Dans l’époque particulièrement bouleversée que nous traversons aujourd’hui, chaque crise, qu’elle soit climatique, politique, démocratique, sociétale, économique…, est activée par son lot de peurs et de croyances. Peurs et croyances constituent à la fois la source et le carburant des crises que nous vivons. En attisant les peurs, on désorganise les systèmes, on stresse les organisations, on fragilise les individus pour mieux les manipuler. D’où viennent ces peurs qui nous débordent au-delà de la raison et nous rendent si facilement manipulables ?
Les peurs et les croyances sont au cœur du dysfonctionnement de chaque être humain. Indispensable à notre survie, le mécanisme de la peur fait souvent fausse route, stimulé par l’incapacité de notre cerveau à toujours bien différencier le réel et l’imaginaire. C’est là que l’ego entre en scène, dans cet espace inconscient dans lequel nous sommes immergés la majorité du temps, entre réel et illusion.
Apprivoiser ces peurs imaginaires et les croyances qui en découlent n’est pas chose aisée. Il nous revient de les déjouer lorsqu’elles prennent possession de nous, pour voir au-delà des masques d’ego qui nous travestissent et nous éloignent de la réalité au présent. Cependant, soyons vigilants, car notre ego risque fort de faire de la résistance !
Pour vous guider dans cette chasse à l’ego, je me suis inspirée de l’un des rares ouvrages qui traite de façon approfondie de ce mécanisme inhérent à la nature humaine : « Nouvelle Terre » d’Eckhart Tolle. L’auteur y explore la folie dangereuse dans laquelle l’humanité est plongée aujourd’hui, et la part de notre identification erronée à l’ego dans cette situation désastreuse. Il nous éclaire également sur notre capacité à nous libérer de l’ego pour cheminer avec confiance dans nos relations, dans nos projets et dans notre vie en général.
J’ai choisi depuis plusieurs années de débusquer les peurs et les croyances qui bloquent les individus dans le contexte du travail, en diagnostiquant les filtres d’ego qui sont à l’œuvre. Et j’observe chaque jour de nombreuses confusions à son sujet. Pourtant, le phénomène de l’ego n’est pas nouveau. Ce dysfonctionnement originel a été largement étudié par les philosophes, les psychologues, les anthropologues depuis des milliers d’années. Seulement, le voilà aujourd’hui amplifié par la science et la technologie, à tel point qu’il devient une réelle menace pour l’équilibre de l’humanité tout entière.
Notre vision de nous-même, des autres et du monde, largement déformée par le prisme de nos peurs et de nos croyances, crée un environnement propice au développement de l’ego et ainsi, donne lieu à un nombre croissant de crises aiguës, de turbulences et d’effondrements. La très grande majorité de nos peurs s’élaborent à partir de suppositions angoissantes qui ne sont que de simples pensées. Notre monde intérieur dispose d’un véritable studio de montage permettant à notre mental d’élaborer des scénarios terrifiants et pourtant, incroyablement crédibles. Les émotions qui nous traversent ont ainsi pour origine notre interprétation de ce que nous ressentons. Et plus nous adhérons à nos peurs, plus nous les renforçons ! D’autant que notre imagination est largement fécondée par les informations que nous déversent en permanence les réseaux sociaux et les médias.
Comme l’évoque Eckart Tolle : « lorsque nous essayons de changer la réalité extérieure, sans avoir auparavant changé notre réalité intérieure, c’est-à-dire notre état de conscience par rapport aux situation réelles que nous vivons, nous traçons des plans sans tenir compte de l’engramme de dysfonctionnement porté par chaque être humain, sans tenir compte de l’ego ».
Il est difficile de ne pas s’identifier à la voix dans notre tête, cet incessant flot de pensées involontaires, compulsives, et d’émotions les accompagnant ; à tel point que nous sommes littéralement possédés par notre mental. Aussi longtemps que nous restons inconscients de ce phénomène, nous prenons le penseur en nous pour ce que nous sommes. Or, il s’agit en fait de l’ego. Nous lui donnons le nom d’ego car il s’agit du « je », du « moi » dans chaque pensée qui nous conduit à nous comparer sans cesse, en mieux ou en moins bien : « tu es trop ci », « tu n’es pas assez ça ».
L’ego est fait de pensées et d’émotions, d’un fatras de souvenirs auxquels nous nous identifions en tant que « moi et mon histoire », de rôles que nous jouons sans le savoir, d’identifications personnelles aux possessions, aux opinions, à l’apparence, aux vieux ressentiments, aux réussites, aux échecs…
Lorsque chaque pensée absorbe toute notre attention, lorsque nous sommes totalement identifiés à cette voix et aux émotions qui l’accompagnent, que nous nous perdons dans chaque pensée et nous laissons déborder par chaque émotion, nous sommes sous l’emprise de l’ego. Reconnaissons-la pour ce qu’elle est, c’est-à-dire la voix dans notre tête, rien de plus qu’un schéma mental conditionné, une pensée. Prendre conscience que cette voix dans notre tête est la voix de notre ego, qu’elle parle au nom de nos peurs et de nos croyances, permet de prendre de la distance avec l’histoire qu’elle nous raconte.
« Quelle libération de réaliser que la « voix dans ma tête » n’est pas ce que je suis ! »
Derrière le bug de notre mental, activé par nos peurs, pour notre survie, se cache l’épreuve du manque. L’ego, pour se sentir en sécurité, a tendance à assimiler l’avoir et l’être : « j’ai donc je suis ». En se nourrissant de l’avoir, l’ego réagit à une inclination au « pas assez » inscrite dans nos gènes. Ce profond sentiment d’insatisfaction, d’incomplétude, exprimé par notre ego dans « je n’ai pas assez encore » veut dire en réalité « je ne suis pas assez encore ».
L’avoir est une fiction créée par l’ego pour se donner une consistance et pour se distinguer, se rendre spécial. Étant donné que nous ne pouvons pas nous réaliser dans l’avoir, l’ego est animé par un besoin supérieur, celui d’en avoir plus, que l’on pourrait aussi appeler le vouloir. Ainsi, cette maigre satisfaction d’avoir est toujours supplantée par le besoin d’en avoir plus, comme une drogue.
Peu importe ce que nous acquérons, cela ne suffit pas à nous satisfaire. Nous sommes toujours en quête de quelque chose d’autre qui promet de mieux combler ce sentiment de manque que nous ressentons en nous. [à lire aussi : « Le désir est l’essence de l’homme… sa source est inépuisable ! »] En amalgamant l’avoir et l’être, l’ego nous plonge dans une quête sans fin qui nous éloigne de la recherche de notre vraie nature.
Même si le visage de l’ego varie d’une personne à une autre, son fonctionnement est toujours le même : il se nourrit de division. Dans le jeu inconscient de l’ego, on trouve l’habitude compulsive à se plaindre des autres et à leur donner tort. Car quand nous sommes dans l’ego, critiquer et condamner les autres est une façon de se sentir important, de se sentir supérieur.
La récrimination est une des stratégies que l’ego préfère pour se renforcer. Chaque doléance est une petite histoire que le mental invente et en laquelle nous croyons complètement. Que nous nous plaignions à voix haute ou en pensée ne fait aucune différence. Il peut même arriver que le défaut que nous percevons chez l’autre ne s’y trouve pas. Il s’agit d’une interprétation totalement erronée, d’une projection du mental conditionné à voir des ennemis partout pour se donner raison et se rendre supérieur. Et ce à quoi nous réagissons chez l’autre, nous le renforçons chez vous.
« Pour survivre, l’ego a besoin d’un « ennemi », d’où son refus de tout compromis. »
L’ego aime se plaindre et éprouver du ressentiment non seulement envers les autres ou soi-même, mais également envers les situations. Il peut se faire un ennemi d’une personne comme d’une situation. C’est toujours la même rengaine : « ceci ne devrait pas se produire », « on me traite injustement ». La plainte dont il est question ici est au service de l’ego, pas du changement. Parfois, il est évident que l’ego ne veut pas réellement de changement afin de pouvoir continuer à se plaindre.
Se plaindre des défauts des autres constitue un stratagème qui renforce le sens de la division de l’ego. Ces plaintes masquent le sous-entendu que nous avons raison et que la personne, ou la situation dont nous nous plaignons, a tort. Il n’y a rien qui renforce le plus l’ego que le besoin d’avoir raison. Il se repaît de ce sentiment de séparation pour exister.
« Sentez-vous que quelque chose en vous préfère avoir raison que d’être en paix ? »
Nous sentons parfois que quelque chose en nous est en guerre, quelque chose qui se sent menacé et qui veut survivre à tout prix, quelque chose qui a besoin de mélodrame pour pouvoir affirmer son identité...
L’ego veut toujours obtenir quelque chose des autres ou des circonstances. Il se sert des autres et des situations pour obtenir ce qu’il veut pour apaiser sa peur de n’être personne, sa peur de ne pas exister, sa peur de mourir. Toutes les activités de l’ego cherchent au bout du compte à éliminer cette peur.
Dans son aveuglement, l’ego est incapable de voir la souffrance qu’il s’inflige et qu’il inflige aux autres. En effet, la personne sous l’emprise de l’ego ne peut pas reconnaître la souffrance, mais la considère comme l’unique réaction appropriée à la situation vécue. Ainsi, la colère, l’anxiété, la haine, le ressentiment, l’envie, la jalousie… sont reconnus comme des états entièrement justifiés. Ils sont perçus à tort comme causé par les autres ou la situation, que nous tenons pour responsables de notre souffrance.
« Plus l’ego est fort en vous, plus il est probable que vous perceviez les autres comme la principale source de vos problèmes dans la vie. »
Lorsque nous assimilons l’ego des autres à leur identité, c’est notre propre ego qui se sert de cette interprétation pour se renforcer en se donnant raison et en étant supérieur. Nous réagissons donc en condamnant, en nous indignant et souvent en étant agressif contre celui que nous percevons comme notre ennemi. Ces illusions renforcent le sentiment de division entre nous et l’autre.
« L’ego prend tout personnellement, ce qui suscite des émotions comme la résistance ou l’agressivité. »
Les visages de l’ego d’autrui auxquels nous réagissons particulièrement fort ont souvent tendance à exister en nous sans que nous le sachions ou voulions les voir. Tout ce que nous détestons et à quoi nous réagissons fortement chez l’autre est aussi en nous. Pour autant, ce trait n’a rien à voir avec ce que la personne est, ni avec ce que nous sommes. Ce n’est que lorsque nous prenons ce trait pour ce que nous sommes qu’il devient une menace pour notre sentiment d’identité.
Ainsi, pour combler ses besoins, qu’il s’agisse de pouvoir, de supériorité, de gratification…, l’ego adopte un rôle ou un autre. En général, nous sommes totalement inconscients des rôles que nous adoptons : nous sommes ces rôles ! Pourtant, chaque rôle est tel une carapace, un masque, un filtre déformant de soi, une pure création de l’ego pour se rassurer et prendre le contrepied des peurs et des croyances qui nous assaillent.
Comme l’exprime Shakespeare dans Macbeth, c’est « une histoire racontée par un idiot, une histoire pleine de bruits et d’agitation qui ne veut rien dire ».
Toute illusion de soi, c’est-à-dire se voir « trop ci » ou « pas assez ça », appartient à l’ego, qu’il s’agisse d’une notion majoritairement positive (je suis le meilleur) ou majoritairement négatives (je ne vaux rien). Derrière cet oscillement entre les sentiments de supériorité et d’infériorité que nous pouvons ressentir en fonction des personnes ou des situations que nous rencontrons sur notre chemin, c’est l’ego qui entre en jeu.
« Reconnaissez l’ego pour ce qu’il est : un dysfonctionnement collectif, la folie de l’esprit humain. »
Combattre l’ego est un vœu pieux puisque cela revient à annihiler les peurs et les croyances qui l’ont forgé depuis notre enfance. En revanche, en prenant conscience de son existence et de sa nature dysfonctionnelle, nous devenons capables de le démasquer lorsqu’il est activé par une personne ou une situation qui nous fait nous sentir en insécurité. En débusquant les peurs qui déclenchent l'ego, en nous et chez l'autre, nous gagnons en discernement et en sérénité. Lorsque nous le reconnaissons pour ce qu’il est, un imposteur, il est plus facile de ne pas être sur la défensive et de ne pas surréagir. Nous ne prenons plus les choses personnellement. Personne n’a tort. C’est l’ego. C’est tout ! Nous pouvons alors agir en conscience et prendre les bonnes décisions.

« Dans la reconnaissance du faux, il y a déjà la naissance du vrai. »
Ne pas réagir à l’ego des autres est la façon la plus efficace non seulement de dépasser l’ego chez nous, mais également de participer à la dissolution de l’ego autour de nous. Ne pas réagir, ce n’est pas faire preuve de faiblesse, mais de force. C’est quitter l’inconscience de l’ego pour être en conscience et voir clairement « à travers » l’ego, ce qu’il y a de sain en chaque être humain et qui constitue sa nature profonde.
Accepter ce qui est, c’est retrouver sa liberté d’agir là où c’est possible. Résister à ce qui est, c’est se fermer à toute possibilité de changement et renforcer la carapace de l’ego. L’ego étant très consommateur d’énergie, cesser de résister permet d’investir son énergie à l’endroit où des marges de manœuvre sont accessibles, plutôt que de la gaspiller en vain à l’endroit où nous nous trouvons impuissants. Lorsque notre dialogue intérieur est fait de « il faut » et « je dois », de justifications, de reproches et d’accusations, c’est que nous n’acceptons pas ce qui est.
La non-résistance, le non-jugement et le non-attachement sont les fondamentaux de la liberté et de la paix retrouvée, au-delà de l’ego. Une fois que nous acceptons la nature transitoire de toute chose, qu’elle soit confortable ou inconfortable, nous sommes en mesure d’apprécier ce que la vie nous offre, dans le présent, sans peur ni anxiété. Le fait de reconnaître dans toute situation que Cela aussi passera, amène le détachement nécessaire pour retrouver sérénité, confiance et discerner clairement le champ des possibles.
Lors d’une de mes conférences sur l’ego, une participante me partageait une métaphore que je trouve très significative. Elle personnifiait l’ego comme son cheval sauvage, tout en précisant que c’était elle, la cavalière, à qui il revenait de dompter l'animal sauvage pour pendre la bonne direction. Et vous, vous sentez-vous prêts à apprivoiser votre ego ? Et si vos commenciez à en dresser le portrait-robot, pour mieux le démasquer et débusquer les peurs et croyances qui vous empêchent de passer à l'action avec justesse et enthousiasme ?
Pour aller plus loin :
- Libérez-vous de l’ego, cet imposteur qui dirige votre vie, pour enfin être vous !
- Nouvelle Terre - Eckhart TOLLE
- Guérir de vos angoisses en 6 séances - Dr Philippe PRESLES

J’adore ton article 😉🤩🙏🙏continue d’apporter pédagogie et clarté c’est plus que jamais nécessaire à ceux qui sont en mesure de l’entendre et de se raccrocher quand on perd parfois notre boussole dans ce tourbillon actuel.
En tout cas pour moi ce matin ce rappel me permets de réancrer cette compréhension
Je t’embrasse bien fort.
🥰