire stimule l’engagement et la volonté de coopérer. A l’inverse, un défaut d’exemplarité peut compromettre projets et performances.

« Il est nécessaire d’apprendre l’exemplarité pour devenir un bon manager. »

Pour bien comprendre les clés de cette attitude essentielle et exigeante, Tessa Melkonian, professeur à emlyon business school, a partagé le fruit de ses recherches dans un ouvrage très pragmatique dans lequel elle s’attache à expliquer Pourquoi un leader doit être exemplaire.

Manager c’est incarner un « modèle » comportemental

Dans son livre, Tessa Melkonian utilise le terme leader pour refléter la pluralité des figures d’autorité concernées par la question de l’exemplarité. Car c’est dans une relation d’autorité que la notion d’exemplarité prend tout son sens. C’est montrer à travers ses propres comportements ce qui est attendu de ses collaborateurs et le chemin à suivre. Cette définition porte l’image d’un modèle qui s’incarne dans l’alignement de ses comportements avec son discours. Une approche qui revient à l’idée simple de ne pas demander aux autres de faire quelque chose tout en montrant l’inverse. Pour être considéré comme digne de confiance par ses collaborateurs, un manager doit donc non seulement faire la preuve de sa compétence professionnelle, mais il doit également démontrer sa capacité à être exemplaire en toute occasion.

A l’heure où les efforts demandés aux salariés sont de plus en plus importants et où les leviers traditionnels de motivation s’amenuisent (rémunération, évolution professionnelle, sécurité de l’emploi…), l’exemplarité managériale n’est plus une option. Suivre les comportements d’une figure d’autorité est un bon moyen de réduire l’incertitude. Dans ce contexte, plus que jamais, les collaborateurs observent les comportements de leur hiérarchie et de leurs dirigeants pour déterminer s’ils répondront aux demandes d’adaptation et de coopération de l’organisation ou si, au contraire, ils ne feront que le strict minimum…

Pour Gaston Courtois, dans L’art d’être chef (1958) : « … la vie du chef parle toujours plus fort que sa voix et si sa vie est en contradiction avec ses paroles, il y a un illogisme qui scandalise les faibles et révolte les forts ».

Les bienfaits de l’exemplarité…

La recherche a démontré l’impact majeur des figures légitimes d’autorité sur les comportements des salariés, notamment sur leur capacité d’apprentissage, leur état d’esprit et leur volonté de coopérer.

… sur l’apprentissage

En observant les figures d’autorité jugées légitimes, les individus identifient les comportements à adopter et ceux à bannir. Ce phénomène est particulièrement marqué en période d’incertitude et de changement. Le leader permet ainsi aux collaborateurs d’être plus rapidement dans l’apprentissage ou l’adoption du comportement attendu dans une situation donnée, avec un coût cognitif associé plus léger.

« Dans le contexte incertain et instable d’aujourd’hui, il faut adopter des comportements inédits, notamment en matière de créativité, d’autonomie et d’influence. Et pouvoir observer une personne adopter un tel comportement dans son environnement permet à l’individu de penser que c’est réalisable. »

… sur la satisfaction

Les études montrent clairement que dans un contexte de changement générateur d’incertitude pour les individus, repérer de l’exemplarité chez les leaders renforce la satisfaction des équipes et leur capacité à voir le changement de manière positive. Du même coup, l’exemplarité permet de réduire les réactions cyniques face au changement. Sans oublier les dirigeants et membres de comités exécutifs, qui ont eux aussi besoin que le président soit exemplaire quand le changement les concerne...

… sur la confiance et la coopération

Si les salariés se sentent justement traités, ils développent de la confiance vis à vis de l'organisation quant au fait qu'ils peuvent coopérer dans le cadre des changements qui se profilent. L'exemplarité du leader joue alors comme un signal sur le fait que la coopération est la meilleure option. Quand un leader légitime adopte des comportements de coopération, les individus sont beaucoup plus enclins à coopérer et à mettre au second plan leur intérêt personnel à court terme.

Comment cultiver et développer son exemplarité ?

Tout leader est exposé en permanence au regard de ses collaborateurs qui vont sonder s’ils peuvent lui faire confiance et capitaliser sur ses comportements ou s’ils doivent se méfier de lui et se protéger. Cette exposition est renforcée par l’incertitude actuelle et la somme des efforts d’ajustements auxquels tout un chacun est soumis dans les organisations. D’autant qu’avec les réseaux sociaux, les collaborateurs partagent de plus en plus rapidement leurs observations sur les comportements non-exemplaires de leurs leaders. Pour développer son exemplarité, un leader doit donc prendre conscience et accepter cette relation de transparence, fortement intensifiée par les réseaux sociaux.

L’exemplarité repose sur le respect des autres, l’exigence vis-à-vis de soi-même et une forme d’humilité qui encourage le leader à se soumettre aux mêmes exigences que les autres. Pour permettre aux leaders de renforcer leur exemplarité auprès de leurs équipes, Tessa Melkonian propose plusieurs leviers. L’idéal étant bien sûr de les combiner pour un effet positif maximum.

Choisir stratégiquement les comportements sur lesquels être exemplaire

Il est important de garder une forme d’humilité dans l’exercice de l’exemplarité : on ne peut pas être exemplaire sur tout. Il est donc vital pour le leader de choisir stratégiquement les comportements particuliers qu’il souhaite promouvoir auprès de ses collaborateurs et s’astreindre à les incarner au quotidien. Le leader doit s’engager uniquement dans les actions qu’il est en capacité de réaliser. Pour ne par perdre en crédibilité, mieux vaut aligner ses paroles avec ses actes et tenir au maximum ses engagements, ou ne pas s’engager.

Maintenir le lien avec le terrain et être à l'écoute de ses collaborateurs

L’exercice du pouvoir peut faire perdre le sens des réalités même aux plus vertueux. En conséquence, il est important pour tout leader de s’assurer de la présence de garde-fous qui lui permettent de maintenir le lien avec la réalité.

Préserver son écologie personnelle pour consacrer l’énergie nécessaire à l’exemplarité

L’exercice de l’exemplarité demande d’importantes ressources énergétiques au leader. Il doit veiller à préserver son écologie personnelle, c’est-à-dire maintenir le juste équilibre entre ses ressources et ses dépenses énergétiques. Il doit donc identifier les leviers à sa disposition pour maintenir cet équilibre délicat et chaque jour menacé.

Comme le disait Albert Schweitzer, Prix Nobel de la paix en 1952, « l’exemplarité n’est pas une façon d’influencer, c’est la seule ».

Il est donc essentiel de sensibiliser managers et dirigeants à l’impact de leurs propres comportements sur leurs collaborateurs et les effets produits en matière d’engagement. Les leaders doivent donner l’exemple de ce qui est attendu de tous, avec humilité et détermination.

Lorsque l’on franchit la porte du « camp de base » d’Oslandia, en plein cœur de Lyon, on perçoit au premier coup d’œil ce qui fait la spécificité de cette entreprise : quelques postes de travail répartis en hexagone dans un open space , de grandes parois transparentes, un petit salon très cosy où sont installés les invités. Pas de téléphone qui sonne, pas de bruits de conversation, l’ambiance qui règne ce jour-là est particulièrement feutrée…

Je suis accueillie par Jeanne Cartillier, chief office manager (à défaut d’une appellation en français adaptée à la nature et la diversité de ses tâches), dont la mission est d’assurer le bon fonctionnement global de l’entreprise en pilotant notamment l’administration générale, les ressources humaines, les finances et la comptabilité, la communication, mais également l’organisation interne et la vie d’une équipe distribuée… Une fonction que Jeanne assume avec l’appui d’Inès, assistante Office Manager en contrat de professionnalisation, aux côtés de Vincent Picavet, cofondateur et CEO de l’entreprise, à partir du « camp de base » de Lyon.

Je reviens volontairement sur cette appellation de « camp de base », recueillie dans la bouche même de Jeanne, qui marque la singularité d’Oslandia. Et pour bien comprendre ce que traduit cette idée, j’ai cherché à quelle définition elle se rapportait… Après avoir écarté les notions de « lieu de stationnement d'une unité militaire » ou de « campement où l'on plante sa tente », je me suis arrêtée sur une définition bien plus conforme à l’environnement tel que je le découvrais : « partie, par opposition à une ou plusieurs autres parties »… Car ce « camp de base » n’est qu’une petite partie d’Oslandia ; le socle d’une « équipe distribuée », organisation très répandue dans le secteur de l’IT. Secteur dont est issue l’entreprise, spécialisée dans l’architecture de Systèmes d’Information Géographiques et le développement de logiciels cartographiques open source.

Pour comprendre le choix de cette organisation, il faut revenir à la création d’Oslandia, en 2009, par deux cofondateurs situés l’un à Paris et l’autre à Chambéry. Le travail à distance s’est naturellement imposé du fait de l’éloignement géographique des deux associés mais aussi comme un modèle d’entreprise naturel pour des profils de développeurs rompus au travail nomade. Depuis lors, la totalité des recrutements des fonctions de production (profils d’ingénieurs-développeurs) est assurée en 100% télétravail.

Si le recours au télétravail est courant dans l’IT, car il permet notamment d’attirer les meilleurs talents, quel que soit leur lieu de vie, et ainsi de consolider une richesse d'expertise ; les équipes qui travaillent 100% à distance sont néanmoins encore relativement rares. Et pour cause… L’impact de ce modèle est certes inestimable en termes d’agilité et de liberté d’action ; pour autant, il nécessite un cadre extrêmement structurant et une exigence suprême en matière d’organisation.

Un idéal d'ouverture et d'autonomie

Forte de 10 ans d’existence, Oslandia est une PME mature. Une maturité éprouvée jusque dans ses effectifs, dont la moyenne d’âge est de 35 ans, qui permet à l’entreprise de partager une vision et un socle de valeurs communes, fondés sur la responsabilité et l’autonomie.

L'équipe d'Oslandia s'est habituée au fait que l’entreprise soit régulièrement rangée du côté des startups dans les salons, et cela fait sourire : « Nous ne sommes pas une startup, non seulement du fait de nos dix ans d’existence, mais également car nous ne sommes pas dans une logique de levée de fonds. Notre modèle est celui d’une PME en croissance raisonnée. »

En qualité d’éditeur et d’expert en logiciels open source, Oslandia contribue activement à l’évolution des logiciels cartographiques libres et s’engage dans la communauté open source, via ses projets clients mais également par une politique d’entreprise affectant 10% du temps de travail de ses collaborateurs (soit environ 20 jours par an) à de la contribution open source laissée au libre choix de chacun.

La dimension open source chez Oslandia constitue à la fois un socle de valeurs communes, un modèle économique et un cercle vertueux qui favorisent l’excellence technique et l’émulation grâce à des modes de fonctionnement comme l’évaluation par les pairs (Peer Review).

« La culture open source façonne un état d’esprit d’humilité car elle encourage la contribution individuelle à un bien commun. Chez Oslandia, cela se traduit notamment par une posture d’ouverture à la discussion, à l’argumentation, et son corollaire : l’écoute et la capacité à se laisser convaincre. »

Libérer l'agilité avec le télétravail

Le télétravail participe aussi pleinement à un cadre de confiance revendiqué par Oslandia. Concrètement, le télétravail s’illustre par une auto-organisation du temps de travail et des horaires flexibles, à travers le forfait jour fixé par accord d’entreprise, qui offrent une grande liberté aux collaborateurs pour concilier leur vie professionnelle et personnelle. Le travail à distance est un aiguillon incitant à défricher et tester sans cesse de nouvelles méthodes de collaboration pour tendre vers l’efficience.

« C’est très stimulant car on invente des modes de fonctionnement adaptés à nos besoins au fur et à mesure qu’ils se dessinent, avec parfois des zones grises juridiques avec lesquelles nous devons composer ! Le télétravail est un défi quotidien à partir duquel nous avons bâti notre modèle managérial. Une hygiène de travail qui nous oblige à penser notre organisation avec le maximum d’attention. »

Chez Oslandia, l’autonomie et la responsabilisation de chacun des collaborateurs et collaboratrices s’adosse à un cadre et des process structurants, au prix d’une exigence forte. L’organisation et l’animation d’une équipe distribuée est synonyme de véritables défis managériaux, parmi lesquels : la cohésion d’équipe au quotidien, ainsi que le partage de l’information et la transparence.

L'attention au service de la dimension humaine et collective

Dans le cadre d’une organisation basée à 100% sur le travail à distance, sans interactions régulières en présentiel, comment permettre de tisser des liens étroits entre les collaborateurs et collaboratrices ? Le premier enjeu pour l’entreprise est donc de souder l’équipe autour de valeurs communes et de créer les conditions d’une interconnaissance approfondie et d’échanges réguliers, formels et informels, pour nourrir l’esprit d’équipe.

Si l’attention à la dimension humaine et collective est au cœur du modèle d’organisation en télétravail d’Oslandia, cette attention cultivée en continu est centrale dans les missions de Jeanne. Cela se traduit par une palette de rendez-vous et rituels aux objectifs complémentaires et structurants.

Les « sessions corpo », des séminaires résidentiels dans des lieux d’exception « au vert » qui réunissent trois fois par an l’ensemble des collaborateurs et collaboratrices, en constituent la pierre angulaire. D’ailleurs, sauf cas de force majeure, personne ne manque à l’appel de ces quatre jours intenses de cohésion et de co-production autour du projet d’entreprise.

« Les « sessions corpo » demandent un gros travail de préparation pour passer au tamis les sujets prioritaires à aborder que ce soit au niveau stratégique, technique, organisationnel… pour stimuler l’intelligence collective et coproduire des feuilles de route opérationnelles sur chacun des thèmes abordés. »

Indépendamment des temps de détente et de convivialité, chaque session se déploie autour de séquences rituelles qui constituent des repères dans la culture du travail en équipe :

Lorsqu’exceptionnellement un collaborateur vient à manquer à l’appel de ce temps fort de la vie de l'entreprise, un binôme se voit confier la mission de réaliser un vlog (courte vidéo) rétrospectif de chaque journée, mémoire vivante du séminaire.

L'équipe Oslandia réunie en "session corpo".

Ces « sessions corpo » sont précieuses pour consolider le sentiment d’appartenance et booster la motivation sur la durée. Pour autant, elles doivent être complétées de rituels de communication interne qui viennent jalonner le quotidien à distance, amplifier la fonction d’écoute et accompagner au jour le jour les besoins de chacun.

« Nous sommes attachés aux rituels quotidiens comme se dire bonjour le matin et au revoir en fin de journée sur le chat de l’équipe ».

Des rituels qui, chez Oslandia, peuvent prendre la forme de « pauses café virtuelles » lancées de façon inopinée par un collaborateur via le chat et auxquelles toute personne peut se joindre en fonction de ses disponibilités, comme nombre de salariés ont coutume de le faire autour de la machine à café…

Comme le souligne Jeanne : « Un des risques clairs du télétravail avec forte autonomie et responsabilisation des collaborateurs est le surinvestissement. Nous devons redoubler d’attention, notamment dans les phases de fin de sprint et de fin projet, où la gestion du temps peut être génératrice de stress, a fortiori quand on est seul devant son ordinateur. La fréquence des pauses café virtuelles est à ce titre un excellent indicateur du niveau de pression et de plan de charge de l'équipe ».

Pour appréhender les éventuels problèmes liés à la charge de travail, ou aborder toute question individuelle relative à l’activité, Jeanne anime tous les vendredis matin les « rendez-vous prise de pouls », un dialogue ouvert d’un quart d’heure avec chaque collaborateur. Menés en visioconférence, ces temps de discussion et d’écoute sont essentiels pour interroger les besoins de chacun et apporter du soutien le cas échéant. Sur les volets connaissance de soi et des autres, et communication interpersonnelle, l’entreprise est par ailleurs accompagnée par une psychologue-coach depuis plusieurs années.

Pour que ces temps d’échanges soient fluides et efficaces, et l’organisation optimisée, Oslandia a sélectionné avec exigence les outils de partage et de communication que sont wiki, chat, visioconférence… Des outils essentiels pour le travail en mode collaboratif et précieux au regard de la politique de transparence totale de l’entreprise tant sur l’activité commerciale que sur l’activité de production.

« Chez Oslandia, tout est très documenté, dans une logique de versioning chère à la production du code informatique et qui s’applique à tout type d’échange documentaire. Une activité qui génère en moyenne 50 à 100 notifications par jour ! On doit donc être très attentifs au « signal bruit » et à la charge mentale générée par ce souci de transparence ».

Au terme de cet entretien avec Jeanne Cartillier, deux mots se sont instantanément imposés pour traduire la nature du modèle organisationnel singulier d’Oslandia : « attention » et « humilité ». Une attention aux processus et aux signaux faibles pour contrecarrer et traiter le plus finement possible les défis quotidiens posés par le travail à distance. Et une humilité incarnée par un effort continu pour remettre le travail sur l’ouvrage, afin d’adresser de façon agile les problématiques d’une organisation vivante comme celle d’Oslandia.

La notion d’engagement est dans toute la littérature dès que l’on évoque les enjeux du monde de l’entreprise. Pour autant, votre entreprise vous renvoie-t-elle l’image d’une organisation engagée chaque matin lorsque vous poussez la porte de votre bureau ?

L’engagement, c’est le Graal des organisations. C’est la potion magique qui va permettre aux managers de démultiplier la performance de leur équipe et aux dirigeants d’accélérer la compétitivité de leur entreprise. L’engagement, c’est un sentiment profond d’attachement et de loyauté d’un individu pour son organisation. Un élan qui stimule le travail, non pas strictement pour percevoir un salaire ou pour garder son emploi, mais dans le but d’atteindre, voire de dépasser ses objectifs au sein de l’entreprise. L’engagement nous encourage à dépasser nos limites et à coopérer.

Face aux bouleversements qui affectent l’écosystème de l’entreprise : transformations continues et accélérées, nouvelles aspirations des salariés…, l’engagement est mis à mal. Les organisations sont donc confrontées à un défi de taille pour rester dans la course à la compétitivité : continuer à attirer des talents, engager durablement leurs collaborateurs et les faire monter en compétence. L’entreprise ne doit plus se poser en « consommateur de ressources » mais en « cultivateur de talents ». La performance économique demande désormais beaucoup de créativité, d’esprit critique, de coopération et de communication. Pour émerger, ces compétences ont besoin d’un environnement sain favorisant la confiance à travers la bienveillance, l’autonomie à travers la responsabilisation et l’intelligence collective à travers la coopération. Des compétences également stimulées par une raison d’être puissante agissant comme un exhausteur de talent. Développer l’engagement suppose donc une forte adéquation entre les valeurs de l’entreprise et celles du collaborateur, et une cohérence entre les éléments de sens dont elle est porteuse et leur traduction en actes vécus par les salariés. Et c’est là que la question de l’expérience collaborateur prend tout son sens.

« Comment une organisation peut-elle envisager d’attirer et de fidéliser les talents dont elle a besoin pour se développer si elle ne prend pas soin de l’expérience qu’elle leur fait vivre au quotidien ? »

L’Expérience Client se dresse en étendard de la plupart des entreprises commerciales, et c’est bien normal, puisque sans satisfaction et fidélisation client, pas de croissance sur des marchés de plus en plus concurrentiels… Pourtant, alors que les organisations mobilisent leurs forces vives pour délivrer au client la meilleure expérience possible, elles ont tendance à négliger l’expérience vécue au quotidien par leurs propres collaborateurs.

Créer une expérience positive durable

« Une entreprise, c’est avant tout une histoire d’hommes et de femmes qui vont unir leurs idées, parfois leurs moyens, leurs compétences, leurs savoir-faire, pour atteindre des objectifs communs. Une entreprise, c’est une aventure humaine ». Extrait de l’article [Collaborateur vs Client ? Et si on visait plutôt l’alignement des expériences…]

L’Expérience Collaborateur s’inscrit au carrefour de chaque interaction du collaborateur avec son organisation, avant même son intégration, tout au long de son évolution au sein de l’entreprise, voire même au-delà de son départ. Elle repose sur un principe de cohérence globale, définit par Séverine Loureiro et Myriam Lepetit-Brière dans leur ouvrage « Boostez l’Expérience Collaborateur », autour de cinq leviers d’engagement : le SENS, la mission commune ; l’IMAGE que l’entreprise renvoie et qui concourt au sentiment de fierté et d’appartenance des collaborateurs ; l’ECOSYSTEME qui désigne l’environnement physique, technologique et organisationnel dans lequel les collaborateurs évoluent, l’EPANOUISSEMENT favorisé par l’autonomie et la responsabilisation, alimentés par le développement continu des compétences et la reconnaissance exprimée par le management, et enfin, les CONNEXIONS, à savoir les relations des collaborateurs entre eux, avec l’organisation, avec le management…

La première question que devrait se poser tout dirigeant d’entreprise, notamment en amont de chaque changement de cap, pourrait se résumer ainsi : l’expérience que vivent mes collaborateurs est-elle alignée avec mon organisation et ses enjeux, actuels et futurs ? En bref, les conditions sont-elles réunies pour engager durablement mes équipes et les conduire vers de nouveaux challenges ?

Pour le savoir, pourquoi ne pas leur poser la question ? Evaluer et qualifier l’expérience vécue par les collaborateurs d’une entreprise est une étape déterminante pour identifier les points forts de l’organisation et les axes de progrès sur lesquels mettre le focus. C’est aussi, et avant tout, adopter une posture d’écoute et d’humilité. Les entreprises et leurs dirigeants doivent accepter qu’ils ne détiennent pas toutes les réponses et trouver les moyens d’aller les chercher. L’organisation doit apprendre à écouter, pas seulement ses clients et les marchés, mais aussi ses expertises internes, pour faire évoluer ses orientations dans la bonne direction. Pour ce faire, elle doit passer d’une communication hiérarchique descendante, proche du monologue, à une communication de proximité, de l’ordre du dialogue.

Ce changement de posture dans les organisations s’inscrit dans un nouveau registre de communication, entre écoute et dialogue. Un dialogue ouvert et sincère qui doit prendre sa source au cœur de l’entreprise, sur les questions du travail. Car donner la parole aux collaborateurs pour débattre des règles, des contraintes, des ressources…de leur activité, c’est les reconnaître dans leur autorité sur leur métier et c’est leur donner le pouvoir d’agir au sein de l’organisation. Dans un contexte où le changement est devenu la règle, il faut s’adapter continuellement. Et les solutions ne peuvent s’élaborer que dans un effort commun, par un dialogue permanent pour confronter les objectifs stratégiques avec les réalités opérationnelles. [à lire aussi : Manager, c’est se réapproprier l’essence (les sens) de la communication… et favoriser le dialogue]

Une communication managériale porteuse d’engagement

Cette communication moins instrumentalisée et plus horizontale vient aussi bouleverser la nature du lien managérial. Car il est essentiel que les organisations reconnaissent le manager dans son rôle de « meneur d’hommes » et le valorisent dans cette mission suprême. Avec comme priorité de remettre le manager de proximité au centre du travail dans un dialogue permanent avec les équipes. Et de faire du manager le « premier média » de l’entreprise, acteur d’une nouvelle communication managériale pour coconstruire le sens, exercer de nouvelles formes de reconnaissance et porter une autorité basée sur l’exemplarité. Un management ramené à ses vertus essentielles : créateur de lien social, révélateur d’intelligence collective, catalyseur de décisions, contribuant simultanément au développement des personnes et de l’organisation. [à lire aussi : Communiquer sur le travail, c’est bien… Communiquer dans le travail, c’est mieux !]

Parce que le manager se trouve à la charnière de contraintes humaines, entre les personnes, le travail et la stratégie, c’est à lui que revient la responsabilité de maintenir l’engagement de ses équipes. Cette nouvelle communication managériale est donc déterminante pour crée les conditions d’un engagement durable dans les entreprises.

Une nouvelle communication qui donne à voir l’entreprise, et qui l’incarne en transparence en réinvestissant le potentiel humain. Une communication qui prend soin de la relation, à l’écoute des besoins des salariés, et qui porte leur voix, comme signe d’appartenance et gage de confiance. Une communication porteuse de valeurs nouvelles pour bâtir un nouveau modèle d’entreprise, en trois dimensions : une entreprise plus incarnée, plus constructive et plus solidaire...

Pour attirer les talents, bâtir une entreprise plus incarnée

Quand on parle de compétitivité, d’innovation, de numérique, de mondialisation… quels que soient les enjeux, quelle que soit la taille de l’entreprises, le premier défi à relever est celui des talents. Attirer les savoir-faire et les savoir-être qui accompagneront l’organisation dans ses challenges actuels et futurs est un besoin impérieux pour les dirigeants. Mais à l’heure des réseaux sociaux et de la recommandation, la relation employeur/salarié s’est débridée et le rapport de séduction s’est inversé. On n’attire plus aujourd’hui à grand renfort de campagnes hyper-marketées. Il ne suffit plus de scander de beaux slogans pour s’affirmer comme une entreprise où il fait bon travailler… Car aujourd’hui, les candidats sont à l’affût de la réputation des organisations. Et ils ont les moyens de s’informer et de vérifier les gages de popularité des entreprises sur le Net.

Pour être attractive, l’entreprise doit être incarnée. La dimension humaine est déterminante dans sa visibilité car ses valeurs ainsi personnifiées créent un lien affectif, une source d’inspiration et une relation de confiance qui suscitent naturellement l’adhésion, voire l’engagement. Humaniser l’entreprise, c’est lui donner plus de profondeur et de proximité.

Le dirigeant est l’un des principaux visages de l’entreprise. Son rôle est de l’incarner en lui insufflant ses propres valeurs et en prenant la parole de façon régulière sur l’actualité de son entreprise, ses innovations, ses succès, ses distinctions… Son expression est également une excellente opportunité de se démarquer de ses concurrents. Par ailleurs, les réseaux sociaux constituent des médias propices à une certaine liberté de ton pour les entrepreneurs désireux de prendre position sur des sujets moins corporate !

« Sur les réseaux sociaux, les publications de dirigeants reçoivent en moyenne dix fois plus de partages que les contenus de marque. »

Pour conjuguer sincérité et originalité des messages, rien de tel que de donner la parole aux collaborateurs qui sont eux aussi d’excellents ambassadeurs des valeurs de l’entreprise. Valoriser leurs expertises ou leurs réalisations au travers de portraits sur le site carrières, publier des interviews filmées d’experts sur la chaîne YouTube ou le compte Twitter de l’entreprise… Ou encore poster des photos du dernier séminaire d’équipe témoignant de l’atmosphère d’une organisation à laquelle les salariés contribuent tous les jours, sont d’excellents moyens de construire une « marque employeur » efficace. Des contenus qui pourront être partagés spontanément par tous les ambassadeurs de la marque dans un stratégie d’e-advocacy. [à lire aussi : L’Entreprise Incarnée dans toutes ses dimensions]

Pour engager les talents, bâtir une entreprise plus constructive

Le premier réflexe de l’entreprise dans sa course effrénée à la compétitivité, consiste à durcir son niveau d’exigences en interne : toujours plus, toujours plus vite, toujours plus loin… Un réflexe qui met en tension l’ensemble de l’organisation. Pour autant, l’exigence sur le niveau d’exemplarité requis dans le management pour soutenir ces objectifs ne fait que rarement partie du programme... Comment attendre de nos collaborateurs qu’ils soient exemplaires dans leur mission et leurs relations quand leur propre expérience avec leur hiérarchie n’est pas optimale ? Question de bon sens, non ?

Les vertus de l’exemplarité et de la justice managériale

Les effets de l’exemplarité sont multiples, notamment sur l'engagement et la volonté de coopérer. Au niveau managérial, Tessa Melkonian, professeur en Management et Comportement Organisationnel à emlyon business school, définit l’exemplarité comme la capacité d’une figure d’autorité, manager comme dirigeant, à mettre en œuvre à son niveau les comportements qu’il/elle déclare attendre du reste de ses salariés. L’exemplarité, c’est montrer à travers ses propres comportements ce qui est attendu et le chemin à suivre. Des comportements qui doivent évidemment être cohérents avec le discours !

A l’heure où les efforts demandés aux salariés sont de plus en plus importants et où les ressources qui leur sont redistribuées fondent comme neige au soleil, l’exemplarité managériale prend une dimension significative car plus que jamais, les collaborateurs observent les comportements de leur hiérarchie et de leurs dirigeants pour déterminer s’ils répondront aux demandes d’adaptation et de coopération de l’organisation ou si, au contraire, ils ne feront que le strict minimum…

Pour être considéré comme digne de confiance par ses collaborateurs, un manager doit donc non seulement faire la preuve de sa compétence professionnelle, mais il doit également démontrer sa capacité à être exemplaire et juste en toute occasion.

« Un salarié qui se sent justement traité déclare être plus confiant, plus satisfait et épanoui, reste plus longtemps dans l’entreprise, a des comportements de citoyenneté organisationnelle, coopère plus avec ses collègues et produit un service de meilleure qualité. » Extrait de l’article [Etes-vous un manager juste ? Ou juste un manager…]

Pour Thierry Nadisic, enseignant-chercheur en comportement organisationnel à emlyon business school, un manager juste est celui qui sait mettre en interaction quatre sentiments de justice :

Ces compétences sont d’autant plus utiles dans les cas de plus en plus courants où les ressources financières sont rares et doivent être partagées. Aujourd’hui, on observe qu’en entreprise, les incitatifs financiers sont minces, voire nuls ou distribués à tour de rôle. A tel point que le système de rémunération, qui était une source de motivation, devient une source de démotivation pour certains, ou une dimension du travail qui ne suscite aucune attente. Pourtant, au-delà des augmentations de salaires ou des primes, il existe d’autres leviers organisationnels pour développer la motivation individuelle et la mobilisation collective

Le pouvoir de la reconnaissance dans le travail

La reconnaissance procure un sentiment puissant et stimulant qui touche aussi bien l’émetteur que le récepteur. Il existe peu d’outils RH ayant un aussi large éventail de retombées positives. Car la reconnaissance :

La notion de reconnaissance est bien plus large qu’on ne peut l’imaginer et au-delà des augmentations de salaires ou des primes, il existe une multitude de pistes pour développer la motivation individuelle et la mobilisation collective. D'ailleurs, une entreprise ne part jamais de zéro en matière de reconnaissance. Il peut donc être intéressant de commencer par identifier les pratiques existantes, puis de les compléter, afin d'établir une véritable culture de la reconnaissance dans l’organisation.

Pour être efficace, la reconnaissance au travail doit donc être partie prenante de la stratégie de l’entreprise et doit être déployée à tous les niveaux. Car elle n’est pas à sens unique, ni réservée à un groupe restreint de personnes que l’on doit motiver alors que d’autres n’en auraient pas besoin. Elle doit concerner tout le monde.

Pour reconnaître ses collaborateurs, il faut les connaître et donc être capable d’identifier leurs attentes personnelles en matière de reconnaissance. Car la reconnaissance s’exprime à travers des relations humaines. C'est pourquoi il est préférable de favoriser l’expression de la reconnaissance en face à face. Pour être authentiques et sonner juste, les gestes de reconnaissance doivent cadrer avec ses propres valeurs. L’impact sera d’autant plus fort, s’ils sont exprimés dans un délai court et s’ils soulignent le plus précisément possible une réalisation, un effort ou un événement particulier.

Les personnes qui font un bon usage de la reconnaissance au travail sont considérées comme possédant des qualités sociales fortes et génèrent un sentiment de confiance, de loyauté et un désir de travailler à leur côté.

Pour faire grandir les talents, bâtir une entreprise plus solidaire

Une tâche peut être réalisée seule mais pas un travail. Le travail nous inscrit dans un effort collectif. Cette expérience collective du travail se construit à partir des multiples liens humains qui se tissent, à la fois complexes et fabuleux, quand on prend un peu de recul sur l’ensemble des interactions qui ont favorisé la production d’un produit ou d’un service.

L’expérience collective du travail se traduit par la solidarité. Dans leur effort collectif, les collaborateurs sont solidaires entre eux. Cette solidarité est ce qui donne de la valeur au travail entrepris collectivement. C’est la raison pour laquelle elle doit être valorisée. Car prendre conscience de cette solidarité crée une confiance entre les travailleurs indispensable à la poursuite de leur coopération dans la durée.

« Quand on considère ces écosystèmes qui sont les organisations de travail, quand on mesure leurs impacts psychologiques, on demande que les systèmes soient plus résilients, et pour qu’ils soient plus résilients, il faut qu’ils soient davantage fondés sur la coopération » souligne Bruno Roche, philosophe et directeur du Collège Supérieur dans l’ouvrage L’art de coopérer, manager l’entreprise de demain.

La coopération ne s’impose pas, elle s’invite. Et le premier fondement de la coopération est le partage d’un objectif commun, une œuvre à bâtir ensemble, une aventure à vivre en équipe. Cette œuvre commune donne une finalité que l’on peut célébrer. Une réussite collective dans laquelle chacun se reconnaît, dans laquelle chacun identifie sa contribution, exprime ses talents, développe ses compétences, exerce ses responsabilités… Car dans chaque réussite collective, se dévoile une réussite individuelle.

Cette œuvre commune va renforcer un lien essentiel à la coopération, le lien de confiance. La confiance doit être un prérequis en entreprise. Elle engage et favorise naturellement la coopération entre les collaborateurs dans le sens où elle donne une vision positive et optimiste de l’avenir. La confiance libère le dialogue au sein du collectif et ouvre des perspectives d’innovation et de performance.

Du dialogue naissent les solutions

Le changement est devenu la règle dans les organisations et il faut s’adapter continuellement. Dans ce contexte, les solutions aux problèmes ne peuvent s’élaborer que dans un effort commun, par le partage de l’information, par un dialogue permanent pour confronter les objectifs stratégiques avec les réalités opérationnelles.

D’où l’importance de mettre en place des démarches facilitant l’expression des salariés comme les Espaces de discussion sur le travail, avec la volonté de renouer le dialogue autour des problématiques liées au travail. Ces espaces collectifs sont des espaces formels et réguliers co-construits avec les parties prenantes de l’organisation. Ils favorisent une culture de la discussion centrée sur l’expérience du travail et ses enjeux, et visent à produire des propositions d’amélioration ou des décisions concrètes sur la façon de travailler.

Dans son ouvrage Le travail à cœur, Yves Clot, psychologue du travail, insiste sur l’importance du collectif pour débattre du travail « bien fait » : « Une communauté de pratiques qui forme un cercle d’échanges dans lequel on s’intéresse moins aux limites de chacun qu’aux limites de l’activité elle-même… ».

Selon l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) les Espaces de discussion constituent de formidables leviers de performance pour les salariés, l’entreprise et le travail.

[à lire aussi : Les Espaces de discussion sur le travail]

Pour transformer en profondeur les pratiques professionnelles, les réponses traditionnelles en termes de formation sont aujourd’hui insuffisantes. Les entreprises doivent immerger leurs talents dans une culture de l’apprentissage en continu et mobiliser leurs ressources dans des situations de travail capacitantes. Elles doivent devenir « apprenantes ». 

Créer les conditions d’une organisation apprenante

Née des travaux de Peter Senge, professeur au MIT et fondateur de The Society for Organizational Learning, l’organisation apprenante se définit comme une organisation qui développe sans cesse sa capacité à bâtir son futur.

« Des organisations dont les membres peuvent sans cesse développer leurs capacités à atteindre les résultats qu’ils recherchent, où de nouveaux modes de pensée sont mis au point, où les aspirations collectives ne sont pas freinées, où les gens apprennent en permanence comment apprendre ensemble. »

Développer une organisation apprenante permet d’être plus flexible, efficace, rapide et à la pointe des besoins du marché en mettant les collaborateurs au centre de la réflexion. Ils deviennent ainsi acteurs de l'efficience organisationnelle, et ensemble, ils apprennent de leurs erreurs.

La principale caractéristique de l'entreprise apprenante est que tous les acteurs apprennent les uns des autres. Cette communication transversale permet l'émergence de formes d’innovation, d’intelligence collective ou d’adaptation permanente à l'environnement. C'est ce qui assure le développement durable de l'organisation.

Peter Senge distingue 5 disciplines indispensables aux organisations apprenantes :

  1. La pensée systémique : un cadre conceptuel, ainsi qu’un ensemble de connaissances et d’outils, qui permettent de comprendre les phénomènes dans leur intégralité, afin de nous à les changer réellement.
  2. La maîtrise personnelle : basée sur un niveau de compétence élevé et l’aptitude des individus à développer cette maîtrise personnelle en se concentrant sur leurs aspirations les plus élevées.
  3. Les modèles mentaux : un ensemble de croyances qui forgent l’identité des individus comme des organisations. Il nous faut exposer nos modèles mentaux, pour s’assurer qu’ils sont utiles par rapport à la réalité, les tester pour faire apparaître des conflits et le cas échéant, les ajuster.
  4. La vision partagée : la capacité à faire émerger « des représentations du futur » communes à tous, de manière à inciter chacun à l’adhésion et à l’engagement.
  5. L’apprenance en équipe par le dialogue : c’est la capacité des collaborateurs à laisser de côté leurs préjugés et à réfléchir ensemble. Dialoguer implique aussi de repérer les comportements dans les interactions qui gênent la capacité à apprendre de l’équipe.

L’organisation axée sur l’apprentissage est construite comme un système écologique qui stimule l’apprentissage continu à travers le travail.

L’entreprise n’est pas en dehors de la société, elle est la société ! C’est pourquoi elle a un rôle déterminant à jouer dans l’organisation de la vie au travail. Constituée d’hommes et de femmes animés par des aspirations sociales renouvelées et portés par un élan de « vivre ensemble » inégalé, l’entreprise est responsable de la qualité du lien social qui s’y inscrit.

En invitant ses collaborateurs au dialogue et à l’apprentissage continu au cœur du travail, elle leur donne l’espace pour se confronter à la réalité vivante du travail, et légitimer leur action dans la construction d’un bien commun auquel chacun donne du sens et à l’origine de toute communauté harmonieuse et solidaire. Car aujourd’hui, le sens ne se délivre plus comme une prescription élaborée par une figure d’autorité. La transmission hiérarchisée des valeurs et du sens a cédé la place à l’échange et l’apprentissage entre pairs.

« L’un des principaux enjeux de la Qualité de Vie au Travail se matérialise dans la communication au cœur du travail. » Voilà en substance ce que m’avait répondu une ancienne dirigeante de l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) lorsque je lui avais fait part de mon souhait d’apporter ma contribution au bien-être en entreprise. A l’époque, j’étais au tout début de mon exploration des déterminants de la Qualité de Vie au Travail et je n’ai saisi que plus tard combien le fait que mon parcours dans la communication m’amène sur ce champ d’action n’était pas le fruit du hasard.

Après avoir consacré près de deux ans à m’instruire sur ce vaste sujet, je suis aujourd’hui convaincue que le bien-être en entreprise est une équation à deux variables : le travail et la communication. Pour illustrer mon propos, je ferai référence à deux ouvrages qui me semblent très complets et structurants. A la fois pour comprendre ce qui se joue actuellement dans les entreprises et pour permettre au management d’adopter une posture nouvelle.

Quand j’évoque le travail, je parle de l’activité, du métier dans lequel je mets de moi, le travail dans lequel j’accompli une « œuvre », le travail dans lequel je noue des relations et j’apprends des autres. Ce travail-là, est admirablement dépeint par Pierre-Yves Gomez, professeur à EM Lyon business school, où il dirige l’Institut français de gouvernement des entreprises, dans son ouvrage Le Travail invisible, enquête sur une disparition.

Quant à la communication, elle a aujourd’hui un formidable rôle à jouer au cœur du travail pour redonner du sens et tisser du lien entre les salariés. J’avais l’intime conviction que les entreprises devaient adopter une nouvelle conception de la communication pour attirer et engager leurs talents durablement. Cette conviction a trouvé sa confirmation dans le livre publié récemment par Jean-Marie Charpentier et Jacques Viers, tous deux consultants-formateurs en communication, Communiquer en entreprise, retrouver du sens grâce à la sociologie, la psychologie, l’histoire…

Je vous invite à cheminer entre travail et communication, deux adjuvants à la très actuelle question de l’engagement humain durable, que toutes les entreprises devraient se poser aujourd’hui.

L’économie du travail vivant, un regard neuf sur notre société

Cette expression empruntée à Pierre-Yves Gomez me semble à elle-seule résumer tout l’enjeu à reconsidérer le travail en entreprise. Son postulat : « Nous devons voir le travail comme la ressource qui donne sens à l’activité économique et sociale et regarder le travailleur dans son effort et dans sa dignité. »

L’auteur fait ici référence au travail réel, le travail que fournissent les hommes et les femmes dans leurs activités quotidiennes. Et pour comprendre la nature du travail réel, il nous propose une représentation en trois dimensions :

Tarir une de ces expériences du travail revient à diminuer l’impact de l’ensemble. Le travail est une épreuve d’humanisation, ou de déshumanisation, selon que l’on en prend soin ou pas.

Et c’est bien là que le bât blesse car avec l’hyper-financiarisation de l’économie ces trente dernières années, le travail est devenu invisible. Invisible sur les radars des gestionnaires qui ne pointent que des résultats et des rendements rangés dans des tableaux… Car en prenant le pouvoir sur les ingénieurs, les techniciens, les commerciaux ou les responsables des ressources humaines, les représentants de la finance ont fait du profit le marqueur principal de ce langage chiffré.

« Il y a financiarisation lorsque la finance n’est plus une ressource pour réaliser les objectifs économiques mais devient l’objectif lui-même. L’atteinte du résultat financier est le but que se donne l’organisation, sa raison d’être ».

Les financiers aux manettes ont ainsi contribué à transformer les organisations en financiarisant le travail lui-même, réduit à des données chiffrées abstraites et globales dans des tableaux de bord. En accélérant les changements de cap et en construisant des stratégies éloignées du fonctionnement pratique des organisations, ils ont produit de la perte de sens et de l’inquiétude.

Selon Pierre-Yves Gomez, le travail a été altéré : « Or il constitue une dimension de l’être humain que l’on ne peut mépriser ou nier sans précipiter l’ensemble de la société dans une névrose inguérissable. Au point de détruire, finalement, même la valeur économique qu’il produit. »

Le travail est le prolongement de soi-même, une activité dans laquelle on se reconnaît. En rendant le travailleur invisible, on appauvrit la nature même du travail. Dans la vie, le travail n’est pas un détail. Il donne à chacun de nous sa place, sa responsabilité et sa dignité dans la fabrication du monde.

« C’est le travail des « vrais » hommes et des « vraies » femmes, leurs efforts, le temps qu’ils y consacrent et leur engagement personnel qui produisent les richesses et les profits. L’économie financiarisée a voulu ignorer ce principe de base : le travail humain est la source de la création de valeur économique. »

Le travail se vit et c’est toujours une personne qui en parle

L’enjeu désormais consiste donc à construire une société où le travail est de nouveau visible, celui des salariés ordinaires comme celui des managers, des dirigeants... Car le travail est une expérience de vie. Il fabrique de l’humain. Et lorsque nous parlons de notre travail, nous parlons de nous et de la façon dont il nous façonne.

Pour recréer de la valeur économique grâce au travail, Pierre-Yves Gomez nous invite à revisiter chacune des trois expériences qu’il nous fait vivre.

« Le travail ne permet pas uniquement la croissance des capacités personnelles ou l’expression de talents individuels. Il met au monde des produits et des services qui alimentent des communautés. Les objets autorisent des usages et configurent des relations humaines, une façon de vivre ensemble. »

Le travail donne un visage au travailleur

L’expérience subjective du travail est ce que nous mettons de notre individualité dans le travail. Quelle que soit notre fonction, caissière, ouvrier, ingénieur, manager, elle est nuancée par la personnalité avec laquelle nous accomplissons le travail.

Cette expérience subjective crée une valeur économique qui est valorisée par la reconnaissance. Pour bien travailler, le travailleur demande à être considéré, c’est-à-dire être vu pour lui-même, en tant que personne agissante et unique, révélée par le travail accompli. Sans reconnaissance, le travail est anonyme et donc vidé d’une partie de sa réalité, comme s’il avait été accompli par n’importe qui.

Une réalisation couronne l’effort fourni

Le travail produit quelque chose. A l’issue de l’effort, il y a un objet, un service, qui le matérialise, l’inscrit dans une réalité commune, l’objective donc. Et pour que le fruit du travail puisse être valorisé et ne reste pas dans sa dimension subjective, il doit être apprécié selon des critères d’évaluation partagés.

Cette valorisation de l’expérience objective du travail est plus couramment appelée performance. Quel que soit son contenu concret, la performance exprime toujours l’adéquation entre le résultat du travail et l’objet tel qu’il fallait le réaliser. Rendre la performance manifeste est ce qui fait la valeur du travail.

Le travail nous rend membre d’une communauté

Une tâche peut être réalisée seule mais pas un travail. Le travail nous inscrit dans un effort collectif. Cette expérience collective du travail se construit à partir des multiples liens humains qui se tissent, à la fois complexes et fabuleux, quand on prend conscience de l’ensemble des interactions qui ont favorisé la production d’un produit ou d’un service.

L’expérience collective du travail se traduit par la solidarité. Dans leur effort collectif, les travailleurs sont solidaires d’autres travailleurs. Cette solidarité est ce qui donne de la valeur au travail entrepris collectivement. C’est la raison pour laquelle elle doit être valorisée. Car prendre conscience de cette solidarité crée une confiance entre les travailleurs indispensable à la poursuite de leur coopération dans la durée. Sans elle, le réseau d’efforts se tarit et le travailleur isolé s’épuise.

Avec la financiarisation de l’économie et la compétition qu’elle a engendré, Pierre-Yves Gomez a constaté une hypertrophie de la dimension objective du travail. Les critères de performance ont pris le dessus sur les autres formes de valorisation du travail réel. Ainsi, l’expérience subjective a été dévalorisée par l’intensification du travail et la normalisation des procédures. Le travailleur n’étant plus perçu en tant que personne au travail mais uniquement au travers de sa production. Parallèlement, la dimension collective du travail a pâti elle aussi des outils techniques de gestion déployés pour intensifier les rythmes, contrôler et évaluer les résultats individuels. Ces outils ont affaibli le sentiment du faire ensemble en introduisant une compétition entre les membres de l’entreprise, les salariés comparant mutuellement leurs efforts et leurs rémunérations pour s’auto-évaluer.

Reconnaître le manager dans son rôle de meneur d’hommes

Pour revaloriser cette triple expérience du travail, le rôle du management est aujourd’hui à repenser. Sa place ne se situe pas dans son cockpit à piloter des indicateurs et des données chiffrées abstraites, loin du travail réel. Elle n’est pas davantage sur le dos de ses collaborateurs à contrôler la moindre fraction de leur activité en pointant l’objectif visé. Le management de la performance ne peut être dissocié d’un management humain.

« Il nous faut recruter des managers réconciliés avec leur propre métier […] pour redevenir ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être : des meneurs d’hommes. »

Le rôle du manager est littéralement de soigner les expériences subjectives, objectives et collectives que vivent leurs collaborateurs dans le travail réel. Le manager est celui qui permet au travailleur d’exercer sa liberté au cœur du travail ; liberté nécessaire pour que la part normalisée du travail soit acceptable. Elle permet de s’ajuster, de s’adapter quand il le faut et donc d’assumer son engagement personnellement. Elle exprime aussi sa dignité, la capacité d’agir de lui-même, malgré la contrainte de processus complexes. La mission du manager est également de donner du sens au travail de remettre de la cohérence globale dans des tâches éclatées, en pouvant dire à tout travailleur à quoi et à qui son travail est utile, suscitant ainsi le désir de la réaliser. Enfin, le rôle du manager est de savoir, quand il le faut, être fier de ses collaborateurs. En considérant la personne au travail et en la valorisant comme telle, en regardant objectivement sa performance, qui l’engage indépendamment des objectifs et en étant solidaire d’elle dans un travail commun.

« Mais changer les managers ne sera pas suffisant, il faudra aussi que les organisations les accueillent et les valorisent. »

Communiquer en entreprise, un acte managérial

L’entreprise est un organisme vivant qui construit sa valeur économique sur l’expérience vécue du travail réel par ses salariés et les multiples connexions tissées entre ses différentes parties prenantes. Échanger avec un collègue sur un projet, prendre la parole en réunion, conduire son entretien annuel avec son manager… la communication est partout. Et c’est dans la proximité que se joue la plus importante transformation de la communication en entreprise.

Pour bien comprendre quelle place occupe la communication dans les organisations aujourd’hui, Jean-Marie Charpentier et Jacques Viers, nous apportent l’éclairage des sciences sociales. La communication en entreprise hérite en France d’un lourd passé. Pour trois raisons au moins selon le sociologue Philippe Zarifian :

Un triple héritage qui pèse lourdement sur les volontés à ouvrir la communication tant il est ancré dans l’organisation du travail et dans la culture managériale. Pourtant, l’urgence à communiquer n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui dans les entreprises pour répondre à une tendance grandissante à la coopération dans le travail et au besoin de « faire société » face à une altération des liens sociaux et une perte de solidarité.

« Pour être crédible et acceptée, la communication doit faire le pont entre l’opérationnel et le stratégique en mettant à jour, pour les résoudre, les difficultés – voire les conflits – liées à l’activité quotidienne des salariés. La communication se transforme par le bas en quelque sorte. »

Pour accompagner le changement perpétuel qui bouscule les entreprises et les nouvelles aspirations des salariés, la communication doit changer de registre. Elle doit sortir du monologue descendant inspiré de sa fonction de relais d’information et repenser ses moyens d’action. La place du communicant est sur le terrain pour comprendre le travail et interagir avec les équipes et les managers. Il devient activateur de sens et pour cela doit inventer des formes renouvelées de dialogue. Car la construction du sens au travail doit être collective et, surtout, le sens doit pouvoir s’inscrire dans le travail quotidien.

Pour Guy Lochard, chercheur en sciences de l’information et de la communication : « L’important, pour que cela fasse sens, se situe notamment dans l’articulation entre les projets des entreprises et ce que chacun vit comme sujet dans son activité quotidienne. »

Le sens est une affaire de langage et, plus encore, de parole. Échanger sur le sens que chacun met dans son action est le préalable à l’engagement à travers un sens commun.

Communiquer en entreprise, c’est toujours d’une certaine façon parler du travail

L’acquisition des talents et l’engagement des salariés font désormais partie des préoccupations centrales des dirigeants ; il importe donc de créer les conditions d’une attractivité et d’un engagement durable dans les entreprises. « Hier, on calculait les gestes. On mesure désormais l’engagement. »

C’est en proximité, au cœur du travail, que les enjeux de communication sont les plus forts dans les organisations, à travers la parole des salariés et les échanges au sein des équipes avec le management. Car si la parole de l’entreprise est en apparence foisonnante et l’information omniprésente, la parole sur le travail au quotidien fait trop souvent défaut.

La communication dans le travail s’articule autour de deux dimensions fondamentales : l’écoute et la discussion. Elles ne vont pas de soi, d’une part parce qu’elles engagent les acteurs et d’autre part parce qu’elles appellent une suite. « On ne parle vraiment que si on est écouté, remarque François Hubault, ergonome. Et on sait bien aujourd’hui en entreprise que si ça ne remonte pas, c’est parce qu’on n’écoute pas ». L’organisation et son management doivent se mettre en situation d’écoute, c’est-à-dire entendre ce qui est dit pour en faire quelque chose.

Le rôle de la communication est ici d’ouvrir un dialogue permanent entre les acteurs de l’entreprise pour confronter les objectifs stratégiques avec les réalités opérationnelles. Ouvrir le débat au sein des équipes sur les différentes façons d’envisager l’activité et partager sur les critères du travail bien fait. En somme, créer des lieux d’expression sur l’activité dédiés à la coopération et permettant à chacun de développer son pouvoir d’agir dans une optique de résolution de problèmes.

Pour coopérer, selon Philippe Zarifian : « …il faut partager la compréhension des problèmes, confronter leur analyse, se projeter ensemble dans l’avenir et anticiper les actions à mener, voire coélaborer, coécrire en quelque sorte la conception de ce que l’on doit entreprendre ensemble. »

Un dialogue permanent avec les équipes qui ne peut s’inscrire que dans un management de proximité centré sur la question du travail.

Le manager, le premier média de l’entreprise ?

Dans des organisations souvent hyper-hiérarchisées, le manager de proximité a pris sa place au plus près du terrain. Paradoxalement, en matière de communication, s’il est attendu dans son rôle classique de relais, voire d’interprète des orientations de l’entreprise, il manque trop souvent à l’appel lorsqu’il s’agit d’être en relation avec ses collaborateurs et de tisser du lien au sein de son équipe, en proximité. « Plus la mondialisation gagne du terrain, plus les technologies suppriment les distances, plus on a besoin de retrouver du local et de la relation proche. »

Happés par le pilotage des indicateurs de performance et le suivi des process internes, les managers ont pris de la distance vis-à-vis du travail de leurs collaborateurs. Conséquence directe, ayant une connaissance plus limitée du travail réel de leurs équipes, ils sont moins en confiance pour en parler avec eux.

Cet éloignement managérial produit un triple effondrement : un effondrement du sens, de la reconnaissance et de l’autorité. « Il faut connaître pour reconnaître », résume Mathieu Detchessahar, professeur en sciences de gestion. Si on ne connaît pas le travail, on est dans l’incapacité de le reconnaître, avec les bons mots adressés à « ceux du métier ». Le « bravo » du chef distant, sans autorité, non reconnu, ne vaut rien. Il est considéré comme une manipulation. L’autorité, c’est la reconnaissance d’une parole qui fait avancer, « qui va m’augmenter ». L’autorité augmente la capacité d’action et suscite l’obéissance volontaire. »

C’est donc dans le dialogue, la discussion avec les salariés à propos du travail que se joue l’essentiel de la communication du manager. Pour être crédible au regard des collaborateurs, cette communication managériale se déploie en deux dimensions :

Discuter du travail, c’est bien souvent appeler à sa transformation pour s’adapter à de nouvelles contraintes, de nouvelles tendances du marché… C’est le fait de communiquer qui produit le changement, en confrontant les points de vue, en inventant de nouvelles façons de faire, en co-construisant le changement. « Communiquer dans le travail, c’est se mettre d’accord sur quelque chose à faire en commun et agir avec d’autant plus de force que cet accord est profond. »

Il revient au manager d’organiser le dialogue sur le travail pour produire non seulement des mots, mais des solutions. Cependant, trop souvent, le manager n’est pas investi de ce rôle qui demande un ajustement de l’organisation.

Combien de dirigeants sont prêts aujourd’hui à incarner cette nouvelle communication, plus humaine qu’instrumentale, orientée relations plus qu’outils, soutenue par la proximité plus que par la hiérarchie ?

Combien d’organisations sont prêtes à transformer leur communication au bénéfice d'une véritable culture du dialogue sur le travail ?

Avez-vous déjà expérimenté le changement, le vrai ? Celui qui s’impose à vous comme une évidence. Comme un mouvement qui vient de l’intérieur. Cette intuition que rien ne changera autour de vous si vous ne commencez pas par vous-même. Nombre de grands penseurs ou écrivains ont manifesté cette conviction profonde et inspirante, tels Gandhi : « Soyez vous-même le changement que vous voudriez voir dans le monde », Jacques Salomé : « La porte du changement ne peut s’ouvrir que de l’intérieur, chacun en détient la clé » ou encore Pierre Rabhi : « Tant que l’être humain ne s’est pas mis en chantier comme le premier maillon à partir duquel il peut provoquer le changement du monde, on va perdre son temps... »

Aujourd’hui, nous devons adopter le changement comme donnée d’entrée de notre quotidien, dans notre environnement professionnel comme personnel. Que le changement soit contraint par une réalité nouvelle ou qu’il soit libre et inspiré, il marque, pour le moins, un glissement d’une situation à une autre, bien souvent une transition plus nette, voire même une transformation radicale. Assimiler le changement devient donc une capacité déterminante pour laquelle il nous faut acquérir de l’entraînement. Comme une discipline sportive qui nécessite que nous entraînions notre corps, nos tendons et nos muscles à supporter un effort, voire à dépasser nos limites physiques ; le changement impose une gymnastique psychique régulière qui va permettre à notre cerveau de créer des connexions nouvelles et de réguler positivement nos émotions.

Nous devons expérimenter une nouvelle posture face au changement, ajuster notre réflexe de résistance et stimuler notre conscience et notre esprit critique pour transformer chaque surprise en opportunité.

Quand le changement s’invite dans notre réalité

La vie est une expérience. Elle implique donc le changement, à une petite comme à une grande échelle. A chaque étape de notre vie, des changements s’opèrent, souvent modestes, sans que nous y prêtions attention. Toutefois, la vie nous met parfois à l’épreuve et nous soumet à des chocs qui peuvent être violents. Ces chocs font bouger nos lignes et remettent en question nos certitudes. Ils créent une sorte de séisme intérieur qui irradie jusqu’à l’extérieur et bouscule notre écosystème. Pour autant, n’est-il pas possible de considérer le changement comme un phénomène positif ?

Pour Pierre-Marie Lledo, neurobiologiste qui dirige le département neurosciences de l’Institut Pasteur « L’homme a commencé à s’épanouir lorsqu’il a été confronté à l’inconnu, à de nouveaux obstacles. »

Selon lui, notre cerveau se nourrit du changement et se détruit de la routine. Avec comme raison d’être de nous permettre de nous adapter à des ruptures. Un constat scientifique complété par une étude du psychologue K. Anders Ericsson selon laquelle au-delà de 10 000 heures de pratique et d’expérience d’une activité, quel que soit le domaine (échecs, sport, musique…), notre cerveau change et franchit une nouvelle étape. A un moment donné, notre cerveau accumule tellement d’informations qu’il est capable de faire des connections instantanément. Ainsi, notre créativité est plus aiguisée et nous sommes plus inspirés pour dépasser nos capacités.

Accompagner le changement, entre résilience et audace

On parle souvent de « dépassement de soi ». Cette formule nous enjoint à aller « plus haut, plus vite ou plus loin », à dépasser nos limites et améliorer nos performances. La notion de « dépassement de soi » est très liée à une culture de compétition et de comparaison qui nous incite à compenser nos manques et peut nous amener à porter un regard plus négatif sur nous-même. Je lui préfère l’idée de « se réinventer », qui insinue que l’on part de notre état d’origine pour tendre vers un nouveau « moi » en devenir, en mettant l’accent sur ce qui nous distingue, notre unicité, nos talents et les ressources insoupçonnées que nous portons en nous.

Le changement personnel répond à une tension entre l’idéal et le réel. Chacun d’entre-nous aspire à un idéal de vie, formule des projets, lance des idées pour améliorer sa condition dans le monde et être aligné avec sa personnalité profonde. L’incarnation de cet idéal nous donne des ailes pour nous transcender et dépasser les obstacles. Car nécessairement, il y a des obstacles, réels ou fabriqués. Notre rapport à la réalité, nos croyances et nos peurs héritées de la plus tendre enfance viennent challenger cet idéal. Ces certitudes acquises dès notre plus jeune âge, familières et rassurantes, nous protègent d’un avenir aléatoire et incertain. Ces schémas, comme on les nomme en psychologie cognitive, nous aident à nous sentir en sécurité. Et c’est là tout le paradoxe, ces schémas ont forgé notre identité et nous nous accrochons à eux, même s’ils freinent notre développement personnel et nous font souffrir. Voilà pourquoi les praticiens de la psychologie cognitive estiment que les schémas sont si difficiles à enrayer.

Pour concilier le réel et l’idéal et avancer avec confiance vers nos idéaux, il nous faut faire preuve d’audace. L’audace est la capacité à affronter nos croyances et nos peurs et à prendre des décisions courageuses pour se dépasser et se réinventer.

Remettre en question nos croyances et nos peurs

Pour le médecin psychiatre Carl Gustav Jung, le véritable changement personnel et social n’est possible que par l’augmentation du niveau de conscience des individus : il faut assumer son « Ombre » plutôt que de la projeter sur les autres. C’est en ces termes qu’est introduit l’ouvrage Je réinvente ma vie, signé de deux spécialistes de la psychologie cognitive, Jeffrey E.Young et Janet S.Klosko. Ce livre, très pratique, est une réponse à la psychologie moderne qui encourage toute personne à faire des changements par elle-même, dans la mesure du possible.

Ce livre nous éclaire sur les schémas qui façonnent notre identité, qui influencent toutes les facettes de notre existence : nos relations interpersonnelles, notre travail, notre bonheur, nos humeurs, notre santé...

« Il faut regarder un schéma en face et le comprendre. S’en débarrasser requiert aussi beaucoup de discipline. Il faut être à l’affût de ses comportements et les modifier jour après jour. On ne saurait réussir du premier coup : le succès ne nous est donné qu’à force de travail et de persévérance. »

Pas à pas, cet ouvrage nous invite à mettre un nom sur le ou les principaux schémas cognitifs qui influencent nos comportements au quotidien, afin de mieux nous y confronter et les invalider par notre raisonnement. La première étape nous permet de déceler nos schémas et découvrir la façon dont ils affectent notre vie, afin d’être en mesure de les modifier. L’étape suivante consiste à ressentir les effets du schéma. Il est très difficile de guérir une douleur ancienne sans d’abord la revivre car nous disposons de mécanismes de défense. La dernière étape vise à attaquer le schéma rationnellement. Il s’agit de démontrer qu’il y a matière à changement. Pour invalider un schéma, nous devons avant tout énumérer tous les arguments pour et contre lui et ce, depuis notre naissance.

Il existe un réel parallèle entre les schémas cognitifs et les modèles mentaux détaillés dans mon article précédent [Crackez vos modèles mentaux, le pouvoir d’agir est en vous], inspiré de l’ouvrage Stratégie Modèle Mental. Ces deux approches désignent les croyances de base à partir desquelles une personne – pour les schémas cognitifs – ou une organisation – pour les modèles mentaux - se perçoit elle-même, perçoit le monde et les autres et dont elle finit par être prisonnière. Individuellement ou collectivement, nous avons la responsabilité de prendre conscience de ces croyances et de les exposer, de questionner leur utilité par rapport à la réalité de notre existence ou de notre entreprise et, le cas échéant, de les ajuster. Le point de départ de toute transformation, c’est nous. Et dans les organisations, c’est nous avec les autres, ceux qui veulent en faire partie.

Inspirer le changement autour de soi

Notre approche volontaire et audacieuse du changement et notre capacité à se transformer personnellement, vont être déterminantes pour essaimer la culture du changement dans notre entourage, comme dans notre organisation. On ne parle pas ici d’une quelconque forme d’autorité, mais plutôt d’une posture inspirante, que nos amis canadiens qualifient de « leadership transformationnel », rapportée au monde de l’entreprise.

Dans le MOOC développé par l’Université Laval au Québec, le « management responsable », qui compose avec la triple contrainte sociale, économique et environnementale du développement durable, suppose de repenser nos habitudes et nos préjugés et de modifier nos valeurs. Le déploiement de ce management responsable n’est possible que par la transformation des personnes, des entreprises et de la société dans son ensemble.

Transformer la culture d’une entreprise et susciter l’engagement des équipes demande un style de leadership transformationnel. Les managers qui affichent ce genre de leadership, par leur exemple et leur implication, élèvent le niveau de maturité, d’idéalisme et d’engagement de leurs collaborateurs. Ces managers misent sur l’accroissement de la conscience collective et sur le partage de leurs valeurs et de leurs préoccupations pour assurer l’atteinte d’objectifs collectifs.

Le leadership transformationnel se distingue par quatre grandes capacités :

1) L’influence charismatique signifie que la leader sert de modèle. Il donne l’exemple en s’investissant dans les enjeux de l’équipe, accepte les contraintes et s’approprie les intérêts collectifs, quitte à mettre ses intérêts personnels de côté. Ce rôle de modèle crée une vision partagée par les collaborateurs de l’entreprise qui se reconnaissent unis par une mission commune.

2) La motivation inspirationnelle relève de la capacité à donner du sens au travail et donc à favoriser le dépassement de soi et le fonctionnement en équipe. Le manager qui prend soin d’expliciter chaque tâche et de souligner son importance favorise la prise de conscience des collaborateurs de leur contribution à l’épanouissement de l’entreprise.

3) La stimulation intellectuelle consiste à inciter les collaborateurs à remettre en question leurs façons de faire, ce qui favorise l’engagement et l’autodétermination. Un manager faisant preuve de leadership transformationnel invite les employés à proposer de nouvelles idées et de nouvelles solutions, il valorise leurs points de vue et s’assure que leurs contributions sont reconnues. Il ouvre des espaces réservés à l’autocritique et à l’inventivité raisonnée, de manière à faire participer personnellement son équipe dans la définition des objectifs.

4) La considération individuelle renvoie à la capacité à porter une attention particulière aux intérêts et aux besoins de chacun de ses collaborateurs. Être attentif aux spécificités des personnes les rend plus habiles et plus autonomes. Le rôle du leader transformationnel est de les soutenir, sans toutefois mettre de pression. Il accorde une attention personnelle à ses collègues en fonction des besoins de réussite et de croissance.

Si cette dynamique est entretenue, elle nourrit la cohérence du groupe en développant des relations de confiance réciproque.

Le changement, catalyseur d’une entreprise apprenante

Face aux bouleversements qui s’annoncent en matière de compétences et de métiers, notamment du fait des technologies, les organisations doivent entreprendre un énorme effort de reconversion. Mais pour transformer en profondeur les pratiques professionnelles, les réponses traditionnelles en termes de formation sont aujourd’hui insuffisantes. Les entreprises doivent immerger leurs talents dans une culture de l’apprentissage en continu et mobiliser leurs ressources dans des situations de travail capacitantes. Elles doivent devenir « apprenantes ». Ce néologisme dépeint la volonté de rester continuellement en phase avec son environnement ; ce qui implique d’apprendre constamment pour évoluer de concert avec les changements qui surviennent autour de nous.

Comme en témoigne Gilles Verrier, Directeur Général du cabinet de conseil en ressources humaines Identité RH, dans son excellent article publié sur le site RH info [L’entreprise apprenante, enfin !] : « La vraie rupture pour le collaborateur serait d’apprendre en faisant et en comprenant comment et pourquoi il l’a fait ainsi. Avec cette approche, le travail lui-même est repensé et réorganisé comme activité apprenante. L’entreprise œuvre à engager ses collaborateurs dans des situations professionnelles où ils vont se développer. La formation classique est déplacée vers l’apprentissage au sein de l’activité. »

Pour modéliser l’entreprise apprenante dans son MOOC Le management responsable, l’Université Laval pointe cinq pratiques exemplaires à mettre en application :

1) Que l’entreprise réponde aux problèmes auxquels elle fait face de manière systématique plutôt qu’en fonction de ses intuitions ou ses habitudes. Elle tire ainsi profit de toutes les pistes de solutions disponibles.

2) Expérimenter continuellement de nouvelles façons de faire le travail, d’améliorer les processus, soit pour apporter des améliorations incrémentales, soit pour envisager des modifications radicales.

3) Tirer les leçons de ses erreurs. L’entreprise apprenante accorde une attention particulière aux échecs ou aux initiatives qui fonctionnent moins bien. En analysant les causes des échecs, elle détermine des méthodes qui peuvent se révéler utiles dans d’autres contextes.

4) Chercher activement à apprendre des autres, de ses concurrents et de toutes ses parties prenantes.

5) Savoir transférer les connaissances là où elles sont utiles en faisant voyager l’expertise à l’intérieur de l’entreprise et en encourageant la discussion et le partage.

Ce MOOC s’inspire des écrits de Rosabeth Moss Kanter, professeur en management à la Harvard Business School et auteur de nombreux ouvrages relatifs à la conduite du changement. Selon Rosabeth Moss Kanter, la créativité dans une entreprise est alimentée par l’interconnexion de ses parties prenantes internes et externes. Il faut multiplier les occasions d’être en contact avec le travail des autres, en prenant connaissance des besoins exprimés par les collaborateurs et les clients et en discutant de manière ouverte des enjeux soulevés. Il est aussi important de favoriser les échanges à l’extérieur de l’entreprise afin d’explorer ce qui se fait ailleurs et entrer en contact avec des idées et des méthodes de travail différentes (participer à des formations, assister à des colloques, créer des groupes de codéveloppement…).

Pour Rosabeth Moss Kanter, le manager doit faciliter l’implication et la motivation des collaborateurs face au changement. Un manager facilitateur de changement encourage le partage des connaissances et l’apprentissage organisationnel et motive les collaborateurs à mettre à profit leur savoir et leurs talents pour contribuer pleinement à l’atteinte des objectifs de l’entreprise.

L’accélération du changement dans notre environnement a favorisé un mouvement permanent qui nous embarque individuellement et collectivement, inexorablement. Notre capacité à accepter ce mouvement et enclencher une véritable dynamique intrinsèque de changement, conscientisée et audacieuse, rend l’aventure encore plus forte et engageante. Comme une invitation à se réinventer, chaque jour, par petite touche, et à faire grandir ceux qui nous sont proches, dans la sphère privée comme professionnelle.

Lorsque j’ai imaginé La Cité du travail libéré, au fil de mes recherches sur les leviers du changement, une expression revenait souvent : « le pouvoir d’agir ». Que l’on évoque une transformation dans une organisation, dans une activité, un changement de métier…, à chaque fois le « pouvoir d’agir » résonnait comme une formule puissante, j’oserais dire une formule magique à partir de laquelle tout devenait possible. L’idée a fait son chemin et j’ai cherché comment activer cette formule magique pour faire circuler l’énergie créative et amorcer le changement.

C’est sur mon vélo que m’est apparue la première manifestation du pouvoir d’agir ! Pressée par un besoin irrépressible de me mettre en mouvement et d’entrer en action. Dévorée par une urgence nouvelle de partager mes découvertes, d’exprimer mes idées, j’ai décidé… de créer un blog. Pour autant, au-delà du sentiment grisant, presque ensorcelant, qui m’a gagnée au moment où j’ai pris conscience que c’était possible, que c’était à ma portée et que je n’avais qu’à me lancer ; j’ai eu du mal à mettre des mots sur le phénomène qui venait de me toucher de plein fouet. Quelle formule magique avais-je prononcée pour que le pouvoir d’agir me gagne, comme par enchantement ?

C’est en lisant Stratégie Modèle Mental, le dernier ouvrage de Béatrice Rousset, coach de dirigeants, et Philippe Silberzahn, professeur à emlyon business school, que j’ai compris comment « débloquer » ce pouvoir d’agir et où se trouvait la clé d’action décisive pour rester en prise avec une réalité faite de ruptures, de surprises et d’incertitudes. Car ce livre s’adresse à celles et ceux qui vivent une frustration face à l’impossibilité d’agir pour faire bouger les choses dans leur organisation. Et les auteurs nous annoncent que pour opérer avec succès une transformation, individuelle ou collective, la solution ne réside pas dans une méthode de plus, mais dans la libération de l’action.

« Le point de départ de la transformation c’est vous, et pas les autres. Ou plutôt, c’est vous avec les autres, ceux qui veulent en faire partie. On peut se lamenter sur ce que les chefs devraient faire, mais il vaut mieux faire quelque-chose, n’importe quoi, si petit cela soit-il, car il n’est pas nécessaire de viser grand pour commencer. La méthode, c’est vous. Et la bonne nouvelle, c’est que vous l’avez entre les mains ! »

Voilà de quoi nous donner des ailes…

Se transformer, oui. Mais comment ?

Je ne reviendrai par sur la nécessité de se transformer, que l’on soit dirigeant, manager ou collaborateur, en réponse aux ruptures qui agitent le monde aujourd’hui. Et pour guider notre démarche de transformation, tout naturellement, nous sommes tentés de fixer un objectif à atteindre.

«  Dès l’âge de 10 ans, on nous demande de savoir ce qu’on veut faire quand on sera grand, dans 20 ans. Plus tard, on nous demande notre plan de carrière. On nous demande nos objectifs pour l’année. »

Le « pourquoi » et l’objectif sont systématiquement au cœur de tous les schémas de transformation, avec comme étendard une vision, un idéal à partager. Et comme postulat que la vision est le préalable pour embarquer une organisation et mener une transformation avec succès.

Pourtant, comme l’ont expérimenté Béatrice Rousset et Philippe Silberzahn dans leurs fonctions respectives, inspirés des programmes conçus par « l’industrie de la transformation », le modèle de transformation basé sur une approche « Mission, vision, objectifs, mise en œuvre » ne marche pas. Le constat est sans appel : le plan est logique, mais rien ne se passe. Après beaucoup d’énergie et d’enthousiasme investis dans le projet, les effets restent limités et les équipes sont démoralisées.

Les raisons évoquées pour expliquer les échecs successifs de ces plans de transformation sont multiples : manque de vision ou de communication, lacune du leadership ou du management, ou encore résistance au changement ; diagnostic qui tombe comme une fatalité.

Et si le problème reposait plutôt sur la façon même dont la transformation est abordée ? Et si c’était notre conception de la transformation qui ne marchait pas ? Cette logique qui nous fait penser qu’une méthode résoudra tout. Et si pour favoriser le changement nous devions revoir notre rapport à la réalité, notre relation au monde ?

« Dans le monde causal, la vision est tout. Elle est l’objectif ultime qui guide l’action. Mais dans un monde qui change en permanence, déterminer une vision et s’y tenir devient de plus en plus difficile et surtout dangereux. On finit par essayer de tordre le cou à la réalité pour qu’elle rentre dans notre modèle alors qu’il faudrait faire l’inverse. Dans un monde effectual, la vision n’est pas absente, mais elle prend un sens différent. Elle se définit comme la façon dont nous pensons le monde et dont nous nous le représentons, c’est-à-dire un modèle mental. »

Mais qu’est ce qui bloque ?

C’est en modifiant leurs angles de vue respectifs que Béatrice Rousset et Philippe Silberzahn ont rencontré l’évidence : le changement est difficile, non pas parce que l’environnement extérieur est incompris ou invisible, mais parce qu’il oblige à remettre fondamentalement en question un ensemble de croyances qui forgent l’identité des individus comme des organisations. Des modèles mentaux profondément ancrés et invisibles.

Parce que toute transformation est une affaire d’humains, elle vient naturellement se confronter à des valeurs, des hypothèses individuelles et collectives que nous formons sur le monde qui nous entoure. Et c’est là, que ça bloque. Nous devons être conscients que la vision du monde qui est la nôtre est un modèle mental et pas une vérité universelle.

« La vision du monde, ce n’est pas le monde. Chacun se représente le monde et se construit sa propre vision, son propre modèle mental. C’est au travers de ce modèle que nous captons la réalité, que nous percevons le monde, puis que nous lui donnons un sens pour agir en fonction de cette perception et de cette interception. C’est également au travers d’un modèle que nous partageons la vision du monde, que nous construisons un modèle partagé qui permet une vision collective. »

Ce qui pose problème, c’est qu’au fil du temps, les modèles mentaux deviennent des automatismes, des lunettes invisibles à travers lesquelles nous interprétons le monde et dont nous finissons par être prisonniers. A l’épreuve des révolutions technologiques, scientifiques, sociales et politiques qui nous bousculent aujourd’hui et d’une réalité qui change de plus en plus rapidement et de plus en plus profondément, nos modèles mentaux deviennent obsolètes très rapidement. Il existe donc un décalage croissant entre le modèle mental et la réalité.

« Ce décalage existe à la fois parce que la réalité sur laquelle s’est construit le modèle change à toute vitesse et parce que les organisations ne se préoccupent pas de leurs modèles mentaux – elles ne savent même pas qu’ils existent – et de l’ajustement qu’ils nécessitent. Progressivement, elles se déconnectent de la réalité. »

Il devient donc essentiel de rendre visibles les modèles mentaux pour mieux se connaître individuellement et collectivement. Et ensuite d’agir sur eux pour ne plus en être prisonnier et ainsi rester en lien avec la réalité du monde. Pour cela, il faut d’abord comprendre comment ils fonctionnent.

Agissez, crackez le code !

Le modèle mental est le code de l’individu, de l’organisation, le point d’entrée pour tout changement. Il est aussi ce qui bloque la transformation, à plus forte raison lorsqu’il faut faire évoluer le modèle mental de centaines, voire de milliers de collaborateurs, reliés depuis des années par des convictions, une culture d’entreprise bien établie, des processus rodés. Car en entreprise, le modèle mental est indispensable pour donner du sens à ce que nous faisons et pour accomplir un travail avec d’autres. Le changement nécessite donc la remise en question de valeurs qui ont fait le succès de l’organisation parfois durant des décennies.

En conséquence, nous devons aspirer à faire naître et se développer la transformation partout dans l’organisation. Favoriser le changement par petites touches et en continu comme pour un organisme vivant, sans big bang déstabilisateur et stressant pour les collaborateurs.

« Les modèles mentaux sont donc la base du travail, le problème qui constitue le point de départ et la matière première de la transformation. C’est d’eux qu’il faut partir, c’est eux que l’on transforme et c’est à eux que l’on aboutit. L’enjeu est d’élargir cette base pas à pas, en suivant les principes d’action effectuale. »

Pour cracker le code, Beatrice Rousset et Philippe Silberzahn ont pris exemple sur les entrepreneurs dans leur capacité à ajuster les modèles mentaux pour rester en lien avec une réalité économique en changement permanent. Ils se sont notamment inspirés des travaux de la chercheuse indo-américaine Saras Sarasvathy, ayant démontré que les entrepreneurs qui transforment le monde sont souvent des gens parfaitement normaux. Ce qui les distingue, c’est qu’ils appliquent cinq principes d’action, qu’elle a regroupés sous le nom d’effectuation.

« Ces principes correspondent à cinq modèles mentaux alternatifs fondamentaux qui permettent d’agir en restant en prise avec la réalité. »

Jouez avec les modèles mentaux des entrepreneurs

La force des modèles mentaux des entrepreneurs est qu’ils partent de la réalité pour la transformer. En permettant aux collaborateurs de pratiquer régulièrement ces modèles mentaux, l’organisation peut libérer l’action et ainsi se remettre en lien avec son environnement changeant.

« Avec ces modèles, la transformation ne dépend plus (ou plus seulement) de la direction générale ou de ses consultants, ni de quelques super-héros. Au contraire, en disant en substance à tous les acteurs de l’entreprise « La méthode c’est vous ; et le plan, c’est l’action », ces modèles remettent la balle dans votre camp et vous fournissent des principes concrets d’action. »

Le modèle n°1 : « Démarrer avec ce qu’on a » nous permet d’agir par nous-même, quels que soient nos moyens. Pas besoin d’objectif pour commencer, l’action s’engage immédiatement. Elle n’est pas bloquée puisqu’elle ne repose que sur nos propres ressources. Elle a également plus de chance de réussir pour la même raison.

Le modèle n°2 : « Agir en perte acceptable » invite à agir pas à pas, modestement ; on avance et on voit… On passe de la protection de ses moyens, qui peut paralyser, à l’action. En matière de transformation comme en matière d’entrepreneuriat, il faut souvent commencer petit pour pouvoir transformer en grand.

Le modèle n°3 : « Obtenir des engagements » incite à penser en termes de relations plutôt qu’en termes de moyens. Les entrepreneurs créent des marchés en convainquant des parties prenantes de s’engager dans leur projet. On crée ainsi une dynamique collective en co-construisant les nouveaux modèles mentaux. Comme tout organisme vivant, l’organisation doit favoriser les relations internes et externes pour maintenir le système alerte et connecté à la réalité. Pour transformer une organisation, on doit donc se demander : « Comment entraîner les parties prenantes ? ».

Le modèle n°4 : « Tirer parti des surprises » invite à embrasser la surprise, qu’elle soit positive ou négative, pour comprendre ce qu’elle signifie pour nous. Car dans un environnement stable, l’erreur est une menace. Mais dans un environnement dynamique, elle est au contraire porteuse de la promesse de progrès. A trop se protéger des surprises, on se coupe de la réalité et des opportunités qu’elle peut apporter.

Le modèle n°5 : « Créer le contexte » permet de se remettre dans le jeu en rendant le contexte plus important que l’objectif. Il s’agit de crée un contexte dans lequel les solutions nouvelles à un problème entièrement nouveau pourront être inventées. La performance ne s’obtient que par une bonne adéquation entre les talents individuels et le contexte créé pour qu’ils s’expriment.

En agissant sur ces cinq modèles mentaux, chacun d’entre-nous peut libérer l’action, retrouver un sentiment de vitalité qui recrée l’engagement, facteur premier de performance, et ouvre de nouvelles perspectives.

Cette approche est modeste, elle ne dit pas ce que nous devons faire, mais ce que vous pouvons faire.

Recodez votre organisation avec l’approche META

L'application de ces modèles mentaux n’est que la première étape pour permettre à la dynamique de changement de s’enclencher. Pour véritablement « recoder » l’organisation, Béatrice Rousset et Philippe Silberzahn proposent l’approche META pour « Modèles mentaux, Exposer, Tester, Ajuster ».

« Il s’agit de partir des modèles mentaux existants, c’est-à-dire de les exposer, s’assurer qu’ils sont utiles par rapport à la réalité, les tester pour faire apparaître des conflits et le cas échéant, les ajuster. »

Etape 1 : exposer les modèles mentaux

Les modèles mentaux les plus importants sont profondément enfouis et sont constitutifs de notre identité, à tel point qu’ils sont devenus invisibles. Nous les prenons pour la réalité alors qu’ils ne sont basés que sur des croyances. Il nous faut donc les rendre visibles et mettant en perspective nos croyances : « Dans notre organisation, nous pensons que… mais il pourrait en être autrement. » En exposant les modèles mentaux, au lieu de subir leur résistance, nous bénéficions de leur force.

Etape 2 : tester les modèles mentaux

Il s’agit d’explorer quels sont les avantages et les inconvénients du modèle en lien avec la réalité d’aujourd’hui. Il est extrêmement important à ce stade de ne pas tomber dans la dichotomie « Bon/Pas bon ». Si un modèle mental a perduré jusqu’à aujourd’hui, c’est probablement qu’il présente des avantages. Il s’agit de prendre conscience qu’il présente aussi des inconvénients dans certaines circonstances.

Etape 3 : ajuster les modèles mentaux

Les cinq modèles mentaux des entrepreneurs offrent une panoplie d’alternatives qui rend cette étape d’ajustement possible afin de se remettre progressivement en prise avec la réalité.

Il nous reste maintenant à acquérir et pratiquer cette discipline qui consiste à mobiliser nos modèles mentaux de façon régulière. Car si ce programme de mise en action semble modeste et progressif, il peut s’avérer puissant dans une dimension systémique appliquée à toute l’organisation. Faire bouger les choses à notre niveau, c’est bien. Mais encourager d’autres collaborateurs à adopter la même discipline à l’échelle d’une organisation, c’est se donner toutes les chances de tirer parti des changements du monde et des formidables opportunités qu’ils nous offrent.

L’Expérience Client est aujourd’hui au cœur des préoccupations des entreprises. L’idée originelle de ce concept est que pour gagner des parts de marché et imposer sa marque, il ne s’agit plus seulement de proposer des produits et services utiles au client, mais des expériences uniques permettant de distinguer une marque de ses concurrents en créant un engagement fort et durable.

L’acte de consommer prend une nouvelle dimension en répondant à la fois à la satisfaction de besoins fondamentaux autour de la valeur et des usages du produit, mais surtout en suscitant le plaisir et l’émotion. L’Expérience Client est donc le résultat de l’ensemble des perceptions et des émotions ressenties lors des interactions entre le client et la marque.

Alors que les entreprises mobilisent leurs forces vives pour délivrer au client la meilleure expérience possible, l’alignement avec l’expérience vécue en interne par les collaborateurs s’impose à son tour comme vecteur d’engagement.

Un parallèle parfaitement démontré dans « Boostez l’Expérience Collaborateur », un ouvrage écrit à quatre mains par Séverine Loureiro et Myriam Lepetit-Brière. Leur objectif : au-delà du postulat selon lequel Expérience Client et Expérience Collaborateur sont les deux faces d’une même marque, nous donner la méthode et les clés pour passer à l’action et façonner une Expérience Collaborateur alignée avec les enjeux de son organisation.

La symétrie des attentions

A l’origine de cette conviction, la Symétrie des attentions (une marque déposée par l’Académie du Service) pose comme principe fondamental que la qualité de la relation entre une entreprise et ses clients est symétrique de la qualité de la relation de cette entreprise avec l’ensemble de ses collaborateurs.

La qualité de l’Expérience Client dépend de la perception des clients à chacun de leurs points d’interaction avec la marque avant, pendant et après l’achat (site web, point de vente, call-center, réseaux sociaux…). Et si on considère que chacun de ses points de contact avec les clients est le fruit de la compétence, de l’expertise et du travail des collaborateurs, on perçoit aisément les enjeux à adresser les deux pans de l’expérience proposée par l’entreprise. La finalité est de donner une image globale cohérente de l’entreprise et de la marque.

« Comment attendre des collaborateurs qu’ils délivrent une expérience optimale aux clients quand ils perçoivent la leur comme négative ? »

L'émotion, le premier pas vers l'engagement

« L’Expérience Collaborateur est le résultat des émotions et des perceptions ressenties par le collaborateur dans ses interactions avec l’entreprise : ses process, son environnement physique, son organisation, son management, ses collègues, ses valeurs ».

L’Expérience Collaborateur regroupe donc ce que les collaborateurs perçoivent, pensent, vivent, ressentent dans les moments clés de leur parcours au sein de l’entreprise et dans leur quotidien (intégration, évolution professionnelle, collaboration, management…). Et ce sont bien les émotions qui sont au cœur de l’Expérience Collaborateur.

L’émotion est un message envoyé à notre cerveau pour nous pousser à réagir, à décider et à agir. C’est aussi la pièce maîtresse de la motivation. Alors que les émotions ont longtemps été considérées en entreprise comme un obstacle à l’exécution d’une tâche, nul ne peut ignorer aujourd’hui leur pouvoir sur l’engagement des collaborateurs. Et il est de la responsabilité des managers, en véritable « régulateurs des émotions », de prendre en compte la dimension émotionnelle individuelle et collective au sein de leurs équipes et de s’attacher à faire émerger des émotions positives.

« A l’instar du client dont l’attachement à une marque va se faire à travers des émotions et sentiments ressentis au cours de ses interactions avec la marque, le collaborateur pourra développer une expérience positive et mémorable grâce au lien émotionnel que l’entreprise saura créer ».

Il est également fondamental pour les managers de reconnaître pour tout collaborateur le besoin essentiel de se sentir en sécurité émotionnelle à chaque point de contact avec l’organisation.

Créer une expérience positive durable

« Une entreprise, c’est avant tout une histoire d’hommes et de femmes qui vont unir leurs idées, parfois leurs moyens, leurs compétences, leurs savoir-faire, pour atteindre des objectifs communs. Une entreprise, c’est une aventure humaine ».

L’Expérience Collaborateur adresse donc tous ceux qui ont des points de contact avec la vie de l’entreprise et ses projets. Les salariés, bien entendu, quelle que soit la nature de leur contrat de travail, mais aussi les différentes partenaires : prestataires, fournisseurs, consultants… Pour chaque acteur, il faudra calibrer le degré d’attention en fonction de sa proximité avec l’entreprise et de son influence interne ou externe.

A l’image des « moments de vérité » qui rythment l’expérience vécue par un client, l’Expérience Collaborateur accompagne les salariés à chaque moment-clé de leur parcours au sein de l’entreprise.

AVANT : pour attirer les talents

L’Expérience Collaborateur commence avant même l’intégration du candidat. Cette expérience amont est l’expérience Candidat qui désigne l’ensemble des perceptions que vont ressentir les candidats dans leur parcours de recrutement jusqu’à leur intégration. Les points de contact sont les réseaux sociaux, le site carrières, l’annonce d’emploi, le processus de recrutement, l’entretien avec le manager, l’arrivée au bureau…

PENDANT : pour fidéliser et engager les collaborateurs

Avoir des collaborateurs fidèles, c’est bien, mais avoir des collaborateurs engagés, c’est mieux ! L’Expérience Collaborateur, en adressant notamment le management, l’organisation du travail, les process, l’environnement de l’entreprise, est un levier puissant d’engagement.

APRES : pour prolonger la réputation et l’attractivité

Faire durer l’expérience au-delà de l’entreprise est un moyen unique de prolonger sa réputation et de faire des anciens collaborateurs les meilleurs ambassadeurs d’une marque.

Une expérience en 5 dimensions

L’Expérience Collaborateur repose sur cinq dimensions. La dimensions socle est le SENS, la mission commune. La mission vers laquelle l’ensemble des équipes doit tendre et qui constitue une sorte de super-macro-objectif de l’organisation. La mission est donc le « pourquoi », le sens qui mobilise le collectif.

Parce que la « réalisation de soi » professionnelle et personnelle des salariés est indispensable à leur bien-être et source d’émotions positives l’EPANOUISSEMENT est une dimension fondamentale de l’Expérience Collaborateur. L’organisation doit favoriser l’autonomie et la responsabilisation, alimentés par le développement continu des compétences et la reconnaissance exprimée par le management.

Les CONNEXIONS désignent les relations entre les collaborateurs et l’organisation (orientations stratégiques, circulation de l’information…), entre les collaborateurs et le management (proximité, reconnaissance, feedback positif…) et entre les collaborateurs et leurs collègues (partage de valeurs, ambiance, solidarité…). Ces relations doivent générer la confiance et le plaisir d’être ensemble. Elles participent à la perception globale positive qu’ont les collaborateurs de l’entreprise et de leur expérience en interne.

L’IMAGE que l’entreprise renvoie en interne comme en externe concourt au sentiment de fierté et d’appartenance des collaborateurs et par là même à la perception de leur expérience. Cette image doit être alignée avec la réalité de l’expérience vécue par les collaborateurs.

L’ECOSYSTEME de l’entreprise, qui désigne l’environnement physique, technologique et organisationnel dans lequel les collaborateurs évoluent, permet de fluidifier et d’optimiser leur parcours et contribue ainsi positivement à la perception de leur expérience.

Une question de méthode, d'outils et de posture

Dans leur ouvrage, les auteures proposent aux organisations des outils et une méthode pour booster leur Expérience Collaborateur. Avec pour démarrer, un autodiagnostic en 25 questions permettant d’évaluer le niveau de maturité de l’entreprise sur le sujet, basé sur les 5 dimensions évoquées précédemment. Cette évaluation permet d’obtenir un score de maturité sur 3 niveaux et en fonction du niveau de maturité de son organisation de se rapporter à une matrice d’actions pour accompagner l’entreprise pas-à-pas vers une Expérience Collaborateur réussie.

Cette méthode est également illustrée de témoignages de dirigeants et de DRH, de bonnes pratiques et d’outils pour s’inspirer et oser expérimenter de nouvelles pratiques.

Et surtout, ce livre rappelle que l’Expérience Collaborateurs n’est pas un gadget. Une telle démarche exige un changement de posture à l’échelle de toute l’entreprise.

Organisation, managers, DRH et collaborateurs doivent réussir à réinventer ensemble leur rôle et à trouver chacun la bonne posture.

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