6 janvier 2025

Enquête sur le sens, dans la vie…

Je lis régulièrement des articles sur le leadership exhortant dirigeants et managers à « bâtir du sens » pour guider leurs équipes à travers notre époque incertaine et frénétique. Cette incitation à « bâtir » du sens sous-entend qu’il est un objet extérieur, une matière qui se construit, un quelque chose que l’on a, ou pas, que certains donnent et d’autres reçoivent… Comme un trésor qui passerait d’une main à l’autre. Pourtant, en remontant le fil de ma propre trajectoire de sens, j’ai pu me forger une conviction : le sens vient de nous et de personne d’autre ! Le sens est une énergie vitale que nous portons tous en nous, dont la circulation est parfois entravée ou rompue. Le sens perdu nous invite à nous mettre en chemin pour retrouver sa trace. Le non-sens est du sens devenu inaudible, masqué par le brouhaha du monde, noyé sous les dissonances professionnelles. Il reste bloqué, empêché, attendant un retour à la cohérence, un nouvel alignement.

Il y a six ans, face à l’absurdité qui régnait dans mon environnement de travail, j’ai perdu le sens ! Pour le retrouver, il m’a fallu enquêter au plus profond de mon désir, dans mon cœur, et rassembler des bribes de sens éparses qui se trouvaient là. Depuis, je mets ma quête de sens au service de toutes celles et ceux qui, comme moi, un jour l’ont cherché désespérément. Et pour décrypter ce qu’a été mon propre pèlerinage vers le sens, j’ai trouvé un formidable guide dans l’ouvrage du philosophe Pascal Chabot : Un sens à la vie.

Notre époque frénétique et incertaine cherche du sens, bien plus que les précédentes caractérisées par le devoir de loyauté et la subordination à la hiérarchie. Si le sens est tellement désiré aujourd’hui, c’est que dans la pratique, c’est son contraire, la contradiction qui règne, et toujours plus à mesure que le monde se complexifie. Quand les contradictions sont trop nombreuses, elles créent une dissonance majeure qui rend l’existence subitement absurde. Car le sens naît d’un besoin profond de maintenir une cohérence dans notre vie, de trouver un peu d’ordre dans le chaos ambiant.

Vivre ne consiste pas seulement à exister, à se laisser porter par notre système biologique, mais à exister de manière « sensée ». C’est pourquoi certains ont l’impression de passer à côté de leur vie, tant leur désir de cohérence et d’alignement est ignoré. Car le sens se niche au cœur du réacteur, dans les profondeurs de notre désir, comme un sanctuaire dont le passage est resté secret.

Rien n’est moins simple que de trouver du sens, même les philosophes peinent à la tâche. Alors, quand l’un d’entre eux, tel Pascal Chabot, en esquisse le chemin d’accès, il nous revient de partager cette chasse au trésor !

C’est quand le sens vient à manquer que l’on prend conscience de ce qui est perdu. On vivait dans un monde sensé, et le voilà insensé. L’absence de sens souligne la place laissée vacante par cet essentiel désormais inaccessible. Le manque révèle impitoyablement ce qui était crucial dans notre vie, que l’on se met à regretter.

La recherche de sens est une aventure passionnante. Derrière nos rencontres, nos conversations, nos lectures, nous guettons, nous scrutons la venue du sens. Parfois, à travers quelques mots qui sonnent juste, transportés par une éclatante expression de joie, on a l’impression de s’en rapprocher. Le sens est là, celui-là même qu’on attendait, qu’on cherchait partout. Le voilà si proche, presque à portée de main. Alors que l’on se sent prêt à le toucher... soudain, le sens éclate, comme une bulle de savon.

S’il peut paraître volatile, c’est que la question du sens se joue dans le subtil. Il est une dimension sous-jacente qui tisse les trames fondamentales de notre rapport au monde. Le sens parle de ce qui est essentiel pour nous dans tout ce que nous vivons. Il pointe ce qui nous importe par-dessus tout et, en cela, il participe au chatoiement de notre existence. Le sens s’incarne au pluriel ; il n’y a jamais un seul sens à la vie ! Chaque individu résonne d’une constellation de sens : un archipel composé des désirs qui forgent l’essence de sa vie.

« Le sens n’est pas un but en soi. Dans le sens de la vie, c’est la vie qui compte. Mais une vie sensée, pour bien faire… »

La quête de sens est fondamentale : elle exprime l’existence d’un désir de sens, vital pour chaque individu comme pour toute société. Ce désir de sens aimante et oriente ; il est une énergie qui circule en nous et autour de nous, et qui pousse à vouloir sentir, comprendre et aller de l’avant. Exister, c’est désirer du sens, en toute circonstance, au travail, en amour, dans nos relations, bref, dans toutes nos activités.

Pour percevoir et déceler le sens, nous avons un sixième sens, qui serait comme le sens du sens. Un sens qui signale que la vie va dans la bonne direction. Ainsi, le sens circule entre trois polarités :

  • Il y a d’abord ce que l’on sent, c’est-à-dire le sens comme sensation.
  • Il y a ensuite ce que l’on comprend ou exprime, c’est-à-dire le sens comme signification.
  • Enfin, le sens qui exprime la direction, l’orientation : « Dans quel sens aller ? ».

Il y a du sens quand ce qui est senti (sensation) peut être interprété et compris (signification) et aligné avec un devenir (orientation). De même, il y a du sens quand la direction prise est compréhensible et sensible. Ou encore, quand le message émis peut s’accorder à un devenir et générer des sensations. C’est cela, « faire sens » : circuler entre ces trois pôles. La communication entre les pôles est continue, fluide, évolutive. Tout sens est une circulation et, à l’inverse, tout non-sens est un blocage. Sensation, signification et orientation divergent, alors, le sens manque.

« Sans cesse, des sensations, des significations et des orientations se mêlent et se répondent, les unes relançant les autres, qui à leur tour se répercutent sur les premières. »

L’évidence du sens tient à ces milliers de circuits hyper-complexes où s’échangent ce que nous sentons, comprenons et devenons. Le sens est ainsi un fluide qui circule dans tous les aspects de notre existence et nourrit les circuits dans lesquels nous évoluons en tant que vivant.

Il nous revient de chercher à mieux comprendre les circulations de sens entre les trois pôles des sensations, significations et orientations, et grâce à cette compréhension, de faciliter ces circulations. Avoir une vue plus claire de la genèse du sens et de la façon dont il transforme notre existence nous permet d’en prendre soin. Il nous appartient donc de favoriser la création et le maintien d’îlots de sens en trouvant l’alignement entre ce qui est ressenti, compris et désiré.

Chercher du sens, c’est chercher à recentrer, à réunir, à rassembler ce qui est épars. En cherchant le sens, nous cherchons donc un alignement, une résonance, particulièrement entre ce que nous sentons, ce que nous comprenons et ce vers quoi nous évoluons.

La sensation est la matrice du sens de la vie

L’expérience de vivre, nous la sentons et la ressentons. Nous touchons le monde, écoutons son murmure, voyons ses projections… Toutes les informations issues de nos cinq sens s’agrègent pour façonner notre sensibilité. C’est notre corps qui sent, et au fond, c’est lui qui vit. La rationalité des humains leur fait voir leur corps comme un instrument docile auquel ils délèguent la charge d’incarner leur existence. Mais c’est là renverser l’ordre logique puisque le corps est premier, et ce sont les informations du corps qui nourrissent la conscience.

C’est toujours au présent que l’on vit, c’est dans l’ici et maintenant que se joue notre existence. Et c’est en sentant la vie en nous que nous devenons capables de discerner le sens. Cependant, le monde du senti est un monde fugace. Nous touchons, voyons, éprouvons ce qui nous entoure, mais ces innombrables contacts physiques sont aussitôt remplacés par d’autres. Si nous ne vivions que dans la sensation, nous habiterions un éternel présent, fait de changement et de renouvellement. L’expérience du monde serait un flot ininterrompu d’impressions sensorielles sans consistance…

Faire le pont entre sensation et compréhension

Or ces impressions, nous les mémorisons, les classons et les nommons avec ces étiquettes que sont les mots. Ainsi, nous stabilisons ces sensations éphémères, ce qui leur donne une consistance. Les sensations se voient interprétées par ce langage qui nous fabrique. Car le langage nous façonne bien plus que nous le façonnons.

« Quand nous parlons, c’est la société qui s’exprime en nous, elle a qui nous empruntons ces véhicules de sens que sont les mots. »

Il y a deux mondes, celui du senti et celui du dit. Vivre, c’est passer sans cesse de l’un à l’autre, c’est voir et dire, c’est percevoir et théoriser, c’est sentir-penser. Nous cherchons des mots pour nommer ce que nous vivons. L’accord entre ces deux mondes, entre l’éprouvé et le pensé, s’apparente à un processus d’unification de nous-même. Nous émergeons d’une relation entre nos sensations et nos compréhensions. Les choses ont du sens pour nous lorsque notre raison est alignée avec nos sensations et nos émotions.

Pour autant, toucher le sens en faisant résonner sensation et signification ne suffit pas. Ici, l’individu ne fait pas qu’exister, verbe qui vient du latin stare, signifiant « se tenir debout ». Rester droit sur ses pieds ne suffit pas. L’être est celui qui va : exister, c’est aller.

Esquisser une direction, tendre vers une destination

Le sens suppose un déplacement, donc un devenir, une évolution. On va vers, on se transporte. Exister, c’est avoir de l’allant, se laisser pousser par un élan vital. La direction devient progressivement une destination. En nous connectant à l’énergie du sens pour nous mettre en mouvement, nous nous trouvons magnétisés par ce que nous aimerions atteindre.

« Le sens alors n’est plus seulement une direction. Il est un « là-bas », une destination que l’on choisit et qui justifie les efforts dans sa direction. »

D’hier à aujourd’hui, du sens passe, qui circule aussi vers l’avenir. Il met constamment en communication ce que nous étions, ce que nous sommes et ce que nous serons, comme s’il cherchait une continuité entre ces différentes versions de nous-même. Les trajectoires de sens rassemblent le présent de la sensation, le passé des orientations reçues et le futur des destinations à venir.

La vision du futur attire, elle magnétise. Ce qui pourrait advenir alimente le désir, la volonté. La représentation positive du lendemain énergétise, là où l’absence d’imaginaire déprime. Le sens irrigue le chemin qui mène vers l’espérance d’un avenir désirable.

En cherchant le sens, nous refusons l’écartèlement, nous luttons contre cette distanciation incessante qui nous excentre, pour tâcher plutôt de rassembler. Cette cohérence que nous cherchons à travers le sens, nous permet de nous rapprocher fondamentalement de qui nous sommes, à travers ce que nous désirons.

Le dialogue mené journellement avec soi-même est une façon d’explorer ses circuits de sens, d’en comprendre les rouages et de fluidifier la circulation du sens. En nous racontant, nous accédons à une cohésion intime ; nous accouchons de nous-même par les mots. C’est en racontant nos histoires que nous créons du sens, car les significations n’adviennent qu’avec le langage.

Pour se révéler, cette intimité-là cherche bien souvent à s’extraire d’elle-même ; elle vise le dehors. Le sens est ce tremplin qui nous mène au-delà de ce que nous sommes. Nous reliant à autrui, il est l’essence de nos relations. C’est en créant du commun que le désir de sens trouve à se sublimer.

Le témoignage de sens est à double face : il transmet aux autres une part de notre vérité tout en se dévoilant à nous-même. Il n’y a pas un sens préexistant qui serait injecté dans la vie. Le sens est en train de s’écrire dans notre relation au monde. Tout ce que nous vivons avec le cœur le façonne jour après jour.

« Il faut de la passion pour trouver le sens. Peu importe ce que l’on fait de notre vie pourvu que nous aimions le faire. »

La marque de ce qui fait sens, c’est l’exaltation, le fait d’être captivé par un projet ou d’y adhérer entièrement, qu’il y ait dépassement. Le sens réclame l’engagement dans quelque chose de plus grand que soi : une cause qui nous dépasse, toute chose transcendant la personne, pourvu que le cœur y soit.

2 comments on “Enquête sur le sens, dans la vie…”

  1. Merci Valérie pour le partage de cette enquête... riche de sens !

    A propos des trois polarités : sensation / signification / orientation, pourrait-on les représenter ainsi : le présent (= notre ressenti à l'instant t) / le passé (= notre compréhension de l'impact du passé sur notre présent) / futur (= notre direction) ?

    Pour en rediscuter, avec grand plaisir 😉

    Bonne année 2025, remplie de sens et de bien-être !

    1. Merci Pierre, pour ton feedback et pour tes vœux. Que 2025 te hisse à hauteur de tes rêves !!!
      En effet, le sens circule du passé vers l'avenir en passant par le présent, sans cesse. Il met constamment en communication ce que nous étions, ce que nous sommes et ce que nous serons, comme s’il cherchait une continuité entre ces différentes versions de nous-même.
      Au plaisir de partager sur ce sujet passionnant...

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Je suis Valérie Charrière-Villien

Je suis une exploratrice ! Animée par la communication humaine et l'engagement, j'aime faire émerger ce qui se joue dans l'organisation et les relations au travail, en clarifiant les intentions personnelles qui sont à l'œuvre. Et ainsi, permettre à chacun.e de passer du JE au NOUS avec énergie et impact.
Connecter les individus et les équipes à leurs aspirations profondes est un formidable accélérateur dans l'accomplissement de leurs projets professionnels comme personnels, et un véritable levier de performance.

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