La période que nous traversons est incroyable ! Jamais nos modes de vie n’ont connu autant de remises en question, à travers nos interfaces privées comme professionnelles. La crise sanitaire, subordonnée à un contrôle de nos mouvements et relations, ainsi qu’à une privation de libertés jamais vue dans notre société contemporaine, constitue un révélateur à très grande échelle du pouvoir de la contrainte sur la transformation. Car, à n’en pas douter, le corollaire de cette crise sera notre capacité à s’adapter à ces contraintes et à apprendre de ces nouvelles conditions de vie et de travail.

C’est pour comprendre ces mécanismes de transformation que nous avons entrepris d’analyser les dispositions des organisations et des individus à apprendre de leurs situations de travail pour s’adapter aux mutations qui les bousculent. Au sein d’Act4 Talents, nous avons ainsi créé l’Observatoire des mutations du travail avec une première étude inédite sur la crise de la Covid-19 !

Pendant plus de 15 semaines, du mois d’avril au mois de juillet 2020, nous nous sommes immergés au sein de 24 TPE-PME de la région Auvergne-Rhône-Alpes afin d'appréhender comment leur organisation et leur management étaient impactés à l’épreuve de la crise.

Pour bénéficier d’une perception la plus réaliste possible des situations vécues dans les entreprises, nous sommes allés chercher les regards croisés de dirigeants, de managers et de collaborateurs pour confronter leurs perceptions. Nous les avons invités à prendre un peu de hauteur de vue sur l’enchaînement des événements et leurs conséquences. Des paroles vibrantes d’un contexte exceptionnel et d’émotions exacerbées que nous retraçons dans cet observatoire et à la lumière desquelles nous avons identifié 5 enjeux pour se projeter positivement et initier des transformations porteuses de valeurs pérennes dans les organisations.

5 enjeux pour se projeter vers un futur souhaitable

  1. La durée et la complexité de la crise ont imposé une communication transparente et régulière à tous les échelons de l’entreprise pour informer au jour le jour des nouvelles mesures, rassurer les individus, maintenir la cohésion des équipes et l’efficacité organisationnelle. Une cohésion qui, si elle n’a pu être maintenue, appellera à retisser les liens en sortie de crise.
  2. Cette situation d’état d’urgence inédite a propulsé chacun des échelons de l’entreprise en dehors de sa zone de confort. Les efforts déployés pour maintenir l’activité ou anticiper les besoins du marché ont généré pour nombre d’individus un surplus de travail et une charge mentale qu’il faudra « soigner » afin de recharger les batteries et être prêt pour une relance efficiente de l’activité.
  3. Cette situation inédite a constitué pour les individus un révélateur de compétences insoupçonnées avec le développement de capacités nouvelles, notamment relationnelles, sur lesquelles ils convient d’investir pour construire la relance.
  4. Cette crise a activé une fierté forte et unanime d’avoir contribué individuellement et collectivement à « tenir la maison » et préservé l’activité au maximum de ce qui était possible. Une mobilisation à travers laquelle chacun a pu vivre une explosion de sens qui renforce le sentiment d’appartenance et qu’il faudra s’employer à entretenir quelles que soient les conditions de reprise de l’activité.
  5. La distanciation sociale a conduit la relation clients à se réinventer, avec l’émergence de nouveaux liens empreints de plus d’humanité, et déployés à partir de nouveaux outils numériques dans un objectif d’efficacité et de maîtrise du bilan carbone pour l’entreprise à plus long terme.

Pour aller plus loin dans la compréhension des enjeux, nous vous invitons à télécharger l’étude complète sur notre site Act4 Talents.

Au moment de nos échanges avec les entreprises, entre fin mars et juillet, personne ne pouvait présager de la durée et de l’impact de la crise. Il était impossible alors de considérer si les adaptations mises en place par les organisations pendant le confinement allaient contribuer à des transformations durables ou être vite oubliées au bénéfice d’un retour à la normale. Nous portions un espoir collectif que la situation d’état d’urgence que nous venions de traverser ne pouvait qu’être temporaire, que l’été balayerait les effets du virus et que progressivement, nous pourrions revenir à une activité quasi-normale en septembre…

La « trêve » a été de courte durée ! Si dans notre espace privé nous avons pu relâcher un peu les contraintes pendant les vacances estivales, se retrouver en famille, se dépayser et savourer une forme de liberté retrouvée ; dans la sphère professionnelle, point de relâchement. La plupart des entreprises ont dû maintenir un mix présentiel/distanciel pour répondre aux exigences de distanciation sociale, avec l’obligation du port du masque au bureau lors des échanges interpersonnels. Et très rapidement, fin septembre, le spectre d’une deuxième vague a été confirmé avec le durcissement des mesures sanitaires et pour finir l’annonce d’un retour au confinement…

Rendre la nouveauté désirable dans une société qui perd ses repères

Dans nombre d’organisations, la rentrée de septembre a été vécue comme une « gueule de bois ». Après des vacances en demi-teinte, sans liberté de voyager à notre gré, à moitié masquées, bercées par de nombreuses inconnues… Le retour au travail a été froid et atone, en présentiel, amputé d’une partie des collègues ou en distanciel sans la possibilité d’échanger autour d’un café sur les plaisirs de vacances… Dans un de ces récents articles, Pierre-Yves Gomez, économiste et professeur à EM Lyon, voit dans cette période les signes d’une dépression collective : « Le fait que les choses ne reprennent pas « comme d’habitude » est déroutant. La société semble perdre ses repères ».

Une dépression en cascade avec des salariés perdus et démotivés, des managers désemparés par l’ampleur de la tâche, et des dirigeants fragilisés par de longs mois de bataille pour maintenir leur entreprise à flot et engourdis par le poids des responsabilités à faire respecter les mesures barrières dans les bureaux. Car toutes ces contraintes qui entravent notre autonomie, ce contrôle de nos moindres faits et gestes pour endiguer l’épidémie, contribuent in fine à bloquer notre énergie. Après de années d’une course effrénée vers le « toujours plus », nous avons été brutalement stoppés dans notre élan le 17 mars 2020. Nous avons alors fait l’expérience de l’immobilisme, du sur place. Un changement de rythme déstabilisant qui nous a amenés à nous questionner sur les fondamentaux de la condition humaine et à observer, grâce à la prise de recul qui nous était offerte alors que nous étions confinés, la vacuité de notre vie en mode accéléré. Sept mois plus tard, alors que la crise s’éternise, nous sommes réduits à un mouvement fatalement ralenti et de plus en plus sujets à l’inconfort de la privation de liberté. Une nouvelle réalité qui vient percuter la réalité antérieure, celle de l’exhortation au mouvement.

Face à cette perte de repères qui peut être synonyme d’angoisses, Pierre-Yves Gomez nous engage à nous focaliser sur les habitudes prises dans cette nouvelle réalité. Comme nous vous y invitons dans notre étude Regards croisés : observer comment les circonstances ont fait évoluer nos pratiques de travail et créer l’espace pour un dialogue ouvert et sincère dans lequel chacun pourra exposer son expérience du travail pendant cette période de crise. Dresser le bilan de ce que l’on a perdu et de ce que l’on a gagné individuellement et collectivement à travers cette épreuve. Tirer les enseignements de ce qui a fonctionné et de ce qui ne fonctionne plus aujourd’hui dans nos pratiques de travail pour construire ensemble un futur souhaitable.

Selon Pierre-Yves Gomez, « Pour accompagner le changement, il faut ne pas se concentrer sur ce que l’on perd, le monde frénétique d’hier. Il faut rendre la nouveauté du monde désirable, appétissante. On n’assiste pas à l’effondrement du monde d’avant – d’ailleurs beaucoup de choses vont perdurer – mais à l’émergence de comportements nouveaux et intéressants. A ce que nous ferons des occasions qui nous sont offertes. »

Favoriser l’expression de récits collectifs autour des expériences vécues du travail

Les 5 enjeux qui ressortent de notre étude qualitative, constituent le socle de ce processus de dialogue qu’il nous semble impérieux d’animer au sein des équipes afin de favoriser l’expression des humanités du travail. De quoi parle-t-on lorsque l’on évoque les humanités du travail ? Pour comprendre quel est l’impact de cette crise sur les individus au travail, il faut développer une compréhension de la sensibilité des humains à l’égard des autres dans cette période exceptionnelle. Sans l’intégration de cette compréhension dans les modèles de management, aucun dirigeant ou manager ne sera en mesure d’appréhender l’explosion des émotions suscitées par ce contexte contraignant.

Boris Cyrulnik nous explique que donner l’occasion d’exprimer ses émotions, ses ressentis, modifie les perceptions du passé. Quand on est vulnérabilisé par un événement de la vie ou une situation particulière, on a la possibilité de remanier la représentation du réel par le récit que l’on en fait. On trouve ainsi la liberté d’agir par nos récits pour remanier intentionnellement le réel et mieux vivre ensemble. Lorsque ces récits sont collectifs, partagés avec quelqu’un ou un groupe en qui on a confiance, la parole a une fonction affective et socialisante. Cette parole est d’autant plus précieuse aujourd’hui, alors que nous travaillons dans un mix distanciel/présentiel et que nous ne communiquons plus avec nos collègues que derrière un écran ou à travers un masque. Des filtres à émotions particulièrement efficaces ! Il nous faut donc aller chercher les émotions masquées à travers le récit collectif et réapprendre à travailler ensemble en permanence.

Les entreprises ont la responsabilité d’investir pleinement ces territoires d’engagement que sont le management et l’organisation pour permettre à leurs collaborateurs de transformer l’épreuve qu’ils traversent actuellement en expérience dont chacun pourra tirer du positif. Pour commencer ce travail de co-construction, un temps de prise de recul s’impose. Un temps pour libérer la parole et écouter les besoins de chacun. Un temps pour permettre au collectif de se retrouver et à la coopération de reprendre corps sereinement. C’est sur le terrain de l’échange que l’on pourra explorer les impacts de la crise et tirer les enseignements sur ce qui a fonctionné et ce qui ne fonctionne plus. Reconsidérer et réajuster nos anciens modèles pour imaginer d’autres alternatives. Et enfin, accepter de désinvestir le superflu et de se recentrer sur l’essentiel.

A la lumière de nos 5 enjeux, quelles sont les questions à se poser collectivement pour se projeter positivement et initier des transformations porteuses de valeurs pérennes dans nos organisations ?

  1. La communication : quels rituels pour permettre aux collaborateurs de rester reconnectés entre eux et pour tisser les liens de la responsabilisation et de la confiance au niveau du management ?
  2. La gestion de la crise : comment prendre le pouls de l’organisation, adapter les objectifs individuels et collectifs aux moyens réellement disponibles, prioriser les activités et clarifier le « qui fait quoi » ?
  3. Les capacités nouvelles : comment permettre aux collaborateurs de révéler leur raison d’être au service du collectif et de s’illustrer à travers de nouveaux rôles au sein de l’entreprise ?
  4. Le sens : comment capitaliser sur les nouvelles pratiques de travail expérimentées pendant le confinement pour mettre en chantier une nouvelle architecture du travail pensée et modélisée par les collaborateurs pour les collaborateurs ?
  5. La relation clients : comment combiner « moments privilégiés en présentiel » et digital pour les échanges courants avec le client ?

Explorer ce regain d’humanité et l’envisager comme l’amorce d’un changement culturel vers plus d’entraide et de solidarité

Ce que nous révèle l’étude Regards croisés en premier lieu, c’est le formidable regain d’humanité qui a transcendé les organisations au travers de cette crise. Cohésion, adaptation, créativité, intelligence relationnelle, vouloir agir, sens, sentiment d’appartenance, liens, confiance… sont autant de termes qui illustrent ces vécus collectifs et témoignent de l’amorce d’un changement culturel vers plus d’entraide et de solidarité. Le prolongement de notre étude nous conduira à réinterroger dirigeants, managers et collaborateurs afin de déceler les apprentissages profonds qui se seront matérialisés au fil des mois. Nous serons ainsi en mesure de confirmer ou d'infirmer la tendance selon laquelle cette crise pousse vers une plus grande humanisation de la gestion des organisations.

Nous vivons aujourd’hui un véritable renversement de valeurs ! Alors que la plupart des pays d’Europe se mettent en situation de sacrifier leur économie pour sauver des vies humaines, comment ne pas réinterroger la place des hommes et des femmes dans les organisations. Cette crise « existentielle » qui impacte respectivement l’existence des entreprises et celle des humains, peut-elle être le terrain d’une réconciliation entre performance économique et réalisation humaine autour de nouvelles valeurs de travail ?

Quelques lectures et une vidéo inspirante :
L'OBS - Comment la crise du Covid a sonné la fin du « toujours plus »
THE CONVERSATION - Transformation numérique : comment ne pas manquer la phase qui s’ouvre dans le travail ?
YOUTUBE - Boris Cyrulnik - Le récit de soi

Vous connaissez certainement l’allégorie des 3 tailleurs de pierre : Un homme rencontre sur un chantier trois tailleurs de pierre. Au premier qui travaille mécaniquement sa pierre avec un air sombre et fatigué, il demande ce qu’il est en train de faire ; ce dernier lui répond qu’il taille une pierre. Quand il pose la même question au second qui effectue le même travail, mais de façon un peu moins mécanique, ce dernier explique qu’il taille une pierre pour construire un mur. Il s’approche alors du troisième qui semble heureux, voire radieux, où nulle trace de fatigue ne se lit sur son visage alors qu’il effectue le même travail, avec exactement les mêmes outils et la même technique, que les deux autres. Quand notre homme lui demande ce qu’il est en train de faire, le troisième tailleur de pierre lui répond avec un large et lumineux sourire : « je suis en train de construire une cathédrale ».

Cette allégorie du sens au travail a une résonance particulière en cette période de retour des collaborateurs au bureau et de reprise du « business as usual » dans beaucoup d’organisations. Car pour certains, l’expérience du travail vécue pendant la période du confinement s’est véritablement apparentée à la construction d’une cathédrale !

Le confinement a provoqué une explosion du sens au travail

Un travail centré sur l’essentiel, où chacun, quelle que soit sa mission, a pu prendre une part active à la survie de son organisation et se sentir utile. Une période qui a stimulé la solidarité entre collègues, qui a fait grandir les individus en s’adaptant à de nouvelles missions, à de nouveaux outils, avec une forte productivité pointée sur la continuité de l’activité, qui a poussé chacun en dehors de sa zone de confort… Une expérience qui a bousculé les équilibres et qui a interrogé sur sa « juste place » dans son organisation et dans la société en général.

Cette sensation d’être monté au front et d’avoir « soutenu la maison », coûte que coûte, a suscité une « explosion de sens » à tous les étages de l’organisation. Que la mission pendant le confinement ait pris un caractère exceptionnel ou qu’elle ait simplement consisté à maintenir l’activité dans un nouveau contexte et un nouvel environnement de travail, il semble que chacun y ait trouvé sa petite part de sens.

Pour bien comprendre comment cette période de crise a boosté la question du sens au travail pour un grand nombre de collaborateurs, je vous propose de mettre en perspective les travaux des chercheurs E.Morin et B.Cherré et leurs prérequis du sens au travail :

La crise du Covid-19 a souvent coché toutes les cases !

Cette explosion du sens au travail a activé deux manifestations positives qui ont pu contrebalancer les effets négatifs de la crise sur les individus. En premier lieu, le sens trouvé dans l’activité de travail, qu’elle ait été vécue à distance, sur site, en chômage partiel… a permis de maintenir un certain équilibre psychologique. Là ou certains collaborateurs ont été privés de travail du fait de l’arrêt total de leur activité, ceux qui ont pu maintenir tout ou partie de leur activité semblent avoir été moins frappés par l’anxiété et le stress inhérents à la situation de crise traversée. Le second impact positif est l’engagement. Stimulés par de nouveaux enjeux pour maintenir le business dans leur entreprise (travail à distance, dématérialisation, nouvelles missions…), les collaborateurs ont su fournir les efforts nécessaires, en s’adaptant à un nouveau contexte de travail, de nouveaux horaires, de nouveaux outils, et ont témoigné ainsi d’une loyauté et d’un attachement forts à leur structure.

L’engagement qui s’est matérialisé pendant la période du confinement semble pourtant souffrir de l’obligation de revenir au bureau. Comme en témoignent les dirigeants croisés récemment, le retour physique en entreprise n’a suscité que peu d’enthousiasme, même de la part des collaborateurs les plus engagés. Si quelques volontaires ont trouvé dans cette reprise une opportunité de quitter l’isolement du confinement ; pour la plupart des effectifs, il a fallu se montrer ferme et souvent, imposer de reprendre le rythme « métro-boulot-dodo » lorsque l’aménagement des bureaux le permettait, à grand renfort de mesures sanitaires.

Pierre-Yves Gomez, professeur de stratégie à emlyon business school où il dirige l’Institut français de gouvernement des entreprises, pose la situation en ces termes : « L’exigence de « remettre » aujourd’hui les salariés au travail montre bien que quelque chose a été cassé dans le mouvement économique frénétique qui était le nôtre. Après le choc dépressif qu’a causé le confinement pour beaucoup, il faudra trouver des raisons substantielles pour embarquer les équipes au travail, et ce sera d’autant plus difficile que l’on prévoit un accroissement du chômage et de la précarité sociale. Les entreprises qui misent sur des discours morbides de type : « il faut vous mobiliser sinon nous allons disparaître » se fourvoient si elles pensent que dans notre société individualiste, cela peut constituer un discours stimulant. »

De retour au bureau, savoir faire battre le cœur du travail

Si on comprend bien l’impérieuse nécessité des organisations de se mettre en ordre de marche pour retrouver une activité optimale, la question qui se pose au management est sa capacité à maintenir l’engagement des collaborateurs dans un contexte de retour au travail « forcé ». Et donc, de trouver de nouveaux leviers de sens au travail.

Surtout si l’on considère l’écart substantiel entre l’expérience du travail vécue avant et pendant le confinement. Dans l’urgence de la crise, chacun a dû adapter son métier à une nouvelle réalité de travail, en autonomie, à distance ou sur site mais déconnecté de son équipe et de son management. Faire preuve de créativité pour imaginer de nouvelles façons de faire son travail, à l’épreuve de certaines contraintes, certes, mais toute en bénéficiant d’une forme de liberté inédite. S’essayer à de nouvelles missions devenues vitales pendant la crise et développer sa polyvalence. Voir moins ses collègues, mais les écouter davantage, à travers leurs savoir-faire, leur vécu, leurs émotions via des médias empruntés à la vie privée comme Whatsapp. Cet investissement énorme pour maintenir l’activité à tout prix pendant cette période a donné au travail une nouvelle saveur. Comme débarrassé de nombreuses entraves : réunions à répétition, ordres et contre-ordres, processus de décisions à rallonge, jeux de pouvoir... Chacun a eu voix au chapitre du travail et a retrouvé une certaine foi dans le travail. Ce « travail à cœur » dans lequel chacun se reconnaît, que décrit si bien le psychologue du travail Yves Clot dans son livre du même titre.

« Chaque fois que des salariés introduisent quelque chose d’eux-mêmes dans leur métier, les chances de développer leur santé augmentent. »

Alors pour continuer à faire battre le cœur du travail de retour au bureau, pourquoi ne pas capitaliser sur les nouvelles pratiques de travail que nous avons expérimentées pendant le confinement ? Profiter du retour des équipes pour mettre en chantier une nouvelle architecture du travail pensée et modélisée par les collaborateurs pour les collaborateurs. Une réflexion prospective sur le design d’avenir de leur organisation au service du travail bien fait, ce travail dont ils ont pris soin pendant la crise. Quelle place pour le télétravail demain ? Comment transposer les habitudes et les outils qui ont fait leurs preuves en confinement dans cette nouvelle configuration en remplacement des pratiques anciennes jugées moins efficaces ? En définitive, apprendre à renoncer aux routines obsolètes pour investir de usages plus appropriés sur lesquels on se rejoint collectivement.

Car un tel chantier est aussi l’occasion de construire ensemble à partir du besoin des individus de se retrouver et de retisser les liens physiques du travail pour faire communauté. Créer les circonstances permettant à chacun de partager cette petite part de sens invoquée localement pendant le confinement et contribuer ainsi à redonner du sens au niveau global de l’organisation.

Faire communauté pour cultiver ensemble la force de se projeter utilement et puissamment vers une nouvelle réalité de travail

Pour introduire cette notion de communauté, je vous propose de reprendre la métaphore de la construction de la cathédrale. Pour construire une cathédrale, une équipe d’artisans hautement qualifiés étaient rassemblés, sous l’égide du maître d’œuvre attaché à l’édifice. Ces artisans étaient organisés en loges qui établissaient les statuts et les règles de travail. Pour accompagner l’édification d’une cathédrale sur plusieurs siècles, les artisans qui se succédaient sur le chantier s’influençaient et se transmettaient les techniques et les modes à travers toute l’Europe.

Cet exemple de communauté de métier et de pratiques, complètement ouverte pour favoriser l’apprentissage entre pairs, et ainsi collaborer au service d’une œuvre remarquable, me semble d’une actualité frappante pour refonder nos organisations au lendemain de la crise.

Pour Yves Clot : « Cette communauté de pratiques forme un cercle d’échanges dans lequel on s’intéresse moins aux limites de chacun des participants qu’aux limites de l’activité elle-même ».

Commençons par recréer du lien. D’abord en proximité, au niveau de l’équipe, pour renouer avec le terrain, dans une communauté de mission où chacun pourra réinterroger sa place, mettre en débat l’activité et ainsi mieux articuler le travail du collectif. Ou dans une communauté de projet construite sur le mode collaboratif, en confrontant ses idées, en exposant ses modèles mentaux, pour se projeter collectivement dans l’action. Une communauté en vue de « réaliser un triple maximum », comme le décrit le philosophe Abdennour Bidar : « le maximum d’accord pour chacun entre ce qu’il est et ce qu’il fait ; le maximum d’apport pour chacun, de ce qu’il est et de ce qu’il fait, et le maximum de rayonnement de chaque communauté, comme petite centrale nucléaire d’énergie ». Ou encore, dans une communauté de métier, extérieure à l’organisation, pour partager des pratiques, apprendre les uns des autres, grandir ensemble et ouvrir des horizons. Une communauté ouverte sur des écosystèmes plus larges pour amplifier le champ des possibles et stimuler notre pouvoir d’agir localement et globalement.

Comme nous y invite Abdennour Bidar : « Agir local pour agir global. Se donner un terrain de développement concret – l’échelle et l’espace de la communauté d’action – pour y cultiver ensemble la force de se projeter utilement, puissamment, vers le plus vaste extérieur qui soit en continuant de participer, par son métier, ses divers engagements, à l’invention d’un nouveau monde. »

Faire émerger des communautés restauratrices

La période post-crise dans laquelle nous entrons est le terrain idéal pour créer des « communautés restauratrices », telles qu’inspirées par Peter Block, auteur, consultant et conférencier américain dans les domaines du développement organisationnel, du développement communautaire et de l'engagement civique. Des communautés d’intérêt, synonymes de diversité, qui se maillent par le rapprochement de représentations communes. Centrées sur un idéal à construire collectivement et une logique de don, ces communautés vont chercher à mobiliser les talents de tous les membres d’un territoire, d’un quartier, d’une organisation. Pour autant, elles ne cherchent pas à valoriser un leader mais à produire du leadership chez chacun à travers des actes de « communityship », rendus possibles grâce à une implication personnelle et une motivation intrinsèque très fortes de chaque membre. Leurs moteurs sont la confiance en l’avenir et une forte énergie collective. Pour qu’il y ait communauté, il doit y avoir une action collective qui permet de renforcer cette haute qualité relationnelle, avec force de débat et de dialogue. Et au fil du chemin de ces communautés d’apprentissage, il y a la création de savoirs partagés pour tous.

Dans la vidéo que vous trouverez en annexe de cet article, Denis Cristol, chercheur sur les communautés d'apprentissage, l'autoformation et les apprentissages informels, nous partage les quatre étapes pour créer des « communautés restauratrices » :

Pour Denis Cristol : « Les organisations du travail ont besoin de se rappeler que ce sont des communautés humaines. […] Beaucoup d’entreprises, à force de gestion et d’optimisation, ont enlevé toute la dynamique humaine, ces apprentissages sociaux et cette capacité d’embarquer tout le monde. […] Elles doivent restaurer une qualité de lien qui s’est dégradée. »

C’est à partir de l’intention de faire commun que nous pourrons contribuer à la création et au développement de ces communautés. En dépassant la simple volonté de mieux faire son travail ou de s’adapter aux mutations du travail, pour développer de nouvelles façons d’apprendre. Et créer des espaces, dans les organisations, où chaque individu n’est pas seulement l’objet des transformations qui l’impactent mais au sein desquels il se sent faire partie d’un tout porteur de sens et d’énergie pour continuer à s’engager… et construire des cathédrales !

Quelques lectures et une vidéo inspirantes
HUFFPOST - La vraie question que pose le télétravail, c’est l’utilité du travail ! 
LE MEDIABLOG DU COACHING - Entre sens et perte de sens au travail
LE COMPTOIRE - Pierre-Yves Gomez : « L’époque que nous traversons a rendu au travail réel une présence qu’il avait perdue »
LE MONDE - Abdennour Bidar : « Changer de vie pour changer la vie »
APPRENDRE AUTREMENT - Communauté restauratrice / Communauté rétributrice (vidéo)

La notion d’engagement est dans toute la littérature dès que l’on évoque les enjeux du monde de l’entreprise. Pour autant, votre entreprise vous renvoie-t-elle l’image d’une organisation engagée chaque matin lorsque vous poussez la porte de votre bureau ?

L’engagement, c’est le Graal des organisations. C’est la potion magique qui va permettre aux managers de démultiplier la performance de leur équipe et aux dirigeants d’accélérer la compétitivité de leur entreprise. L’engagement, c’est un sentiment profond d’attachement et de loyauté d’un individu pour son organisation. Un élan qui stimule le travail, non pas strictement pour percevoir un salaire ou pour garder son emploi, mais dans le but d’atteindre, voire de dépasser ses objectifs au sein de l’entreprise. L’engagement nous encourage à dépasser nos limites et à coopérer.

Face aux bouleversements qui affectent l’écosystème de l’entreprise : transformations continues et accélérées, nouvelles aspirations des salariés…, l’engagement est mis à mal. Les organisations sont donc confrontées à un défi de taille pour rester dans la course à la compétitivité : continuer à attirer des talents, engager durablement leurs collaborateurs et les faire monter en compétence. L’entreprise ne doit plus se poser en « consommateur de ressources » mais en « cultivateur de talents ». La performance économique demande désormais beaucoup de créativité, d’esprit critique, de coopération et de communication. Pour émerger, ces compétences ont besoin d’un environnement sain favorisant la confiance à travers la bienveillance, l’autonomie à travers la responsabilisation et l’intelligence collective à travers la coopération. Des compétences également stimulées par une raison d’être puissante agissant comme un exhausteur de talent. Développer l’engagement suppose donc une forte adéquation entre les valeurs de l’entreprise et celles du collaborateur, et une cohérence entre les éléments de sens dont elle est porteuse et leur traduction en actes vécus par les salariés. Et c’est là que la question de l’expérience collaborateur prend tout son sens.

« Comment une organisation peut-elle envisager d’attirer et de fidéliser les talents dont elle a besoin pour se développer si elle ne prend pas soin de l’expérience qu’elle leur fait vivre au quotidien ? »

L’Expérience Client se dresse en étendard de la plupart des entreprises commerciales, et c’est bien normal, puisque sans satisfaction et fidélisation client, pas de croissance sur des marchés de plus en plus concurrentiels… Pourtant, alors que les organisations mobilisent leurs forces vives pour délivrer au client la meilleure expérience possible, elles ont tendance à négliger l’expérience vécue au quotidien par leurs propres collaborateurs.

Créer une expérience positive durable

« Une entreprise, c’est avant tout une histoire d’hommes et de femmes qui vont unir leurs idées, parfois leurs moyens, leurs compétences, leurs savoir-faire, pour atteindre des objectifs communs. Une entreprise, c’est une aventure humaine ». Extrait de l’article [Collaborateur vs Client ? Et si on visait plutôt l’alignement des expériences…]

L’Expérience Collaborateur s’inscrit au carrefour de chaque interaction du collaborateur avec son organisation, avant même son intégration, tout au long de son évolution au sein de l’entreprise, voire même au-delà de son départ. Elle repose sur un principe de cohérence globale, définit par Séverine Loureiro et Myriam Lepetit-Brière dans leur ouvrage « Boostez l’Expérience Collaborateur », autour de cinq leviers d’engagement : le SENS, la mission commune ; l’IMAGE que l’entreprise renvoie et qui concourt au sentiment de fierté et d’appartenance des collaborateurs ; l’ECOSYSTEME qui désigne l’environnement physique, technologique et organisationnel dans lequel les collaborateurs évoluent, l’EPANOUISSEMENT favorisé par l’autonomie et la responsabilisation, alimentés par le développement continu des compétences et la reconnaissance exprimée par le management, et enfin, les CONNEXIONS, à savoir les relations des collaborateurs entre eux, avec l’organisation, avec le management…

La première question que devrait se poser tout dirigeant d’entreprise, notamment en amont de chaque changement de cap, pourrait se résumer ainsi : l’expérience que vivent mes collaborateurs est-elle alignée avec mon organisation et ses enjeux, actuels et futurs ? En bref, les conditions sont-elles réunies pour engager durablement mes équipes et les conduire vers de nouveaux challenges ?

Pour le savoir, pourquoi ne pas leur poser la question ? Evaluer et qualifier l’expérience vécue par les collaborateurs d’une entreprise est une étape déterminante pour identifier les points forts de l’organisation et les axes de progrès sur lesquels mettre le focus. C’est aussi, et avant tout, adopter une posture d’écoute et d’humilité. Les entreprises et leurs dirigeants doivent accepter qu’ils ne détiennent pas toutes les réponses et trouver les moyens d’aller les chercher. L’organisation doit apprendre à écouter, pas seulement ses clients et les marchés, mais aussi ses expertises internes, pour faire évoluer ses orientations dans la bonne direction. Pour ce faire, elle doit passer d’une communication hiérarchique descendante, proche du monologue, à une communication de proximité, de l’ordre du dialogue.

Ce changement de posture dans les organisations s’inscrit dans un nouveau registre de communication, entre écoute et dialogue. Un dialogue ouvert et sincère qui doit prendre sa source au cœur de l’entreprise, sur les questions du travail. Car donner la parole aux collaborateurs pour débattre des règles, des contraintes, des ressources…de leur activité, c’est les reconnaître dans leur autorité sur leur métier et c’est leur donner le pouvoir d’agir au sein de l’organisation. Dans un contexte où le changement est devenu la règle, il faut s’adapter continuellement. Et les solutions ne peuvent s’élaborer que dans un effort commun, par un dialogue permanent pour confronter les objectifs stratégiques avec les réalités opérationnelles. [à lire aussi : Manager, c’est se réapproprier l’essence (les sens) de la communication… et favoriser le dialogue]

Une communication managériale porteuse d’engagement

Cette communication moins instrumentalisée et plus horizontale vient aussi bouleverser la nature du lien managérial. Car il est essentiel que les organisations reconnaissent le manager dans son rôle de « meneur d’hommes » et le valorisent dans cette mission suprême. Avec comme priorité de remettre le manager de proximité au centre du travail dans un dialogue permanent avec les équipes. Et de faire du manager le « premier média » de l’entreprise, acteur d’une nouvelle communication managériale pour coconstruire le sens, exercer de nouvelles formes de reconnaissance et porter une autorité basée sur l’exemplarité. Un management ramené à ses vertus essentielles : créateur de lien social, révélateur d’intelligence collective, catalyseur de décisions, contribuant simultanément au développement des personnes et de l’organisation. [à lire aussi : Communiquer sur le travail, c’est bien… Communiquer dans le travail, c’est mieux !]

Parce que le manager se trouve à la charnière de contraintes humaines, entre les personnes, le travail et la stratégie, c’est à lui que revient la responsabilité de maintenir l’engagement de ses équipes. Cette nouvelle communication managériale est donc déterminante pour crée les conditions d’un engagement durable dans les entreprises.

Une nouvelle communication qui donne à voir l’entreprise, et qui l’incarne en transparence en réinvestissant le potentiel humain. Une communication qui prend soin de la relation, à l’écoute des besoins des salariés, et qui porte leur voix, comme signe d’appartenance et gage de confiance. Une communication porteuse de valeurs nouvelles pour bâtir un nouveau modèle d’entreprise, en trois dimensions : une entreprise plus incarnée, plus constructive et plus solidaire...

Pour attirer les talents, bâtir une entreprise plus incarnée

Quand on parle de compétitivité, d’innovation, de numérique, de mondialisation… quels que soient les enjeux, quelle que soit la taille de l’entreprises, le premier défi à relever est celui des talents. Attirer les savoir-faire et les savoir-être qui accompagneront l’organisation dans ses challenges actuels et futurs est un besoin impérieux pour les dirigeants. Mais à l’heure des réseaux sociaux et de la recommandation, la relation employeur/salarié s’est débridée et le rapport de séduction s’est inversé. On n’attire plus aujourd’hui à grand renfort de campagnes hyper-marketées. Il ne suffit plus de scander de beaux slogans pour s’affirmer comme une entreprise où il fait bon travailler… Car aujourd’hui, les candidats sont à l’affût de la réputation des organisations. Et ils ont les moyens de s’informer et de vérifier les gages de popularité des entreprises sur le Net.

Pour être attractive, l’entreprise doit être incarnée. La dimension humaine est déterminante dans sa visibilité car ses valeurs ainsi personnifiées créent un lien affectif, une source d’inspiration et une relation de confiance qui suscitent naturellement l’adhésion, voire l’engagement. Humaniser l’entreprise, c’est lui donner plus de profondeur et de proximité.

Le dirigeant est l’un des principaux visages de l’entreprise. Son rôle est de l’incarner en lui insufflant ses propres valeurs et en prenant la parole de façon régulière sur l’actualité de son entreprise, ses innovations, ses succès, ses distinctions… Son expression est également une excellente opportunité de se démarquer de ses concurrents. Par ailleurs, les réseaux sociaux constituent des médias propices à une certaine liberté de ton pour les entrepreneurs désireux de prendre position sur des sujets moins corporate !

« Sur les réseaux sociaux, les publications de dirigeants reçoivent en moyenne dix fois plus de partages que les contenus de marque. »

Pour conjuguer sincérité et originalité des messages, rien de tel que de donner la parole aux collaborateurs qui sont eux aussi d’excellents ambassadeurs des valeurs de l’entreprise. Valoriser leurs expertises ou leurs réalisations au travers de portraits sur le site carrières, publier des interviews filmées d’experts sur la chaîne YouTube ou le compte Twitter de l’entreprise… Ou encore poster des photos du dernier séminaire d’équipe témoignant de l’atmosphère d’une organisation à laquelle les salariés contribuent tous les jours, sont d’excellents moyens de construire une « marque employeur » efficace. Des contenus qui pourront être partagés spontanément par tous les ambassadeurs de la marque dans un stratégie d’e-advocacy. [à lire aussi : L’Entreprise Incarnée dans toutes ses dimensions]

Pour engager les talents, bâtir une entreprise plus constructive

Le premier réflexe de l’entreprise dans sa course effrénée à la compétitivité, consiste à durcir son niveau d’exigences en interne : toujours plus, toujours plus vite, toujours plus loin… Un réflexe qui met en tension l’ensemble de l’organisation. Pour autant, l’exigence sur le niveau d’exemplarité requis dans le management pour soutenir ces objectifs ne fait que rarement partie du programme... Comment attendre de nos collaborateurs qu’ils soient exemplaires dans leur mission et leurs relations quand leur propre expérience avec leur hiérarchie n’est pas optimale ? Question de bon sens, non ?

Les vertus de l’exemplarité et de la justice managériale

Les effets de l’exemplarité sont multiples, notamment sur l'engagement et la volonté de coopérer. Au niveau managérial, Tessa Melkonian, professeur en Management et Comportement Organisationnel à emlyon business school, définit l’exemplarité comme la capacité d’une figure d’autorité, manager comme dirigeant, à mettre en œuvre à son niveau les comportements qu’il/elle déclare attendre du reste de ses salariés. L’exemplarité, c’est montrer à travers ses propres comportements ce qui est attendu et le chemin à suivre. Des comportements qui doivent évidemment être cohérents avec le discours !

A l’heure où les efforts demandés aux salariés sont de plus en plus importants et où les ressources qui leur sont redistribuées fondent comme neige au soleil, l’exemplarité managériale prend une dimension significative car plus que jamais, les collaborateurs observent les comportements de leur hiérarchie et de leurs dirigeants pour déterminer s’ils répondront aux demandes d’adaptation et de coopération de l’organisation ou si, au contraire, ils ne feront que le strict minimum…

Pour être considéré comme digne de confiance par ses collaborateurs, un manager doit donc non seulement faire la preuve de sa compétence professionnelle, mais il doit également démontrer sa capacité à être exemplaire et juste en toute occasion.

« Un salarié qui se sent justement traité déclare être plus confiant, plus satisfait et épanoui, reste plus longtemps dans l’entreprise, a des comportements de citoyenneté organisationnelle, coopère plus avec ses collègues et produit un service de meilleure qualité. » Extrait de l’article [Etes-vous un manager juste ? Ou juste un manager…]

Pour Thierry Nadisic, enseignant-chercheur en comportement organisationnel à emlyon business school, un manager juste est celui qui sait mettre en interaction quatre sentiments de justice :

Ces compétences sont d’autant plus utiles dans les cas de plus en plus courants où les ressources financières sont rares et doivent être partagées. Aujourd’hui, on observe qu’en entreprise, les incitatifs financiers sont minces, voire nuls ou distribués à tour de rôle. A tel point que le système de rémunération, qui était une source de motivation, devient une source de démotivation pour certains, ou une dimension du travail qui ne suscite aucune attente. Pourtant, au-delà des augmentations de salaires ou des primes, il existe d’autres leviers organisationnels pour développer la motivation individuelle et la mobilisation collective

Le pouvoir de la reconnaissance dans le travail

La reconnaissance procure un sentiment puissant et stimulant qui touche aussi bien l’émetteur que le récepteur. Il existe peu d’outils RH ayant un aussi large éventail de retombées positives. Car la reconnaissance :

La notion de reconnaissance est bien plus large qu’on ne peut l’imaginer et au-delà des augmentations de salaires ou des primes, il existe une multitude de pistes pour développer la motivation individuelle et la mobilisation collective. D'ailleurs, une entreprise ne part jamais de zéro en matière de reconnaissance. Il peut donc être intéressant de commencer par identifier les pratiques existantes, puis de les compléter, afin d'établir une véritable culture de la reconnaissance dans l’organisation.

Pour être efficace, la reconnaissance au travail doit donc être partie prenante de la stratégie de l’entreprise et doit être déployée à tous les niveaux. Car elle n’est pas à sens unique, ni réservée à un groupe restreint de personnes que l’on doit motiver alors que d’autres n’en auraient pas besoin. Elle doit concerner tout le monde.

Pour reconnaître ses collaborateurs, il faut les connaître et donc être capable d’identifier leurs attentes personnelles en matière de reconnaissance. Car la reconnaissance s’exprime à travers des relations humaines. C'est pourquoi il est préférable de favoriser l’expression de la reconnaissance en face à face. Pour être authentiques et sonner juste, les gestes de reconnaissance doivent cadrer avec ses propres valeurs. L’impact sera d’autant plus fort, s’ils sont exprimés dans un délai court et s’ils soulignent le plus précisément possible une réalisation, un effort ou un événement particulier.

Les personnes qui font un bon usage de la reconnaissance au travail sont considérées comme possédant des qualités sociales fortes et génèrent un sentiment de confiance, de loyauté et un désir de travailler à leur côté.

Pour faire grandir les talents, bâtir une entreprise plus solidaire

Une tâche peut être réalisée seule mais pas un travail. Le travail nous inscrit dans un effort collectif. Cette expérience collective du travail se construit à partir des multiples liens humains qui se tissent, à la fois complexes et fabuleux, quand on prend un peu de recul sur l’ensemble des interactions qui ont favorisé la production d’un produit ou d’un service.

L’expérience collective du travail se traduit par la solidarité. Dans leur effort collectif, les collaborateurs sont solidaires entre eux. Cette solidarité est ce qui donne de la valeur au travail entrepris collectivement. C’est la raison pour laquelle elle doit être valorisée. Car prendre conscience de cette solidarité crée une confiance entre les travailleurs indispensable à la poursuite de leur coopération dans la durée.

« Quand on considère ces écosystèmes qui sont les organisations de travail, quand on mesure leurs impacts psychologiques, on demande que les systèmes soient plus résilients, et pour qu’ils soient plus résilients, il faut qu’ils soient davantage fondés sur la coopération » souligne Bruno Roche, philosophe et directeur du Collège Supérieur dans l’ouvrage L’art de coopérer, manager l’entreprise de demain.

La coopération ne s’impose pas, elle s’invite. Et le premier fondement de la coopération est le partage d’un objectif commun, une œuvre à bâtir ensemble, une aventure à vivre en équipe. Cette œuvre commune donne une finalité que l’on peut célébrer. Une réussite collective dans laquelle chacun se reconnaît, dans laquelle chacun identifie sa contribution, exprime ses talents, développe ses compétences, exerce ses responsabilités… Car dans chaque réussite collective, se dévoile une réussite individuelle.

Cette œuvre commune va renforcer un lien essentiel à la coopération, le lien de confiance. La confiance doit être un prérequis en entreprise. Elle engage et favorise naturellement la coopération entre les collaborateurs dans le sens où elle donne une vision positive et optimiste de l’avenir. La confiance libère le dialogue au sein du collectif et ouvre des perspectives d’innovation et de performance.

Du dialogue naissent les solutions

Le changement est devenu la règle dans les organisations et il faut s’adapter continuellement. Dans ce contexte, les solutions aux problèmes ne peuvent s’élaborer que dans un effort commun, par le partage de l’information, par un dialogue permanent pour confronter les objectifs stratégiques avec les réalités opérationnelles.

D’où l’importance de mettre en place des démarches facilitant l’expression des salariés comme les Espaces de discussion sur le travail, avec la volonté de renouer le dialogue autour des problématiques liées au travail. Ces espaces collectifs sont des espaces formels et réguliers co-construits avec les parties prenantes de l’organisation. Ils favorisent une culture de la discussion centrée sur l’expérience du travail et ses enjeux, et visent à produire des propositions d’amélioration ou des décisions concrètes sur la façon de travailler.

Dans son ouvrage Le travail à cœur, Yves Clot, psychologue du travail, insiste sur l’importance du collectif pour débattre du travail « bien fait » : « Une communauté de pratiques qui forme un cercle d’échanges dans lequel on s’intéresse moins aux limites de chacun qu’aux limites de l’activité elle-même… ».

Selon l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) les Espaces de discussion constituent de formidables leviers de performance pour les salariés, l’entreprise et le travail.

[à lire aussi : Les Espaces de discussion sur le travail]

Pour transformer en profondeur les pratiques professionnelles, les réponses traditionnelles en termes de formation sont aujourd’hui insuffisantes. Les entreprises doivent immerger leurs talents dans une culture de l’apprentissage en continu et mobiliser leurs ressources dans des situations de travail capacitantes. Elles doivent devenir « apprenantes ». 

Créer les conditions d’une organisation apprenante

Née des travaux de Peter Senge, professeur au MIT et fondateur de The Society for Organizational Learning, l’organisation apprenante se définit comme une organisation qui développe sans cesse sa capacité à bâtir son futur.

« Des organisations dont les membres peuvent sans cesse développer leurs capacités à atteindre les résultats qu’ils recherchent, où de nouveaux modes de pensée sont mis au point, où les aspirations collectives ne sont pas freinées, où les gens apprennent en permanence comment apprendre ensemble. »

Développer une organisation apprenante permet d’être plus flexible, efficace, rapide et à la pointe des besoins du marché en mettant les collaborateurs au centre de la réflexion. Ils deviennent ainsi acteurs de l'efficience organisationnelle, et ensemble, ils apprennent de leurs erreurs.

La principale caractéristique de l'entreprise apprenante est que tous les acteurs apprennent les uns des autres. Cette communication transversale permet l'émergence de formes d’innovation, d’intelligence collective ou d’adaptation permanente à l'environnement. C'est ce qui assure le développement durable de l'organisation.

Peter Senge distingue 5 disciplines indispensables aux organisations apprenantes :

  1. La pensée systémique : un cadre conceptuel, ainsi qu’un ensemble de connaissances et d’outils, qui permettent de comprendre les phénomènes dans leur intégralité, afin de nous à les changer réellement.
  2. La maîtrise personnelle : basée sur un niveau de compétence élevé et l’aptitude des individus à développer cette maîtrise personnelle en se concentrant sur leurs aspirations les plus élevées.
  3. Les modèles mentaux : un ensemble de croyances qui forgent l’identité des individus comme des organisations. Il nous faut exposer nos modèles mentaux, pour s’assurer qu’ils sont utiles par rapport à la réalité, les tester pour faire apparaître des conflits et le cas échéant, les ajuster.
  4. La vision partagée : la capacité à faire émerger « des représentations du futur » communes à tous, de manière à inciter chacun à l’adhésion et à l’engagement.
  5. L’apprenance en équipe par le dialogue : c’est la capacité des collaborateurs à laisser de côté leurs préjugés et à réfléchir ensemble. Dialoguer implique aussi de repérer les comportements dans les interactions qui gênent la capacité à apprendre de l’équipe.

L’organisation axée sur l’apprentissage est construite comme un système écologique qui stimule l’apprentissage continu à travers le travail.

L’entreprise n’est pas en dehors de la société, elle est la société ! C’est pourquoi elle a un rôle déterminant à jouer dans l’organisation de la vie au travail. Constituée d’hommes et de femmes animés par des aspirations sociales renouvelées et portés par un élan de « vivre ensemble » inégalé, l’entreprise est responsable de la qualité du lien social qui s’y inscrit.

En invitant ses collaborateurs au dialogue et à l’apprentissage continu au cœur du travail, elle leur donne l’espace pour se confronter à la réalité vivante du travail, et légitimer leur action dans la construction d’un bien commun auquel chacun donne du sens et à l’origine de toute communauté harmonieuse et solidaire. Car aujourd’hui, le sens ne se délivre plus comme une prescription élaborée par une figure d’autorité. La transmission hiérarchisée des valeurs et du sens a cédé la place à l’échange et l’apprentissage entre pairs.

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