Je fête aujourd’hui un bel anniversaire, celui de ma liberté professionnelle ! Voilà 3 ans que j’ai quitté le salariat et je savoure chaque jour un peu plus le goût de cette liberté nouvelle. Non pas la liberté de ne plus travailler mais la liberté de choisir ma route, mon histoire professionnelle. La liberté d’explorer de nouveaux horizons, de me tromper, de bifurquer et d’incarner pleinement ma contribution à l’œuvre que j’ai choisi d’accomplir.

Car c’est bien d’accomplissement dont il est question. Ça n’est pas la liberté que je suis allée chercher en premier lieu en quittant mon emploi de salariée ; c’est la nécessité de combler un désir d’accomplissement personnel dans ma vie professionnelle. Un désir d’expansion, de dépassement de soi littéralement ! La valeur « liberté » ne m’est apparue que récemment, comme la seule voie possible face à une crise que j’ai dû traverser.

« La liberté ne se définit pas par la quantité de choix, mais elle se construit à partir des obstacles qu'elle trouve sur son chemin... » souligne la philosophe Gabrielle Halpern.

La liberté n’est donc pas un acte posé là, une décision que l’on prend. Elle commence par s’insinuer dans notre vie, subtilement, dans les interstices de notre Désir de travail. Elle profite de l’espace que nous lui accordons pour s’y introduire et lorsque ce Désir de travail est bien clair, notre liberté peut s’exprimer pleinement.

Puiser à la source de notre Désir de travail

Quand on cherche à comprendre en quoi consiste la liberté dans le travail, il est utile de commencer à se questionner sur son Désir de travail. Cette notion a été développée par Roland Guinchard, psychologue et psychanalyste et Gilles Arnaud, psychosociologue et professeur de psychologie des organisations à l'ESCP, dans leur ouvrage Psychanalyse du lien au travail. Le désir de travail. [A lire aussi : « Savoir donner toute sa place à notre désir, dans le travail… »]

Pour les deux auteurs, la question du Désir de travail se pose à tous car il existe chez tout être humain une énergie pulsionnelle orientée vers l’action et la réalisation :

« Cette poussée énergétique brute, en s’intégrant à la psychologie de l’individu au cours des premières années de sa vie, se transforme alors en un désir d’agir et de faire à la recherche d’un accomplissement en ce monde… »

Dans leur ouvrage, ils proposent de changer de regard : plutôt que de chercher à mettre un peu de désir dans le travail, faire apparaître que le travail est partie intégrante du désir humain

Toute personne qui travaille ou souhaite travailler, doit donc s’attacher à ne jamais renoncer à son désir et s’engager à faire absolument quelque-chose de ce désir-là ! Pas seulement une petite place, ni n’importe quelle place car le désir de travail est exigeant. Chacun d’entre nous a donc la responsabilité de clarifier son Désir de travail pour lui donner toute sa place.

Alors que je m’efforçais en vain depuis des années de donner un nouveau souffle à ma carrière dans la communication, j’ai dû me rendre à l’évidence que mon Désir de travail était ailleurs… Il m’a fallu traverser de nombreux écueils pour, à chaque fois, être amenée à creuser un peu plus profondément en moi et trouver enfin la source de mon Désir de travail. Alors, le temps est venu d’en parler, à toutes les personnes susceptibles de m’aider à le préciser encore et encore, à le comprendre, à le rendre tangible, accessible… jusqu’à me sentir complètement au clair et alignée avec ce Désir de travail.

C’est à ce moment-là que les premiers indices de liberté sont apparus. A travers le sentiment que tout devenait possible grâce à la nouvelle activité que j’étais en train de me construire, au gré de rencontres et d’opportunités. [A lire aussi : « Quand tout devient possible ! »]

Assez naturellement, est né ensuite le besoin de nourrir ce désir de travail en s’aventurant dans de nouvelles contrées pour continuer à apprendre et ainsi, me dépasser. Car, selon Spinoza, le désir est un effort pour persévérer dans son être. Cette période où l’on explore le champ des possibles, où l'on se « jette à l’eau » pour apprendre encore et challenger ses capacités, est d’une richesse incroyable ! On repousse les limites toujours plus loin pour s’augmenter et tendre vers la liberté. Pour le penseur indien Jiddu Krichnamurti, apprendre est un mouvement qui libère l’esprit et qui ouvre en grand l’espace dans lequel notre Désir de travail peut s’exprimer.

Selon Jiddu Krichnamurti, la liberté intérieure est impossible sans cet espace intérieur.

« La liberté est un état d’esprit. Un état d’esprit qui ne peut être compris sans l’espace. La liberté exige de l’espace. L’esprit ne peut-il jamais être libre s’il ne possède pas à l’intérieur de lui-même un espace illimité ? »

A ce moment-là, après que j’ai créé l’espace permettant à mon Désir de travail de s’épanouir, j’ai pris conscience combien la valeur liberté était devenue cruciale pour moi.

Libérer les énergies dans le travail

Si l'on s’inspire de la conception énergétique du désir de Spinoza, faire toute sa place au Désir de travail revient à déployer une puissante énergie au service d’une mission qui nous tient à cœur.

L’enjeu pour l’entreprise et le management se situe dans leur capacité à donner aux personnes qui travaillent la liberté d’agir, de créer et de s’accomplir autant que possible dans leur activité professionnelle. Pour cela, il convient de prendre en compte la singularité de chaque individu et de reconnaître l’énergie humaine qui est à l’œuvre dans son travail. [A lire aussi : « Trouver sa juste place au travail, c’est permettre à sa singularité de s’exprimer pleinement »]

Récemment, Marie, une jeune manager que j’accompagne me partageait son intention de faire monter en compétence son équipe pour que chaque individu gagne en autonomie et prenne ses responsabilités dans ses missions. Et là, perplexe, elle constatait qu'en réaction, la plupart des membres de son équipe s’étaient mis en retrait de leurs responsabilités. Pour bien comprendre, il faut savoir que cette équipe a longtemps travaillé « sous cloche », dirigée par un manager omniprésent qui commandait la moindre tâche à effectuer. Cette liberté subitement offerte par leur nouvelle manager est apparue très effrayante pour une équipe qui a longtemps été maternée.

Pour permettre à ses collaborateurs de prendre la mesure de leurs responsabilités, Marie, doit donc veiller à faire émerger le Désir de travail de chacun des membres de son équipe. Inscrire ces désirs individuels dans une ambition commune et une exigence forte invitant au dépassement. Et rendre visible par la reconnaissance le chemin parcouru et le fruit des efforts consentis par chacun.

« Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité » Victor Hugo

Dans son ouvrage Travail, la soif de liberté, le DG de la Word Employment Confederation, Dennis Pennel milite pour un modèle plus organique d’entreprise, qui passe par une meilleure reconnaissance et un meilleur respect de la nature humaine, où l’être humain est considéré d’abord pour ce qu’il apporte plus que pour ce qu’il exécute.

Il pointe la naissance d’un nouvel âge du travail, réconcilié avec la liberté, pour répondre à une aspiration profonde des travailleurs vers plus d’autonomie et moins d’autorité. Il dépeint dans son livre le « besoin d’air » qu’éprouvent nombre de salariés face à des prescriptions de plus en plus contraignantes et une charge de travail de plus en plus stressante.

Denis Pennel accuse la « perte de soi-même » car beaucoup de travailleurs n'ont le sentiment d’être eux-mêmes qu’en dehors du travail ; dans le travail, ils se sentent en dehors d’eux-mêmes.

Donner le meilleur de soi, dans le travail

Denis Pennel nous invite à introduire une forme d’écologie humaine au travail : « tout comme l’écologie de la nature doit entendre le cri de la planète, celle du travail doit écouter le cri de hommes ! »

Le travail a connu de nombreux bouleversements ces dernières années. Tout d’abord avec le déploiement du télétravail, le travail est de moins en moins un endroit où se rendre qu'une activité à mener. Dans le même temps, les heures de bureau ont volé en éclat ! Autre phénomène observé par Josh Bersin, analyste pour Deloitte : « Dans le monde d’aujourd’hui, les gens ne sont plus embauchés pour un poste mais plus pour des rôles qu’ils vont occuper. Ils sont responsables de « missions » et de « projets » et plus simplement d’une fonction ».

Pour autant, même si aujourd’hui le travail s’est affranchi de l’espace, du temps, de la fonction, il étouffe encore dans un cadre trop rigide et coercitif conçu à l’ère industrielle, qu’est le modèle du salariat. Selon Denis Pennel, le salariat est devenu un choix par défaut, non pour ses caractéristiques intrinsèques mais plutôt pour la protection et la couverture sociale que son statut garantit. Il prône l’émergence d’un nouveau modèle, inspiré de la révolution du travail portée par les start-uppers, slaschers, co-workers : le « libertariat ».

Denis Pennel décrit le « libertariat » comme : « la recherche d’un marché du travail sans domination et sans exploitation, où les individus s’associent et coopèrent librement dans une dynamique de liberté et de respect mutuel tout en bénéficiant d’une protection juridique et sociale garantissant leurs droits fondamentaux ».

Selon l’auteur, nous ne règlerons pas les problèmes du XXIe siècle par des solutions inventées au XXe. Il invite plutôt à regarder du côté de ceux qui cherchent de nouvelles solutions permettant aux individus de redevenir acteurs et sujets de leur travail et d’accomplir une activité qui leur tient à cœur.

Il cite une interview du philosophe Bernard Stiegler en 2015 : « La société de demain devra tirer de chacun de nous le meilleur aussi souvent que possible. Or ce meilleur, c’est ce que nous faisons de bonne volonté. Lorsque je suis libre de mon temps et que je m’adonne à ce que j’aime, je donne le meilleur de moi-même ».

A l’heure où les robots libèrent l’homme du travail le plus pénible, pour Denis Pennel, il est essentiel de se recentrer sur l’humanité au travail, sur ce que seul l’homme peut accomplir face aux robots. Après les bras et le cerveau, c’est maintenant au cœur de prendre le dessus dans le travail.

Il nous partage l’extrait d’une interview du consultant américain Dov Seidman dans Les Echos : « nous sommes passés d’une économie industrielle – où on embauchait des bras – à une économie de la connaissance – où on embauchait des têtes – et maintenant une économie humaine – où on embauche des cœurs ».

Dans cette révolution du travail en marche, l'émergence des cœurs risque fort de chambouler les mécanismes de l’entreprise et la société toute entière. Pour ma part, je compte bien y contribuer, à mon échelle !

Mes sources d'inspiration
Psychanalyse du lien au travail. Le désir de travail de Roland GUINCHARD
Travail, la soif de liberté de Denis PENNEL
LES ECHOS - Quand les entreprises embaucheront des cœurs 

A l’approche des élections présidentielles, avec la multiplication des débats entre candidats et autres interviews dans les médias, me voilà de nouveau en proie à mes vieux démons… Ces combats de mots, ces attaques qui fusent, ces allégations mensongères dont le seul objectif est de faire poser genou à terre à son adversaire, tout cela m’oppresse !

Au lendemain d’un débat très commenté entre deux candidats, j’écoutais un programme à la radio dédié au décryptage de ce qui fût, selon certains chroniqueurs : « un duel et même un combat de catch plutôt qu’un échange, entre deux adversaires qui s’interrompaient et se hurlaient dessus sans s’écouter ». Et là, incroyable, l’émission de radio a pris la tournure d’un débat dans le débat, entre une partie des journalistes considérant qu’il n’y avait pas de débat sans surjouer, sortir les poings et s’invectiver, et les autres pour qui de telles foires d’empoigne finissaient par stériliser le débat, annihiler les idées et au bout du compte contribuaient à perdre les électeurs…

Effectivement, étymologiquement, le mot débattre signifie battre, frapper, rosser avec intensité. Et sans subtilité, ni nuance aucune, c’est bien ce à quoi se prêtent nombre de nos édiles politiques, encore aujourd’hui, et de façon de plus en plus virulente, me semble-t-il.

« Si bien que le débat politique finit par s’apparenter à ces reconstitutions de joutes chevaleresques, où des cascadeurs se livrent à une démonstration d’escrime chorégraphiée en poussant de grands cris rageurs, tout en sachant qu’ils ne courent aucun danger parce que leurs épées sont émoussées. Et pendant que nous nous divertissons devant ces simulacres d’affrontements herculéens, sans cesse rejoués, il y a une chose qu’hélas, nous perdons de vue : le véritable débat d’idée. » comme le souligne Clément Viktorovitch, journaliste à France Info dans son émission Entre les lignes en décembre 2021.

Et si nous nous employions à « relever le débat » ? Façonner une parole noble, forte et utile pour donner à comprendre et faire avancer les idées. Faire preuve d’exemplarité dans notre langage en s’inspirant de virtuoses de l’art oratoire, de champions de l’éloquence, d’amoureux de la parole, qui la portent avec talent dans les prétoires… Dans cet article, je m’inspire de deux ouvrages : Remarques sur la parole de Jacques Charpentier, Bâtonnier du barreau de Paris de 1938 à 1945 et La parole est un sport de combat de Bertrand Périer, avocat et enseignant de l’art oratoire à Sciences Po et HEC.

Alors que J. Charpentier s’amuse à opposer écriture et art oratoire, il est frappant de voir combien ses écrits sont porteurs de sa parole vibrante. Lui qui enseigne que la parole est d’abord un corps en mouvement et une tension. Il nous donne à lire ici un verbe vivant, vigoureux et volontaire.

En 1961, date de la parution de son ouvrage, J. Charpentier se questionnait sur l’avenir de la parole : « En l’an 2000, les hommes parleront ils encore ? ». Il percevait alors que la parole était en voie de régression. Pour lui, l’art oratoire était déjà gagné par la maladie : « Nous ne sommes pas en présence d’un accident, mais d’une affection déjà ancienne et qui a grandi. D’abord un léger voile sur les notes hautes, un peu de laryngite. Une extinction de voix. Puis l’enroulement est devenu chronique. Et un jour, le cancer se généralise ».

J. Charpentier avait également une vision très éclairée de la déliquescence de la parole politique. Il était pour lui évident que l’éloquence politique était en chute verticale. Il constatait depuis un demi-siècle la suppression progressive du débat public. Un constat qui l’amenait à porter un regard très dur et pourtant lucide sur l’impact de cette déliquescence sur la société.

« Dans un monde qui ne s’intéresse qu’à la quantité, les combats de l’esprit ne seront plus que des batailles de chiffres. A tout propos on nous ferme la bouche avec des statistiques. Mais pour rendre les équations accessibles aux foules, on les remplacera par des graphiques, des courbes, des feuilles de température, ou des images violentes qui se graveront dans les mémoires. »

Quel débat politique pour forger quelle société ?

Pour être transparente avec vous, j’avais prévu de donner comme sous-titre à ce chapitre : « Le contre-exemple du débat politique d’aujourd’hui » ! J’ai finalement décidé de l’aborder sous un angle plus positif… Alors pour éviter de biaiser mon analyse, étant donné que les débats politiques actuels m’angoissent littéralement, je préfère vous partager quelques extraits du décryptage du politologue et maître de conférences à Paris II, Benjamin Morel, dont vous trouverez l’intégralité de la chronique dans les ressources en toute fin du présent article.

Il s’agit ici d’entrevoir la portée possible d’un débat politique en partant d’un cas concret, significatif de ce que la campagne présidentielle nous donne à voir. J’ai choisi cet exemple indépendamment de l’identité et du bord politique des candidats qui sont les protagonistes de ce débat. L’objectif consistant simplement à en analyser la forme au regard des enjeux électoraux.

Pour B. Morel, chacun des deux candidats, en perte de vitesse dans les sondages, a cherché à se démarquer de son adversaire en incarnant une posture opposée, en surjouant ses positions pour construire l’autre candidat comme le négatif de lui-même.

Ces postures très tranchées, voire agressives, ont donné lieu à des échanges extrêmement vifs incitant les journalistes à intervenir à plusieurs reprises pour demander aux débatteurs d’arrêter de s’apostropher. Le débat a rapidement tourné à la cacophonie avec des interruptions multiples qui ont pu avoir comme conséquence de dé-présidentialiser chacun des candidats.

Dans ce face à face, on voit clairement que la stratégie de décrédibilisation de l’adversaire adoptée par chacun des candidats, non pas sur le fond des idées mais sur la personne, a conduit à ce qu’ils se neutralisent mutuellement. D’une certaine manière, les rhétoriques qui s’affrontent conduisent à stériliser les échanges. Au bout du compte, cela perd les électeurs et pour les deux candidats, le débat est une occasion manquée.

Voilà un exemple type du discours politique comme instrument de conquête du pouvoir, tel que le dépeint B. Périer. Nous atteignons ici des extrémités qui rendent inaudible toute vision politique, à part peut-être pour les plus avertis. Comment réconcilier les citoyens avec la politique en se donnant en spectacle dans un théâtre de stratégies et de manipulations ? Pour sa part, J. Charpentier considère que toutes les maladies du langage sont des défaillances de la volonté !

Pour toucher une population, un débat ne doit-il pas rentrer dans la société ? Se plonger dans les questions du quotidien ? Aborder avec humilité les crises traversées ? Ecouter avec compassion les besoins exprimés. Explorer avec curiosité les initiatives qui fonctionnent à une petite échelle pour les diffuser à des échelles plus grandes… Porter une parole ancrée dans le réel et dans l’humain, comme l’évoque B. Périer.

J. Charpentier considère qu’il n’y a que deux manières d’apprendre à parler : Parler. Ecouter : « le premier devoir de l’orateur est de connaître – ou de deviner – la vérité de ceux qui l’écoutent. Pour que ses vérités à lui s’incorporent à eux, qu’elles deviennent leur sang et leurs muscles… ».

Faire des mots une arme de cohésion massive !

Telle est l’invitation de B. Périer. Pour lui, le vrai débat d’idées est une façon d’éviter les rapports de force car la violence naît de l’incapacité à confronter les points de vue et à se comprendre...

« L’écoute, plutôt que les coups. Débattre, plutôt que se battre. […] En aidant chacun à exprimer sa pensée de façon plus exacte, plus précise, plus argumentée, en bannissant les invectives et les propos rudimentaires, j’ai la conviction que l’on facilite le débat, et que l’on parvient à faire reculer les violences qui naissent de l’incompréhension. De la même façon que la parole peut diviser, elle doit aussi pouvoir nous réunir. Pas nécessairement dans le consensus mais dans le goût partagé de la controverse. »

La parole est nécessaire à la construction de liens sociaux car elle favorise la communication pour nous amener vers une compréhension mutuelle. La parole permet ainsi d’élaborer un monde commun ; elle s’inscrit dans une relation à travers laquelle chacun peut exprimer des pensées, des émotions, des valeurs, des besoins… et partager des informations, des connaissances, des intentions… En cela, la parole est un mode d’accomplissement privilégié qui nous fait exister pour soi et à travers les autres. [A lire aussi : « Cultiver son langage, c’est prendre soin de soi et des autres… »]

Pour la politologue, philosophe et journaliste Hannah Arendt, « c’est parce qu’ils peuvent parler ensemble sur ce qui les concerne tous que les hommes peuvent partager la même vie et le même monde. Le dialogue est pour elle bien plus qu’une condition de la vie en société, il est un critère majeur d’humanité ».

Parce que la voix humaine est contagieuse, pour J. Charpentier, c’est grâce à la parole que nous pouvons passer à l’action. Pour lui, la parole est action ou n’est rien. Parler, c’est faire du travail. On juge la parole à ses résultats. C’est en passant l’épreuve d’un débat qu’une idée, une théorie révélera sa force ou sa faiblesse et qu’elle mènera ou non à l’action.

Parler, ce n’est pas rien dès lors que l’on met une intention dans le langage ou que l’on partage des intentions mutuelles dans la cadre d’un dialogue. Dans la discussion, parler consiste à chercher la compréhension mutuelle, rendre explicite l’implicite, c’est une réelle entreprise coopérative.

Le pouvoir du langage c’est celui de nommer, de créer et donc de réaliser une réalité. Alors, la parole devient action dans le sens où elle vise à accomplir quelque chose. Et le vouloir dire entraîne le pouvoir agir. Tout l’enjeu est ici d’inventer des espaces pour favoriser cette parole dans laquelle on se comprend et à travers laquelle on décide de se mettre en action.

Inventer des espaces pour discuter, débattre, délibérer et se comprendre…

« Parler, c’est convertir. Au moins convaincre ; ou raffermir des convictions chancelantes ; ou rapprocher des divergences ; ou mettre au monde des opinions embryonnaires ; au moins répandre un sentiment, propager une disposition, jeter la graine au vent, lancer la bouteille à la mer. » clame J. Charpentier.

Dans la même veine, B. Périer convoque une parole qui part à la recherche de ce qui nous rapproche plutôt que de ce qui nous sépare. Cela suppose de se positionner honnêtement et de ne pas caricaturer la pensée de l’autre dans le débat d’idée.

Dans ce chapitre, je vous propose d’étudier trois « espaces », à inventer ou existants, pour apprendre à discuter, débattre, délibérer et surtout, pour se comprendre et faire avancer les idées. Il m’a semblé intéressant d’appréhender trois dispositifs proches dans leur philosophie et complémentaires dans les populations qu’ils adressent : la société, le monde du travail et la famille. Ces systèmes vertueux venant se soutenir les uns les autres.

Des Espaces de Délibération Démocratique

Pour François Taddei, spécialiste de l’évolution de la coopération qu’il étudie à l’Inserm, et fondateur du CRI devenu Learning Planet Institute, la démocratie du XXIème siècle, si elle veut survivre et se développer, doit devenir participative à tous les niveaux, du plus local au plus global. Il propose de « déployer, à toutes les échelles, des espaces de délibération démocratique qui intégreraient dans leur structure et leur fonctionnement les piliers d’une décision éclairée : la recherche de la compréhension des faits (par la science), la formation permanente des acteurs et l’écoute des oppositions et contre-pouvoirs ».

F. Taddei imagine une démocratie fondée sur un gouvernement humble qui sait qu’il n’a pas toutes les solutions et qu’il va falloir écouter les citoyens pour coconstruire ensemble un avenir souhaitable. Une démocratie capable d’empathie, de compassion, capable d’entendre les besoins, les désirs et les peurs aussi, dans un processus ouvert et pas descendant. Pour éprouver des solutions qui satisfassent tout le monde. Il propose d’inventer de nouveaux systèmes dans lesquels nous sommes encouragés à faire émerger le meilleur de nous-même, en réintroduisant des débats de qualité et en régulant ceux qui manipulent nos émotions. Il rêve de lieux dans lesquels la culture, l’éducation, l’information de qualité et l'inspiration vont pouvoir émerger.

Un rêve qui fait écho à une invitation de J. Charpentier : « Ecouter. Chaque fois que l’occasion s’en présente. Fréquenter les églises, les palais de Justice, les universités, les Parlements. Ecouter les maîtres. Ecouter les médiocres, ne serait-ce que pour apprendre d’eux ce qu’il ne faut pas dire. Et tout en écoutant, étudier le public ».

Des Espaces de Discussion sur le Travail

Un autre défi est d’ouvrir le dialogue dans les organisations ! Un dialogue permanent et à tous les niveaux qui s’inscrit dans les routines de l’entreprise de manière à élaborer ensemble les bases de l’action collective.

Là encore, le dialogue dans le travail s’articule autour de deux dimensions fondamentales : l’écoute et la discussion, pour confronter les objectifs stratégiques avec les réalités opérationnelles. L’enjeu est d’ouvrir le débat au sein des équipes sur les différentes façons d’envisager l’activité et partager sur les critères du travail bien fait. En somme, créer des lieux d’expression sur l’activité dédiés à la coopération, permettant à chacun de développer son pouvoir d’agir dans une optique de résolution de problèmes. [A lire aussi : « Communiquer sur le travail, c’est bien… Communiquer dans le travail, c’est mieux ! »]

Pour coopérer, selon le sociologue Philippe Zarifian : « il faut partager la compréhension des problèmes, confronter leur analyse, se projeter ensemble dans l’avenir et anticiper les actions à mener, voire coélaborer, coécrire en quelque sorte la conception de ce que l’on doit entreprendre ensemble ».

Ces espaces au sein desquels les personnes qui travaillent peuvent faire entendre leur voix pour que les modalités de l’action commune soient mises en délibération sont les Espaces de Discussion sur le Travail, développés par l’ANACT. Cette pratique permet une discussion centrée sur l’expérience du travail et ses enjeux, les règles de métier, le sens de l’activité, les ressources, les contraintes… C’est un lieu essentiel de progrès et d’innovation, car vecteur d’apprentissages individuels et collectifs, au croisement de la performance sociale et économique.

Dans son ouvrage L’entreprise délibérée. Refonder le management par le dialogue, Mathieu Detchessahar, professeur des Universités - Laboratoire d'Economie et de Management Nantes-Atlantique (LEMNA), l'assure : « Quand il est vécu à un bon niveau de dialogue, le travail devient une véritable « école de la citoyenneté » où l’on s’entraîne à examiner des problèmes de façon partagée et critique, où l’on est invité à cultiver les vertus de la dépendance assumée : écoute, prudence, maîtrise de soi, respect d’autrui… ».

L’entreprise n’est pas en dehors de la société, elle est la société ! C’est pourquoi elle a un rôle déterminant à jouer dans l’organisation de la vie au travail. Constituée de femmes et d’hommes animés par des aspirations sociales renouvelées et portés par un élan de vivre ensemble inégalé, l’entreprise est responsable de la qualité du lien social qui s’y inscrit.

Des Temps d’Echange en Famille

La famille est le premier système au sein duquel les jeunes enfants commencent à acquérir les compétences sociales fondamentales qui vont forger leur vie d'adulte. Pour acculturer les plus jeunes à l’art de la discussion et du débat au sein du foyer, j’ai pour ma part expérimenté les Temps d’Echange en Famille (TEF), un outil de discipline positive aux nombreuses vertus. Ces rendez-vous hebdomadaires d'une trentaine de minutes permettent aux membres de la famille d’apprendre à s’apprécier de façon positive en se remerciant et en se faisant des compliments. Un autre objectif consiste à s’aider les uns les autres, à résoudre des problèmes et trouver des solutions sur des préoccupations qui adressent parents comme enfants. Et enfin, bénéfice non négligeable de ces rencontres, elles contribuent à se faire plaisir ensemble et à planifier des activités en famille.

Mes enfants, aujourd’hui jeunes adultes, se souviennent encore de nos Temps d’Echange en Famille qui ont rythmé leurs fins de week-end pendants de nombreux mois. Je me rappelle encore de la joie que j’ai éprouvée à les voir exprimer de plus en plus facilement des manifestations de reconnaissance mutuelle et à trouver des solutions par eux-mêmes à leurs petits tracas du quotidien. Ce type d'espace est parfaitement adapté pour favoriser l'apprentissage de l'empathie et de la conversation à l'école également.

EtSiNous apprenions à fusionner nos horizons à la recherche d’une vérité partagée dans le dialogue, en société, au travail, en famille ?

EtSiNous inventions des espaces pour discuter, débattre, délibérer et faire avancer les idées, avec des chercheurs, des philosophes, des sociologues, des journalistes, des amoureux du langages et tous ceux qui se retrouvent dans ce rêve éveillé…

Quelques références pour poursuivre l'inspiration :
FIGARO LIVE - Débat Pécresse/Zemmour : notre débrief
FRANCE INFO - Entre les lignes - Quand le débat politique devient une joute chorégraphiée
FRANCE CULTURE - Les Chemins de la philosophie - Parler, est-ce agir ?
FRANCE CULTURE - L'invité(e) des matins du samedi - François Taddei : "La coopération est l'avenir de notre société"
THE CONVERSATION - Portrait(s) de France(s) : où en est le débat public ?
SISMIQUE Podcast - David COLON : Nos cerveaux sous contrôle

En ce début 2022, à l’heure des vœux et des bonnes résolutions, je fais le choix de me connecter à une intention forte et ambitieuse pour l’année à venir. Parce que j’ai décidé que 2022 serait l’année de l’Intention avec un grand « I ». A la tiède résolution qui « dénoue » et « défait », je choisis l’énergie de l’intention qui « intensifie » et « augmente »… Je me mets en action, guidée par les signaux qui éclairent ce changement d’année et fondent ma conviction que si nous le décidons avec force, nous avons le pouvoir de créer un monde qui nous relie, plutôt qu’un monde qui nous divise !

Et côté signaux, je me trouve plutôt gâtée… Premier signe : la parution du nouvel ouvrage du chercheur François Taddei au titre plein de promesses Et si nous ? Comment relever ensemble les défis du XXIe siècle. Un livre vital qui invite à passer à l’action et qui porte l’ambition de changer d’échelle – et de monde – de coopérer pour prendre soin de soi, des autres et de la planète. Alors que j’avais là amplement matière à élever mon intention, l’algorithme de Twitter eut la bonne idée de sélectionner pour moi un podcast de France Culture diffusé fin 2017 intitulé Nous vivons dans une société liquide, inspiré des travaux du philosophe et sociologue polonais Zygmunt Bauman.

Alors, me direz-vous, en quoi ces ressources font elles écho à mon intention pour 2022 ? Je vous répondrai en trois points : un « optimisme de la volonté » pour citer Z. Bauman, la recherche d’une éthique de la relation et le besoin de changer d’échelle pour « fusionner nos horizons ».

J’ai mal à mon humanité !

F. Taddei nous rappelle combien la pandémie de Covid-19 a touché l’ensemble de nos vies, à une échelle et dans une temporalité inédites dans l’histoire, en remettant en question ce qui fait de l’espèce humaine une espèce à part : nos interactions. Il forme l’hypothèse que cette pandémie restera dans les livres d’histoire comme un marqueur important de bouleversements que nous ne faisons qu’entrevoir. Selon lui, nous observons la fin d’une époque…

« Nous assistons bien à la fin d’un monde, héritier des Lumières et des révolutions industrielles, qui est caractérisé par des rapports de domination, de compétition, d’exploitation (des êtres humains et de la planète). […] De nouvelles Lumières n’adviendront pas sans que tous ceux qui y aspirent ne se mobilisent dans la durée pour réinventer des manières de vivre ensemble qui soient plus inclusives, plus équitables et plus respectueuses de notre environnement ».

Lorsque Z. Bauman se figure notre époque contemporaine, il la dépeint comme une « vie liquide », une société « en voie de liquéfaction avancée » : un monde en mouvement permanent rythmé par une accélération irrépressible, dans lequel tout est jetable et interchangeable, y compris l’Homme… Nous y sommes exposés à des flux d’information continus et parfois contradictoires qui nous contraignent au zapping et nous soumettent au risque de malentendus et de mécompréhension. Cette société liquide nous détourne de l’autre. Elle génère un épuisement et un besoin de sécurité qui nous incitent à créer de l’entre-soi.

Ce phénomène est alimenté par les politiques de séparation qui sont le lot de notre civilisation contemporaine, encore largement gouvernée par les rapports de compétition et de domination évoqués par F.Taddei. Le spectacle navrant auquel se livrent certains candidats aux élections présidentielles en est la parfaite illustration. L’espace médiatique et internet sont accaparés par ces manipulateurs qui se servent de nos peurs pour nous diviser et brandissent des discours de fracture et de clivage, mettant à mal la confiance vis-à-vis de nos institutions et de la société dans son ensemble. Dans la cacophonie de la campagne, il est difficile d’entendre les voix de rassemblement et d’unité. Notre défi est de ne pas nous abandonner aux simplismes et aux réductionnismes et d’empêcher que de fausses informations puissent s’imposer dans le débat public. Selon le « baromètre de la confiance politique » publié le 24 janvier 2022 par le Cevipof, jamais les Français ne se sont sentis aussi méfiants envers la politique !

« Face à ces récits et manipulations qui s’appuient sur un mélange de faits, de crédulité, de peurs et de perceptions de déclassement […] il faut être capable d’inventer des récits fondés scientifiquement qui redonnent de l’espoir, en s’appuyant sur notre intelligence, notre besoin de vivre ensemble et notre besoin de sens. » suggère F. Taddei.

Il cite l’historien néerlandais Rutger Bregman qui tente de démontrer, dans Humanité. Une histoire optimiste que « la plupart des gens sont bons ». Selon lui, on « fabrique ce que l’on suppose chez l’autre. […] Si nous construisons nos institutions autour de l’idée que les gens sont égoïstes, nous ne devrions pas nous étonner que les gens se comportent ainsi ». Plutôt que d’accuser le public de sotte crédulité, le chercheur propose que nous nous attachions, chacun dans notre activité, à délivrer une information qualifiée et vérifiable, sans tenter d’imposer notre vérité. Dans le même temps, il nous appartient de former les jeunes à scruter les sources fiables et à dénoncer les manipulations d’acteurs peu scrupuleux et d’algorithmes maximisant davantage la recherche du profit que celle de la vérité.

Convoquons un « optimisme de la volonté » pour transformer la société

Afin de relever ces défis, F. Taddei comme Z. Bauman en appellent à notre responsabilité, individuelle et collective, de nous mobiliser pour passer à l’action.

Z. Bauman nous invite à mieux penser le monde pour mieux le transformer. Cela demande de mobiliser notre lucidité, d’aiguiser notre regard critique et d’apprendre à mieux voir pour faire que notre modernité soit la plus vivable que possible. Ainsi, le philosophe nous incite à développer notre pensée critique pour nous émanciper et sortir de ce qui nous aliène, donner la place à des micro gestes de résistance pour « renverser l’insoutenable ». Le processus révolutionnaire que revendique Z. Bauman est inspiré du philosophe et théoricien politique italien Antonio Gramsci, qui nous invite à « allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de la volonté ».

F. Taddei convient que : « … les révolutions naissent quand la somme des « je n’aime pas » devient intolérable pour un grand nombre de personnes ». Il s’inspire des œuvres du philosophe et sociologue Edgar Morin qui propose de lutter contre « les cécités de la connaissance » en combattant « l’erreur et l’illusion » qui ne cessent de parasiter l’esprit humain. Face au degré d’inconnues auquel nous confronte la période ouverte par la pandémie, « rechercher les ressources et le courage pour changer ce que l’on peut changer, la sérénité pour accepter ce que l’on ne peut changer et la sagesse pour distinguer les deux ». La sagesse s’impose ici pour enseigner la compréhension et nous mettre en posture d’apprendre les uns des autres avec humilité et empathie. A travers la pensée d’E. Morin, il introduit l’idée d’enseigner une « éthique du genre humain ».

Façonnons une éthique du « care »

Avec la portée inédite de la crise sanitaire et de ses conséquences socio-économiques, nous avons pris conscience que nous étions plus que jamais vulnérables et interdépendants, dans notre sphère personnelle comme professionnelle. En parallèle des personnes ayant contracté le virus, dont le nombre explose aujourd’hui avec les nouveaux variants, la pandémie a donné lieu à l’apparition de phénomènes en cascade – confinements, chômage partiel, télétravail, école à la maison… – qui ont pu être vécus comme des « rites de passage » pour reprendre l’expression de F. Taddei, amenant à cette prise de conscience de notre besoin d’entraide et de solidarité. Cette période de dérèglements a notamment permis d’entrevoir sa relation à l’autre à travers un nouveau prisme, celui du « care ». Une éthique de la relation qui a aujourd’hui largement dépassé le cadre des métiers du soin pour se diffuser plus largement dans la société et impacter les liens qui se nouent dans les organisations.

Si le « care » a été théorisé par Carol Gilligan en 1982 aux Etats-Unis ; je retiendrai ici la définition plus sociale proposée par la philosophe américaine Joan Tronto quelques années plus tard qui aborde l’éthique du « care » comme une manière de rendre le monde habitable par le soin que l’on apporte aux autres. Je trouve très évocatrice de ce que nous vivons aujourd’hui cette vision du « care » en tant qu’éthique de notre relation au monde et donc aux autres.

Entre vertu morale et geste technique, le « care » vu par le philosophe Paul Ricoeur s’apparente à une « sagesse pratique » dont la visée est de redonner une place à la vulnérabilité dans le lien social. Ici, prendre soin ne se résume pas à donner, mais cherche à solliciter la participation, le choix, et finalement l’action d’autrui. Autrement dit, le « care » est une relation entre deux acteurs – et non entre un sujet actif et un sujet passif. Avec le « care », nous offrons à l’autre les conditions d’éprouver sa dignité par davantage d’autonomie et la possibilité de s’émanciper. Pour permettre ce résultat, le « care » s’inscrit dans un processus qui va puiser dans quatre dimensions selon un principe de réciprocité.

Dans cette vision du « care » en tant qu’éthique de notre relation aux autres, nous voyons bien que la parole, le langage et le dialogue tiennent une place prépondérante pour se comprendre et se faire comprendre.

Cultivons notre langage pour « fusionner nos horizons »

Du fait de son ampleur inédite, la crise se matérialise dans un héritage qui nous réunit. Une histoire commune dans laquelle se raconter, partager son vécu, ses repères, dire ce qui a tangué, individuellement et collectivement, et comment on s’en est sortis ensemble.

« Autant que de biens matériels et de connaissances, nous avons besoin de mots et d’enchaînement de phrases pour réorienter notre monde dans des directions plus soutenables et émancipatrices » selon le théoricien de la littérature, philosophe et essayiste Yves Citton.

Car le langage fait de nous des créateurs. En nous donnant toute latitude pour nous positionner dans l’espace et le temps, convoquer le passé et inventer le futur. Le langage nous rend libres de créer, de faire émerger de nouvelles réalités. En cela, il nous donne une responsabilité considérable, qui peut nous conduire vers le meilleur, … comme le pire. On constate un peu partout une banalisation, voire un « ensauvagement » du langage, y compris dans les sphères diplomatiques les plus civilisées. Cette radicalisation du langage pourrait fait craindre une radicalisation des actes. Car la défaite du langage, c'est la défaite de la pensée ; « à langue molle, intelligence molle ». Et le contraire est vrai : lorsque la langue n'est plus nuancée, elle se délite !

Le langage est une ambition ! Il peut être fondateur de la société en tant qu’agent de liaison, d’échange et d’intégration. Quand il se fait dialogue, il nous donne à « fusionner nos horizons », à se parler au-delà des frontières intellectuelles et disciplinaires. Prendre soin du dialogue, c’est miser sur la créativité par la différence. [à lire aussi : Cultiver son langage, c’est prendre soin de soi et des autres…]

« Si, dans mes propres travaux, je dis qu’il est nécessaire qu’en toute compréhension, l’horizon de l’un se fusionne avec l’horizon de l’autre, il est clair que cela ne signifie pas non plus une unité stable et identifiable, mais quelque chose qui arrive à la faveur d’un dialogue qui se poursuit toujours. » précise le philosophe allemand Hans-Georg Gadamer

Nous devons être vigilants vis-à-vis de ces discours qui excluent, facteurs de division, source de manipulation et de mécompréhension. Pour autant, il ne s’agit pas de refuser le conflit mais de l’institutionaliser, de le rendre possible autrement que de façon violente. En réinventant des lieux pour se rencontrer, partager des savoirs, faire émerger des débats de qualité et inspirants.

Z. Beuman y voit des sphères de « générosité intellectuelle » dans lesquelles nous créons des communs ; nous nous mettons au point sur le monde que nous voulons construire et façonnons ensemble des solutions à notre échelle. Ces « panthéons vivants » que souhaite démocratiser F. Taddei, mettent en « coopétition » toute vérité humaine en reliant les champs du savoir à toutes les échelles. Passer du local au global nécessite pour lui de connecter celles et ceux qui ont des aspirations, des émotions, des rêves communs. Créer un « GPS des rêves » qui indiquerait comment réaliser nos rêves et avec qui. Et passer ainsi du rêve (personnel) à l’utopie (collective), en favorisant l’émergence de collectifs capables de faire ensemble des choses qu’une personne ne saurait faire seule…

Quelques références pour poursuivre l'inspiration
FRANCE CULTURE - L'invité(e) des matins du samedi - François Taddei : "La coopération est l'avenir de notre société"
FRANCE CULTURE - Conférences - Nous vivons dans une "société liquide"
CAIRN.INFO - L'éthique du care. Une nouvelle façon de prendre soin

J’aimerais apporter un éclairage sur une capacité vitale pour tout individu dans sa vie personnelle comme dans sa vie professionnelle : la confiance. La confiance peut tout changer, selon si vous la ressentez ou pas… Elle est, selon moi, un véritable marqueur de notre société. Car la confiance est au cœur des besoins exprimés aujourd’hui, individuellement et collectivement, pour réduire l’incertitude dans notre société et donc le sentiment de risque, et ainsi, permettre à chacun de se projeter sereinement vers un futur qu’il envisage comme possible.

La confiance a pris une dimension toute particulière dès les premières semaines de la crise sanitaire. Dans les entreprises, elle s’est trouvée exacerbée par la nécessité pour les dirigeants et les managers de déployer le travail à distance en responsabilité, en limitant les moyens de contrôle. Dans la société toute entière, elle s’est vue questionnée au regard des nombreuses inconnues qui ont jalonné l’évolution de la pandémie et des décisions prises par le gouvernement pour tenter d’en limiter les effets sur la population. Force est de constater que la confiance ne va pas de soi… Elle n’est pas quelque chose que nous devons considérer comme acquis une fois pour toutes. C’est une œuvre que nous devons consolider, chérir et préserver soigneusement. La confiance est un choix !

Dans le contexte des élections présidentielles, nous voyons chaque jours les dégâts causés par les postures de méfiance, voire de défiance, développées par certaines personnalités politiques, car elles génèrent une véritable crise de confiance vis-à-vis de nos institutions et de la société dans son ensemble. Un fléau que nous avons la responsabilité d’enrayer tant il nous entraîne dans un engrenage délétère et nous enferme dans une vie étriquée, cynique et insatisfaisante. Nous devons prendre conscience que chercher à obtenir des résultats en détruisant la confiance est une stratégie court-termiste car elle s’avère insoutenable dans le temps…

« La confiance est partie intégrante de la trame de notre société. Nous comptons sur elle. Nous la tenons pour acquise jusqu’au moment où elle est altérée ou détruite. Nous réalisons alors, dure prise de conscience, que la confiance est sans doute aussi vitale pour nous que l’est l’eau pour un poisson. Sans confiance, une société se désintègre et finit par imploser. » Stephen M.R. Covey

Fort heureusement, comme toute capacité humaine, la confiance se cultive. Il est à la portée de tout un chacun d’apprendre comment établir, accorder et restaurer la confiance autour de soi. Une « confiance intelligente », synonyme de discernement, moteur de l’action et catalyseur de la relation !

Dans son ouvrage « Le pouvoir de la confiance, l’ingrédient essentiel de l’épanouissement et de la performance », Stephen M.R. Covey, l’homme d’affaires et conférencier américain évoque une « économie de la confiance » à travers une formule simple qui fait de la confiance une variable tangible et quantifiable. Sa formule est basée sur une idée décisive : la confiance affecte toujours deux facteurs, la vitesse et le coût. Quand la confiance baisse, la vitesse baisse aussi et le coût augmente. Quand la confiance augmente, la vitesse augmente aussi et les coûts décroissent.

« L’impact pratique très tangible de l’économie de la confiance se mesure dans beaucoup de relations, dans beaucoup d’interactions, où nous payons un impôt masqué de basse confiance sans même nous en apercevoir ! »

Selon Stephen M.R. Covey, cet impôt basse confiance ne se limite pas à l’activité économique. Il est perceptible dans tous les secteurs, dans toutes les relations, interactions, communications, dans chacune de nos décisions, bref dans tous les aspects de la vie. Dans une entreprise, une confiance élevée améliore la communication, la collaboration, l’exécution, l’innovation, la stratégie, l’engagement, les partenariats et les relations avec toutes les parties prenantes. Dans notre vie personnelle, une confiance élevée améliore nettement notre enthousiasme, notre énergie, notre passion, notre créativité et la joie dans nos relations avec la famille, les amis et la communauté. De toute évidence, les dividendes de la confiance ne se limitent pas à une augmentation de la vitesse et de la rentabilité ; ils se retrouvent dans une satisfaction accrue et une meilleure qualité de vie.

Ce livre vous donne une paire de « lunettes pour la confiance » car pour la plupart des gens, la confiance est une variable invisible. Ils n’ont pas conscience de son impact dans nos relations et notre épanouissement. Mais une fois qu’ils ont chaussé les « lunettes de la confiance », ils détiennent la clé qui va améliorer aussitôt leur efficacité dans tous les domaines.

Choisir de « faire confiance » !

La confiance est une forme supérieure de motivation et d’inspiration. Rien n’est aussi puissant que l’influence de la confiance quand elle se propage.

Nous avons tous été soumis un jour ou l’autre à des situations de manque de confiance : contrôle tatillon, jugement, rétention d’informations, suspicion… Et nous avons pu éprouver les effets négatifs de ces comportements sur notre engagement, notre enthousiasme, notre créativité et sur le déploiement de notre énergie. A l’inverse, dans des situations où la confiance nous a généreusement été accordée, nous avons pu nous montrer inspirés, libérant le meilleur de nous-même.

Pour créer un environnement de confiance optimal, dans votre famille comme dans votre cadre professionnel, il est bien sûr nécessaire d’être digne de confiance et de savoir construire des relations confiantes à tous les niveaux. Mais c’est votre capacité à « faire confiance » qui est le facteur décisif.

Pour Stephen M.R. Covey : « Accorder sa confiance aux autres régénère l’élan intérieur, aussi bien le leur que le nôtre. Cet acte touche et éclaire la propension innée que nous avons tous à faire confiance et à nous montrer dignes de confiance. La confiance apporte le bonheur dans les relations, les résultats dans le travail et la foi dans la vie. »

Pour apprendre à placer judicieusement sa confiance et développer une « confiance intelligente », deux qualités sont nécessaires : une propension à la confiance et une capacité d’analyse.

Une faculté d’analyse élevée alliée à une forte propension à faire confiance permettent de développer l’intuition nécessaire à un jugement lucide et sage. Cette capacité à la « confiance intelligente » est littéralement effervescente ! Elle stimule une dynamique qui fait émerger sans cesse de nouvelles possibilités.

Les cinq vagues de la confiance, de l’intérieur vers l’extérieur…

A l’image d’une onde circulaire à la surface de l’eau, qui se propage de l’intérieur vers l’extérieur par vibrations, la confiance est une force qui se déploie en nous selon cinq vagues. Elle commence au niveau individuel, se propage à nos relations, s’étend à notre cadre professionnel, aux relations professionnelles hors entreprise et jusque dans nos relations sociales en général. La confiance reflète cette approche de « l’intérieur vers l’extérieur » : pour construire la confiance avec les autres, nous devons commencer par nous-mêmes.

1ère vague : la confiance en soi
Le principe de crédibilité

La première vague concerne la confiance que nous avons en nous-même – dans notre aptitude à nous fixer et à atteindre des objectifs, à tenir des engagements, à mettre en accord nos paroles et nos actes – ainsi que la confiance dans notre capacité à inspirer confiance aux autres. L’idée est de devenir pour nous-même comme pour autrui une personne digne de confiance.

La confiance en soi repose entièrement sur la crédibilité, de la racine latine credere, « croire », c’est-à-dire sur votre capacité à développer 4 fondements qui vous rendent crédible à vos propres yeux comme aux yeux des autres :

2ème vague : la confiance relationnelle
L’importance de l’attitude

La confiance relationnelle est centrée de A à Z sur l’attitude… la cohérence de votre comportement. Le principe-clé qui sous-tend cette vague est un comportement cohérent, à savoir la maîtrise du langage et des attitudes adaptées pour instaurer et développer la confiance.

Comme je l’ai évoqué dans mon article [ Cultiver son langage, c’est prendre soin de soi et des autres… Pour tisser des liens sincères et durables ] Parler le langage de la confiance, c’est construire une éthique du dialogue ; un dialogue fondé sur le respect et la dignité de chacun. C’est aussi concevoir le langage comme un agent de liaison, d’échange et d’intégration plutôt qu’un facteur de division. Cette éthique du dialogue ne se résume pas à un simple échange de paroles. Elle suppose que l’on respecte certaines règles, comme être de bonne foi, écouter, accepter l’objection, être prêt à reconnaître ses erreurs… Car le langage de la confiance doit permettre la recherche d’une vérité partagée dans le dialogue.

Selon Stephen M.R. Covey, 13 attitudes améliorent sensiblement votre capacité à instaurer la confiance dans toutes vos relations, aussi bien personnelles que professionnelles :

3ème vague : la confiance organisationnelle
Le principe d’intégration

La confiance organisationnelle montre comment les leaders peuvent susciter la confiance dans tous types d’organisations et d’équipes. Le principe-clé qui sous-tend celle-ci est l’intégration.

La priorité pour tout dirigeant ou manager est de s’attacher à instaurer la confiance en soi et la confiance relationnelle autour de lui, et bien entendu à obtenir la confiance de ses équipes. Pour favoriser la confiance organisationnelle, il doit s’employer à piloter sa structure, sa stratégie, ses processus en s’appuyant sur les 4 fondements et les 13 attitudes que nous venons d’appréhender dans les deux premières vagues. Il s’agit ici d’intégrer les méthodes qui développent la confiance dans tous les rouages de l’organisation.

Procédures bureaucratiques, règles pointilleuses ou inéquitables, attitude inadaptée d’un dirigeant sont autant de symboles, de représentations d’une culture d’entreprise, et de ce qui ne fonctionne pas dans une organisation. Il convient donc pour les responsables d’harmoniser l’organisation et ses méthodes avec les principes qui développent la confiance.

Et, dans votre entreprise, dans votre organisation à vous, qu’en est-il des symboles ? Quel message adressent-ils à vos collaborateurs en interne ? Ces symboles sont-ils en accord avec les principes qui créent un haut niveau de confiance ? Et quels sont les résultats ? Pour améliorer l’intention organisationnelle, assurez-vous que votre mission et vos valeurs reflètent des motivations et des principes qui permettent de bâtir la confiance.

4ème vague : la confiance du marché
Le principe de réputation

La confiance du marché se joue tout entière sur la marque ou la réputation. Elle repose sur un sentiment : celui qui va vous faire acheter des produits ou des services, investir votre argent ou votre temps, ou recommander cette marque à vos relations.

La confiance du marché concerne des acteurs extérieurs. Il s’agit des fournisseurs, des distributeurs et des investisseurs ou des clients, mais le plus simple à ce stade pour vous c’est de les considérer comme vos « clients ».

Si une organisation renforce ses quatre fondements et adopte les treize attitudes avec ses clients, elle sera capable d’accroître sensiblement la valeur de sa marque. Ces fondements et ces attitudes sont les clés de la construction de la crédibilité et de la confiance sur le marché. Et, n’oubliez pas : la confiance que vous serez capables de créer dans votre organisation et sur le marché résultera de la crédibilité que vous aurez d’abord créée en vous-mêmes.

5ème vague : la confiance sociétale
Le principe de la contribution

Une société à confiance élevée est une société d’abondance dans laquelle chacun a plus de choix et de possibilités. L’axiome n° 1 de la confiance sociétale est la contribution. C’est l’intention de créer de la valeur plutôt que d’en détruire, de donner plutôt que de prendre, qu’il s’agisse d’individus qui cherchent à se rendre utiles ou de grandes sociétés qui acceptent de servir non seulement leurs actionnaires, mais toutes leurs parties prenantes à travers leur visée humanitaire ou sociale.

L’essentiel des contributions qui donnent leur âme à nos sociétés est le fait d’individus ordinaires qui, un peu partout dans le monde, apportent leur pierre à l’édifice commun.

Comme nous le confie Stephen M.R. Covey : « C’est vous et moi qui prenons la décision consciente de valoriser et d’investir dans le bien-être des autres. C’est vous et moi qui répercutons cette décision dans tous les aspects de notre vie. »

Nous voyons avec cette cinquième vague combien la confiance rayonne à partir de l’estime de soi, avant de se propager à nos relations, à nos organisations et puis au marché, pour s’étendre à la société dans son ensemble. La citoyenneté est un choix individuel qui engage une vie entière. Et quand nous faisons ce choix dans notre vie, nous incitons celles et ceux avec qui nous travaillons et vivons à faire des choix aussi positifs dans leur propre vie. Ensemble, nous bâtissons des organisations et des familles qui contribuent au bien-être du monde.

Il m’a fallu plus de 20 ans pour comprendre que j’avais choisi le métier de la communication non pas pour développer des outils mais pour créer du lien autour de moi. C’est l’exercice du management qui m’a ouvert les yeux. La responsabilité que porte le manager par son intention, par sa posture et son discours, à donner du sens, à engager ses collaborateurs et à prendre soin de ses interactions avec son équipe. Comme il se doit également d’incarner le modèle de relation qu’il souhaite voir se développer entre ses collaborateurs.

C’est bien là tout l’enjeu de notre société à mon sens. Quels liens voulons-nous tisser avec nos « semblables » ? Ce mot, « semblables », peut paraître désuet mais il me semble traduire qu’au-delà des cultures, des communautés, des statuts, des niveaux hiérarchiques, des classes d’âge…, nous sommes avant tout des êtres sociaux, et à ce titre, nous nous devons de prendre soin les uns des autres dans nos relations interpersonnelles, notamment à travers notre langage. Car le langage est un phénomène social de premier ordre au travers de ses fonctions d’expression et de communication. Il participe ainsi à la sociabilisation de l’individu.

Pour autant, nos modes de vie en accéléré et le tumulte des réseaux sociaux peuvent nous faire perdre de vue la valeur du langage dans nos interactions au quotidien. Comment le choix d’un mot, en fonction de la charge émotionnelle qu’il véhicule, peut faire basculer une relation, une situation, une action… dans une dynamique positive ou négative. Comment une conversation, faute d’attention portée au mode de fonctionnement ou à l’état émotionnel de notre interlocuteur, peut tourner au « combat de mots » et finir dans une impasse…

Comme le souligne Jeanne Bordeau dans son récent ouvrage Le nouveau pouvoir du langage : « La langue de notre époque perd une part de sa chair et se doit d’être courte, brève et péremptoire dans un monde accéléré (…) Vélocité de l’information, diffusion immédiate de concepts grandiloquents, le tout à l’info flash, vient hystériser des informations qu’il faut rendre spectaculaires. Sans hiérarchie, sans cohérence, sans vision, le langage circule dans tous les sens et en devient « in-sensé ».

Le langage est d’autant plus précieux qu’il est vecteur de sens, qu’il donne de la clarté à nos idées pour relier et faire cohabiter des faits et des ressentis profonds souvent paradoxaux.

A travers l’éclairage de Jeanne Bordeau et quelques autres lectures, je vous invite à prendre toute la mesure du pouvoir du langage. Car le langage nous fait exister, par notre compréhension du monde, par l’expression de nos idées, de nos émotions. Et en nous reliant, il nous fait exister aux yeux des autres. Il nous signe, nous dessine et dit qui nous sommes. En créant un monde commun dans le dialogue, le langage est source d’humanité… Cultiver son langage, c’est donc prendre soin de soi et des autres et se projeter dans la relation avec attention et plaisir !

La recherche d’une vérité partagée dans le dialogue

Le langage est nécessaire à la construction de liens sociaux dans le sens où il favorise la communication. Vivre ensemble suppose un minimum d’échanges et de coordination, donc un minimum de communication entre les membres d’une communauté. Le langage permet ainsi d’élaborer un monde commun ; il s’inscrit dans une relation à travers laquelle chacun peut exprimer des pensées, des émotions, des valeurs, des besoins… et partager des informations, des connaissances, des intentions… En cela, le langage est un mode d’accomplissement privilégié car il nous fait exister pour soi et à travers les autres.

Le langage peut donc être fondateur de la société en tant qu’agent de liaison, d’échange et d’intégration. Mais le langage peut également devenir facteur de division, soit de façon inconsciente, en étant source de malentendu ou de maladresse, soit de façon consciente, en devenant un instrument de manipulation, de mensonge et de domination.

Toutefois, quelle que soit l’origine de ces divisions et tensions sociales, elles ne pourront se résoudre que par l’intermédiaire du langage construit sur une véritable éthique de communication fondée sur le dialogue !

Comme l’exprime très justement Abdelbasset Fatih, professeur agrégé de lettres modernes, dans son article Le langage dans la société : « Ce qui fait vraiment de la société un espace humain, ce n’est pas le langage mis au service des appétits de pouvoir et de domination, ce n’est pas le langage qui divise et qui exclut mais le dialogue qui jette les ponts entre les humains ».

Dans son article, Abdelbasset Fatih aime à citer la politologue, philosophe et journaliste Hannah Arendt : « Pour Hannah Arendt, c’est parce qu’ils peuvent parler ensemble sur ce qui les concerne tous que les hommes peuvent partager la même vie et le même monde. Le dialogue est pour elle bien plus qu’une condition de la vie en société, il est un critère majeur d’humanité ».

Pour tendre vers une éthique de la discussion, les interlocuteurs doivent s’accorder sur les critères de réussite du dialogue et sur le fondement de ce dialogue qui les réunit, à savoir la volonté d’entendre ce que dit l’autre et d’accepter ce qui nous sépare : « L’aptitude de dialogue implique le dépassement de l’égocentrisme, du dogmatisme et des préjugés pour tenter d’entendre ce que dit l’autre ». Un dialogue fondé sur le respect et la dignité de chacun.

Cette éthique du dialogue ne se résume pas à un simple échange de paroles. Elle suppose que l’on respecte certaines règles, comme être de bonne foi, écouter, accepter l’objection, être prêt à reconnaître ses erreurs... Car le langage doit permettre la rechercher d’une vérité partagée dans le dialogue. Et pour accéder à cette vérité, il peut être judicieux d’adapter son langage à celui de l’autre pour en favoriser la compréhension mutuelle.

Faire de nos interactions sociales une source de plaisir !

Dans son article intitulé Le langage contribue-t-il à unir ou à diviser les hommes ? Maryvonne Longeart, Docteur en philosophie, souligne : « La parole échangée suppose la recherche d’une vérité partagée et non la pure affirmation dogmatique d’une opinion. Dans l’échange, on est prêt éventuellement à changer de point de vue ».

Elle illustre son propos en reprenant la métaphore de Maurice Merleau-Ponty pour qui « dans l’expérience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font qu’un seul tissu ». On peut voir ici une référence aux deux fils d’un tissage : la trame et la chaîne ; l’un des interlocuteurs fournit la trame, l’autre la chaîne et la signification commune - le tissu commun - est la résultante des deux.

Pour sa part, Abdelbasset Fatih vise une véritable « esthétique du dialogue. Autrement dit l’art de parler qui consiste à rendre l’échange agréable pour les deux parties. Il s’agit bien ici du plaisir qu’on éprouve en parlant à autrui ou en l’écoutant, car la société des hommes, c’est aussi cela ».

Nous sommes tous familiers de ce dialogue qui tisse des liens et forge la relation. Le plaisir de s’ouvrir à un échange authentique et sincère, dans lequel chacun se sent libre d’incarner son histoire et sa sensibilité, sans phare ni faux semblants. Un dialogue qui s’enrichit des expériences de chacun et qui permet à un langage vivant et en mouvement de rebondir d’une idée à l’autre. Un dialogue prolongé qui ouvre des horizons infinis et stimule le pouvoir d’agir… Car comme le suggère Hannah Arendt : « Les mots justes, trouvés au bon moment, sont de l'action ».

Un langage responsable qui donne de l’attention

Jeanne Bordeau scrute les métamorphoses du langage dans les entreprises. Pour elle, les évolutions du langage de l’entreprise et de la marque sont éloquentes car elles sont le reflet des transformations sociétales et des nouvelles attentes des « consomm’acteurs ». C’est aussi le langage qui exprime la culture des organisations et façonne leur relation avec l’ensemble de leurs parties prenantes.

Elle voit émerger un langage responsable et attentionné, incarné par des « entreprises qui ont une âme » et qui parlent avec cœur et raison au plus près de l’oreille de leurs clients. Pour adopter le ton juste, elles fondent leur langage sur la « parole source » de leurs équipes et des personnes de métiers et d’expertise. Une « langue de preuve » héritée d’un savoir-faire et d’un savoir-être incarnés, une langue fiable et juste chargée d’une histoire et de la sédimentation d’une culture.

Néanmoins, si le langage des entreprises est aujourd’hui construit pour susciter plaisir et émotion auprès de ses clients, il doit viser les mêmes vertus en interne… Une Symétrie des attentions qui pose comme principe fondamental que la qualité de la relation entre une entreprise et ses clients est symétrique de la qualité de la relation de cette entreprise avec l’ensemble de ses collaborateurs. [à lire aussi : Collaborateur vs Client ? Et si on visait plutôt l’alignement des expériences…] C’est pourquoi, ce langage empreint de justesse et d’attention doit également s’ancrer au cœur de l’entreprise, dans les relations interpersonnelles, en exprimant de l’écoute, de la bienveillance et de la considération. Fort heureusement, les organisations ont pris conscience de l’enjeu de capitaliser sur l’intelligence relationnelle de leurs forces vives en investissant le champ de la communication interpersonnelle. Parce que l’entreprise est un organisme vivant, elle construit sa valeur économique sur les multiples connexions tissées entre ses différentes parties prenantes. Elle a ainsi la capacité à redonner au langage ses lettres de noblesse dans ses rangs. Pour Jeanne Bourdeau : « mieux on maîtrise le langage, mieux l’on va » car formaliser et dire avec justesse libère de ce que nous ressentons et ouvre la voie à des échanges constructifs et sincères.

L’entreprise a également pour mission de cultiver un dialogue de qualité qui prend sa source au cœur du travail. [à lire aussi : Manager, c’est se réapproprier l’essence (les sens) de la communication… et favoriser le dialogue] Donner la parole aux collaborateurs pour débattre des règles, des contraintes, des ressources…de leur activité, c’est les reconnaître dans leur autorité sur leur métier et c’est leur donner le pouvoir d’agir au sein de leur organisation, voire en dehors. Elle a donc un rôle déterminant à jouer pour conforter le « vivre ensemble » qui s'y joue et prendre soin de la qualité du lien social qui s'y noue. Car l’entreprise n’est pas hors de la société, elle est la société !

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