Cette période de vacances estivales est propice au lâcher prise, soit parce que le rythme ralentit du fait des personnes en congés, soit parce qu’il est temps de s’accorder un temps de pause prolongé. Pourtant, nous avons un mal fou à ralentir, à réduire la cadence. Je me souviens avoir régulièrement souffert de vertiges la première semaine de mes vacances d’été. Comme si la tension dans laquelle j’avais entraîné tout mon organisme pendant des mois provoquait un choc d’équilibre au moment de m’arrêter pour me reposer. Lancés dans ce mouvement irrépressible de « faire », nous en avons presque oublié comment ne rien faire…
Voilà des mois que je m’entraîne à lâcher prise. Un exercice difficile lorsque l’on est indépendant car les lendemains sont incertains ; on a peu de visibilité. Alors, comme beaucoup, j’ai tendance à m’étourdir dans le « faire », pour être visible, pour susciter l’engagement, pour me sentir exister. Ce phénomène, je le côtoie également auprès des personnes que je rencontre ou que j’accompagne.
En transition professionnelle par exemple, à peine sorties de leur ancienne activité, elles se lancent dans une course effrénée pour rebondir, dans une nouvelle activité, dans un nouveau projet, sans se laisser le temps de se ressourcer, de faire le bilan, de s’inspirer et de faire la place à leur désir émergeant.
Combien de fois je m’entends répondre par mes interlocuteurs en entreprise que, oui, il est crucial d’aller questionner le désir de travail auprès de leurs collaborateurs, en profondeur. Mais dans un environnement en flux tendu, il n’y a pas l’espace, pas le temps… Et on reprend la course folle, la gesticulation incessante, faire toujours plus de la même chose, pour quel résultat ?
Cette semaine, j’ai été frappée par la publication d’un sauveteur en mer qui alertait sur le danger des courants de baïnes à l’océan. Les baïnes sont des bassines d’eau calme en surface, qui masquent des courants sous-marins très puissants emportant les nageurs vers le large sans qu’ils puissent y résister. Les personnes qui se font piéger par une baïne ont tendance à nager de plus en plus fort à contre-courant pour regagner le sable et finissent pas s’épuiser, voire se noyer. La seule solution lorsque l’on est piégé par une baïne est de se laisser porter par le courant, sans faire d’efforts, jusqu’à ce qu’il diminue. Les forces ainsi préservées nous permettent de nager en retour jusqu’à la plage.
Cette situation me touche d’autant plus que je l’ai vécue lorsque j’avais dix ans au Portugal, avec une grosse peur à la clé ! Cette croyance qu’il faut nager à corps perdu pour sortir de l’incertitude est encore profondément ancrée et me poursuit dans ma vie professionnelle. J’ai donc décidé de la remplacer par un sentiment plus puissant à travers cette image : sentir la légèreté de me laisser porter par le courant de la vie que j’ai créée.
À l’aube des vacances, j’ai envie de vous partager cette énergie-là. Je sens qu’il est temps de me reposer sur tout ce que j’ai construit jusqu’ici avec patience, toutes les graines que j’ai semées avec application, toutes les personnes que j’ai rencontrées avec conviction. Moi qui adore profiter de l’été pour nager en mer, j’ai hâte d’y replonger pour sentir combien je suis légère, dans ce courant porteur et puissante à traverser la force des vagues.
C’est ça, apprendre à se laisser porter par le courant de la vie, être dans une tension dynamique entre robustesse et vulnérabilité. Sentir s’il est temps de faire appel à notre robustesse pour se maintenir debout face aux perturbations de notre environnement ou si la vulnérabilité est de mise, pour nous adapter aux événements. En me laissant porter par le courant, je m’adapte aux éléments tout en étant consciente des signaux faibles pour me remettre en mouvement, dans la direction qui est bonne pour moi.
Nous pensons, à tort, qu’être dans l’action, c’est être robuste. Or, si nous oublions d’« être » dans le « faire », nous prenons le risque de nous épuiser, comme le hamster dans sa roue. Récemment, j’ai croisé la route d’une personne en transition professionnelle, très occupée à tester des outils, à se former à de nouvelles applications…, pour rebondir dans sa vie professionnelle. Plus elle se rapprochait de la fin de ses droits à France Travail et plus son appétit de « faire » devenait frénétique. Or, au fil de la discussion, j’ai découvert que pendant cette période de transition, elle avait négligé de se questionner sur qui elle voulait « être » dans sa nouvelle activité.
Pour la plupart, le monde du travail nous a formatés à être performants. La course à la performance nous a ainsi conduits dans des logiques d’optimisation où le temps court s’est imposé. Nous avons appris à être toujours dans le coup d’après, dans une tension du « faire » irrépressible, pour cocher les cases des tableaux de bord, pour être au même rythme que les autres - car il est de bon ton d’être très occupé -, pour être reconnus par un management indifférent…
Bref, en faisant, nous avons l’impression d’exister. Car, aux yeux de la société, plane l’idée qu’être « inactif » revient à être « inutile ». Or, nous avons besoin de vide pour créer. Nous avons besoin d’une page blanche pour imaginer un ailleurs. L’horizon doit être dégagé pour percevoir les signaux faibles. Dans notre course effrénée à faire, tous nos cerveaux sont focus sur l’action en cours. Nous sommes à moitié aveugles et sourds.
Ne craignons pas le vide, le rien. Ils sont nos alliés pour se laisser porter par le courant et sentir où est notre place, s’envisager autrement. S’extraire de l’injonction du « faire » nous permet d’« être » pleinement soi, d’entrevoir un au-delà de soi, de dépasser notre cadre de référence. Cet état suspendu donne une hauteur de vue pour surplomber le champ des possibles, une forme de souplesse pour s’agrandir et voir à hauteur de nos rêves.
Excellent article et tellement vrai!
Merci Nathalie pour ce feedback.