A l’heure du déconfinement, nous surfons sur un paradoxe. Si notre protection individuelle comme collective passe jusqu’à nouvel ordre par le port du masque, il est de la responsabilité des organisations de profiter de cette période de transition pour inviter leurs collaborateurs à « tomber les masques » ! Car le visage masqué porte sur lui l’image du risque et de l’incertitude. Il impose la distanciation sociale. Loin de moi l’idée d’inciter à l’abandon des masques de protection, mais plutôt d’aller explorer derrière ces barrières de protection…

Car derrière ces masques, se cachent des expériences variées de l’épreuve que nous a fait vivre le Covid-19 qu’il nous faut libérer. Les salariés ont certes eu l’occasion d’expérimenter de nouvelles façons de pratiquer leur travail ; pour autant, le contexte dans lequel ces expérimentations se sont déroulées, à marche forcée, a pu laisser des traces. Isolement, chômage partiel, travail « bricolé », sur un coin de table au milieu du salon et des enfants, avec un faible débit internet, un accès limité à certaines données… Les équipes ont « tenu le coup » et « relevé le défi » pour reprendre certaines expressions qui remontent du confinement. Mais à quel prix !

A l’heure où les collaborateurs reprennent doucement le chemin de l’entreprise, il semble illusoire d’essayer de laisser cette crise derrière soi comme un mauvais souvenir, tant elle a bouleversé notre réalité de vie et de travail. Au contraire, il est temps de transformer notre vécu en mots et de verbaliser l’éventail d’émotions qui nous ont gagnées pendant cette période de confinement. Un temps pour libérer la parole et écouter les besoins de chacun à l’issue de ce « stress test », comme l’a formulé Catherine Joly, directrice de l’exploitation du cabinet Chappuis Halder & Co.

« L'expérience du Covid-19 a été le « stress test » que nul n'aurait jamais imaginé, une plongée sans préparation dans le monde digitalisé de l'entreprise. »

Une transition pour s’interroger et apprendre

Sans empiéter sur le débat du « monde d’après », il me semble pertinent d’investir pleinement la période de transition actuelle. La zone grise que nous traversons aujourd’hui est une étape cruciale de cicatrisation et d’apprentissage pour nos systèmes humains et organisationnels, particulièrement traumatisés par la crise. Trop d’entreprises semblent pressées de tourner la page pour relancer leurs activités et préparer la reprise. Car cette préparation de la reprise doit prendre en compte les dégâts causés par le Covid-19. Dresser le bilan de ce que l’on a perdu et de ce que l’on a gagné individuellement et collectivement à travers cette épreuve. Tirer les enseignements de ce qui a fonctionné et de ce qui ne fonctionne plus aujourd’hui dans nos pratiques de travail. Reconnecter les collaborateurs et retisser les liens qui, au mieux se sont distendus pendant la période du confinement, au pire ont disparu bel et bien. Ces liens rompus au niveau managérial mettront du temps et nécessiteront beaucoup de dialogue pour se renouer.

Car il ne faut pas négliger que cette impressionnante adaptation des équipes pour soutenir l’activité des organisations a nécessité d’aller puiser profondément dans les ressources de chacun. En quelques jours, la grande majorité d’entre-nous a dû mobiliser son énergie pour sortir de sa zone de confort, se jeter à l’eau pour s’approprier de nouveaux outils, de nouvelles pratiques… dans un isolement plus ou moins soutenable en fonction de sa situation professionnelle comme personnelle.

C’est sur le terrain du dialogue que l’on pourra explorer les impacts de la crise sur les acteurs de l’entreprise. Un dialogue ouvert et sincère où chacun pourra témoigner librement et en toute sécurité pour confronter sa réalité vivante du travail pendant le confinement. Un dialogue horizontal en confiance au sein des équipes et avec le management pour laisser s’exprimer les émotions et les besoins non servis. Un dialogue constructif pour questionner nos anciens modèles, les reconsidérer et les réajuster pour imaginer d’autres alternatives.

Comme le souligne le philosophe et conseil en identité narrative Philippe Nassif : « La parole échangée est notre oxygène, et elle est notre véhicule. Elle nous précède et elle nous enveloppe. Elle nous restaure et elle nous transforme. »

©RashonMusik

Cette transition, faite d’écoute et de dialogue, est une occasion unique de regarder la réalité sous différents angles et de développer la capacité des individus et des entreprises à identifier les défis essentiels sur lesquels construire la relance.

Pour l'entrepreneur Patrick Lévy-Waitz, également président de la fondation Travailler Autrement : « Il faut identifier impérativement les combats décisifs, quitte à abandonner nos habitus. Les transitions à venir en sont une opportunité unique : saisissons-la ! »

Dans le dialogue, explorer la vérité sur les situations vécues

Pour identifier les défis dans lesquels cette crise nous a projetés, nous devons prendre le temps d’observer les processus de changement qui se sont opérés en réaction au confinement et aller chercher des réponses nouvelles. Peter Senge, professeur de management et directeur du Center for Organizational Learning (Centre pour les organisations apprenantes) du MIT, nous invite à voir la réalité de tous les jours comme un tremplin plutôt que comme un obstacle et utiliser les forces du changement au lieu de leur résister. Apprendre à nous fier à nos observations plutôt qu’à notre conception de la réalité, nos a priori. Pour reprendre la métaphore de l’arbre et de la forêt, nous devons regarder au-delà des problèmes immédiats générés par le Covid-19 et prendre un peu de recul sur la situation vécue pour en cerner l’essentiel.

Comme l’exprime très simplement Peter Senge, dans son ouvrage La cinquième discipline : « Ce dont nous avons le plus besoin c’est de savoir identifier ce qui est important de ce qui ne l’est pas, les données sur lesquelles se concentrer et celles qui ne le nécessitent pas – et de le réaliser de manière à ce que cela aide les équipes à développer une compréhension commune. »

Cette prise de recul est nécessaire pour avoir une vision élargie permettant de faire émerger les représentations d’un futur souhaitable, commun à tous, qui suscitera adhésion et engagement. Pour créer cette « tension créatrice » décrite par Peter Senge, entre la vision d’ensemble et l’analyse lucide de la réalité, nous devons apprendre à poser les bonnes questions. Dépasser l’urgence de trouver des solutions immédiates, au risque de passer à côté des vrais problèmes, cachés derrière les « petits détails » du quotidien. Changer de posture pour sonder les profondeurs de la réalité en questionnant toutes les dimensions de cette réalité.

Une posture que le chercheur François Taddeï décrit ainsi, dans son dernier ouvrage Apprendre au XXIe siècle : « Cesser de penser en ingénieur et apprendre à penser en chercheur. Le premier cherche une solution ; le second cherche la bonne question. Le premier se désole quand une expérience dysfonctionne ; le second s’en réjouit, dès lors que ce dysfonctionnement est inédit – cela signifie qu’il est en présence de nouveaux possibles, qu’il va pouvoir labourer de nouveau champs de savoir. »

Adopter une posture de chercheur pour apprendre à (se) poser les bonnes questions

Notre capacité à se mettre à la place de l’autre, base de l’empathie, à regarder la réalité sous différents angles, de manière multidimensionnelle, est le socle de cette posture de chercheur. Frédéric Falisse, le coach et formateur qui a théorisé l’art de poser des questions : la « questiologie », en a fait le socle de sa technique. La discipline qu’il a développée ambitionne d’éveiller notre intelligence à interroger de façon pertinente, dans le but de découvrir de nouvelles possibilités, de nouvelles perspectives de développement personnel, relationnel ou professionnel. Poser des questions pour réfléchir et éduquer. Il a constaté que dans notre quotidien, nous n’exploitons que 15% des questions possibles. Tout simplement car lorsque nous posons des questions, nous cherchons avant tout à obtenir des informations qui confirment notre vision du monde et notre perception d’une situation.

Pour expliquer sa théorie, il cite la formule d’Einstein : « Si j’avais une heure pour résoudre un problème dont ma vie dépendait, je passerais les 55 premières minutes à chercher la meilleure question à me poser, et lorsque je l’aurais trouvée, il me suffirait de 5 minutes pour y répondre ».

Pour appréhender la « questiologie », Frédéric Falisse nous invite à nous mettre dans la peau de celui à qui nous posons la question en lui proposant de prendre une certaine posture. Dans la posture d’acteur, il s’interroge sur sa participation. En tant qu’observateur, il regarde ce qui se passe. En prenant une posture introspective, il réfléchit à ce qu’il ressent. Et enfin, en prise de recul, il se projette par rapport à la situation.

Tout se joue dans la qualité des questions. En coaching, on les appelle les « questions puissantes ». Des questions qui ont le pouvoir de nous faire cheminer. Partant du principe que si nous ne trouvons pas de solution à un problème, c’est que nous ne cherchons pas au bon endroit. Les meilleures questions nous amènent donc à nous décentrer de nos certitudes, et sont ouvertes pour laisser la place au silence et ouvrir sur nos ressources intérieures profondes.

J’ai eu l’occasion d’expérimenter une technique particulièrement efficace pour cheminer dans son questionnement avec l’appui du collectif : « De la question brûlante à la question puissante ». L’exercice consiste en un dialogue de questions ouvertes, qui fait progresser la réflexion à partir d’une question de départ. Dans cet échange, aucune solution n’est proposée par le groupe, juste des portes qui ouvrent sur d'autres points de vue en lien avec la question initiale. Très rapidement, la reformulation de nouvelles questions nous permet d’entrevoir la problématique de départ sous un autre angle et d’envisager de nouvelles possibilités.

En invitant leurs collaborateurs à « tomber les masques » et à questionner leurs représentations de la réalité en confinement, à la croisée de leurs postures d’acteur, d’observateur, en introspection et en prise de recul, les entreprises s’ouvrent à l’exploration d’une vision élargie sur laquelle construire la relance de leur activité. Et elles se positionnent ainsi en organisations apprenantes capables de tirer parti des processus de changement qui les impactent pour répondre aux grands défis à venir.

Quelques lectures inspirantes
LES ECHOS - L'entreprise d'après, ses promesses et ses défis
LE FIGARO - Patrick Lévy-Waitz, entrepreneur :
« Attention au mythe de la seule industrie
lourde, modèle 20e siècle »
L'ADN - Les managers doivent-ils devenir des artisans de la conversation ?

A mi-chemin du confinement imposé par l’épidémie COVID-19, une question s’impose. Qu’avons-nous appris de ce séisme qui touche de façon systémique tous les piliers de notre vie : santé, famille, travail, nourriture, loisirs… ?

Un questionnement fortement inspiré des ouvrages qui ont accompagné mon confinement. Car j’ai amorcé ma quarantaine avec la lecture du dernier ouvrage de François Taddeï, Apprendre au XXIème siècle, au sous-titre évocateur : Révolutionner nos apprentissages pour faire face aux défis de demain… Je ne pouvais que poursuivre ma réflexion avec la lecture du classique du management de Peter Senge, La cinquième discipline. Un livre tellement d’actualité, qui nous apprenait il y a 25 ans déjà, lors de sa première édition, que « pour toute organisation, l’avantage concurrentiel durable se trouve dans la capacité à apprendre plus vite que la concurrence. »

Qu’avons-nous appris ? Je pose la question au présent, alors que le confinement se poursuit jusqu’au 11 mai, car la réflexion ne saura attendre que nous retrouvions la liberté d’agir à notre gré. Saisissons-nous de ce temps suspendu qui nous est offert pour observer, comprendre et expérimenter. Si nous attendons de reprendre le chemin du travail et le train-train habituel..., les urgences du quotidien nous renverront à la réalité d’avant le confinement. Comme un élastique qui revient systématiquement à son état de départ. Alors il sera trop tard pour se poser les bonnes questions, et construire à partir de cette nouvelle réalité qui émerge de la situation extrême que nous vivons aujourd’hui ! Comme l’illustre très bien François Taddeï, en sa qualité de biologiste : « Les virus ont quasiment toujours un temps d’avance sur les systèmes de protection ».

Quand le confinement s’impose, pas d’autre choix que de s’adapter

La vie nous soumet à des épreuves qui peuvent être violentes. Ces chocs font bouger nos lignes et remettent en question nos certitudes. Ils créent une sorte de séisme intérieur qui irradie jusqu’à l’extérieur et bouscule notre écosystème. L'épreuve que nous traversons aujourd'hui est d'autant plus rare qu'elle se déploie à une très grand échelle et touche dans un même temps le monde tout entier. Une épidémie qui marque non seulement les corps, mais aussi les esprits. Car la rupture de nos routines et la réduction de nos contacts sociaux occasionnent frustration, ennui et un sentiment profond d'isolement du reste du monde.

Après trois semaines de confinement, j’ai trouvé ma fille de 18 ans complètement abattue alors qu’elle venait de réaliser qu’elle ne ressentait plus de sentiment de manque vis-à-vis de son petit ami qu’elle n’avait pas revu depuis le début de la quarantaine. Comme si ses sentiments pour son amoureux avaient été mis en veille pour éviter de trop souffrir de la séparation imposée. Il est question-là du fonctionnement adaptatif qui nous permet de vivre en nous adaptant aux exigences et aux contraintes de notre environnement.

Ces comportements d’adaptation évoluent avec l’âge, avec l’apprentissage et selon l’expérience accumulée, permettant à l’individu d’atteindre un certain niveau d’autonomie. Le fonctionnement adaptatif peut également être positivement ou négativement influencé par différents facteurs tels que l’éducation, la personnalité, l’expérience, la motivation, les possibilités socioprofessionnelles.

Nous ne sommes pas égaux dans la gestion de cette crise qui altère notre rapport au temps, aux événements, à la famille, au travail, aux autres d’une manière générale…, notre rapport à la réalité en quelques sortes.

« Le confinement, c'est une amputation de la réalité, qui remet en cause bien des fonctionnements de nos sociétés. » Boris Cyrulnik

Le confinement nous révèle un nouvel angle de vue de notre réalité

A peine deux semaines après le début du confinement, une amie manager en télétravail partageait la perte de sens qu’elle ressentait face à l’état d’urgence déployé dans son entreprise pour maintenir l’activité économique. Elle exprimait un besoin impérieux, dans cette nouvelle perspective de sa mission, de prendre de la hauteur par rapport à ses habitudes de travail et allait même jusqu’à remettre en question sont engagement professionnel. D’ailleurs, cette réaction extrême la mettait dans une grande confusion. Après réflexion, j’ai compris qu’elle était confrontée à deux réalités de vie qui se percutaient. L’ancienne réalité, avant le confinement, emprunte de superficialité, et la nouvelle, à l’épreuve du confinement, centrée sur l’essentiel. En conséquence, elle cherchait à ajuster sa compréhension de cette « nouvelle » réalité dans son rapport au travail. Être soudainement confronté à la futilité de certains piliers de notre existence provoque nécessairement confusion et amertume.

Pour Boris Cyrulnik, « C’est l’occasion de prendre durablement conscience de ces vérités humaines que nous connaissons tous, mais qui sont refoulées dans notre subconscient : que l’amour, l’amitié, la communion, la solidarité sont ce qui font la qualité de la vie. »

Si le confinement est une protection physique nécessaire pour la survie, elle constitue en même temps une redoutable agression psychique. Pour atténuer les troubles du confinement liés à cette distanciation sociale, Boris Cyrulnik nous invite à prendre en compte dans notre quotidien trois dimensions : l'action, l'affection et la réflexion. Avoir une discipline d’action consiste à bouger au moins une heure par jour pour sécréter des endorphines et percevoir un sentiment de bien-être. L’affection est l’occasion de déclarer notre attachement à nos proches et de renforcer les liens. Quant à la réflexion, c’est une plongée intérieure, favorisée par la lecture, l’écriture, la méditation…, qui nous permet de retrouver de la liberté et des ressources qui aideront à la résilience.

« L’arrivée de ce virus doit nous rappeler que l’incertitude reste un élément inexpugnable de la condition humaine. […] Nous essayons de nous entourer d’un maximum de certitudes, mais vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille… » Edgar Morin

Dans ces périodes de crise qui s’inscrivent dans la durée avec leur lot d’incertitudes, des réalités inhibées se révèlent et on assiste à un déblocage de ressources jusqu’alors inexploitées. Des ressources qu’il nous revient de cultiver pour trouver matière à s’adapter. Cette nouvelle réalité qui s’installe dans le temps avec la prolongation du confinement, nous sort de notre zone de confort. Un bouleversement de notre quotidien ordinaire qui peut donner lieu à deux types de réactions.

La crise, génératrice de perturbations et de désordres, peut favoriser la manifestation de comportements de rejet et la recherche de boucs émissaires. Comme le décrit le syndrome « l’ennemi est au-dehors », qu’évoque Peter Senge pour justifier qu’il y a chez chacun d’entre nous « une propension à trouver quelqu’un ou quelque chose à blâmer quand cela ne va pas ». Comme si la perfection nous était due et l’erreur impardonnable. Un phénomène exacerbé par la contrainte du confinement que certains peuvent vivre comme un schéma inversé du Huis Clos de Jean-Paul Sartre. La distanciation sociale nous extrait d’un environnement menaçant où l’Autre est synonyme de danger pour mieux nous replier dans un entre-soi rassurant.

Face à ce système complexe dans lequel nous enferme la crise, une autre réponse est d’activer notre esprit critique et notre créativité pour ajuster nos connaissances à cette nouvelle réalité et développer des comportements adaptés. Nous pouvons apprendre de ces perturbations et désordres comment percevoir les développements possibles ou souhaitables. Comme nous y invite Peter Senge, il s’agit « d’utiliser les forces du changement au lieu de leur résister. » Et apprendre à désapprendre les anciens modèles. Accepter d’être perturbé par cette nouvelle réalité et finalement être disposé à changer notre mode de pensée. Et profiter de cette épidémie, où la préservation de l’humain est au centre des préoccupations, pour transformer nos milieux de confinement en espaces de liberté propices à l’observation, l’imagination, la création, l’expérimentation… Un espace où l’erreur est non seulement un droit mais surtout une responsabilité.

« À chaque épidémie, ou catastrophe naturelle, il y a eu changement culturel. Après le trauma, on est obligé de découvrir de nouvelles règles, de nouvelles manières de vivre ensemble. » Boris Cyrulnik

En période d’incertitude, apprendre à se poser les bonnes questions

Pour François Taddeï, « Dans un monde en mouvement, l’immobilisme est une régression ».

Et si nous faisions de cette contrainte au repli sur soi et de ce recentrage sur l’essentiel une formidable opportunité de se connaître soi-même. De s’interroger sur ce que nous sommes et la place que nous avons envie d’occuper dans ce monde qui évolue toujours plus vite. Cette période de confinement est non seulement utile pour revoir le juste équilibre que nous accordons à nos vies personnelle et professionnelle, mais elle est aussi l’occasion de mettre à profit cette obligation à vivre en autonomie pour pratiquer des activités qui ont du sens pour nous et nous apportent du plaisir. Certains vont s’adonner au bricolage ou à la pâtisserie, d’autres à la lecture, à la peinture ou à l’écriture. Des activités dans lesquelles nous allons trouver un épanouissement personnel et apprendre, en testant de nouvelles recettes, en s’essayant à des travaux plus complexes, en apprenant de nouveaux points de couture…

« La recherche scientifique montre qu’on n’apprend jamais mieux que lorsque motivation et plaisir se nourrissent mutuellement » nous rappelle François Taddeï.

Ce temps suspendu est inespéré pour apprendre, notamment à travers ce formidable champ des possibles que nous offre le numérique. Outre la multitude de vidéos et autres tutos disponibles pour faire évoluer nos savoirs, nous voyons fleurir sur les réseaux sociaux pléthore de webinars dédiés au développement de nos savoir-faire et savoir-être. Ce décloisonnement des savoirs est une aubaine pour apprendre les uns des autres. Et devenir nous-mêmes des passeurs d’apprentissage. Je suis éblouie de constater combien nombre d’indépendants qui ont vu leur activité se réduire à néant pendant le confinement ont su se réinventer en transformant leurs accompagnements en formations numériques gratuites pour maintenir le lien avec leurs clients et déployer plus largement leurs connaissances. De nouvelles approches précieuses pour anticiper la sortie du confinement et préparer la reprise. Je ne parle pas ici de construire le monde d’après, mais d’assurer le monde d'aujourd’hui, porteur de nombreuses inconnues.

Comme le souligne François Taddeï : « Si nul ne sait comment le monde va changer, on sait au moins que la capacité à s’adapter au changement constituera une des compétences les plus précieuses. Celles et deux qui auront été initiés à cette forme d’intelligence auront de meilleures chances de s’en sortir. »

Alors apprenons ici et maintenant ! « Le futur est déjà là ; il n’est seulement pas réparti de manière équitable » assure Peter Senge. Apprenons à questionner notre réalité et à dépasser nos certitudes. C’est ce qu’avais compris Socrate : mieux vaut accepter le questionnement et l’incertain que de tenir pour vraies des certitudes qui n’en sont pas. Les chercheurs eux-mêmes savent que leurs certitudes sont par nature provisoires. Pour François Taddeï, « Nous sommes tous nés chercheurs ». Ce comportement est inné. « Notre développement cognitif dès le plus jeune âge procède de processus identiques à ceux que les scientifiques mettent en œuvre pour faire progresser le savoir ». Il nous faut retrouver cette posture de « chercheur » héritée de notre petite enfance, avoir le cran d’avouer notre ignorance et chercher les bonnes questions. Et accepter « qu’il n’y ait pas de réponse définitive à de bonnes questions ».

Dans cet immobilisme confiné, nous pouvons « réfléchir de manière multidimensionnelle » et regarder notre réalité sous des angles différents. « Si on ne connait qu’un système, on a du mal à en concevoir un autre, mais si on a eu l’occasion de voir d’autres manières de faire, on peut en imaginer toujours plus ». Cette gymnastique intellectuelle fait appel à une compétence essentielle : la capacité à se mettre à la place de l’autre, base de l’empathie. Une invitation à sortir du jugement pour essayer de trouver des solutions originales.

Nous pouvons également échanger sur ce que nous avons appris individuellement et collectivement avec le confinement, notamment sur nos modes de travail. Nous gagnerons à faire connaître ce que nous avons expérimenté pour nous inspirer les uns des autres et adopter les expériences vertueuses qui ont germé de cette crise. Car partager ces connaissances, c’est contribuer à créer une société plus apprenante.

Quelques lectures inspirantes
LA PROVENCE - Coronavirus - Boris Cyrulnik : « Il y aura des transformations profondes » 
CNRS LE JOURNAL - Edgar Morin: « Nous devons vivre avec l'incertitude »
THE CONVERSATION - Débat : Pour faire face aux crises, développons des « communautés apprenantes »
THE CONVERSATION - Qu’est-ce qu’une « crise » ?
THE CONVERSATION - Quelles leçons philosophiques tirer de la crise sanitaire ?
THE CONVERSATION - Penser l’après : En quoi Camus est-il indispensable pour nous aider à sortir de la crise ?

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