A l’heure de la sobriété énergétique, je vous propose de vous connecter à une ressource inépuisable et pourtant méconnue, vecteur de joie et d’épanouissement : votre désir ! Il fait partie des ressources encore mal connues car accéder à son désir requiert d’aller explorer au plus profond de son cœur. Et pour la plupart, nous n’avons pas appris à écouter notre cœur, à sonder au-delà du bruit de fond produit par notre ego… Car je ne parle pas ici de notre désir de posséder toujours plus, guidé par notre mental, mais du désir comme moteur de notre vie et guide pour nous réaliser ! Pour vous montrer le chemin, je me suis inspirée des philosophes, car ils ont observé que le désir tient un rôle essentiel dans la vie et que notre bonheur, le nôtre et celui de notre entourage, dépend de sa maîtrise.

Pour vous mettre sur la piste de votre désir, j’ai trouvé un formidable manuel d’éducation au désir signé par le philosophe et sociologue Frédéric Lenoir à travers son dernier livre Le désir, une philosophie.

Frédéric Lenoir est convaincu que nous ne trouverons notre liberté et une joie véritable qu’en cultivant nos désirs les plus personnels et en les orientant vers des objets qui nous font grandir, qui donnent du sens à nos vies, qui nous permettent de nous réaliser pleinement selon notre nature singulière.

En revisitant les philosophes de l’Antiquité d’Orient et d’Occident à aujourd’hui, il pointe deux clés de compréhension du désir humain dont nous faisons tous l’expérience : le désir-manque, qui nous apporte du plaisir, mais qui peut aussi nous conduire à la convoitise, à l’envie et à l’insatisfaction permanente ; et le désir-puissance, qui nous élève jusqu’à la joie parfaite, mais qui peut aussi nous conduire à une forme de domination ou d’excès s’il n’est pas réglé par la raison. Selon F. Lenoir, notre existence oscille bien souvent entre les deux et si nous aspirons à la sérénité et à la joie, il est nécessaire de se concentrer sur le désir-puissance, d’apprendre à le discerner et à bien l’orienter.

Notre cerveau est configuré pour désirer toujours plus

C’est avec Platon, que nous découvrons le désir-manque. Il présente l’être humain comme un perpétuel insatisfait qui ne cesse de désirer ce qu’il n’a pas. Nous sommes tous familiers de ce processus sans fin : nous désirons jusqu’à ce que nous obtenions l’objet de notre désir pour finalement nous en lasser et reporter notre désir sur un nouvel objet à désirer, dont nous allons également finir par nous lasser… Le désir-manque est largement exploité par la société de consommation dans laquelle nous évoluons !

Pour expliciter ce processus, F. Lenoir met en lumière les travaux du chercheur en neurosciences Sébastien Bohler qui propose une synthèse des recherches scientifiques sur le cerveau humain dans son lien avec le désir et le plaisir. Il met en cause une partie archaïque de notre cerveau : le striatum, programmé depuis des millions d’année pour la survie de l’individu et de l’espèce. Chaque fois que notre quête de nourriture, de sexe, de pouvoir ou d’information est couronnée de succès, le striatum libère de la dopamine, la molécule du plaisir. Motivés par notre cerveau, nous sommes donc naturellement en quête de ce plaisir occasionné par la satisfaction de nos désirs.

« Notre cerveau est configuré pour en demander toujours plus, même quand ses besoins sont satisfaits » précise Sébastien Bohler (XXIe siècle)

Le striatum nous pousse ainsi, de manière compulsive, à désirer toujours plus ! Cette tendance au toujours plus est renforcée par la comparaison sociale, inscrite dans nos gènes, qui nous incite à nous comparer à nos semblables et à vouloir posséder davantage qu’eux. Nous désirons ce que les autres désirent (désir mimétique), ce que les autres possèdent (convoitise) et nous comparons notre bonheur au leur (envie).

Dans l’expression de ce désir-manque, conduit par notre striatum vers une insatisfaction permanente, se joue la manifestation de notre ego. Pour enrayer cet appauvrissement du désir et contourner les effets de notre cerveau, il nous appartient de nous connecter à nos désirs profonds, porteurs de notre singularité et de notre élan vital.

Cultiver notre désir pour augmenter notre puissance vitale

C’est le philosophe hollandais Baruch Spinoza qui constate la place centrale que tient le désir dans notre existence. Le désir est une force qu’il faut cultiver pour nous sentir de plus en plus vivants, pour augmenter notre puissance d’action et pour grandir dans la joie. Il définit le désir-puissance comme cet appétit conscient qui nous pousse à persévérer dans notre être et à augmenter sans cesse notre puissance vitale.

« Le désir est l’essence de l’homme » écrivait Spinoza au XVIIe siècle.

L’être humain est selon lui un être désirant qui jouit pleinement de la vie grâce au désir. Un être humain qui ne ressent plus aucun désir est un mort-vivant. Lorsque nous sommes sourds à notre désir, nous diminuons notre puisse d’être et d’action et nous ressentons de la tristesse. Lorsque nous écoutons notre désir, nous augmentons notre puissance vitale et nous ressentons de la joie.

Pour grandir dans la joie, il nous revient d’orienter nos désirs vers des idées, des choses, des personnes, des aliments qui sont bons pour nous et qui s’accordent bien avec notre nature singulière. Pour cela, nous devons soumettre nos désirs au discernement de notre raison, voire de notre intuition si nous l’avons développée. C’est par l’observation minutieuse de nous-même, par l’introspection, par l’expérience de la vie, que nous parvenons à déceler et à nous connecter aux désirs qui sont bons pour nous et font notre bonheur.

Nietzsche, quant à lui, emprunte à Spinoza cette force désirante de l’être humain qui le pousse à grandir, à prospérer et à agir, qu’il baptise « volonté de puissance ». Comme Spinoza, il admet que pulsions, désirs et passions peuvent nous avilir, c’est pourquoi, il convient selon lui de les spiritualiser, de les embellir, de les élever par la raison et par les effets les plus nobles que sont l’amour, la gratitude et la joie.

Nietzsche dépeint l’être humain désirant comme un surhomme qui assume pleinement la vie, qui dit « un grand oui sacré » à la vie, car il l’aime telle qu’elle est, et non pas telle qu’il voudrait qu’elle soit.

« Nietzsche nous invite donc à affirmer notre volonté de puissance, à désirer pleinement, à nous dépasser, à développer notre créativité, mais aussi à acquiescer au monde et à la vie » nous partage F. Lenoir.

Avec le philosophe Henri Bergson, nous continuons à marcher dans les pas de Spinoza et de Nietzsche, à travers sa théorie de « l’élan vital » qui désigne ce mouvement créateur permanent qui accompagne l’évolution de la vie et des êtres. Il permet non seulement à la vie de dépasser les obstacles qui se présentent, mais aussi de migrer continuellement en créant de la nouveauté.

Cet élan de vie se caractérise par une « formidable poussée intérieure ». Nous sommes tous soutenus, traversés, tirés par l’élan vital, qui nous incite à progresser, à grandir, à nous adapter, à évoluer, à créer et à nous inventer.

Pour F. Lenoir, cultiver notre puissance vitale, comme le soulignent Spinoza et Nietzsche, ou cultiver l’élan vital, à l’invitation de Bergson, nous conduit à désirer en nous sentant pleinement vivants. Mais, plus que l’objet du désir, c’est le mouvement même du désir qui importe dans le sens où il nous inspire, nous fait agir, nous rend créatifs.

Oser désirer, avec intensité et détermination

« Malheur à celui qui n’a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède. » Jean-Jacques Rousseau (1761)

Les philosophent nous engagent ici à oser désirer et à écouter nos désirs. Or, bien souvent, nous n’avons pas conscience de nos désirs profonds et ne savons pas comment nous y connecter. Si nous sommes conscients de notre désir, nous pouvons avoir des difficultés à les exprimer et le chemin vers leur réalisation est donc bloqué. Alors, comment identifier ces désirs qui pourraient nous mettre dans la joie ?

Le médecin et penseur suisse Carl Gustav Jung a placé ces questions au cœur de sa pratique thérapeutique et de sa réflexion. Pour lui, la question du sens de la vie et centrale. Selon Jung, il existe deux grandes voies pour répondre à ce besoin vital de sens : la religion et le processus d’individuation. Une croyance religieuse structurante fournit en effet à l’être humain un dispositif de sens qui l’aide à vivre et qui répond à son besoin fondamental d’avoir une représentation du monde et de son existence qui satisfasse la totalité de son être (conscient et inconscient). Ce besoin peut aussi provenir, pour des individus non religieux, d’un travail psychologique et spirituel, que Jung appelle le « processus d’individuation », et qui consiste à devenir l’individu singulier que nous sommes, à accéder à notre véritable personnalité. Il s’agit d’accueillir et de faire grandir ce qui pousse en soi, de conscientiser le mouvement singulier de notre puissance vitale et d’identifier ainsi nos désirs les plus profonds et personnels. A la suite de Spinoza, Nietzsche et Bergson, Jung est donc convaincu que chaque individu est mû par une force intérieure qui le pousse à s’accomplir, à se réaliser de manière unique, d’où le mot « individuation ».

« Il s’agit de dire oui à soi-même », écrit Jung.

Pour y parvenir, Jung nous invite à écouter les messages de notre inconscient, notamment à travers nos rêves et les synchronicités (les troublantes coïncidences qui se manifestent parfois dans nos vies), à faire tomber le masque social que nous portons et qui dissimule notre véritable personnalité et à identifier nos désirs les plus intimes et les plus forts, ceux qui nous mettent dans la joie.

Jung a ainsi mis à jour une loi universelle de l’être humain : ce besoin de s’accomplir de manière singulière en réalisant sa personnalité, en accomplissant sa vocation profonde. S’aligner avec nos désirs, nous procure une joie et une énergie intenses, et la détermination à aller jusqu’au bout de ce que nous entreprenons.

« Plus l’âme désire avec intensité, plus elle rend les choses agissantes, et le résultat est semblable à ce qu’elle a souhaité » écrivait le grand théologien médiéval Saint Albert le Grand (XIIIe siècle).

Dans sa carrière, F. Lenoir nous confie avoir expérimenté cette vérité absolue : l’univers répond bien souvent aux désirs les plus profonds et les plus justes de notre cœur. J’observe combien ce constat se vérifie, à titre personnel, en osant prendre ma place dans une nouvelle trajectoire professionnelle, et via le chemin parcouru par les personnes que j’accompagne dans la clarification de leur intention. Lorsque nous sommes alignés avec nos désirs, tout s'aligne !

Mettre de la conscience sur nos désirs pour mener une existence juste et bonne

« La manière dont nous orientons nos désirs n’a pas seulement un effet sur notre vie personnelle : elle impacte aussi notre entourage, la société dans laquelle nous vivons et aujourd’hui la planète entière » souligne l’auteur.

En matière de désir, la question essentielle à se poser est la suivante : mon désir s’exprime-t ’il dans « l’être » ou « l’avoir » ? Si nous plaçons essentiellement notre désir dans le domaine de l’avoir, nous demeurons éternellement insatisfaits et restons prisonniers des pulsions de notre cerveau primaire. A l’inverse, si nous sommes mus par un accroissement de notre être, nous ne sommes jamais frustrés car la connaissance, l’amour, la contemplation de la beauté, le progrès intérieur nous comblent.

Dans son livre Avoir ou être. Un choix dont dépend l’avenir de l’homme (1976), le psychanalyste et sociologue américain Erich Fromm affirme que du choix que l’humanité fera entre ces deux modes d’existence dépend sa survie même. « Pour la première fois dans l’histoire, la survie physique de la race humaine dépend du changement radical du cœur humain ».

Un rééquilibrage entre l’avoir et l’être, entre l’extériorité et l’intériorité, entre les besoins du corps et les besoins de l’âme, entre la conquête du monde et la conquête de soi, est plus que jamais nécessaire. Pour mener une existence juste et bonne, nous devons mettre de la conscience sur nos désirs. Cela suppose une très grande soif de vérité. C’est parce que j’ai un très grand désir de vérité que je serai capable de dépasser mes désirs-manque, mes peurs et mes croyances et de les soumettre objectivement à la vérité des faits et du réel. Cette urgence à bien penser est devenue vitale pour F. Lenoir.

« La survie de nos sociétés dépend de cette juste orientation de nos désirs et cela ne peut se faire sans qu’ils soient polarisés par le respect du vivant, le souci d’autrui et la recherche de vérité. Il est donc plus que jamais nécessaire de mettre de la conscience sur nos désirs. Tel est sans doute le plus grand défi de notre époque. »

Personnellement, je m'emploie chaque jour à conscientiser mes désirs et à les expliciter, pour comprendre et me faire comprendre de mon entourage sur ce qui m'anime dans ma vie. Cet entrainement quotidien à cultiver, nourrir et m'aligner avec mes désirs est un processus puissant qui me met en mouvement avec détermination et efficacité, et me procure une joie immense !

Pour diffuser la puissance du désir et stimuler le pouvoir d'agir autour de moi, j'ai choisi de guider les individus et les collectifs qui souhaitent se connecter à leur nature profonde en contribuant à faire émerger leur singularité et à se réaliser dans l'action avec énergie et impact.

Et vous, mettez-vous de la conscience sur vos désir ?

Je fête aujourd’hui un bel anniversaire, celui de ma liberté professionnelle ! Voilà 3 ans que j’ai quitté le salariat et je savoure chaque jour un peu plus le goût de cette liberté nouvelle. Non pas la liberté de ne plus travailler mais la liberté de choisir ma route, mon histoire professionnelle. La liberté d’explorer de nouveaux horizons, de me tromper, de bifurquer et d’incarner pleinement ma contribution à l’œuvre que j’ai choisi d’accomplir.

Car c’est bien d’accomplissement dont il est question. Ça n’est pas la liberté que je suis allée chercher en premier lieu en quittant mon emploi de salariée ; c’est la nécessité de combler un désir d’accomplissement personnel dans ma vie professionnelle. Un désir d’expansion, de dépassement de soi littéralement ! La valeur « liberté » ne m’est apparue que récemment, comme la seule voie possible face à une crise que j’ai dû traverser.

« La liberté ne se définit pas par la quantité de choix, mais elle se construit à partir des obstacles qu'elle trouve sur son chemin... » souligne la philosophe Gabrielle Halpern.

La liberté n’est donc pas un acte posé là, une décision que l’on prend. Elle commence par s’insinuer dans notre vie, subtilement, dans les interstices de notre Désir de travail. Elle profite de l’espace que nous lui accordons pour s’y introduire et lorsque ce Désir de travail est bien clair, notre liberté peut s’exprimer pleinement.

Puiser à la source de notre Désir de travail

Quand on cherche à comprendre en quoi consiste la liberté dans le travail, il est utile de commencer à se questionner sur son Désir de travail. Cette notion a été développée par Roland Guinchard, psychologue et psychanalyste et Gilles Arnaud, psychosociologue et professeur de psychologie des organisations à l'ESCP, dans leur ouvrage Psychanalyse du lien au travail. Le désir de travail. [A lire aussi : « Savoir donner toute sa place à notre désir, dans le travail… »]

Pour les deux auteurs, la question du Désir de travail se pose à tous car il existe chez tout être humain une énergie pulsionnelle orientée vers l’action et la réalisation :

« Cette poussée énergétique brute, en s’intégrant à la psychologie de l’individu au cours des premières années de sa vie, se transforme alors en un désir d’agir et de faire à la recherche d’un accomplissement en ce monde… »

Dans leur ouvrage, ils proposent de changer de regard : plutôt que de chercher à mettre un peu de désir dans le travail, faire apparaître que le travail est partie intégrante du désir humain

Toute personne qui travaille ou souhaite travailler, doit donc s’attacher à ne jamais renoncer à son désir et s’engager à faire absolument quelque-chose de ce désir-là ! Pas seulement une petite place, ni n’importe quelle place car le désir de travail est exigeant. Chacun d’entre nous a donc la responsabilité de clarifier son Désir de travail pour lui donner toute sa place.

Alors que je m’efforçais en vain depuis des années de donner un nouveau souffle à ma carrière dans la communication, j’ai dû me rendre à l’évidence que mon Désir de travail était ailleurs… Il m’a fallu traverser de nombreux écueils pour, à chaque fois, être amenée à creuser un peu plus profondément en moi et trouver enfin la source de mon Désir de travail. Alors, le temps est venu d’en parler, à toutes les personnes susceptibles de m’aider à le préciser encore et encore, à le comprendre, à le rendre tangible, accessible… jusqu’à me sentir complètement au clair et alignée avec ce Désir de travail.

C’est à ce moment-là que les premiers indices de liberté sont apparus. A travers le sentiment que tout devenait possible grâce à la nouvelle activité que j’étais en train de me construire, au gré de rencontres et d’opportunités. [A lire aussi : « Quand tout devient possible ! »]

Assez naturellement, est né ensuite le besoin de nourrir ce désir de travail en s’aventurant dans de nouvelles contrées pour continuer à apprendre et ainsi, me dépasser. Car, selon Spinoza, le désir est un effort pour persévérer dans son être. Cette période où l’on explore le champ des possibles, où l'on se « jette à l’eau » pour apprendre encore et challenger ses capacités, est d’une richesse incroyable ! On repousse les limites toujours plus loin pour s’augmenter et tendre vers la liberté. Pour le penseur indien Jiddu Krichnamurti, apprendre est un mouvement qui libère l’esprit et qui ouvre en grand l’espace dans lequel notre Désir de travail peut s’exprimer.

Selon Jiddu Krichnamurti, la liberté intérieure est impossible sans cet espace intérieur.

« La liberté est un état d’esprit. Un état d’esprit qui ne peut être compris sans l’espace. La liberté exige de l’espace. L’esprit ne peut-il jamais être libre s’il ne possède pas à l’intérieur de lui-même un espace illimité ? »

A ce moment-là, après que j’ai créé l’espace permettant à mon Désir de travail de s’épanouir, j’ai pris conscience combien la valeur liberté était devenue cruciale pour moi.

Libérer les énergies dans le travail

Si l'on s’inspire de la conception énergétique du désir de Spinoza, faire toute sa place au Désir de travail revient à déployer une puissante énergie au service d’une mission qui nous tient à cœur.

L’enjeu pour l’entreprise et le management se situe dans leur capacité à donner aux personnes qui travaillent la liberté d’agir, de créer et de s’accomplir autant que possible dans leur activité professionnelle. Pour cela, il convient de prendre en compte la singularité de chaque individu et de reconnaître l’énergie humaine qui est à l’œuvre dans son travail. [A lire aussi : « Trouver sa juste place au travail, c’est permettre à sa singularité de s’exprimer pleinement »]

Récemment, Marie, une jeune manager que j’accompagne me partageait son intention de faire monter en compétence son équipe pour que chaque individu gagne en autonomie et prenne ses responsabilités dans ses missions. Et là, perplexe, elle constatait qu'en réaction, la plupart des membres de son équipe s’étaient mis en retrait de leurs responsabilités. Pour bien comprendre, il faut savoir que cette équipe a longtemps travaillé « sous cloche », dirigée par un manager omniprésent qui commandait la moindre tâche à effectuer. Cette liberté subitement offerte par leur nouvelle manager est apparue très effrayante pour une équipe qui a longtemps été maternée.

Pour permettre à ses collaborateurs de prendre la mesure de leurs responsabilités, Marie, doit donc veiller à faire émerger le Désir de travail de chacun des membres de son équipe. Inscrire ces désirs individuels dans une ambition commune et une exigence forte invitant au dépassement. Et rendre visible par la reconnaissance le chemin parcouru et le fruit des efforts consentis par chacun.

« Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité » Victor Hugo

Dans son ouvrage Travail, la soif de liberté, le DG de la Word Employment Confederation, Dennis Pennel milite pour un modèle plus organique d’entreprise, qui passe par une meilleure reconnaissance et un meilleur respect de la nature humaine, où l’être humain est considéré d’abord pour ce qu’il apporte plus que pour ce qu’il exécute.

Il pointe la naissance d’un nouvel âge du travail, réconcilié avec la liberté, pour répondre à une aspiration profonde des travailleurs vers plus d’autonomie et moins d’autorité. Il dépeint dans son livre le « besoin d’air » qu’éprouvent nombre de salariés face à des prescriptions de plus en plus contraignantes et une charge de travail de plus en plus stressante.

Denis Pennel accuse la « perte de soi-même » car beaucoup de travailleurs n'ont le sentiment d’être eux-mêmes qu’en dehors du travail ; dans le travail, ils se sentent en dehors d’eux-mêmes.

Donner le meilleur de soi, dans le travail

Denis Pennel nous invite à introduire une forme d’écologie humaine au travail : « tout comme l’écologie de la nature doit entendre le cri de la planète, celle du travail doit écouter le cri de hommes ! »

Le travail a connu de nombreux bouleversements ces dernières années. Tout d’abord avec le déploiement du télétravail, le travail est de moins en moins un endroit où se rendre qu'une activité à mener. Dans le même temps, les heures de bureau ont volé en éclat ! Autre phénomène observé par Josh Bersin, analyste pour Deloitte : « Dans le monde d’aujourd’hui, les gens ne sont plus embauchés pour un poste mais plus pour des rôles qu’ils vont occuper. Ils sont responsables de « missions » et de « projets » et plus simplement d’une fonction ».

Pour autant, même si aujourd’hui le travail s’est affranchi de l’espace, du temps, de la fonction, il étouffe encore dans un cadre trop rigide et coercitif conçu à l’ère industrielle, qu’est le modèle du salariat. Selon Denis Pennel, le salariat est devenu un choix par défaut, non pour ses caractéristiques intrinsèques mais plutôt pour la protection et la couverture sociale que son statut garantit. Il prône l’émergence d’un nouveau modèle, inspiré de la révolution du travail portée par les start-uppers, slaschers, co-workers : le « libertariat ».

Denis Pennel décrit le « libertariat » comme : « la recherche d’un marché du travail sans domination et sans exploitation, où les individus s’associent et coopèrent librement dans une dynamique de liberté et de respect mutuel tout en bénéficiant d’une protection juridique et sociale garantissant leurs droits fondamentaux ».

Selon l’auteur, nous ne règlerons pas les problèmes du XXIe siècle par des solutions inventées au XXe. Il invite plutôt à regarder du côté de ceux qui cherchent de nouvelles solutions permettant aux individus de redevenir acteurs et sujets de leur travail et d’accomplir une activité qui leur tient à cœur.

Il cite une interview du philosophe Bernard Stiegler en 2015 : « La société de demain devra tirer de chacun de nous le meilleur aussi souvent que possible. Or ce meilleur, c’est ce que nous faisons de bonne volonté. Lorsque je suis libre de mon temps et que je m’adonne à ce que j’aime, je donne le meilleur de moi-même ».

A l’heure où les robots libèrent l’homme du travail le plus pénible, pour Denis Pennel, il est essentiel de se recentrer sur l’humanité au travail, sur ce que seul l’homme peut accomplir face aux robots. Après les bras et le cerveau, c’est maintenant au cœur de prendre le dessus dans le travail.

Il nous partage l’extrait d’une interview du consultant américain Dov Seidman dans Les Echos : « nous sommes passés d’une économie industrielle – où on embauchait des bras – à une économie de la connaissance – où on embauchait des têtes – et maintenant une économie humaine – où on embauche des cœurs ».

Dans cette révolution du travail en marche, l'émergence des cœurs risque fort de chambouler les mécanismes de l’entreprise et la société toute entière. Pour ma part, je compte bien y contribuer, à mon échelle !

Mes sources d'inspiration
Psychanalyse du lien au travail. Le désir de travail de Roland GUINCHARD
Travail, la soif de liberté de Denis PENNEL
LES ECHOS - Quand les entreprises embaucheront des cœurs 

En matière de leadership, l’ego et l’intention sont les deux faces d’une même pièce. A qui se fier : côté pile, la voix tonitruante du jugement et des peurs portée par notre ego, ou côté face, la voix du cœur faite de désir et de joie, issue de notre intention ? Si vous laissez le hasard tirer à pile ou face, en faisant une confiance aveugle à votre ego, vous prenez le risque d’être orienté(e) dans la mauvaise direction, ou de prendre la mauvaise décision. Alors que si vous vous connectez à votre intention...

Je discutais récemment avec une ancienne journaliste qui venait de prendre un virage professionnel en accédant à de nouvelles fonctions managériales dans l’accompagnement à l’entrepreneuriat. Elle me partageait ses difficultés à prendre sa place dans une organisation qu’elle avait intégrée au bénéfice d’une création de poste. Comment prendre possession pleinement de ses nouvelles responsabilités sans empiéter sur les missions de son équipe qui était là avant elle ? Comment laisser s’exprimer les capacités pour lesquelles elle avait été recrutée sans faire de l’ombre à ses collaborateurs ? Je l’ai tout naturellement invitée à clarifier son intention dans cette prise de poste et à la partager, en toute sincérité et authenticité avec les membres de son équipe. Sans surprise, ses réflexes de journaliste ont rapidement été mis en éveil pour bien comprendre en quoi consistait cette intention sur laquelle je la challengeais. Elle m’a alors demandé de but en blanc si une intention pouvait être bonne ou mauvaise, faisant référence ici au management toxique dont peuvent souffrir certaines organisations, pilotées par des manageurs pétris de mauvaises intentions. J’avoue avoir été prise de cours par sa question ! Car le propre de l’intention est de libérer son énergie pour avoir un impact positif sur les environnements que nous désirons créer ou changer. Il n’existe pas d’un côté, les bonnes, et de l’autre, les mauvaises intentions. C’est un abus de langage, car une intention est nécessairement portée par un dessein constructif pour soi comme pour les autres.

Alors, qu’est ce qui guide ces managers à adopter des comportements nocifs pour leur collègues, leurs collaborateurs ? Ne serait-ce pas plutôt… leur ego ?

L’ego, cet imposteur qui dirige notre vie !

Mais qui donc est cet ego qui fait tant parler de lui ? C’est une construction mentale, une représentation que l’on a de soi-même, des autres et du monde. L’ego est une fausse identité en quelque sorte, un imposteur né de nos peurs et de nos croyances. Depuis notre plus tendre enfance, nous avons appris à nous comparer aux autres, à nos frères et sœurs, à nos camarades de classes… Ce réflexe s’est ancré avec les années, nous invitant à nous juger en permanence en nous affublant de trop ou de pas assez. Notre ego nous conduit à nous conformer à l’image de ce qui serait bien ou mal.

Notre mental, nourri par nos peurs et nos croyances, nous conduit ainsi à endosser des rôles qui font écran à notre vraie nature. Comme une partie de nous qui s’exprimerait à notre place, verrait et entendrait à notre place, et surtout, voudrait exister de plus en plus en nous… Nous ne réalisons pas à quel point notre ego dirige notre vie ! Quand il prend le pouvoir, nous sommes dans le mental. [A lire aussi : « Soigner son intention, c’est dire STOP aux ruminations ! » ]

« C’est un peu comme si vous n’habitiez plus votre corps, n’écoutiez plus votre cœur, ne ressentiez plus votre existence : vous interprétez la réalité, le plus souvent en la déformant, vous prêtez aux autres des intentions qui ne sont pas les leurs, vous projetez vos peurs, vos problèmes, vos doutes, vos attentes. Vous réfléchissez les événements au lieu de les vivre. Car le mental ne connaît que le passé et le futur. Le mental vous coupe du présent. » confie Laurent Gounelle dans son roman Et tu trouveras le trésor qui dort en toi.

L’ego a besoin de se sentir unique et différent. En cela, il nous sépare des autres et nous éloigne de notre vraie nature qui, au contraire, tend à l’union. Notre ego peut même nous pousser à l’opposition, au conflit et à la division pour se sentir exister, comme en témoignent les jeux de pouvoirs auxquelles s’adonnent nos édiles politiques.

C’est notre ego qui se manifeste lorsque :

Lorsque nous nous sentons misérables, angoissés, querelleurs, jaloux ; lorsque nous sommes effrayés, que nous nous sentons insultés ou flattés, c’est le jeu de notre ego. Alors, que faire puisque se battre contre son ego revient à lutter contre soi-même ?

Accepter que notre ego puisse avoir tort

L’ego étant le fruit de notre mental, il est infiniment difficile de faire taire les ruminations dont il nous affuble. Au contraire, chacune de nos pensées vient l'alimenter et lui donner encore plus de place. Il nous faut donc apprendre à détourner notre attention de ces raisonnements erronés pour se concentrer sur nos désirs, nos valeurs, nos engagements et vivre pleinement la réalité présente.

Le psychologue américain Albert Ellis nous enseigne que tous les êtres humains ont la même valeur, indépendamment de ce qu’ils possèdent et de leurs caractéristiques externes. En conséquence, il nous invite à reconnaître en conscience nos forces et nos faiblesses, notre potentiel, ainsi que nos limites pour mieux les accepter. Il fait de l’acceptation une condition indispensable pour affronter les aléas de la vie avec sérénité et trouver les ressources pour passer à l’action.

L’enjeu est de progresser vers plus de conscience en observant les informations qui proviennent de l’extérieur, tout comme nos pensées et émotions, avec recul et neutralité, sans jugement de valeur. Nous devenons ainsi plus conscients de ce qui nous guide et nous égare pour focaliser notre énergie non pas à lutter inutilement contre les errements de notre ego mais à progresser avec détermination vers notre objectif.

Développer une nouvelle conscience

« Nous vivons à une époque de profonds dérèglements et d’immenses potentiels ; une époque marquée par la fin d’un mode de pensée et de structures sociétales liés au passé ; une époque qui accueille la naissance d’une nouvelle conscience », tel est le constat d’Otto Scharmer, maître de conférences au MIT (Massachussetts Institute of Technology) et cofondateur du Presencing Institute, à l’origine de la Theory U.

Pour lui, ce changement de conscience est capital, au regard des trois fractures que nous connaissons aujourd’hui :

En matière de leadership, O. Scharmer constate que nous assistons au passage d’une conscience ego-systémique, centrée sur notre propre bien-être, à une conscience eco-systémique, c’est-à-dire l’émergence d’une conscience incluant le bien-être de tous portée par l’activation d’une nouvelle intelligence, l’intelligence du cœur. Il observe que les groupes qui se mettent en action à partir de cette conscience peuvent être terriblement efficaces.

Il fait référence ici à ce qu’il appelle l’angle mort du leadership, c’est-à-dire cet état intérieur, à la source de nos actes, de nos paroles, de nos décisions… auquel la plupart d’entre nous est aveugle. Il nous invite à faire émerger cette conscience profonde, cette intention qui nous anime et suscite chez nous des émotions positives.

Le domaine du sport de haut niveau nous donne une grille de lecture de cette dimension intérieure. Tout compétiteur va s’employer à aligner sa volonté (ses forces physiques/mentales, sa capacité à se dépasser…), avec ses émotions (l’enthousiasme à vivre ce défi sportif et l’optimisme quant à ses résultats…), avec ses désirs (de victoire, de nouveaux records…) et son imaginaire (celui de se voir monter sur le podium). Dans le domaine du management, ces dimensions intérieures nous sont relativement inconnues. Il est très rare que soit mise en œuvre cette conscience de l’intérieur vers l’extérieur pour améliorer les performances managériales.

L’intention, catalyseur de notre désir d’être et pouvoir d’agir

Cette nouvelle conscience de l’intérieur vers l’extérieur, est selon O. Scharmer le fruit d’un grand vouloir qui peut être activé sous trois conditions :

En psychologie, ce grand vouloir est ce qui caractérise l’intention. Dans son ouvrage Le pouvoir de l’intention, Wayne Dyer, psychothérapeute américain, désigne l’intention comme « un but ou un dessein clairement affirmé, accompagné de la détermination à obtenir le résultat désiré ». Pour lui, l’intention est « une force que nous portons tous en nous, un champ d’énergie qui se déploie au-delà de nos repères habituels ». [A lire aussi : "Avez-vous pris soin de vous accorder avec votre intention aujourd’hui ?"]

L’intention naît de l’alchimie entre notre désir d’être et notre pouvoir d’agir.

L’intention nous est propre et ne dépend que de nous ! Elle demande donc à être conscientisée, questionnée, explorée pour émerger et devenir claire à nos yeux. Car si l’intention existe déjà en nous, elle a besoin d’être extériorisée pour donner sa pleine puissance. L’intention fait l’action ! Plus souvent nous prenons le réflexe de clarifier notre intention, dans toute situation, mieux nous sommes à même de nous orienter dans l’action.

Pour Claire Rosart, chercheuse en systémique des groupes : « Une intention, c’est un peu comme une balise que l’on jetterait dans la direction que l’on souhaite emprunter et qui donnerait le cap en envoyant des signaux réguliers, nous permettant ainsi de cheminer dans son sens tout en s’adaptant à la réalité du terrain. C’est donc une force invisible qui dirige nos actions en mettant en route des dynamiques qui nous font avancer. […] Lorsqu’on est sur son chemin d’intention profonde, l’énergie déployée est décuplée. »

Il nous revient de choisir le champ d’énergie qui nous permettra d’avoir un impact positif sur les environnements que nous désirons créer ou changer dans notre vie. Cela signifie faire le choix d'ignorer notre ego et à travers lui la voix du jugement, du cynisme et de la peur, pour porter toute son attention sur son intention et écouter à travers elle et en pleine conscience la voix de son cœur et de sa volonté.

Cheminer en se laissant guider par son intention profonde procure l'enthousiasme pour passer à l'action, le cap pour prendre les bonnes décisions, la vision pour porter un projet, le sens pour engager ses parties prenantes et le bon niveau d'écoute pour se comprendre.

Mes sources d'inspiration
Et tu trouveras le trésor qui dort en toi de Laurent GOUNELLE
Le pouvoir de l'intention de Wayne W. DYER
Théorie U, l'essentiel d'Otto SCHARMER
L'intention personnelle en vidéo par Claire ROSART

Il y a à peine dix ans, nous débattions de l’opportunité de convoquer le « bonheur » au travail… Avec la crise sanitaire, on a vu poindre une question encore plus cruciale dans le monde du travail : la place du désir… Il ne vous a pas échappé que depuis un an ou deux le désir a investi le vocabulaire de l’entreprise : économie désirable, entreprise désirable, expérience désirable du travail… Pas étonnant, si l'on considère le séisme qui a bousculé de façon systémique tous les piliers de notre vie depuis 2020. Pas étonnant lorsque l’on se remémore le premier confinement ; ce temps suspendu qui nous a permis de prendre un peu de hauteur sur notre quotidien et de nous poser les vraies questions sur le sens de notre existence, notamment dans notre travail. Un temps long, détaché du bureau, pendant lequel de nombreux salariés ont éprouvé le besoin de comprendre à nouveau pourquoi ils travaillent. Derrière ce besoin de sens au travail, se cache l’histoire d’une quête, celle de nos désirs profonds !

Le désir est en nous la marque du manque, une faille qui caractérise le fonctionnement humain. Par extension, le désir est donc la condition de tout projet, de tout espoir, de tous les possibles…

« De ce point de vue, il est non seulement le signe de l’imperfection au cœur de l’être humain et de son "défaut" structurel, mais il est aussi et surtout ce qui permet à chacun de se projeter en dehors de lui-même, de s’activer, d’aller vers la rencontre, de sortir de sa solitude et de s’acheminer là où son désir le pousse » comme le décrit la chercheuse, philosophe et écrivaine italienne Michela Marzano dans son article Le désir : un équilibre instable entre manque et puissance.

Entre manque et puissance, je vous propose ici d’invoquer ce désir, de le faire émerger et de penser la place qu’il occupe dans votre vie ! Car le désir évoque l’homme, comme l’écrit le psychanalyste Denis Vasse dans son essai Le temps du désir. Le désir est notre essence, la source de ce qui nous pousse à agir, la marque de ce qui fait de nous un être singulier.

« Le désir n’est jamais une « chose » qui est « là », déterminée une fois pour toutes. Il n’est jamais un « point précis ». Il est plutôt une espèce de ligne de fuite, une tension, une expansion, ce par quoi la subjectivité de chacun peut se définir. » selon M. Marzano.

Spinoza a une conception énergétique du désir. Le désir est selon lui un effort pour persévérer dans son être et devenir conscient de soi. On trouve une illustration de cette approche grâce à Roland Guinchard, psychologue et psychanalyste et Gilles Arnaud, psychosociologue et professeur de psychologie des organisations à l'ESCP, qui ont collaboré à l’écriture de Psychanalyse du lien au travail. Le désir de travail.

Ils explorent ici le Désir de travail comme un processus vivant qui est une part importante de la vie, au moins autant que l’amour. Leur réflexion se réfère à l’existence, chez tout être humain, d’une énergie pulsionnelle orientée vers l’action ou la réalisation : « Cette poussée énergétique brute, en s’intégrant à la psychologie de l’individu au cours des premières années de sa vie, se transforme alors en un désir d’agir et de faire à la recherche d’un accomplissement en ce monde… ».

Dans leur ouvrage, ils proposent de changer de regard : plutôt que de chercher à mettre un peu de désir dans le travail, faire apparaître que le travail est partie intégrante du désir humain

Le Désir de travail, un désir d’agir et de faire à la recherche d’un accomplissement en ce monde

Selon R.Guinchard et G.Arnaud, le désir qui nous pousse au travail est une énergie. En cela, le Désir de travail n’a rien à voir avec l’envie de travailler ou la motivation. C’est l’ensemble des éléments conscients et inconscients qui déterminent tous les avatars de notre travail, depuis notre comportement face à la tâche jusqu’à notre parcours de carrière.

« Créer la motivation est évidemment un abus de langage, si on considère que la seule chose vraiment possible ne consiste en rien d’autre qu’à dégager de la place à un Désir de travail. […] Il conviendra de respecter d’abord le Désir, et tout ce dont il a besoin et se nourrit : du « sens » et du « symbolique », de la parole claire et des repères sans cesse revus et précisés, des champs délimités, des relations infiniment régulées, et entretenues. »

La question du Désir de travail se pose à tous. Toute personne qui travaille ou souhaite travailler, doit donc s’attacher à ne jamais renoncer à son désir et s’engager à faire absolument quelque-chose de ce désir-là ! Pas seulement une petite place, ni n’importe quelle place car le Désir de travail est exigeant.

Un Désir cinq fois exigeant

Dans ce sens, la responsabilité du chef d’entreprise ou du manager est de favoriser l’expression du Désir de travail chez les personnes auxquelles il propose un emploi. Car l’ignorance du Désir de travail ne peut qu’entraîner sa maltraitance. Il leur appartient donc de désencombrer le Désir de travail.

« La richesse de l’entreprise, c’est son énergie, et l’énergie de l’entreprise n’est pas l’homme mais le Désir de travail. »

Le Désir de travail ne se manage pas, il se ménage plutôt !

Dégager le terrain pour permettre au Désir de travail de s’exprimer pleinement nécessite de s’appuyer sur une idée qui peut paraître invraisemblable : tout le monde a envie de travailler ! Car, comme nous l’avons vu dans le précédent chapitre, le Désir de travail est exigeant au regard de l’ambiance et de ses conditions d’exercice. Ce que certains pourraient caractériser de paresse est en fait le résultat d’une forme de carence au sein de l’organisation, l’absence d’un véritable espace pour permettre au projet de l’équipe de s’épanouir.

Il faut comprendre qu’il existe une rivalité entre l’objet travail interne, qui est la manifestation de notre désir, et l’objet travail externe, qui est porté par le marché de l’emploi, la culture d’entreprise… Il y a manifestement méprise lorsque l’entreprise s’évertue à rendre cet objet travail externe tout de même assez désirable pour ses collaborateurs. Cette course éperdue à la (re)motivation est illusoire si le management laisse le Désir de travail orphelin, sans reconnaissance, sans repères et sans parole tenue.

« Si le travail est enfin reconnu comme objet véritable du désir humain, il devient inutile de vouloir créer la motivation de toutes pièces puisque le désir a cette particularité qu’il ne meurt jamais, même s’il peut être recouvert ou mis en veille. »

C’est dans cet espace, cette place consacrée à l’expression du Désir de travail que se joue la manifestation du sens. On parle souvent de sens dans le travail sans pouvoir définir clairement de quoi il s’agit. Pour R.Guinchard, quatre dimensions contribuent au sens car elles sont constitutives des piliers qui soutiennent le Désir de travail :

Comme le souligne G.Arnaud : « L’origine de la plupart des problèmes de management réside dans tout ce qui empêche le Désir de travail de se manifester ».

Nous avons le devoir d'explorer le champ des possibles de notre Désir

A l'invitation de R.Guinchard et G.Arnaud, je vous invite donc à changer de regard, à appréhender le travail comme Désir, comme un objet au cœur de notre inconscient, mystérieux et essentiel, avec lequel nous entretenons une relation intime, précieuse. Acceptons que le Désir de travail soit à l'œuvre en nous. Accueillons cette donnée énergétique indispensable pour comprendre notre rapport au monde et à nous-même. Nous avons le devoir d'explorer le domaine de notre Désir de travail pour déterminer le champ des possibles et nous réaliser en ce monde.

J'aimerais conclure en vous partageant une très belle contribution à l'ouvrage Le désir au féminin de Gabrielle Halpern, Docteur en philosophie et autrice : « C’est précisément par le désir que l’on échappe à soi, à ses rétrécissements et que l’on est entraîné vers tout ce qui est autre. C’est par le désir seulement, comme sortie hors de soi, que l’on existe, au sens fort du mot, plutôt que de se contenter de vivre ».

Pour G.Halpern : « Désirer, ce n’est pas voyager, c’est s’aventurer. [...] Cette philosophie du désir devrait être la première chose que l’on enseigne aux enfants : les rendre désireux du monde, de ceux qui les entourent, de ce qu’ils ne connaissent pas, de ce qui leur est étranger. On apprend trop souvent aux enfants à être désirables, et non à être désireux ».

Quelques références pour poursuivre l'inspiration :
RIMEFI Recherche en Management Economie et Finance - Qu'est-ce que le Désir de travail ?
CAIRN.INFO - Le désir : un équilibre instable entre manque et puissance
Cercle de Réflexion Universitaire du lycée Chateaubriand - Spinoza ou l’énergie du désir

A l’approche des élections présidentielles, avec la multiplication des débats entre candidats et autres interviews dans les médias, me voilà de nouveau en proie à mes vieux démons… Ces combats de mots, ces attaques qui fusent, ces allégations mensongères dont le seul objectif est de faire poser genou à terre à son adversaire, tout cela m’oppresse !

Au lendemain d’un débat très commenté entre deux candidats, j’écoutais un programme à la radio dédié au décryptage de ce qui fût, selon certains chroniqueurs : « un duel et même un combat de catch plutôt qu’un échange, entre deux adversaires qui s’interrompaient et se hurlaient dessus sans s’écouter ». Et là, incroyable, l’émission de radio a pris la tournure d’un débat dans le débat, entre une partie des journalistes considérant qu’il n’y avait pas de débat sans surjouer, sortir les poings et s’invectiver, et les autres pour qui de telles foires d’empoigne finissaient par stériliser le débat, annihiler les idées et au bout du compte contribuaient à perdre les électeurs…

Effectivement, étymologiquement, le mot débattre signifie battre, frapper, rosser avec intensité. Et sans subtilité, ni nuance aucune, c’est bien ce à quoi se prêtent nombre de nos édiles politiques, encore aujourd’hui, et de façon de plus en plus virulente, me semble-t-il.

« Si bien que le débat politique finit par s’apparenter à ces reconstitutions de joutes chevaleresques, où des cascadeurs se livrent à une démonstration d’escrime chorégraphiée en poussant de grands cris rageurs, tout en sachant qu’ils ne courent aucun danger parce que leurs épées sont émoussées. Et pendant que nous nous divertissons devant ces simulacres d’affrontements herculéens, sans cesse rejoués, il y a une chose qu’hélas, nous perdons de vue : le véritable débat d’idée. » comme le souligne Clément Viktorovitch, journaliste à France Info dans son émission Entre les lignes en décembre 2021.

Et si nous nous employions à « relever le débat » ? Façonner une parole noble, forte et utile pour donner à comprendre et faire avancer les idées. Faire preuve d’exemplarité dans notre langage en s’inspirant de virtuoses de l’art oratoire, de champions de l’éloquence, d’amoureux de la parole, qui la portent avec talent dans les prétoires… Dans cet article, je m’inspire de deux ouvrages : Remarques sur la parole de Jacques Charpentier, Bâtonnier du barreau de Paris de 1938 à 1945 et La parole est un sport de combat de Bertrand Périer, avocat et enseignant de l’art oratoire à Sciences Po et HEC.

Alors que J. Charpentier s’amuse à opposer écriture et art oratoire, il est frappant de voir combien ses écrits sont porteurs de sa parole vibrante. Lui qui enseigne que la parole est d’abord un corps en mouvement et une tension. Il nous donne à lire ici un verbe vivant, vigoureux et volontaire.

En 1961, date de la parution de son ouvrage, J. Charpentier se questionnait sur l’avenir de la parole : « En l’an 2000, les hommes parleront ils encore ? ». Il percevait alors que la parole était en voie de régression. Pour lui, l’art oratoire était déjà gagné par la maladie : « Nous ne sommes pas en présence d’un accident, mais d’une affection déjà ancienne et qui a grandi. D’abord un léger voile sur les notes hautes, un peu de laryngite. Une extinction de voix. Puis l’enroulement est devenu chronique. Et un jour, le cancer se généralise ».

J. Charpentier avait également une vision très éclairée de la déliquescence de la parole politique. Il était pour lui évident que l’éloquence politique était en chute verticale. Il constatait depuis un demi-siècle la suppression progressive du débat public. Un constat qui l’amenait à porter un regard très dur et pourtant lucide sur l’impact de cette déliquescence sur la société.

« Dans un monde qui ne s’intéresse qu’à la quantité, les combats de l’esprit ne seront plus que des batailles de chiffres. A tout propos on nous ferme la bouche avec des statistiques. Mais pour rendre les équations accessibles aux foules, on les remplacera par des graphiques, des courbes, des feuilles de température, ou des images violentes qui se graveront dans les mémoires. »

Quel débat politique pour forger quelle société ?

Pour être transparente avec vous, j’avais prévu de donner comme sous-titre à ce chapitre : « Le contre-exemple du débat politique d’aujourd’hui » ! J’ai finalement décidé de l’aborder sous un angle plus positif… Alors pour éviter de biaiser mon analyse, étant donné que les débats politiques actuels m’angoissent littéralement, je préfère vous partager quelques extraits du décryptage du politologue et maître de conférences à Paris II, Benjamin Morel, dont vous trouverez l’intégralité de la chronique dans les ressources en toute fin du présent article.

Il s’agit ici d’entrevoir la portée possible d’un débat politique en partant d’un cas concret, significatif de ce que la campagne présidentielle nous donne à voir. J’ai choisi cet exemple indépendamment de l’identité et du bord politique des candidats qui sont les protagonistes de ce débat. L’objectif consistant simplement à en analyser la forme au regard des enjeux électoraux.

Pour B. Morel, chacun des deux candidats, en perte de vitesse dans les sondages, a cherché à se démarquer de son adversaire en incarnant une posture opposée, en surjouant ses positions pour construire l’autre candidat comme le négatif de lui-même.

Ces postures très tranchées, voire agressives, ont donné lieu à des échanges extrêmement vifs incitant les journalistes à intervenir à plusieurs reprises pour demander aux débatteurs d’arrêter de s’apostropher. Le débat a rapidement tourné à la cacophonie avec des interruptions multiples qui ont pu avoir comme conséquence de dé-présidentialiser chacun des candidats.

Dans ce face à face, on voit clairement que la stratégie de décrédibilisation de l’adversaire adoptée par chacun des candidats, non pas sur le fond des idées mais sur la personne, a conduit à ce qu’ils se neutralisent mutuellement. D’une certaine manière, les rhétoriques qui s’affrontent conduisent à stériliser les échanges. Au bout du compte, cela perd les électeurs et pour les deux candidats, le débat est une occasion manquée.

Voilà un exemple type du discours politique comme instrument de conquête du pouvoir, tel que le dépeint B. Périer. Nous atteignons ici des extrémités qui rendent inaudible toute vision politique, à part peut-être pour les plus avertis. Comment réconcilier les citoyens avec la politique en se donnant en spectacle dans un théâtre de stratégies et de manipulations ? Pour sa part, J. Charpentier considère que toutes les maladies du langage sont des défaillances de la volonté !

Pour toucher une population, un débat ne doit-il pas rentrer dans la société ? Se plonger dans les questions du quotidien ? Aborder avec humilité les crises traversées ? Ecouter avec compassion les besoins exprimés. Explorer avec curiosité les initiatives qui fonctionnent à une petite échelle pour les diffuser à des échelles plus grandes… Porter une parole ancrée dans le réel et dans l’humain, comme l’évoque B. Périer.

J. Charpentier considère qu’il n’y a que deux manières d’apprendre à parler : Parler. Ecouter : « le premier devoir de l’orateur est de connaître – ou de deviner – la vérité de ceux qui l’écoutent. Pour que ses vérités à lui s’incorporent à eux, qu’elles deviennent leur sang et leurs muscles… ».

Faire des mots une arme de cohésion massive !

Telle est l’invitation de B. Périer. Pour lui, le vrai débat d’idées est une façon d’éviter les rapports de force car la violence naît de l’incapacité à confronter les points de vue et à se comprendre...

« L’écoute, plutôt que les coups. Débattre, plutôt que se battre. […] En aidant chacun à exprimer sa pensée de façon plus exacte, plus précise, plus argumentée, en bannissant les invectives et les propos rudimentaires, j’ai la conviction que l’on facilite le débat, et que l’on parvient à faire reculer les violences qui naissent de l’incompréhension. De la même façon que la parole peut diviser, elle doit aussi pouvoir nous réunir. Pas nécessairement dans le consensus mais dans le goût partagé de la controverse. »

La parole est nécessaire à la construction de liens sociaux car elle favorise la communication pour nous amener vers une compréhension mutuelle. La parole permet ainsi d’élaborer un monde commun ; elle s’inscrit dans une relation à travers laquelle chacun peut exprimer des pensées, des émotions, des valeurs, des besoins… et partager des informations, des connaissances, des intentions… En cela, la parole est un mode d’accomplissement privilégié qui nous fait exister pour soi et à travers les autres. [A lire aussi : « Cultiver son langage, c’est prendre soin de soi et des autres… »]

Pour la politologue, philosophe et journaliste Hannah Arendt, « c’est parce qu’ils peuvent parler ensemble sur ce qui les concerne tous que les hommes peuvent partager la même vie et le même monde. Le dialogue est pour elle bien plus qu’une condition de la vie en société, il est un critère majeur d’humanité ».

Parce que la voix humaine est contagieuse, pour J. Charpentier, c’est grâce à la parole que nous pouvons passer à l’action. Pour lui, la parole est action ou n’est rien. Parler, c’est faire du travail. On juge la parole à ses résultats. C’est en passant l’épreuve d’un débat qu’une idée, une théorie révélera sa force ou sa faiblesse et qu’elle mènera ou non à l’action.

Parler, ce n’est pas rien dès lors que l’on met une intention dans le langage ou que l’on partage des intentions mutuelles dans la cadre d’un dialogue. Dans la discussion, parler consiste à chercher la compréhension mutuelle, rendre explicite l’implicite, c’est une réelle entreprise coopérative.

Le pouvoir du langage c’est celui de nommer, de créer et donc de réaliser une réalité. Alors, la parole devient action dans le sens où elle vise à accomplir quelque chose. Et le vouloir dire entraîne le pouvoir agir. Tout l’enjeu est ici d’inventer des espaces pour favoriser cette parole dans laquelle on se comprend et à travers laquelle on décide de se mettre en action.

Inventer des espaces pour discuter, débattre, délibérer et se comprendre…

« Parler, c’est convertir. Au moins convaincre ; ou raffermir des convictions chancelantes ; ou rapprocher des divergences ; ou mettre au monde des opinions embryonnaires ; au moins répandre un sentiment, propager une disposition, jeter la graine au vent, lancer la bouteille à la mer. » clame J. Charpentier.

Dans la même veine, B. Périer convoque une parole qui part à la recherche de ce qui nous rapproche plutôt que de ce qui nous sépare. Cela suppose de se positionner honnêtement et de ne pas caricaturer la pensée de l’autre dans le débat d’idée.

Dans ce chapitre, je vous propose d’étudier trois « espaces », à inventer ou existants, pour apprendre à discuter, débattre, délibérer et surtout, pour se comprendre et faire avancer les idées. Il m’a semblé intéressant d’appréhender trois dispositifs proches dans leur philosophie et complémentaires dans les populations qu’ils adressent : la société, le monde du travail et la famille. Ces systèmes vertueux venant se soutenir les uns les autres.

Des Espaces de Délibération Démocratique

Pour François Taddei, spécialiste de l’évolution de la coopération qu’il étudie à l’Inserm, et fondateur du CRI devenu Learning Planet Institute, la démocratie du XXIème siècle, si elle veut survivre et se développer, doit devenir participative à tous les niveaux, du plus local au plus global. Il propose de « déployer, à toutes les échelles, des espaces de délibération démocratique qui intégreraient dans leur structure et leur fonctionnement les piliers d’une décision éclairée : la recherche de la compréhension des faits (par la science), la formation permanente des acteurs et l’écoute des oppositions et contre-pouvoirs ».

F. Taddei imagine une démocratie fondée sur un gouvernement humble qui sait qu’il n’a pas toutes les solutions et qu’il va falloir écouter les citoyens pour coconstruire ensemble un avenir souhaitable. Une démocratie capable d’empathie, de compassion, capable d’entendre les besoins, les désirs et les peurs aussi, dans un processus ouvert et pas descendant. Pour éprouver des solutions qui satisfassent tout le monde. Il propose d’inventer de nouveaux systèmes dans lesquels nous sommes encouragés à faire émerger le meilleur de nous-même, en réintroduisant des débats de qualité et en régulant ceux qui manipulent nos émotions. Il rêve de lieux dans lesquels la culture, l’éducation, l’information de qualité et l'inspiration vont pouvoir émerger.

Un rêve qui fait écho à une invitation de J. Charpentier : « Ecouter. Chaque fois que l’occasion s’en présente. Fréquenter les églises, les palais de Justice, les universités, les Parlements. Ecouter les maîtres. Ecouter les médiocres, ne serait-ce que pour apprendre d’eux ce qu’il ne faut pas dire. Et tout en écoutant, étudier le public ».

Des Espaces de Discussion sur le Travail

Un autre défi est d’ouvrir le dialogue dans les organisations ! Un dialogue permanent et à tous les niveaux qui s’inscrit dans les routines de l’entreprise de manière à élaborer ensemble les bases de l’action collective.

Là encore, le dialogue dans le travail s’articule autour de deux dimensions fondamentales : l’écoute et la discussion, pour confronter les objectifs stratégiques avec les réalités opérationnelles. L’enjeu est d’ouvrir le débat au sein des équipes sur les différentes façons d’envisager l’activité et partager sur les critères du travail bien fait. En somme, créer des lieux d’expression sur l’activité dédiés à la coopération, permettant à chacun de développer son pouvoir d’agir dans une optique de résolution de problèmes. [A lire aussi : « Communiquer sur le travail, c’est bien… Communiquer dans le travail, c’est mieux ! »]

Pour coopérer, selon le sociologue Philippe Zarifian : « il faut partager la compréhension des problèmes, confronter leur analyse, se projeter ensemble dans l’avenir et anticiper les actions à mener, voire coélaborer, coécrire en quelque sorte la conception de ce que l’on doit entreprendre ensemble ».

Ces espaces au sein desquels les personnes qui travaillent peuvent faire entendre leur voix pour que les modalités de l’action commune soient mises en délibération sont les Espaces de Discussion sur le Travail, développés par l’ANACT. Cette pratique permet une discussion centrée sur l’expérience du travail et ses enjeux, les règles de métier, le sens de l’activité, les ressources, les contraintes… C’est un lieu essentiel de progrès et d’innovation, car vecteur d’apprentissages individuels et collectifs, au croisement de la performance sociale et économique.

Dans son ouvrage L’entreprise délibérée. Refonder le management par le dialogue, Mathieu Detchessahar, professeur des Universités - Laboratoire d'Economie et de Management Nantes-Atlantique (LEMNA), l'assure : « Quand il est vécu à un bon niveau de dialogue, le travail devient une véritable « école de la citoyenneté » où l’on s’entraîne à examiner des problèmes de façon partagée et critique, où l’on est invité à cultiver les vertus de la dépendance assumée : écoute, prudence, maîtrise de soi, respect d’autrui… ».

L’entreprise n’est pas en dehors de la société, elle est la société ! C’est pourquoi elle a un rôle déterminant à jouer dans l’organisation de la vie au travail. Constituée de femmes et d’hommes animés par des aspirations sociales renouvelées et portés par un élan de vivre ensemble inégalé, l’entreprise est responsable de la qualité du lien social qui s’y inscrit.

Des Temps d’Echange en Famille

La famille est le premier système au sein duquel les jeunes enfants commencent à acquérir les compétences sociales fondamentales qui vont forger leur vie d'adulte. Pour acculturer les plus jeunes à l’art de la discussion et du débat au sein du foyer, j’ai pour ma part expérimenté les Temps d’Echange en Famille (TEF), un outil de discipline positive aux nombreuses vertus. Ces rendez-vous hebdomadaires d'une trentaine de minutes permettent aux membres de la famille d’apprendre à s’apprécier de façon positive en se remerciant et en se faisant des compliments. Un autre objectif consiste à s’aider les uns les autres, à résoudre des problèmes et trouver des solutions sur des préoccupations qui adressent parents comme enfants. Et enfin, bénéfice non négligeable de ces rencontres, elles contribuent à se faire plaisir ensemble et à planifier des activités en famille.

Mes enfants, aujourd’hui jeunes adultes, se souviennent encore de nos Temps d’Echange en Famille qui ont rythmé leurs fins de week-end pendants de nombreux mois. Je me rappelle encore de la joie que j’ai éprouvée à les voir exprimer de plus en plus facilement des manifestations de reconnaissance mutuelle et à trouver des solutions par eux-mêmes à leurs petits tracas du quotidien. Ce type d'espace est parfaitement adapté pour favoriser l'apprentissage de l'empathie et de la conversation à l'école également.

EtSiNous apprenions à fusionner nos horizons à la recherche d’une vérité partagée dans le dialogue, en société, au travail, en famille ?

EtSiNous inventions des espaces pour discuter, débattre, délibérer et faire avancer les idées, avec des chercheurs, des philosophes, des sociologues, des journalistes, des amoureux du langages et tous ceux qui se retrouvent dans ce rêve éveillé…

Quelques références pour poursuivre l'inspiration :
FIGARO LIVE - Débat Pécresse/Zemmour : notre débrief
FRANCE INFO - Entre les lignes - Quand le débat politique devient une joute chorégraphiée
FRANCE CULTURE - Les Chemins de la philosophie - Parler, est-ce agir ?
FRANCE CULTURE - L'invité(e) des matins du samedi - François Taddei : "La coopération est l'avenir de notre société"
THE CONVERSATION - Portrait(s) de France(s) : où en est le débat public ?
SISMIQUE Podcast - David COLON : Nos cerveaux sous contrôle

En ce début 2022, à l’heure des vœux et des bonnes résolutions, je fais le choix de me connecter à une intention forte et ambitieuse pour l’année à venir. Parce que j’ai décidé que 2022 serait l’année de l’Intention avec un grand « I ». A la tiède résolution qui « dénoue » et « défait », je choisis l’énergie de l’intention qui « intensifie » et « augmente »… Je me mets en action, guidée par les signaux qui éclairent ce changement d’année et fondent ma conviction que si nous le décidons avec force, nous avons le pouvoir de créer un monde qui nous relie, plutôt qu’un monde qui nous divise !

Et côté signaux, je me trouve plutôt gâtée… Premier signe : la parution du nouvel ouvrage du chercheur François Taddei au titre plein de promesses Et si nous ? Comment relever ensemble les défis du XXIe siècle. Un livre vital qui invite à passer à l’action et qui porte l’ambition de changer d’échelle – et de monde – de coopérer pour prendre soin de soi, des autres et de la planète. Alors que j’avais là amplement matière à élever mon intention, l’algorithme de Twitter eut la bonne idée de sélectionner pour moi un podcast de France Culture diffusé fin 2017 intitulé Nous vivons dans une société liquide, inspiré des travaux du philosophe et sociologue polonais Zygmunt Bauman.

Alors, me direz-vous, en quoi ces ressources font elles écho à mon intention pour 2022 ? Je vous répondrai en trois points : un « optimisme de la volonté » pour citer Z. Bauman, la recherche d’une éthique de la relation et le besoin de changer d’échelle pour « fusionner nos horizons ».

J’ai mal à mon humanité !

F. Taddei nous rappelle combien la pandémie de Covid-19 a touché l’ensemble de nos vies, à une échelle et dans une temporalité inédites dans l’histoire, en remettant en question ce qui fait de l’espèce humaine une espèce à part : nos interactions. Il forme l’hypothèse que cette pandémie restera dans les livres d’histoire comme un marqueur important de bouleversements que nous ne faisons qu’entrevoir. Selon lui, nous observons la fin d’une époque…

« Nous assistons bien à la fin d’un monde, héritier des Lumières et des révolutions industrielles, qui est caractérisé par des rapports de domination, de compétition, d’exploitation (des êtres humains et de la planète). […] De nouvelles Lumières n’adviendront pas sans que tous ceux qui y aspirent ne se mobilisent dans la durée pour réinventer des manières de vivre ensemble qui soient plus inclusives, plus équitables et plus respectueuses de notre environnement ».

Lorsque Z. Bauman se figure notre époque contemporaine, il la dépeint comme une « vie liquide », une société « en voie de liquéfaction avancée » : un monde en mouvement permanent rythmé par une accélération irrépressible, dans lequel tout est jetable et interchangeable, y compris l’Homme… Nous y sommes exposés à des flux d’information continus et parfois contradictoires qui nous contraignent au zapping et nous soumettent au risque de malentendus et de mécompréhension. Cette société liquide nous détourne de l’autre. Elle génère un épuisement et un besoin de sécurité qui nous incitent à créer de l’entre-soi.

Ce phénomène est alimenté par les politiques de séparation qui sont le lot de notre civilisation contemporaine, encore largement gouvernée par les rapports de compétition et de domination évoqués par F.Taddei. Le spectacle navrant auquel se livrent certains candidats aux élections présidentielles en est la parfaite illustration. L’espace médiatique et internet sont accaparés par ces manipulateurs qui se servent de nos peurs pour nous diviser et brandissent des discours de fracture et de clivage, mettant à mal la confiance vis-à-vis de nos institutions et de la société dans son ensemble. Dans la cacophonie de la campagne, il est difficile d’entendre les voix de rassemblement et d’unité. Notre défi est de ne pas nous abandonner aux simplismes et aux réductionnismes et d’empêcher que de fausses informations puissent s’imposer dans le débat public. Selon le « baromètre de la confiance politique » publié le 24 janvier 2022 par le Cevipof, jamais les Français ne se sont sentis aussi méfiants envers la politique !

« Face à ces récits et manipulations qui s’appuient sur un mélange de faits, de crédulité, de peurs et de perceptions de déclassement […] il faut être capable d’inventer des récits fondés scientifiquement qui redonnent de l’espoir, en s’appuyant sur notre intelligence, notre besoin de vivre ensemble et notre besoin de sens. » suggère F. Taddei.

Il cite l’historien néerlandais Rutger Bregman qui tente de démontrer, dans Humanité. Une histoire optimiste que « la plupart des gens sont bons ». Selon lui, on « fabrique ce que l’on suppose chez l’autre. […] Si nous construisons nos institutions autour de l’idée que les gens sont égoïstes, nous ne devrions pas nous étonner que les gens se comportent ainsi ». Plutôt que d’accuser le public de sotte crédulité, le chercheur propose que nous nous attachions, chacun dans notre activité, à délivrer une information qualifiée et vérifiable, sans tenter d’imposer notre vérité. Dans le même temps, il nous appartient de former les jeunes à scruter les sources fiables et à dénoncer les manipulations d’acteurs peu scrupuleux et d’algorithmes maximisant davantage la recherche du profit que celle de la vérité.

Convoquons un « optimisme de la volonté » pour transformer la société

Afin de relever ces défis, F. Taddei comme Z. Bauman en appellent à notre responsabilité, individuelle et collective, de nous mobiliser pour passer à l’action.

Z. Bauman nous invite à mieux penser le monde pour mieux le transformer. Cela demande de mobiliser notre lucidité, d’aiguiser notre regard critique et d’apprendre à mieux voir pour faire que notre modernité soit la plus vivable que possible. Ainsi, le philosophe nous incite à développer notre pensée critique pour nous émanciper et sortir de ce qui nous aliène, donner la place à des micro gestes de résistance pour « renverser l’insoutenable ». Le processus révolutionnaire que revendique Z. Bauman est inspiré du philosophe et théoricien politique italien Antonio Gramsci, qui nous invite à « allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de la volonté ».

F. Taddei convient que : « … les révolutions naissent quand la somme des « je n’aime pas » devient intolérable pour un grand nombre de personnes ». Il s’inspire des œuvres du philosophe et sociologue Edgar Morin qui propose de lutter contre « les cécités de la connaissance » en combattant « l’erreur et l’illusion » qui ne cessent de parasiter l’esprit humain. Face au degré d’inconnues auquel nous confronte la période ouverte par la pandémie, « rechercher les ressources et le courage pour changer ce que l’on peut changer, la sérénité pour accepter ce que l’on ne peut changer et la sagesse pour distinguer les deux ». La sagesse s’impose ici pour enseigner la compréhension et nous mettre en posture d’apprendre les uns des autres avec humilité et empathie. A travers la pensée d’E. Morin, il introduit l’idée d’enseigner une « éthique du genre humain ».

Façonnons une éthique du « care »

Avec la portée inédite de la crise sanitaire et de ses conséquences socio-économiques, nous avons pris conscience que nous étions plus que jamais vulnérables et interdépendants, dans notre sphère personnelle comme professionnelle. En parallèle des personnes ayant contracté le virus, dont le nombre explose aujourd’hui avec les nouveaux variants, la pandémie a donné lieu à l’apparition de phénomènes en cascade – confinements, chômage partiel, télétravail, école à la maison… – qui ont pu être vécus comme des « rites de passage » pour reprendre l’expression de F. Taddei, amenant à cette prise de conscience de notre besoin d’entraide et de solidarité. Cette période de dérèglements a notamment permis d’entrevoir sa relation à l’autre à travers un nouveau prisme, celui du « care ». Une éthique de la relation qui a aujourd’hui largement dépassé le cadre des métiers du soin pour se diffuser plus largement dans la société et impacter les liens qui se nouent dans les organisations.

Si le « care » a été théorisé par Carol Gilligan en 1982 aux Etats-Unis ; je retiendrai ici la définition plus sociale proposée par la philosophe américaine Joan Tronto quelques années plus tard qui aborde l’éthique du « care » comme une manière de rendre le monde habitable par le soin que l’on apporte aux autres. Je trouve très évocatrice de ce que nous vivons aujourd’hui cette vision du « care » en tant qu’éthique de notre relation au monde et donc aux autres.

Entre vertu morale et geste technique, le « care » vu par le philosophe Paul Ricoeur s’apparente à une « sagesse pratique » dont la visée est de redonner une place à la vulnérabilité dans le lien social. Ici, prendre soin ne se résume pas à donner, mais cherche à solliciter la participation, le choix, et finalement l’action d’autrui. Autrement dit, le « care » est une relation entre deux acteurs – et non entre un sujet actif et un sujet passif. Avec le « care », nous offrons à l’autre les conditions d’éprouver sa dignité par davantage d’autonomie et la possibilité de s’émanciper. Pour permettre ce résultat, le « care » s’inscrit dans un processus qui va puiser dans quatre dimensions selon un principe de réciprocité.

Dans cette vision du « care » en tant qu’éthique de notre relation aux autres, nous voyons bien que la parole, le langage et le dialogue tiennent une place prépondérante pour se comprendre et se faire comprendre.

Cultivons notre langage pour « fusionner nos horizons »

Du fait de son ampleur inédite, la crise se matérialise dans un héritage qui nous réunit. Une histoire commune dans laquelle se raconter, partager son vécu, ses repères, dire ce qui a tangué, individuellement et collectivement, et comment on s’en est sortis ensemble.

« Autant que de biens matériels et de connaissances, nous avons besoin de mots et d’enchaînement de phrases pour réorienter notre monde dans des directions plus soutenables et émancipatrices » selon le théoricien de la littérature, philosophe et essayiste Yves Citton.

Car le langage fait de nous des créateurs. En nous donnant toute latitude pour nous positionner dans l’espace et le temps, convoquer le passé et inventer le futur. Le langage nous rend libres de créer, de faire émerger de nouvelles réalités. En cela, il nous donne une responsabilité considérable, qui peut nous conduire vers le meilleur, … comme le pire. On constate un peu partout une banalisation, voire un « ensauvagement » du langage, y compris dans les sphères diplomatiques les plus civilisées. Cette radicalisation du langage pourrait fait craindre une radicalisation des actes. Car la défaite du langage, c'est la défaite de la pensée ; « à langue molle, intelligence molle ». Et le contraire est vrai : lorsque la langue n'est plus nuancée, elle se délite !

Le langage est une ambition ! Il peut être fondateur de la société en tant qu’agent de liaison, d’échange et d’intégration. Quand il se fait dialogue, il nous donne à « fusionner nos horizons », à se parler au-delà des frontières intellectuelles et disciplinaires. Prendre soin du dialogue, c’est miser sur la créativité par la différence. [à lire aussi : Cultiver son langage, c’est prendre soin de soi et des autres…]

« Si, dans mes propres travaux, je dis qu’il est nécessaire qu’en toute compréhension, l’horizon de l’un se fusionne avec l’horizon de l’autre, il est clair que cela ne signifie pas non plus une unité stable et identifiable, mais quelque chose qui arrive à la faveur d’un dialogue qui se poursuit toujours. » précise le philosophe allemand Hans-Georg Gadamer

Nous devons être vigilants vis-à-vis de ces discours qui excluent, facteurs de division, source de manipulation et de mécompréhension. Pour autant, il ne s’agit pas de refuser le conflit mais de l’institutionaliser, de le rendre possible autrement que de façon violente. En réinventant des lieux pour se rencontrer, partager des savoirs, faire émerger des débats de qualité et inspirants.

Z. Beuman y voit des sphères de « générosité intellectuelle » dans lesquelles nous créons des communs ; nous nous mettons au point sur le monde que nous voulons construire et façonnons ensemble des solutions à notre échelle. Ces « panthéons vivants » que souhaite démocratiser F. Taddei, mettent en « coopétition » toute vérité humaine en reliant les champs du savoir à toutes les échelles. Passer du local au global nécessite pour lui de connecter celles et ceux qui ont des aspirations, des émotions, des rêves communs. Créer un « GPS des rêves » qui indiquerait comment réaliser nos rêves et avec qui. Et passer ainsi du rêve (personnel) à l’utopie (collective), en favorisant l’émergence de collectifs capables de faire ensemble des choses qu’une personne ne saurait faire seule…

Quelques références pour poursuivre l'inspiration
FRANCE CULTURE - L'invité(e) des matins du samedi - François Taddei : "La coopération est l'avenir de notre société"
FRANCE CULTURE - Conférences - Nous vivons dans une "société liquide"
CAIRN.INFO - L'éthique du care. Une nouvelle façon de prendre soin
linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram