Très récemment dans un de mes articles, je vous partageais ma détresse face aux joutes oratoires qui ont gâché les échanges lors des dernières élections présidentielles et mon besoin impérieux que nous nous employions à relever le débat ! [à lire : "Employons-nous à relever le débat ! »] Je me suis donc mise en quête d’initiatives, de pratiques, d’expertises à partir desquelles nous pourrions « inventer des espaces pour discuter, débattre, délibérer et faire avancer les idées ». Vous trouverez l’inventaire de mes recherches à ce stade sur la plateforme collaborative #EtSiNous initiée par le Learning Planet Institute, qui rassemble des communautés de change-makers dans le but de partager aspirations, ressources, idées, et de faire face ensemble aux défis du XXIème siècle. Sur cette plateforme, j’anime la « Chaîne de l’intention » sur laquelle je vous communiquer mes découvertes sur le thème du débat et du dialogue, dans l’onglet « EtSiNous relevions le débat ». Cette plateforme est collaborative ; je vous invite donc vivement à compléter ces contenus avec vos propres actions et inspirations...

Pour aller plus loin, il me semble que la question qui se pose véritablement aujourd’hui, au cœur de nos conversations, est celle de la qualité du lien que nous voulons tisser avec les autres et, par conséquent, du soin avec lequel nous communiquons. « L’incapacité à se parler dans la différence est criante », constate le chercheur, sociologue et sémiologue Olivier Fournout. Il y voit une urgence à trouver des modes de dialogue pour faire émerger les possibilités et agir. « Dialoguer autrement pour agir devient une nécessité absolue, pour ne pas rajouter une couche de problèmes relationnels aux problèmes de fond, déjà suffisamment complexes. »

Œuvrer en faveur d’une écologie relationnelle

Olivier Fournout propose d’œuvrer en faveur d’une écologie relationnelle, en considérant la relation comme le milieu dans lequel prennent racines les solutions collectives face aux problèmes globaux.

Car c’est bien collectivement, dans le dialogue, que l’on échange des idées, que l’on offre des ressources, que l’on crée l’innovation. Le dialogue devient alors « un lieu d’apprentissage collectif d’où peut émerger un sens accru d’harmonie, de camaraderie et de créativité » selon David Bohm, physicien et philosophe américain auteur de l’ouvrage Le dialogue.

Force est de constater que l’art du dialogue n’est pas aisé. Nous avons tous fait l’expérience de réunions dans lesquelles nous perdions notre temps, de conversations qui tournent rapidement au débat, d’entretiens dans lesquels chacun reste campé sur sa position sans volonté sincère d’entendre l’autre. Même si les protagonistes souhaitent véritablement contribuer au dialogue, ils ne savent pas comment s’y prendre !

« Contre les débats stériles et les positions opposées qui ne se rencontrent jamais, il s’agit d’innover dans le traitement sociétal des controverses, tant aux niveaux politiques que médiatiques et citoyens ; monter des dialogues partout, tout le temps, pour tous, sur tous les sujets, pour toutes les décisions, de la manière la plus inclusive possible ; former à l’exercice ; développer un recul réflexif et transverse sur le processus même de dialogue ; s’entraîner à respecter les écarts sans fermer la porte au rapprochement ; et ne pas tomber dans le piège que, bien sûr, au moindre anicroche, c’est toujours l’autre qui ne sait pas dialoguer. », clame O. Fournout.

Car le dialogue requiert avant tout de la pratique, bien plus qu’un ensemble de méthodes. Il s’agit de développer notre capacité à travailler avec les autres et d’aider les autres à mieux travailler ensemble. Et ce n’est pas une science exacte, particulièrement en ces temps de complexité croissante ! C’est sur ce constat que se déploie la pratique de l’Art of Hosting, développée par un large réseau de praticiens dans le monde entier. Le terme « hosting » faire référence à la notion « d’accueillir ». Il s’agit d’accorder une attention et un soin particuliers à tous les aspects qui entrent en jeu lorsque des personnes travaillent ensemble. L’intention est d’accompagner le groupe dans sa réussite, de la même manière qu’une personne qui accueille des invités s’assurera qu’ils ont tout ce dont ils ont besoin pour que leur séjour soit réussi.

Les groupes et les organisations qui utilisent l’Art of Hosting comme mode de fonctionnement constatent une amélioration de leur processus de décisions, un développement plus efficace de leurs compétences et une plus grande réactivité dans leur réponse aux opportunités, aux défis et aux changements. Les participants ont le sentiment d’être plus autonomes, plus responsables et plus à même de contribuer aux réunions et conversations auxquelles ils prennent part et, ainsi, d’aboutir plus efficacement aux résultats escomptés.

Pour D. Bohm, dans un dialogue, il s’agit pour les personnes de faire quelque chose en commun, c’est-à-dire de créer ensemble quelque chose de nouveau.

« Bien entendu, une telle communication ne peut conduire à la création de quelque chose de nouveau que si les individus sont capables de s’écouter librement, sans préjugés, sans chercher à s’influencer. Chacun d’eux doit s’intéresser avant tout à la vérité et à la cohérence et être disposé à abandonner ses idées et buts obsolètes, pour passer à quelque chose de différent, quand il l’estime nécessaire. »

En quelque sorte, D. Bohm nous invite individuellement à nous abandonner, à faire don de soi au dialogue. Le dialogue devient ainsi un voyage dans lequel chaque participant est explorateur de cet inédit qui émerge. En se laissant porter par sa curiosité de l’autre, d’un ailleurs. En prenant plaisir à rebondir d’une idée à l’autre, comme d’une terre à l’autre, pour découvrir où ce nouveau chemin peut nous mener. En fusionnant nos horizons pour découvrir de nouvelles contrées, inexplorées jusqu’ici.

Dialoguer pour créer le monde dans lequel nous vivons

Pour Otto Scharmer, maître de conférences au MIT où il a co-fondé le Presencing Institute, les conversations créent le monde dans lequel nous évoluons au sein des groupes, des organisations et de la société. Dans son ouvrage qui traite du modèle d'innovation et de conduite du changement qu'il a développé : Théorie U, l'essentiel, il parle de « cultiver le sol du champ social ». Le champ social représente ici l’ensemble des relations entre individus, groupes et systèmes donnant naissance à des modes et schémas de pensée, de conversation et d’organisation qui, à leur tour, produisent des résultats pratiques.

On retrouve dans la pratique du dialogue de D. Bohm et d’O. Scharmer les mêmes fondamentaux que ceux décrit par the Art of Hosting :

O. Scharmer a identifié quatre modes de conversation correspondant à quatre qualités d’échange : le mode automatique, le débat, le dialogue et la conversation générative. Le leadership tel qu’il le conçoit consiste à accompagner le passage d’un niveau de conversation à un autre en fonction de ce que requiert le contexte ou la situation.

Pour D. Bohm, l’image du dialogue est « un flux de sens circulant parmi nous, à travers nous et entre nous ». Ainsi, ce flux de sens qui circule dans l’ensemble du groupe permet à une nouvelle compréhension d’émerger.

« Dans un dialogue, personne n’essaie de l’emporter. Lorsque quelqu’un gagne, tout le monde gagne. »

Dans le dialogue, tout le monde gagne !

Etes-vous prêts à vous aventurer dans ce dialogue authentique, à vous laisser guider par une curiosité tranquille, sans préjugés, afin d’avoir sur les choses un regard aussi nouveau et clair que possible ?

Vous sentez-vous suffisamment libre de faire émerger cette pensée collective, cette pensée qui vous permet de tout envisager ? Car dans le dialogue, les personnes pensent ensemble…

Pour D. Bohm : « Penser ensemble, c’est quand une personne à une idée, qu’une autre l’adopte et qu’une autre la complète. On a alors une pensée fluide et non pas des personnes qui essaient de se convaincre les unes et les autres ».

L’objet d’un dialogue n’est pas d’analyser les faits ou les événements, ni d’avoir raison ou d’échanger des opinions. Il s’agit plutôt de « suspendre les opinions et de les examiner », en écoutant les points de vue de chacun, et en observant ce qu’ils signifient. Si nous parvenons à en comprendre le sens, alors nous partageons un contenu commun, même lorsque nous ne sommes pas entièrement d’accord. Nous découvrons peut-être que les opinions ne sont pas si importantes après tout, elles sont seulement des hypothèses. Et en nous donnant la possibilité de toutes les envisager, nous pourrons alors explorer de manière plus créative différentes directions et simplement apprécier ensemble ce qu’elles représentent. « C’est à partir de ce processus que la vérité émergera à l’improviste, sans que nous l’ayons choisie. »

« Dans le dialogue, chaque participant est libre. Ce n’est pas comme dans une foule où l’esprit collectif prend le dessus. Il s’agit de quelque chose qui évolue harmonieusement entre l’individu et le collectif pour aller vers toujours plus de cohérence. »

D. Bohm a imaginé des « cercles de dialogue », des espaces ouverts qui invitent à la communication et au partage de la parole. Le seul enjeu est d'écouter et de laisser émerger les différents points de vue pour se rendre compte de ses différences et réfléchir ensemble. Ces cercles permettent d’apaiser les tensions et de faire émerger la bienveillance, la sagesse et l’intelligence collective. Grâce à l’échange d’expériences, ils participent à créer une relation plus humaine et plus consciente pour penser en confiance.

Si vous êtes curieux(se) de vivre l'expérience d'un « cercle de dialogue », connectez vous à la Place du dialogue dont l'intention est de diffuser dans la société une culture du dialogue respectueuse de chacun, à travers des espaces éphémères. L'idée est simple, partager 30 minutes de conversation avec des inconnus sur une place publique ! Le thème est donné, les règles du jeu sont énoncées, il ne vous reste plus qu'à vous laisser porter au rythme du dialogue...

Quelques références pour poursuivre l'inspiration :
Association culturelle Krishnamurti - Le dialogue selon David Bohm
up-magazine.info - L'urgence à dialoguer autrement pour agir
Learning Planete Insitute - EtSiNous - La Chaîne de l'intention (EtSiNous relevions le débat)

C’est véritablement un manifeste que je souhaite partager avec vous aujourd’hui, pour sortir nos organisations du sacre du « je » égocentrique et les faire entrer dans l’ère du « nous », l’ère d’une coopération décomplexée. C’est un article lu récemment qui a mis « le feu aux poudres » ! Avec un titre qui sonne comme un signal d’alarme : « Et si l’entreprise cessait d’être un panier de crabes ? ». Pour nombre de managers et de collaborateurs confinés, en télétravail, le constat a été sans appel… Chez soi, à l’abri des jeux de pouvoir, des luttes d’influence, des peaux de banane, des oppositions larvées, de la bullshit organisation, et j’en passe - tant les expressions des travers de nos organisations hiérarchiques sont nombreuses - le travail a pris une tournure plus sereine et responsabilisante, que l’horizontalité des relations a grandement favorisé pendant cette période.

Je suis frappée de constater combien nombre d’organisations restent sourdes et aveugles à ces faiblesses de leur management qui ont pourtant des impacts très lourds sur leur fonctionnement et leurs performances. Ce type de management par l’ego serait une fatalité, un mal incurable avec lequel nous devons cohabiter ? Qui n’a jamais croisé la route d’un manager dédouané de ses comportements toxiques sous prétexte qu’il est bon gestionnaire ou bon commercial. Qui n’a jamais souffert d’un comité de direction écartelé par des luttes intestines et réduit à de petits compromis sécurisant les pré-carrés de chacun de ses membres, au détriment de décisions plus collégiales, portées par l’intérêt général et tournées vers le bien commun.

Ces comportements autocentrés et défensifs sont l’héritage d’une culture du travail longtemps parcellisée et régie par la prescription et le contrôle. Dans l’ouvrage Communiquer en entreprise, signé par Jean-Marie Carpentier et Jacques Viers, le sociologue Philippe Zarifian découpe cet héritage en trois temps :

« En premier lieu, le taylorisme s’est traduit par une parcellisation des tâches très poussées. La séparation entre conception et production s’est accompagnée d’un isolement des postes de travail et d’un idéal managérial : le « zéro communication au travail » pour chasser les temps morts. En somme, la pure et simple interdiction de parler. En second lieu, il y a eu le modèle du métier qui, avec ses codes, a pu créer dans certains secteurs une non-communication portée par l’idéal des « secrets du métier ». En troisième lieu, il y a eu la division fonctionnelle du travail, inventée en France par l’ingénieur Henri Fayol. En créant une division entre les grandes fonctions de l’entreprise, elle a eu pour conséquence de restreindre les échanges entre ceux qui produisent et ceux qui vendent, entraînant un déficit de compréhension globale dans les organisations. »

Un triple héritage qui s’inscrit non seulement dans la culture managériale, mais aussi dans l’organisation du travail et qui a laissé des traces difficiles à effacer. Pourtant, dans une société faite d’incertitudes et de complexité, où l’environnement de travail est de plus en plus tendu, les relations sociales, bâties sur une confiance élevée, la sécurité psychologique et l’intelligence collective, sont le socle de la performance organisationnelle.

« Quand on considère ces écosystèmes qui sont les organisations de travail, quand on mesure leurs impacts psychologiques, on demande que les systèmes soient plus résilients, et pour qu’ils soient plus résilients, il faut qu’ils soient davantage fondés sur la coopération » souligne Bruno Roche, philosophe et directeur du Collège Supérieur dans un ouvrage intitulé L’art de coopérer, manager l’entreprise de demain.

Tendre vers une coopération décomplexée

Coopérer ? De quoi parle-t-on ? Pour comprendre, revenons à la nature même du travail, le travail réel, celui qui produit la valeur économique tel que décrit par Pierre-Yves Gomez, professeur à emlyon business school où il dirige l’Institut français de gouvernement des entreprises, dans son livre Le travail invisible, enquête sur une disparition.

Pour Pierre-Yves Gomez, le travail humain est une représentation en trois dimensions : « il est subjectif puisqu’il est toujours réalisé par un sujet singulier, quelqu’un qui travaille ; il est objectif car il produit un objet, un service, dont l’utilité et l’usage sont reconnus par d’autres (clients, collaborateurs, société) ; il est collectif parce que tout travail suppose une collaboration ou une coopération pour pouvoir produire, on ne travaille jamais seul ».

Ce modèle permet de repérer des dysfonctionnements lorsqu’une des dimensions est exacerbée au détriment des autres. On comprend alors aisément que si l’on néglige l’expérience collective du travail, et si l’on ne prend pas soin de la communauté sociale dans laquelle il s’inscrit, on diminue nécessairement son impact.

Alors collaboration ou coopération ? Et bien les deux. Car viser la collaboration, c’est penser à l’équipe d’abord. La collaboration au travail, c’est l’acte de travailler ensemble pour un objectif commun, grâce à des règles de fonctionnement partagées et une confiance affirmée. Alors que viser la coopération, c’est penser à l’entreprise d’abord. La coopération adresse d’autres leviers que sont le sens : pourquoi nous travaillons ensemble ; les valeurs communes aux parties prenantes de l’organisation et enfin, la fierté d’appartenance. Parfois, c’est la collaboration qui doit être renforcée, parfois c’est la coopération. Et toutes deux doivent être en interaction permanente pour susciter la meilleure dynamique collective possible.

Pour Sylvia Di Pasquale, rédactrice en chef de Cadremploi : « Le confinement a révélé qu’il était ainsi possible de coopérer autrement – plus sainement – depuis sa cuisine via les outils numériques. Cette coopération, entraide et horizontalité dont on nous rebat les powerpoints, est encore et toujours en chantier. Mais les enseignements du confinement pourraient bien permettre aux managers de garder de bons réflexes en surveillant les « angles morts de la productivité ».

La crise du Covid-19 a été le théâtre de multiples ajustements destinés à assurer la continuité de l’activité économique. Les coopérations non prescrites qui s’y sont déroulées ont permis aux systèmes de fonctionner, même en situation critique. C’est tout particulièrement durant ces situations difficiles que les actes de solidarité sont les plus forts et la coopération décomplexée.

La mission du management, top managers en tête, consiste donc à encourager la collaboration et la coopération au sein des équipes. Car cette expérience collective du travail se construit à partir des multiples liens humains qui se tissent, à la fois complexes et fabuleux, quand on prend conscience de l’ensemble des interactions qui ont favorisé la production d’un produit ou d’un service. Le fruit d’un travail dont la qualité dépend directement de la qualité des relations qui y ont contribué. Et c’est là que le bât blesse bien souvent !

Faciliter le passage des ego-systèmes à des éco-systèmes

Comment susciter une collaboration ou une coopération sincère et efficace ? En premier lieu, il faut créer le contexte. Cela impose de sortir d’une culture managériale qui valorise la performance individuelle en développant des d’objectifs collectifs. Le temps de la compétition entre collaborateurs est terminé, les managers doivent montrer l’exemple à leur échelle en s’inscrivant dans une dynamique de collaboration et de coopération avec leurs homologues. Pour créer le contexte, il s’agit également de donner du sens car la coopération ne s’impose pas, elle s’invite. Et le premier fondement de la coopération est le partage d’un objectif commun, une œuvre à bâtir ensemble, une aventure à vivre en équipe. Cette œuvre commune donne une finalité que l’on peut célébrer. Une réussite collective dans laquelle chacun se reconnaît, dans laquelle chacun identifie sa contribution, exprime ses talents, développe ses compétences, exerce ses responsabilités… Car dans chaque réussite collective, se dévoile une réussite individuelle. Cette œuvre commune va renforcer un lien essentiel à la coopération, le lien de confiance. La confiance doit être un prérequis en entreprise. Elle engage et favorise naturellement la coopération entre les collaborateurs dans le sens où elle donne une vision positive et optimiste de l’avenir. La confiance libère le dialogue au sein du collectif et ouvre des perspectives d’innovation et de performance. [à lire aussi : Le sens de la coopération. Poursuivre un bien commun]

Pour permettre à cette confiance de s’installer, chacun va devoir investir son « savoir être », être à l’affût des émotions, les siennes et celles de ses collègues ou collaborateurs. Si les émotions ont longtemps été reléguées à la sphère personnelle, il n’est plus à prouver que le contexte émotionnel en entreprise a un lien direct avec l’engagement et la performance des individus. L’entreprise évolue dans un monde complexe et changeant, voire violent. Une violence économique, psychologique et sociale, comme nous la vivons aujourd’hui, à la sortie de cette crise sanitaire. Dans ce contexte, l’intelligence émotionnelle prend tout son sens.

Le modèle d’intelligence émotionnelle adapté par le psychologue américain Daniel Goleman à la vie au travail se décline en cinq dimensions et vingt-cinq compétences :

L’intelligence émotionnelle est notre GPS ! Nous devons apprendre à en décoder les signaux pour mieux mieux vivre au quotidien, à titre individuel en améliorant notre gestion du stress, notre attention, la résolution de problèmes… Et à titre collectif, pour entretenir des relations plus saines et sereines avec ses collègues. Ainsi, elle facilite la communication, la collaboration, la cohésion et favorise un environnement de travail respectueux et ouvert aux transformations.

Dans son ouvrage Les communautés d’apprentissage, Apprendre ensemble à l’ère numérique, le chercheur Denis Cristol partage la théorie d’Otto Scharmer, maître de conférences à la Sloan School of Management du MIT, selon laquelle transformer la société exige une haute qualité relationnelle et de nombreuses aptitudes sociales : « il s'agit pour lui de faciliter le passage des ego-systèmes à des éco-systèmes prenant mieux en compte l’environnement et les besoins sociaux de chacun ».

Cette haute qualité relationnelle requise pour favoriser une bonne collaboration et coopération nécessite une pratique régulière de l’écoute, de ses propres besoins comme des besoins de ses interlocuteurs. Elle nécessite également la pratique de la discussion et du dialogue. Deux modes de conversation complémentaires et puissants lorsqu’ils sont en synergie.

Passer de la discussion au dialogue !

Une équipe qui veut apprendre à collaborer et coopérer de façon efficace doit savoir passer de la discussion au dialogue et inversement, tout en connaissant bien les différences entre les deux en matière de règles du jeu comme d’objectifs.

Aujourd’hui, on pratique plus souvent la discussion que le dialogue dans les organisations. Dans son ouvrage La cinquième discipline, Peter Senge, professeur de management et directeur du Center for Organizational Learning (Centre pour les organisations apprenantes) du MIT définit la discussion comme « un jeu de ping-pong où la balle passe rapidement de l’un à l’autre ». Dans une discussion, des points de vue différents sont exposés et défendus. Le but du jeu est de « gagner » et que l’une des opinions soit acceptée par le groupe. Même si chacun prend en compte le point de vue des autres, il cherche toujours à faire prévaloir son opinion. Lorsqu’une équipe doit prendre une décision, c’est la discussion qui s’impose. Sur la base d’une analyse commune, les différents points de vue doivent être discutés et pondérés, et l’un d’entre eux choisi.

Pour Peter Senge : « Le dialogue est d’une nature très différente […], il fait circuler le « sens », un flot continu de significations allant de personne à personne, comme un fleuve qui coule entre deux rives. Par le dialogue, une équipe accède à un niveau de compréhension qu’un individu seul ne peut atteindre. […] Le dialogue permet aux individus d’observer leur propre façon de penser. […] C’est un jeu d’esprit qui repose sur la volonté de lancer de nouvelles idées, de les examiner, de les mettre à l’épreuve ».

Le dialogue est par essence divergent. Son but n’est pas de mettre les gens d’accord mais de mieux comprendre les enjeux complexes. Les retombées du dialogue sur les liens qui unissent les participants sont considérables. Une confiance mutuelle s’instaure et chacun apprend à exprimer son point de vue librement.

Peter Senge évoque trois conditions pour favoriser le dialogue :

« Un des principaux enseignements de l’art du dialogue est l’existence d’une pensée collective, d’un « réservoir de sens et d’intelligence » accessible seulement à une groupe ».

Peter Senge nous invite à aller chercher une vision plus large que celle des points de vue individuels. En permettant à chacun d’exposer au regard des autres son point de vue personnel sur la réalité et de voir la réalité de l’autre à travers ses propres yeux, il y a de fortes chances pour que nous découvrions quelque chose que nous n’avions vu ni l’un ni l’autre.

Faire des désaccords une opportunité de confronter nos angles de vue

Cette pensée créatrice, à la découverte de solutions auxquelles aucun individu n’aurait pensé par lui-même, naît d’un nombre important d’idées contradictoires. Le conflit devient dans ces conditions une composante essentielle du dialogue. La force d’une équipe porte ici sur sa capacité à générer puis maîtriser ces conflits d’idées. Une discipline qui impose d’apprendre à regarder la réalité en face, avec lucidité, tout en débusquant nos propres mécanismes de défense pour la masquer.

Car aujourd’hui encore, admettre que l’on peut se tromper ou mal connaître un problème est un aveu de faiblesse. En prenant conscience de ces mécanismes de défense activés par nos peurs de révéler nos faiblesses, voire nos erreurs, aux yeux de l’équipe, nous nous affranchissons de protections aveuglantes. Désamorçons ces routines défensives qui, derrière l’excuse de nous protéger du jugement des autres, brident notre énergie et fonctionnent comme des murs bloquant l’accès à la co-création d’idées nouvelles.

Changeons de modèle mental ! Libérons-nous de ces routines défensives qui infectent les individus et contaminent les organisations. Elles ne sont ni une fatalité, ni une distorsion acceptable de la nature humaine. Juste un héritage dont nous pouvons nous soulager. Et portons haut et fort le besoin de discuter entre égaux et de mettre le débat au-dessus de l’autorité. Plaçons la confiance mutuelle comme moteur du dialogue et permettons à la pensée collective de s’épanouir pour éprouver de nouvelles idées. Une œuvre à bâtir ensemble, dans une coopération décomplexée, où le « nous » et le « je » se rejoignent pour célébrer les réussites.

Tiraillés, désorientés… les adjectifs sont nombreux pour traduire l’impact du déconfinement à venir, sur notre rapport au travail. Entre la perspective d’un retour au bureau, avec son lot de contraintes logistiques dans un contexte inédit de distanciation sociale et d’incertitudes : reprise de l’école, accès aux transports en commun, retour en open space, réunions en présentiel… et le maintien à domicile où une nouvelle réalité de travail s’est installée, tant sur le plan matériel que de l’organisation, pour beaucoup d’entre nous, la balance penche naturellement du côté de l’alternative rassurante du télétravail. Petit retour en arrière pour bien cerner la situation…

L’annonce du confinement à la mi-mars, à la fois prévisible et crainte, provoque sidération et chaos dans les organisations. Entre l’obligation de stopper certaines activités avec des mesures de chômage partiel à mettre en œuvre, et la poursuite du travail à coordonner, avec des sites de production à sécuriser et le déploiement massif du télétravail à marche forcée, les deux dernières semaines de mars ont mobilisé des trésors d’agilité et de créativité des équipes dans les entreprises. Une période de dérèglement s’ouvre alors, qui entraîne pour tout un chacun l’obligation de s’ajuster à de nouvelles règles de fonctionnement et à sortir de sa zone de confort. Une situation exceptionnelle qui va chercher profondément dans nos ressources adaptatives et face à laquelle nous ne sommes pas égaux. Elle provoque pour certains des postures de blocage et de résistance confortées par la durabilité des incertitudes, alors que pour d’autres, on assiste à un déblocage de potentiels et le développement de nouvelles possibilités. Cette phase d’apprentissage, qu’elle soit vécue positivement ou négativement, est déterminante pour s’engager dans le plan de déconfinement partiel annoncé à partir du 11 mai.

Car c’est à ce stade que les tiraillements se font les plus forts, notamment pour les collaborateurs qui ont quitté leur bureau le 16 mars dernier et qui depuis ont eu le temps de prendre leurs marques à leur domicile. Même si, pour la grande majorité d’entre eux, il a fallu au moins deux semaines pour organiser leur espace de travail, récupérer du matériel informatique, organiser les journées entre le temps consacré aux enfants, aux repas et au travail… ; après plus d’un mois, une nouvelle réalité, comme une forme de routine, s’est installée. Un cadre familier et sécurisant, bien que souvent précaire, chez soi, qui tranche avec les inconnues qui planent encore sur les conditions d’un retour au bureau, au-dehors.

Alors que le gouvernement a expressément demandé aux entreprises de maintenir le télétravail après le 11 mai, partout où c’est possible, au moins dans les trois prochaines semaines. Et que la pratique des horaires décalés est encouragée pour les personnes qui ne pourront pas télétravailler. Quelle perspective nous donne ce plongeon forcé dans les nouvelles formes de travail ?

Une accélération des transformations en mode « survie »

Aujourd’hui en confinement, 33% des salariés travaillent à leur domicile alors que seulement 6,6% étaient en télétravail avant la crise du Covid-19. Une continuité de travail qui tient plus du bricolage que du télétravail, certes ! Il peut d’ailleurs être utile de rappeler que la notion de « télétravail » est très normée en France. Si un salarié a l’opportunité de travailler à distance de son entreprise avec l’accord verbal de son employeur, il n’est pas techniquement en télétravail sauf à l’avoir formalisé contractuellement en précisant les conditions d’exécution du télétravail (jours, plages horaires…). Mais ne jouons pas sur les mots ! A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Et ce contexte que vivent actuellement au moins 8 millions de salariés, selon le ministère du Travail, s’apparente bien au télétravail, qu’il soit contraint, confiné, bricolé... Jusqu’ici, beaucoup d’entreprises n’avaient pas pris la mesure de ce qu’était le télétravail. Perçu comme un palliatif à une activité en présentiel, il n’était pas du tout pensé comme une nouvelle manière de pratiquer le travail. Il semble que cette perception soit en train de changer à l’épreuve du réel. Même les plus réfractaires, du côté des salariés, semblent avoir pris goût à l’exercice. Certains dirigeants y voient aussi un moyen de décrocher de leur quotidien bousculé pour échafauder des stratégies et construire des projets dans le calme de leur foyer. Quant aux entreprises, plutôt récalcitrantes, certaines études montrent que le travail à distance pourrait devenir la norme à mesure qu’elles se rendent compte qu'elles peuvent être aussi efficaces tout en économisant de l'argent sur l'immobilier commercial.

Et ce n’est qu’un début… Les effets collatéraux du travail à distance sont nombreux. Que dire de la démocratisation des outils numériques de visioconférence ou de webinar, de l’accélération de la dématérialisation de la relation clients et fournisseurs ? La transformation digitale, encore à la peine dans nombre de PME, est passée à la vitesse supérieure pour maintenir l’activité à distance. On a sorti les projets des tiroirs pour les déployer dans l’urgence, parfois même en profitant du confinement pour former les salariés à ces nouveaux outils, en distanciel, bien sûr !

C’est dire si tous les acteurs de l’entreprise ont su faire preuve de réactivité, d’adaptabilité, de créativité, voire de solidarité en s’épaulant pour se concentrer sur des missions vitales. Une situation inédite qui a mis tous les échelons de l’organisation, des dirigeants aux collaborateurs, en passant par les managers de proximité, dans une posture d’apprentissage inégalée. Chacun a été amené à revoir ses croyances, son périmètre d’intervention, ses modes de fonctionnement, pour les ajuster et trouver sa place dans cette nouvelle réalité. Un tournant dans l’organisation du travail qui a fait émerger un nouveau « patrimoine de compétences » sur lequel les entreprises devront capitaliser.

La question du management est également au cœur de ce grand chantier de transformations ouvert par la crise du Covid-19. Car pour maintenir la mobilisation des équipes, il a fallu être à l’écoute et prendre en compte les besoins individuels des uns et des autres. Et surtout, à travers l’autonomie libérée par le télétravail, les managers ont dû apprendre à faire confiance à leurs collaborateurs. Apprendre à laisser leurs talents s’exprimer en dehors d’un cadre contrôlant. Et adopter une posture de soutien et de créateur de liens pour maintenir le sens et la cohésion au quotidien.

Après avoir expérimenté le télétravail, à l’heure du déconfinement, les entreprises sont invitées par le gouvernement à pratiquer les horaires décalés afin d’éviter à leurs collaborateurs la promiscuité dans les transports en commun, notamment dans les grandes villes. Indépendamment des métiers nécessitant un travail de nuit et le week-end, coutumiers de cette pratique, ce test à grande échelle peut constituer une réelle ouverture pour des salariés qui aux « heures de bureau » sont systématiquement confrontés aux bouchons et bousculades dans les transports. Une opportunité de mesurer la compatibilité de leur mission avec un travail en décalage de temps avec leurs collègues.

Cette accélération des transformations qui saute aux yeux est éclairante sur un point : « en temps de crise, on n’attend pas le changement mais on saisit l’opportunité des nouvelles conditions de l’action pour le créer. »

Le « futur du travail », c’est maintenant !

Regardons le côté positif, cette épidémie du Covid-19, a contraint les individus à activer leur esprit critique et leur créativité pour ajuster leurs connaissances et contribuer à assurer, à leur échelle, la continuité de l’activité économique. A l’échelle des organisations, la crise a favorisé le déploiement d’un terrain d’expérimentation exceptionnel sur les nouvelles pratiques de travail et engagé les entreprises dans une transition que l’on peut entrevoir comme progressive, mais durable.

Comme le souligne Vincent Berthelot, consultant RH auprès des entreprises : « Ce formidable travail d’ajustement mutuel va nous faire gagner plusieurs années dans l’évolution des relations et modes de travail tant du point de vue du style de management, du sens du travail que de l’expérience salarié. Nul doute que les managers qui auront réussi avec leurs équipes à assurer une continuité dans le travail seront les premiers bâtisseurs de l’entreprise de demain basée sur la confiance, les compétences et l’engagement des salariés. »

Comment imaginer que les semaines cumulées de confinement puis de déconfinement n’auront pas marqué de leur empreinte notre vision individuelle et collective du travail. Que cette expérience ait été vécue positivement ou négativement, elle appelle nécessairement un changement.

« Il s’est passé trop de choses pour que tout revienne comme avant » souligne Philippe Silberzahn, professeur à emlyon business school et co-auteur de l’ouvrage Stratégie Modèle Mental. « Ce monde d’aujourd’hui va changer, ni révolution, ni retour en arrière, et il faut le construire. »

Et pour construire le monde d’aujourd’hui, nous allons devoir mobiliser beaucoup d’énergie et d’enthousiasme. Un simple effort de relance ne suffira pas. Les entreprises auront la responsabilité d’investir pleinement ces territoires d’engagement que sont le management et l’organisation pour permettre à leurs collaborateurs de transformer l’épreuve qu’ils viennent de traverser en expérience dont chacun pourra tirer du positif. Pour commencer ce travail de construction, un temps de prise de recul s’impose. Un temps pour libérer la parole et écouter les besoins de chacun. Un temps pour permettre au collectif de se retrouver et à la coopération de reprendre corps sereinement. C’est sur le terrain de l’échange que l’on pourra explorer les impacts de la crise et tirer les enseignements sur ce qui a fonctionné et ce qui ne fonctionne plus. Reconsidérer et réajuster nos anciens modèles pour imaginer d’autres alternatives. Et enfin, accepter de désinvestir le superflu et de se recentrer sur l’essentiel.

Nous pouvons aussi apprendre du formidable élan d’intelligence collective qui galvanise les milieux scientifiques du monde entier pour circonscrire l’épidémie de Covid-19. Une communauté massive aux compétences variées s’est mobilisée pour partager la connaissance : accès gratuit aux publications, plateformes ouvertes de travail collaboratif, équipes auto-organisées… Les entreprises de leur côté n’ont pas hésité à se mettre en réseau pour innover et répondre à l’urgence sanitaire. Des partenariats qui pourraient survivre à la crise et donner lieu à de nouvelles coopérations, généreuses et inspirantes, pour construire ce monde qui donne du sens et parle à nos valeurs.

Quelques lectures inspirantes
COURRIER CADRES - Coronavirus, confinement et management : Ceci n’est pas du télétravail !
Blog de Philippe Silberzahn - La course à « l’après » coronavirus: Le festival des lampadaires est ouvert
CADRE & DIRIGEANT MAGAZINE - Dépasser la crise COVID 19 en s’appuyant sur la dynamique et la puissance des équipes
FORBES - Télétravail Et Confinement : Dessiner Le Travail De Demain
THE CONVERSATION - Comment le coronavirus a réveillé l’intelligence collective mondiale

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