Plus j’avance dans mon enquête sur le sens, plus je perçois la complexité du sujet. En dehors de la philosophie, j’avoue trouver assez peu de recherches qui éclairent la dimension du sens dans le travail. Cette quête de sens qui s’exprime partout et par tous aujourd’hui, les jeunes comme les moins jeunes, mérite qu’on lui accorde toute notre attention. Pour soi, pour faire les bons choix et initier des actions à impact dans sa vie professionnelle et aussi pour les autres, lorsqu’on est dirigeant ou manager. Car avant d’imaginer donner corps à un projet collectif, encore faut-il avoir approfondi le sens individuel…
Il arrive régulièrement, lorsque j’accompagne des collectifs dans l’exploration du sens et de l’intention qui les anime dans leur travail, leur mission, que l’on me rétorque que c’est « intime ». En effet, le versant personnel du sens dans le travail est trop souvent considéré comme « intime », « privé »… Parce que ce versant a rarement été exposé, par souci de discrétion, par méconnaissance des véritables ressorts individuels, par confusion entre « intimité » et « authenticité ».
Pourtant, j’ai pu observer qu’aucun sens collectif n’est accessible, sans avoir dans un premier temps clarifié le sens individuel. C’est-à-dire, avoir pris le temps d’explorer le sens qui m’anime, moi, dans ce projet, cette action, cette transformation… C’est en faisant résonner entre elles toutes les pistes de sens individuel que l’on est en mesure de trouver le sens commun au collectif. Partir du sens en JE pour tendre vers le sens en NOUS !
Pour avancer dans mon enquête sur le sens au travail, j’ai choisi de m’inspirer d’une structure de sens proposée par Cécile de Lisle et Rodolphe Durand qui codirigent le « Purpose Center » d’HEC Paris. Tous deux ont rassemblé dans le livre « En quête de sens » les témoignages de dirigeants et de futurs dirigeants qui se confient sur le sens qu’ils trouvent à leur action, en tant que personnes et représentants de grandes et moins grandes organisations.
Pour les auteurs, trouver le sens s’apparente à atteindre une voie sur un chemin de crête, entre le versant personnel et intime qu’est l’ubac, à l’ombre, moins souvent éclairé, et le versant organisationnel qu’est l’adret, sous la lumière et l’exposition du collectif.
Dans cet ouvrage, ils nous partagent les pistes de sens incarnées par ces hommes et ces femmes au gré de leurs expériences en entreprise, comme des lignes de crête qui réunissent l’ubac et l’adret. Je trouve intéressante la trajectoire singulière qu’ils nous proposent pour cheminer vers le sens au travail, trois dimensions afin de passer de l’intention à l’action : « être soi », « être avec » et « être pour », en entreprise.
« Être soi », signifie se délester des peurs et des croyances qui nous incitent à nous cacher derrière des masques, à endosser des costumes dont nous pensons qu’ils sont conformes aux attendus du monde du travail. La vie professionnelle nous confronte à des situations difficiles, qu’elles soient d’ordre relationnel ou qu’elles nous enjoignent à prendre des décisions délicates. Elle nous met face à notre réalité d’humain dans toute sa complexité… Reconnaître que nous sommes quotidiennement chahutés par des peurs et des croyances n’est pas un aveu de faiblesse, mais une preuve de robustesse ! Les reconnaître avec lucidité est le meilleur moyen pour les traverser et finalement trouver la force de s’en affranchir.
« Être soi », c’est avoir le courage de regarder en face les marqueurs de notre singularité et oser les assumer pleinement. La comparaison sociale, cette tendance à se comparer aux autres, à nos collègues, à nos pairs, à nos concurrents…, est inscrite dans nos gènes. Ce mécanisme, qui peut nous aider à mieux comprendre notre position dans la structure sociale, peut aussi avoir des effets ambivalents sur notre estime de soi. Prendre conscience des valeurs qui nous sont propres et leur rester fidèle face aux aléas du monde du travail est un gage d’alignement et de confiance dans la durée. En revisitant nos réalisations marquantes, nous révélons la richesse qui est en nous. Ainsi reliés à nos talents, nous nous sentons faire partie de quelque chose de « plus grand ».
« Être soi », c’est rester connecté au cœur vibrant de son leadership, ce cœur vaillant qui, en se heurtant au monde, aux injonctions, aux contradictions, aux incompréhensions, nous amène au dépassement de soi et ouvre le chemin à tous les possibles. La vie professionnelle n’est pas rectiligne ; notre carrière ne suit pas une voie toute tracée. Elle est faite de hauts et de bas, de tâtonnements, de bifurcations, de renoncements parfois… Ce chemin, aussi chaotique soit-il, dessine notre trajectoire d’évolution, c’est un devenir qui nous mène à toucher notre essentiel et notre liberté.
« Être avec » au travail, c’est comprendre que toute victoire est collective ! L’entreprise est un incroyable réservoir de diversité. Elle offre chaque jour l’opportunité de participer à une aventure humaine, en partageant nos convictions et nos interrogations, nos peurs et nos doutes, nos freins et nos élans… En acceptant de ne pas avoir toutes les réponses, nous apprenons à nous décentrer, à nous entourer de personnes qui pensent et agissent différemment, qui nous invitent à élargir notre champ de vision. En s’alignant avec toutes les parties prenantes de l’entreprise, il est possible de dégager une puissance collective extraordinaire ! Chacun doit sentir qu’il existe et qu’il compte pour que l’entreprise puisse faire corps. Connecter les individus à leurs rêves permet de libérer les énergies et la magie humaine.
« Être avec », c’est faire le choix de la confiance. La confiance est une forme supérieure de motivation et d’inspiration. Elle est d’une puissance infinie lorsqu’elle se propage dans les organisations. Pour créer un environnement de confiance optimal dans notre cadre professionnel, il est nécessaire d’être digne de confiance et de savoir construire des relations confiantes à tous les niveaux. Mais c’est notre capacité à « faire confiance » qui est le facteur décisif, car elle donne des ailes à celles et ceux qui en sont gratifiés.
« Être avec », c’est faire grandir et réussir les autres. Un leadership de sens se fonde sur une connaissance approfondie de soi, des autres et du monde. C’est-à-dire être au moins aussi conscient de ses talents que de ses limites. L’exemplarité est moins synonyme de perfection que de lucidité et de sincérité. En étant à l’écoute de ses équipes, un dirigeant, un manager, se met en situation d’éprouver la réalité du terrain de son organisation et de son marché. Connaître et reconnaître les forces vives qui sont à l’œuvre est un formidable vecteur d’accomplissement personnel et collectif. La reconnaissance développe le sentiment d’utilité. Elle favorise l’autonomie et la responsabilisation. Elle encourage le pouvoir d’agir et crée un environnement permettant de donner le meilleur de soi-même, de déployer tout son potentiel.
« Être pour », c’est s’engager, de bout en bout… Pour dépasser les intérêts court-termistes d’une organisation, l’engagement, qu’il soit environnemental ou sociétal, doit être porté par l’ensemble des individus qui la constituent. Se sentir engagé, c’est se sentir lié. Assumer ce lien nécessite de s’assurer que notre activité ne nuit pas aux membres de notre communauté et qu’elle soit bénéfique au maximum d’entre eux. D’un bout à l’autre de l’organisation, tout le monde doit s’accorder et cultiver le même niveau d’engagement, le même niveau d’exigence, partager les bons réflexes, incarner l’ambition collective pour que sa raison d’être devienne sa raison d’agir.
« Être pour », c’est assumer ses responsabilités ! Pour s’engager, encore faut-il se sentir responsable. Le militantisme a sa place dans les organisations. Il est fondamental, en tant que citoyen, de contribuer à développer en leur sein un rôle d’influence sur les réglementations et les standards de bonnes pratiques. Notre responsabilité personnelle consiste à ne pas rester passif, et la responsabilité des organisations à réduire leur impact environnemental au minimum et surtout assumer les conséquences de leurs actions. La deuxième ne sera pas assumée si la première ne l’est pas d’abord… Une action citoyenne et militante en parallèle des logiques marchandes et visant les enjeux institutionnels est indispensable pour faire face à ce qui est vraisemblablement la plus grande crise jamais vécue par l’humanité.
« Être pour », c’est choisir et parfois renoncer… Sanctuariser les décisions n’allant pas nécessairement vers une maximisation du profit à court terme mais visant à créer de la valeur partagée et durable permet de pérenniser la mission de l’entreprise. Il s’agit ici de repenser ses activités cœur de métier à l’aune de leur contribution aux grands enjeux sociétaux et/ou environnementaux. Arbitrer en permanence entre les performances à court terme et les enjeux à long terme est une manière de répondre à l’injonction contradictoire qui pèse sur toutes les entreprises à l’heure actuelle. La mission devient alors un moyen de guider les dirigeants pour tout ce qu’ils font, mais aussi pour tout ce qu’ils décident collectivement d’abandonner. À travers ce prisme, les renoncements d’aujourd’hui sont les profits de demain. Le renoncement est aussi une affirmation. Il est préférable parfois d’avancer à contre-courant plutôt qu’à contrecœur ! Cela nécessite que les parties prenantes de l’entreprise s’accordent sur le sens dans lequel elles souhaitent se diriger.
Ma source d'inspiration :
En quête de sens : Un dialogue entre dirigeants et futurs dirigeants - Cécile de Lisle & Rodolphe Durand