8 septembre 2025

Rouvrir des possibles, quand les lendemains ne chantent plus…

Il n’existe rien de pire que se sentir bloqué, enfermé, dans une situation qui manifestement ne vous convient plus, ne vous correspond plus. Peut-être avez-vous évolué ; en conséquence de quoi votre environnement est devenu trop étroit ou obsolète. Peut-être est-ce votre environnement qui s’est dégradé, ne vous procurant plus les conditions nécessaires à votre épanouissement. Quelles que soient les raisons de la perte de sens qui vient vous assiéger, il vous faut agir, bouger, pivoter, comme vous y engage la moindre de vos cellules…

Pourtant, vous avez la sensation d’être pris dans des sables mouvants. Vous vous enfoncez inexorablement. Pire, la moindre gesticulation, au prix d’efforts considérables, vous enferre davantage ! Comment ne pas se laisser engloutir ? Il faut se désensabler tout doucement, une jambe après l’autre, afin de remettre en mouvement les grains de sable dans l’eau, tout en s’étirant vers le haut. Cela nécessite de la patience et de la persévérance dans ces petits mouvements, presque anodins, sur lesquels récidiver encore et encore. Et si c’était la clé pour vous sortir de votre léthargie ?

Dans son ouvrage « Rouvrir des possibles », le philosophe François Jullien parle d’adhérence lorsqu’il évoque cet enlisement dans lequel vous vous trouvez. Trop longtemps au même endroit, dans le même statut, le même métier, vous avez littéralement pris racine, au point de vous oublier. Anesthésié pour supporter l’habitude, le confort illusoire et derrière lui, ces petites frustrations, ces insatisfactions du quotidien, que vous tolérez sans protester. Jusqu’au moment où subrepticement, ces empêchements ont raison de la dernière fibre de sens qui vous tient encore debout. Et là, c’est l’effondrement !

Tout en vous dit « STOP », « ça suffit » ! Pourtant vous semblez ne pas entendre les hurlements de votre corps : douleurs, palpitations, anxiété, insomnies, blessures plus ou moins sévères... Assourdi par votre mental tout puissant, vous êtes coupé des signaux d’alerte de votre organisme. Vous êtes plus fort que ça ! C’est bien peu de choses ce qui vous arrive. Ça va passer…

Non, ça ne passera pas ! Ce processus décrit l’inexorable basculement vers l’épuisement, le burn-out, ce syndrome qui ne dit pas son nom et qui vient vous frapper à force d’étouffer sous les contraintes. Ne voyant aucune perspective au bout de ce tunnel sombre et angoissant, vous finissez par dés-apparaître. C’est bien souvent une personne extérieure, qui, vous voyant doucement vous étioler, finit par sonner le glas de cette lente agonie. Écoutez ces lanceurs d’alerte bienveillants ; ils sont votre bouée de sauvetage. Ils savent trouver les mots pour générer le sursaut de vie dont vous avez besoin pour vous en sortir.

Car il s’agit bien de quitter le mode survie dans lequel vous vous êtes inconsciemment réfugié depuis trop longtemps, de faire une percée hors de ce soi diminué, déprécié, pour réapprendre à exister. Exister étant plus que vivre puisque c’est une vie en essor. Selon son origine latine, ex-sistere signifie se tenir hors.

Cela nécessite de vous décaler de la situation telle que vous la vivez dans le présent. Démêler votre vie comme un observateur extérieur pour chercher à repérer ce qui obstrue le présent, ce qui y fait blocage, localement, au plus près du réel. Cela demande de s’extraire un temps de ce présent aliénant, de prendre un peu de hauteur de vue pour en distinguer les principaux obstacles, les incohérences majeures, les conformités prescrites… Cette prise de recul, cette pause dans le présent est plus que nécessaire pour défaire cet ordre établi qui entrave, qui a créé une espèce de zone morte d’où rien de nouveau ne peut se créer.

François Jullien nous invite à « ouvrir un écart vis-à-vis de son état présent de conscience et même y faire effraction ».

Bien que vous ayez probablement besoin d’un regard extérieur pour prendre conscience de l’urgence de quitter la situation dans laquelle vous êtes enclavé, c’est seulement de l’intérieur que vous pouvez amorcer un écart, vous décaler de la direction prise. C’est en éclairant du dedans la situation bloquée qu’il est possible d’y faire effraction.

Sortir de sa pensée périmée, nécessite tout d’abord de s’en décaler par petits bougés, autrement dit décoller de son adhérence pour commencer à pouvoir penser autrement. En décelant l’origine du blocage, on peut se desceller de la situation stérile, se décaler de sa vie passée.

Ce geste quasiment chirurgical demande une intelligence aiguë de l’état des choses dans le présent et une infinie précision dans la réponse apportée. C’est à l’endroit où vous avez détecté les zones caduques, déjà un tant soit peu fêlées, que vous pouvez commencer à fissurer.

François Jullien aime citer la formule de l’écrivain Alexandre Soljenitsyne : « C’est quand même avec des fissures que commencent à s’effondrer les cavernes ».

À l’opposé de la rupture, rapide et spectaculaire, la fissuration, est discrète et processuelle. Certes, la rupture est admirable par son geste héroïque, mais jusqu’où est-elle efficace ? Plus une rupture est grande, plus elle provoque de réaction, à l’extérieur comme à l’intérieur. Un tel renversement déclenche déstabilisation, résistance, peur, hostilité : il maintient dans un inconfort, au risque de revenir à la situation d’origine.

Lorsque vous n’avez aucune prise sur la situation que vous vivez dans le présent, seul fissurer localement peut vous redonner un pouvoir d’agir. Fissurer n’est pas seulement refuser ; c’est introduire une brèche, si minime soit-elle, dans le réseau tout entier. La fissure ne se perçoit guère. Elle est discrète mais d’emblée opérante. Il faut déjà ouvrir une brèche, amorcer un écart, pour commencer à se détacher de la voie prise et sortir de l’impasse.

Ouvrir un écart vis-à-vis de la situation affrontée permet de fissurer ce qui l’a figée dans son inacceptabilité. L’écart fait apparaître de l’entre, une distance entre ce qui coince et un nouveau possible.

La fissure pénètre localement la zone caduque et la fragilise. Par petits écarts successifs, par petits bougés progressifs opérés au sein même de cette fissure, vous mettez de la distance avec ce qui bloque. Ce faisant, vous rouvrez des possibles dans cette situation bloquée, vous la repossibilisez.

Fissurer le présent requiert de l’obstination car les résultats ne sont ni immédiats, ni spectaculaires ! Attention à ne pas vous laisser gagner par le découragement et à garder de la distance avec ceux qui vous presseraient de bousculer le déroulement des événements, ou qui vous placeraient dans une injonction de résultats. Restez focus sur le processus de fissuration à l’œuvre et confiant dans sa puissance active. Soyez attentifs aux signaux faibles qui se profilent au gré du chemin. Car en ouvrant un écart dans la situation présente, vous laissez entrer du nouveau à chaque pas. Vous cédez la place à une alternative, vous vous frayez un ailleurs

Pour François Jullien : « Cela signifie recharger la situation même en possible, y faire reparaître des ressources non encore explorées. »

En décoinçant la situation qui était bloquée, en la fissurant, on remet des possibles en chantier, c’est-à-dire qu’on la recharge en potentiel. Soyez prêt à vous laisser surprendre ! Car on ne connaît rien de ce possible, il est indéterminé, il est inédit. Et c’est justement parce qu’il fait émerger des ressources encore in-envisagées que de l’inouï peut émerger.

Honorer chacune des ressources dont vous vous trouvez augmenté, célébrer chacun des pivots qui vous a progressivement dégagé de l’enlisement, permet de prendre conscience de l’intensité du processus à l’œuvre. Ils constituent les marqueurs d’une bifurcation en cours, d’une rupture en potentialité, d’une transformation qui s’opère, pour vous rouvrir un avenir.

Comme souvent, ce livre est venu créer en moi une résonance, mettre des mots et de la signification sur des événements vécus. Après plus de vingt-cinq ans dans la communication, une voie choisie dans laquelle j’ai pu évoluer avec curiosité et plaisir, je me suis trouvée soudain bloquée. J’étais dans une impasse dans le poste que j’occupais et toutes mes tentatives pour rebondir ailleurs dans mon activité restaient vaines.

J’ai cru longtemps que la communication ne voulait plus de moi… Et j’ai résisté à cette situation inconcevable, comme enfermée dans une pièce exigüe sans fenêtre. Plus je cherchais à m’extraire de ces quatre murs, plus je m’y fracassais ! Il m’a fallu des années pour finalement admettre que c’est moi qui ne voulais plus de la communication dans ma vie. J’étais arrivée au bout de cette histoire professionnelle. Il me fallait accepter cette réalité pour entrevoir de nouveaux possibles.

A la lumière des travaux de François Jullien sur la fissuration. Je comprends aujourd’hui comment cette perte de sens s’était insinuée quelques années plus tôt, à l’épreuve d’un premier choc professionnel : une douloureuse période de harcèlement moral. Cette crise a provoqué doutes et questionnements, commençant à fissurer une carrière qui semblait pourtant bien installée. Trop peut-être ! La graine de la remise en question était semée. Sournoisement, le poison s’est propagé, accéléré par un contexte professionnel très contraint. Le second choc était inévitable ; comme programmé. Le burn-out est venu fracturer une situation déjà fissurée.

Le séisme causé par le burn-out a eu comme principal effet de creuser ce qui n’était encore qu’une frêle fissure pour ouvrir une brèche béante. Dans cet effondrement d’un passé révolu, dans la confusion d’un avenir sans forme, à ce moment-là, j’ai su ce que le présent me réservait. Pas de façon très distincte, juste un filet de lumière qui semblait me montrer une direction, me donnait l’élan d’avancer.

Sept années se sont écoulées et j’ai avancé, un pas après l’autre. Changer de métier pour me sentir utile à nouveau. Quitter le salariat pour trouver la liberté de créer une activité dont les contours allaient se préciser au gré de mes rencontres. Me dépasser pour continuer à évoluer, à grandir. À chaque obstacle, apprendre et remonter en selle, rechargée en énergie. Tâtonner, pivoter, encore et encore, jusqu’à trouver le déclic, l’alignement, quand s’ouvrent des possibles. Enfin sentir qu’on est chez soi, à sa place.

Tout en ayant compris que cette place est impermanente, qu’elle est évolutive. Sans quoi, au fil du temps, il se produira une nouvelle adhérence, un nouveau blocage qu’il faudra fissurer…

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2 comments on “Rouvrir des possibles, quand les lendemains ne chantent plus…”

  1. This text deeply resonated with me, especially the idea of fissuration as a subtle yet powerful way to break free from burnout. The authors personal journey made the concept relatable and hopeful.

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Je suis Valérie Charrière-Villien

Je suis une exploratrice ! Animée par la communication humaine et l'engagement, j'aime faire émerger ce qui se joue dans l'organisation et les relations au travail, en clarifiant les intentions personnelles qui sont à l'œuvre. Et ainsi, permettre à chacun.e de passer du JE au NOUS avec énergie et impact.
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