Comment se préserver de l’angoisse des injonctions, divisions, mensonges, menaces et autres brutalités qui bouleversent notre monde aujourd’hui ? Se couper du flot d’informations issu des médias et des réseaux sociaux n’y suffit pas. Face à la violence de notre époque, la réponse est intrinsèque. Elle se niche au cœur de la douceur qui berce la vie depuis ses origines. La douceur est une force de résistance. Comme un rempart, elle sait mettre la bonne distance vis-à-vis des inévitables agressions du quotidien. La douceur est politique. Elle n’offre aucune prise au pouvoir. La douceur est transformation. Elle réconcilie passé, présent et futur ; elle coud les mondes ensemble.

Selon le philosophe Charles Pépin, le métier d’homme est difficile et nous ne nous en sortirons pas sans la douceur : « C’est parce que la vie est dure que la douceur est nécessaire ; c’est parce que nous venons au monde inachevés, intranquilles, quasiment perdus, que la douceur est salutaire ».

Jamais autant qu’aujourd’hui, je n’ai éprouvé le besoin de brandir la douceur comme un étendard, de crier haut et fort cette paix intérieure pour qu’elle essaime mon monde, à l’extérieur. Je ressens la douceur si puissamment dans chacune de mes cellules ; son énergie réconfortante, sa puissance transformatrice font d’elle une énigme qu’il me revenait de percer, guidée par les mots d’une grande poésie de la philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle, croisés avec les recherches de la journaliste Aurélie Godefroy.

Dans toutes les traditions spirituelles, la douceur relève d’un attribut de Dieu, avant d’être une vertu humaine. Tantôt élevée au rang d’état de grâce, tantôt inscrite comme fondement même de l’éthique, la douceur est féconde et porte en elle la quintessence des causes morales et politiques : la paix, le pardon, la générosité, la compassion, l’écoute, la justice…

« Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. » Évangile selon saint Matthieu

Certes, il n’est pas toujours doux de vivre. Car la douceur ne se possède pas, elle nous visite, inspirée d’un regard, d’un geste, d’une sensation, d’une lumière… Nous la sentons là, aussi discrète, intense et vitale qu’un battement de cœur.

La douceur nait de la vie comme la vie nait de la douceur. Venue du plus loin de la mémoire de la vie, là où mère et enfant ne font qu’un, la douceur évoque un paradis perdu, un bercement.

« La douceur vient avec la possibilité de la vie, avec l’enveloppe utérine qui filtre émotions, sons et pensées, avec l’eau amniotique, avec le toucher à l’envers de la peau, avec les yeux fermés qui ne voient pas encore, avec la respiration encore protégée des agressions de l’air. Sans la douceur de ce toucher originel nous ne serions pas au monde. » Anne Dufourmantelle

Le monde de l’enfance prolonge l’expérience de la douceur. On ne survivrait pas à l’enfance sans douceur, car tout y est tellement exposé, suraigu, violent en un sens, à découvert, que la douceur en est le préalable absolu.

Dans les bras maternels, la douceur s’éprouve, elle laisse une marque indélébile, une harmonie entre caresse et fermeté, une essence que le philosophe André Comte-Sponville prête au féminin : « …c’est un courage sans violence, une force sans dureté, un amour sans colère ».

Cette faculté de tisser une relation douce à soi-même et aux autres élève la douceur au rang des plus grandes qualités existentielles que sont la sagesse et la noblesse. Dans cette harmonie que vise la douceur, elle tient compte de la cruauté et de l’injustice du monde. Pour la philosophe : « être doux avec les choses et les êtres, c’est les comprendre dans leur insuffisance, leur précarité, leur immaturité, leur bêtise ».

Selon Anne Dufourmantelle, un art illustre autrement l’intelligence inhérente à la douceur : l’art équestre. « Il suppose l’entente de l’homme et de l’animal à un haut degré de raffinement et de complicité. Il s’agit pour l’un de comprendre (de deviner, de tolérer) l’autre au point d’en être accepté. Le cheval peut être guidé, dressé, bridé, cravaché, il ne s’accordera au cavalier que si celui-ci sait trouver avec douceur la légèreté de main et le mouvement dont il s’ajustera à la foulée du cheval. Il y a dans l’équitation un art de la douceur comparable à nul autre. En cela, la douceur est une harmonie. »

L’intelligence de la douceur porte la vie, elle y laisse son empreinte subtile au gré de notre vécu ; de l’animalité, elle garde l’instinct, de l’enfance l’énigme, de la prière l’apaisement, de la nature l’imprévisibilité, de la lumière la lumière.

La douceur est une manière d’être au monde. Les êtres qui en font preuve sont des résistants dont les actes ont plus de pouvoir sur le cœur des hommes que la violence et la barbarie. Incapables de trahir comme de se trahir, leur combat est au centre de l’éthique et du politique.

« La douceur est invincible » Marc Aurèle

Oui, la douceur est politique ! Elle est une force de résistance qui s’oppose à toute tentative de contrôle. Car elle n'est ni désobéissance ni insurrection. Elle n’offre aucune prise au pouvoir ; elle est non-gouvernable. « Là où la loi commande, la douceur invite. Là où la loi menace, la douceur attire. Là où la loi contraint, la douceur engage. »

La douceur est une passivité-active. Elle ne plie pas. Sa force de résistance tient précisément à sa vulnérabilité, à son exposition à tout ce qui peut la détruire. La promesse de la douceur est aussi celle d’un retournement des pouvoirs, d’une révolution secrète. Précisément parce qu’elle ne commande pas, n’oblige pas, ne gouverne pas. Comme dans certains arts martiaux, la douceur peut retourner le mal et le défaire mieux qu’aucune autre réponse.

« Son pouvoir est immense : elle soigne les âmes blessées, elle éloigne du mal ; elle nous guérit de l’illusion de la toute-puissance. Elle nous arrache au vouloir et nous rend au désir. » Charles Pépin

La douceur ne laisse pas indemne ; elle modifie substantiellement ce qu’elle affecte. Parce qu’elle sublime la vie, la sauve, l’accroît, elle est une insoupçonnable puissance de transformation des choses et des êtres.

« Je crois que la puissance de métamorphose de la vie elle-même se soutient dans la douceur. Quand l’embryon devient un nouveau-né, quand la chrysalide laisse éclore le papillon, quand une simple pierre devient la stèle d’un espace sacré dans les jardins de Kyoto, il y a, au minimum, la douceur. » Anne Dufourmentelle

La transformation ne peut arriver que dans la douceur. Elle n’est pas possible sans l’énergie du cœur, sans le courage du désir. À l’opposé de la violence de l’effraction, de l’injonction de la norme, elle crée un espace de liberté, la bonne distance, le bon rythme, qui permet à chacun d’oser exister à sa mesure.

« Car la douceur rend possible autre chose qu’elle-même ; elle favorise tous les passages, permet toutes les transitions, les métamorphoses les plus belles. » Charles Pépin

La douceur commence par soi, l’accueil de soi. Se montrer doux avec soi est très éloigné du défaitisme, de l’inaction ou de la complaisance. Cette capacité d’autocompassion favorise une grande résilience face aux difficultés, mais aussi une meilleure aptitude à se remettre en question, accompagnée d’un désir accru de changer !

En accueillant qui nous sommes, nos sensations, nos émotions… avec douceur, nous augmentons notre qualité de présence à nous-même et devenons capables d’augmenter notre accueil de l’autre avec douceur. En accueillant la douceur en nous, nous devenons meilleurs.

Mes sources d'inspiration :
Puissance de la douceur - Anne DUFOURMANTELLE
Eloge de la douceur - Aurélie GODEFROY
Et si nous réapprenions la douceur ? - Charles PEPIN

Je lis régulièrement des articles sur le leadership exhortant dirigeants et managers à « bâtir du sens » pour guider leurs équipes à travers notre époque incertaine et frénétique. Cette incitation à « bâtir » du sens sous-entend qu’il est un objet extérieur, une matière qui se construit, un quelque chose que l’on a, ou pas, que certains donnent et d’autres reçoivent… Comme un trésor qui passerait d’une main à l’autre. Pourtant, en remontant le fil de ma propre trajectoire de sens, j’ai pu me forger une conviction : le sens vient de nous et de personne d’autre ! Le sens est une énergie vitale que nous portons tous en nous, dont la circulation est parfois entravée ou rompue. Le sens perdu nous invite à nous mettre en chemin pour retrouver sa trace. Le non-sens est du sens devenu inaudible, masqué par le brouhaha du monde, noyé sous les dissonances professionnelles. Il reste bloqué, empêché, attendant un retour à la cohérence, un nouvel alignement.

Il y a six ans, face à l’absurdité qui régnait dans mon environnement de travail, j’ai perdu le sens ! Pour le retrouver, il m’a fallu enquêter au plus profond de mon désir, dans mon cœur, et rassembler des bribes de sens éparses qui se trouvaient là. Depuis, je mets ma quête de sens au service de toutes celles et ceux qui, comme moi, un jour l’ont cherché désespérément. Et pour décrypter ce qu’a été mon propre pèlerinage vers le sens, j’ai trouvé un formidable guide dans l’ouvrage du philosophe Pascal Chabot : Un sens à la vie.

Notre époque frénétique et incertaine cherche du sens, bien plus que les précédentes caractérisées par le devoir de loyauté et la subordination à la hiérarchie. Si le sens est tellement désiré aujourd’hui, c’est que dans la pratique, c’est son contraire, la contradiction qui règne, et toujours plus à mesure que le monde se complexifie. Quand les contradictions sont trop nombreuses, elles créent une dissonance majeure qui rend l’existence subitement absurde. Car le sens naît d’un besoin profond de maintenir une cohérence dans notre vie, de trouver un peu d’ordre dans le chaos ambiant.

Vivre ne consiste pas seulement à exister, à se laisser porter par notre système biologique, mais à exister de manière « sensée ». C’est pourquoi certains ont l’impression de passer à côté de leur vie, tant leur désir de cohérence et d’alignement est ignoré. Car le sens se niche au cœur du réacteur, dans les profondeurs de notre désir, comme un sanctuaire dont le passage est resté secret.

Rien n’est moins simple que de trouver du sens, même les philosophes peinent à la tâche. Alors, quand l’un d’entre eux, tel Pascal Chabot, en esquisse le chemin d’accès, il nous revient de partager cette chasse au trésor !

C’est quand le sens vient à manquer que l’on prend conscience de ce qui est perdu. On vivait dans un monde sensé, et le voilà insensé. L’absence de sens souligne la place laissée vacante par cet essentiel désormais inaccessible. Le manque révèle impitoyablement ce qui était crucial dans notre vie, que l’on se met à regretter.

La recherche de sens est une aventure passionnante. Derrière nos rencontres, nos conversations, nos lectures, nous guettons, nous scrutons la venue du sens. Parfois, à travers quelques mots qui sonnent juste, transportés par une éclatante expression de joie, on a l’impression de s’en rapprocher. Le sens est là, celui-là même qu’on attendait, qu’on cherchait partout. Le voilà si proche, presque à portée de main. Alors que l’on se sent prêt à le toucher... soudain, le sens éclate, comme une bulle de savon.

S’il peut paraître volatile, c’est que la question du sens se joue dans le subtil. Il est une dimension sous-jacente qui tisse les trames fondamentales de notre rapport au monde. Le sens parle de ce qui est essentiel pour nous dans tout ce que nous vivons. Il pointe ce qui nous importe par-dessus tout et, en cela, il participe au chatoiement de notre existence. Le sens s’incarne au pluriel ; il n’y a jamais un seul sens à la vie ! Chaque individu résonne d’une constellation de sens : un archipel composé des désirs qui forgent l’essence de sa vie.

« Le sens n’est pas un but en soi. Dans le sens de la vie, c’est la vie qui compte. Mais une vie sensée, pour bien faire… »

La quête de sens est fondamentale : elle exprime l’existence d’un désir de sens, vital pour chaque individu comme pour toute société. Ce désir de sens aimante et oriente ; il est une énergie qui circule en nous et autour de nous, et qui pousse à vouloir sentir, comprendre et aller de l’avant. Exister, c’est désirer du sens, en toute circonstance, au travail, en amour, dans nos relations, bref, dans toutes nos activités.

Pour percevoir et déceler le sens, nous avons un sixième sens, qui serait comme le sens du sens. Un sens qui signale que la vie va dans la bonne direction. Ainsi, le sens circule entre trois polarités :

Il y a du sens quand ce qui est senti (sensation) peut être interprété et compris (signification) et aligné avec un devenir (orientation). De même, il y a du sens quand la direction prise est compréhensible et sensible. Ou encore, quand le message émis peut s’accorder à un devenir et générer des sensations. C’est cela, « faire sens » : circuler entre ces trois pôles. La communication entre les pôles est continue, fluide, évolutive. Tout sens est une circulation et, à l’inverse, tout non-sens est un blocage. Sensation, signification et orientation divergent, alors, le sens manque.

« Sans cesse, des sensations, des significations et des orientations se mêlent et se répondent, les unes relançant les autres, qui à leur tour se répercutent sur les premières. »

L’évidence du sens tient à ces milliers de circuits hyper-complexes où s’échangent ce que nous sentons, comprenons et devenons. Le sens est ainsi un fluide qui circule dans tous les aspects de notre existence et nourrit les circuits dans lesquels nous évoluons en tant que vivant.

Il nous revient de chercher à mieux comprendre les circulations de sens entre les trois pôles des sensations, significations et orientations, et grâce à cette compréhension, de faciliter ces circulations. Avoir une vue plus claire de la genèse du sens et de la façon dont il transforme notre existence nous permet d’en prendre soin. Il nous appartient donc de favoriser la création et le maintien d’îlots de sens en trouvant l’alignement entre ce qui est ressenti, compris et désiré.

Chercher du sens, c’est chercher à recentrer, à réunir, à rassembler ce qui est épars. En cherchant le sens, nous cherchons donc un alignement, une résonance, particulièrement entre ce que nous sentons, ce que nous comprenons et ce vers quoi nous évoluons.

La sensation est la matrice du sens de la vie

L’expérience de vivre, nous la sentons et la ressentons. Nous touchons le monde, écoutons son murmure, voyons ses projections… Toutes les informations issues de nos cinq sens s’agrègent pour façonner notre sensibilité. C’est notre corps qui sent, et au fond, c’est lui qui vit. La rationalité des humains leur fait voir leur corps comme un instrument docile auquel ils délèguent la charge d’incarner leur existence. Mais c’est là renverser l’ordre logique puisque le corps est premier, et ce sont les informations du corps qui nourrissent la conscience.

C’est toujours au présent que l’on vit, c’est dans l’ici et maintenant que se joue notre existence. Et c’est en sentant la vie en nous que nous devenons capables de discerner le sens. Cependant, le monde du senti est un monde fugace. Nous touchons, voyons, éprouvons ce qui nous entoure, mais ces innombrables contacts physiques sont aussitôt remplacés par d’autres. Si nous ne vivions que dans la sensation, nous habiterions un éternel présent, fait de changement et de renouvellement. L’expérience du monde serait un flot ininterrompu d’impressions sensorielles sans consistance…

Faire le pont entre sensation et compréhension

Or ces impressions, nous les mémorisons, les classons et les nommons avec ces étiquettes que sont les mots. Ainsi, nous stabilisons ces sensations éphémères, ce qui leur donne une consistance. Les sensations se voient interprétées par ce langage qui nous fabrique. Car le langage nous façonne bien plus que nous le façonnons.

« Quand nous parlons, c’est la société qui s’exprime en nous, elle à qui nous empruntons ces véhicules de sens que sont les mots. »

Il y a deux mondes, celui du senti et celui du dit. Vivre, c’est passer sans cesse de l’un à l’autre, c’est voir et dire, c’est percevoir et théoriser, c’est sentir-penser. Nous cherchons des mots pour nommer ce que nous vivons. L’accord entre ces deux mondes, entre l’éprouvé et le pensé, s’apparente à un processus d’unification de nous-même. Nous émergeons d’une relation entre nos sensations et nos compréhensions. Les choses ont du sens pour nous lorsque notre raison est alignée avec nos sensations et nos émotions.

Pour autant, toucher le sens en faisant résonner sensation et signification ne suffit pas. Ici, l’individu ne fait pas qu’exister, verbe qui vient du latin stare, signifiant « se tenir debout ». Rester droit sur ses pieds ne suffit pas. L’être est celui qui va : exister, c’est aller.

Esquisser une direction, tendre vers une destination

Le sens suppose un déplacement, donc un devenir, une évolution. On va vers, on se transporte. Exister, c’est avoir de l’allant, se laisser pousser par un élan vital. La direction devient progressivement une destination. En nous connectant à l’énergie du sens pour nous mettre en mouvement, nous nous trouvons magnétisés par ce que nous aimerions atteindre.

« Le sens alors n’est plus seulement une direction. Il est un « là-bas », une destination que l’on choisit et qui justifie les efforts dans sa direction. »

D’hier à aujourd’hui, du sens passe, qui circule aussi vers l’avenir. Il met constamment en communication ce que nous étions, ce que nous sommes et ce que nous serons, comme s’il cherchait une continuité entre ces différentes versions de nous-même. Les trajectoires de sens rassemblent le présent de la sensation, le passé des orientations reçues et le futur des destinations à venir.

La vision du futur attire, elle magnétise. Ce qui pourrait advenir alimente le désir, la volonté. La représentation positive du lendemain énergétise, là où l’absence d’imaginaire déprime. Le sens irrigue le chemin qui mène vers l’espérance d’un avenir désirable.

En cherchant le sens, nous refusons l’écartèlement, nous luttons contre cette distanciation incessante qui nous excentre, pour tâcher plutôt de rassembler. Cette cohérence que nous cherchons à travers le sens, nous permet de nous rapprocher fondamentalement de qui nous sommes, à travers ce que nous désirons.

Le dialogue mené journellement avec soi-même est une façon d’explorer ses circuits de sens, d’en comprendre les rouages et de fluidifier la circulation du sens. En nous racontant, nous accédons à une cohésion intime ; nous accouchons de nous-même par les mots. C’est en racontant nos histoires que nous créons du sens, car les significations n’adviennent qu’avec le langage.

Pour se révéler, cette intimité-là cherche bien souvent à s’extraire d’elle-même ; elle vise le dehors. Le sens est ce tremplin qui nous mène au-delà de ce que nous sommes. Nous reliant à autrui, il est l’essence de nos relations. C’est en créant du commun que le désir de sens trouve à se sublimer.

Le témoignage de sens est à double face : il transmet aux autres une part de notre vérité tout en se dévoilant à nous-même. Il n’y a pas un sens préexistant qui serait injecté dans la vie. Le sens est en train de s’écrire dans notre relation au monde. Tout ce que nous vivons avec le cœur le façonne jour après jour.

« Il faut de la passion pour trouver le sens. Peu importe ce que l’on fait de notre vie pourvu que nous aimions le faire. »

La marque de ce qui fait sens, c’est l’exaltation, le fait d’être captivé par un projet ou d’y adhérer entièrement, qu’il y ait dépassement. Le sens réclame l’engagement dans quelque chose de plus grand que soi : une cause qui nous dépasse, toute chose transcendant la personne, pourvu que le cœur y soit.

Quoi de plus significatif que l’image des lignes d’eau d’une piscine olympique pour symboliser l’alignement ? Les innombrables exploits des sportifs aux JO2024, notamment les extraordinaires performances de Léon Marchand en natation, ont faire remonter à la surface ce qui se joue dans les profondeurs de ces grandes compétitions et dans le cœur des grands champions. Comme en témoignent les athlètes qui ont marqué les épreuves de leurs prouesses, derrière chaque médaille se cache un travail de titan dans leur discipline, année après année, et aussi un état d’esprit puissant forgé à partir d’une meilleure connaissance de soi et de ses modes de fonctionnement. Cette préparation, bien plus « globale » que « mentale » à mon sens, est indispensable pour dépasser ses peurs, gagner en confiance et aller au-delà de ses limites. Qu’avons-nous à apprendre de ces sportifs de haut niveau pour donner le meilleur de nous-même dans nos activités professionnelles comme personnelles et libérer notre plein potentiel ? Je vous invite à plonger dans le grand bassin de l’alignement…

Dans le domaine du sport, toutes disciplines confondues, lorsque l’on décrypte les fondements de la performance, quatre éléments ressortent significativement aujourd’hui : les prédispositions, l’entraînement sportif, la préparation physique et la préparation dite « mentale », que j’appellerai plutôt « globale ».

Les athlètes qui gravissent les marches du podium, quelle que soit la compétition, possèdent en eux des prédispositions indéniables, génétiques, physiques, psychologiques, cognitives… et certainement un savant dosage de toutes ces capacités complémentaires.

Philippe Lucas, l’ancien entraîneur de la nageuse Laure Manaudou, a commenté les prouesses de Léon Marchand dans la presse. Le coach est dithyrambique. Pour lui, cet exploit n’est « même pas exceptionnel, c’est grandiose ! ». Il considère qu’il a toutes les qualités du très haut niveau et que tous les entraîneurs aimeraient avoir un tel athlète dans leur équipe. Philippe Lucas qualifie le jeune médaillé de « poisson ».

Selon lui : « c’est inné. Il est hyper aquatique ».

C’est indéniable, Léon Marchand a su trouver sa part de génie. Pourtant, la natation ne s’est pas imposée à lui immédiatement. Même s’il se sent très à l’aise dans l’eau dès le plus jeune âge, il s’est d’abord essayé au judo et au rugby et c’est seulement vers 12-13 ans qu’il commence à s’entraîner au club de natation toulousain.

Nous avons tous une part de génie en nous, de façon innée, qu’il nous faut découvrir. Cela ne fait pas nécessairement de nous des êtres d’exception, mais des êtres singuliers. Se connecter à nos ressources profondes, connaître nos talents innés, nos capacités à réaliser quelque chose dans quoi nous éprouvons du plaisir et qui nous rend uniques est de notre responsabilité. Nos capacités sont des trésors qui ne demandent qu’à être découverts et déployés !

Faire émerger nos talents est une source de joie et d’épanouissement personnel car ils sont une composante importante de l’estime de soi. C’est un véritable cercle vertueux : plus nous exerçons nos talents, plus nous réussissons, plus nous sommes confiants, plus nous osons les développer encore, et plus nous sommes épanouis.

Selon Thomas Sammut qui accompagne Léon Marchand et de nombreux sportifs de haut niveau à prendre soin de leur santé mentale, apprendre à se connaître et à s’épanouir en tant qu’individu est le meilleur chemin vers la réussite : « la clé de voute, c’est de participer à l’éveil de leur identité et de renforcer leur personnalité. C’est gagné quand ils se portent un amour inconditionnel ».

Il constate qu’en France, nous avons été éduqués à nous percevoir à travers nos manques et nos prétendus défauts. C’est une erreur. Nous sommes tous différents et uniques.

Pour le coach : « C’est en sublimant nos singularités que, d’abord, on se sent bien, puis que l’on excelle ».

La compétition, Thomas Sammut la voit comme une opportunité d’aller chercher le meilleur en nous. Mieux on se connaît et moins on subit les injonctions des autres qui nous renvoient l’image de ce que devrait être la « perfection ». La pression du résultat et de la première place est usante pour notre système nerveux qui n’est pas fait pour subir ce stress dans la durée. Personne ne peut fournir le meilleur de lui-même s’il subit une pression extrême ou régulière. Alors qu’en se focalisant sur notre plaisir dans la pratique d’un sport qui nous élève, il devient possible de performer durablement. Le plaisir fonctionne alors comme un véritable moteur.

Léon Marchand le répète à l’envi ; son mot clé est le plaisir. En étant focus sur ce qui le fait « kiffer » dans son sport, il vit un véritable « élan du cœur » qui lui permet de voir bien au-delà des médailles et des records. Sa curiosité, dans la vie comme dans son sport, l’incite à se challenger sur de nouvelles manières de faire, à se tester sur d’autres nages, plutôt que de faire la course aux records.

En se concentrant sur la recherche de maîtrise d’une nouvelle nage, plutôt que sur la recherche d’un résultat, l’entraînement peut être vécu comme un plaisir. Les efforts fournis pendant un entraînement régulier et intense favorisent ainsi la réalisation de soi et non la réalisation d’un objectif extérieur à soi.

Si Léon Marchand s’est abstenu de laisser exploser sa joie dès la première médaille, c’est pour conserver l’énergie procurée par cette extraordinaire émotion, intacte pour les épreuves suivantes.

Il évoque souvent l’énergie qui le porte, qu’il va chercher au moment de la compétition, pour prendre du plaisir dans son sport et « se transcender ». Cette énergie qu’il ressent dans son corps lui permet « de partir vite, de se régénérer pendant la course, d’arriver à fond »… Il capte aussi l’énergie qui l’entoure, dans le public, dans le bassin, pour performer, « sans forcer sur les muscles ». En se connectant à « l’ambiance dingue » dans la piscine, il ressent « les vibrations » provoquées par la clameur des supporters, « même sous l’eau » !

Lorsque Léon Marchand parle des bénéfices de son travail avec son coach Thomas Sammut, il confie « avoir grandi en tant qu’humain », avoir appris qui il est en tant qu’humain et pas uniquement en tant que nageur. Être au clair avec ce qui nous anime, au cœur du réacteur, est essentiel pour se connecter à son énergie vitale et s'élever au-delà du petit soi.

Cela implique d’être pleinement focus, « dans sa ligne », pour reprendre l’expression de ce formidable athlète. Une image qui sacralise l’importance d’aligner toutes ses capacités pour donner le meilleur de soi-même. La leçon d’alignement de Léo Marchand illustre parfaitement comment mettre en cohérence tous ses cerveaux : son cerveau rationnel, en définissant la stratégie et les projections pour performer ; son cerveau émotionnel, en capitalisant sur les émotions pour orienter l’énergie au bon endroit et au bon moment ; son cerveau sensoriel, en inscrivant dans chaque parcelle de son corps le plaisir de la nage pour se dépasser ; et enfin son cerveau spirituel, en ciblant son plaisir en direction d’un rêve plus grand que lui.

Après ces incroyables JO2024, Léon Marchand est résolu à s’accorder un mois et demi de vacances, sans nager, même s’il sait que l’appel du bassin va être fort. Cette pause lui permettra de « repartir de zéro » pour préparer les prochaines compétitions.

Même si les efforts consentis pour préparer et vivre une compétition de haut niveau sont sans commune mesure avec les exigences de notre quotidien de travail, il ne faut pas négliger que pour donner le meilleur de soi-même nous avons tous besoin de temps de décompression. S’extraire du rythme effréné, s’accorder du temps, de l’espace, pour sentir où le courant nous porte, laisser notre esprit se couler vers de nouvelles voies… Au-delà des vacances estivales, propices à la déconnexion, s’offrir des bulles de ressourcement et d’inspiration, seul.e ou entre pairs, favorise une reconnexion à soi et à nos aspirations profondes, à notre source.

Mes sources d'inspiration :
Comment le nageur Léon Marchand a travaillé son mental - BRUT
Léon Marchand : "C'est des moments incroyables dans une vie de sportif" - FRANCE.TV
Thomas Sammut, préparateur mental de Léon Marchand : « Quand je parlais du lien entre bien-être et performance, on me riait au nez ! » - COURRIER CADRES

Cette période de vacances estivales est propice au lâcher prise, soit parce que le rythme ralentit du fait des personnes en congés, soit parce qu’il est temps de s’accorder un temps de pause prolongé. Pourtant, nous avons un mal fou à ralentir, à réduire la cadence. Je me souviens avoir régulièrement souffert de vertiges la première semaine de mes vacances d’été. Comme si la tension dans laquelle j’avais entraîné tout mon organisme pendant des mois provoquait un choc d’équilibre au moment de m’arrêter pour me reposer. Lancés dans ce mouvement irrépressible de « faire », nous en avons presque oublié comment ne rien faire…

Voilà des mois que je m’entraîne à lâcher prise. Un exercice difficile lorsque l’on est indépendant car les lendemains sont incertains ; on a peu de visibilité. Alors, comme beaucoup, j’ai tendance à m’étourdir dans le « faire », pour être visible, pour susciter l’engagement, pour me sentir exister. Ce phénomène, je le côtoie également auprès des personnes que je rencontre ou que j’accompagne.

En transition professionnelle par exemple, à peine sorties de leur ancienne activité, elles se lancent dans une course effrénée pour rebondir, dans une nouvelle activité, dans un nouveau projet, sans se laisser le temps de se ressourcer, de faire le bilan, de s’inspirer et de faire la place à leur désir émergeant.

Combien de fois je m’entends répondre par mes interlocuteurs en entreprise que, oui, il est crucial d’aller questionner le désir de travail auprès de leurs collaborateurs, en profondeur. Mais dans un environnement en flux tendu, il n’y a pas l’espace, pas le temps… Et on reprend la course folle, la gesticulation incessante, faire toujours plus de la même chose, pour quel résultat ?

Cette semaine, j’ai été frappée par la publication d’un sauveteur en mer qui alertait sur le danger des courants de baïnes à l’océan. Les baïnes sont des bassines d’eau calme en surface, qui masquent des courants sous-marins très puissants emportant les nageurs vers le large sans qu’ils puissent y résister. Les personnes qui se font piéger par une baïne ont tendance à nager de plus en plus fort à contre-courant pour regagner le sable et finissent pas s’épuiser, voire se noyer. La seule solution lorsque l’on est piégé par une baïne est de se laisser porter par le courant, sans faire d’efforts, jusqu’à ce qu’il diminue. Les forces ainsi préservées nous permettent de nager en retour jusqu’à la plage.

Cette situation me touche d’autant plus que je l’ai vécue lorsque j’avais dix ans au Portugal, avec une grosse peur à la clé ! Cette croyance qu’il faut nager à corps perdu pour sortir de l’incertitude est encore profondément ancrée et me poursuit dans ma vie professionnelle. J’ai donc décidé de la remplacer par un sentiment plus puissant à travers cette image : sentir la légèreté de me laisser porter par le courant de la vie que j’ai créée.

À l’aube des vacances, j’ai envie de vous partager cette énergie-là. Je sens qu’il est temps de me reposer sur tout ce que j’ai construit jusqu’ici avec patience, toutes les graines que j’ai semées avec application, toutes les personnes que j’ai rencontrées avec conviction. Moi qui adore profiter de l’été pour nager en mer, j’ai hâte d’y replonger pour sentir combien je suis légère, dans ce courant porteur et puissante à traverser la force des vagues.

C’est ça, apprendre à se laisser porter par le courant de la vie, être dans une tension dynamique entre robustesse et vulnérabilité. Sentir s’il est temps de faire appel à notre robustesse pour se maintenir debout face aux perturbations de notre environnement ou si la vulnérabilité est de mise, pour nous adapter aux événements. En me laissant porter par le courant, je m’adapte aux éléments tout en étant consciente des signaux faibles pour me remettre en mouvement, dans la direction qui est bonne pour moi.

Nous pensons, à tort, qu’être dans l’action, c’est être robuste. Or, si nous oublions d’« être » dans le « faire », nous prenons le risque de nous épuiser, comme le hamster dans sa roue. Récemment, j’ai croisé la route d’une personne en transition professionnelle, très occupée à tester des outils, à se former à de nouvelles applications…, pour rebondir dans sa vie professionnelle. Plus elle se rapprochait de la fin de ses droits à France Travail et plus son appétit de « faire » devenait frénétique. Or, au fil de la discussion, j’ai découvert que pendant cette période de transition, elle avait négligé de se questionner sur qui elle voulait « être » dans sa nouvelle activité.

Pour la plupart, le monde du travail nous a formatés à être performants. La course à la performance nous a ainsi conduits dans des logiques d’optimisation où le temps court s’est imposé. Nous avons appris à être toujours dans le coup d’après, dans une tension du « faire » irrépressible, pour cocher les cases des tableaux de bord, pour être au même rythme que les autres - car il est de bon ton d’être très occupé -, pour être reconnus par un management indifférent…

Bref, en faisant, nous avons l’impression d’exister. Car, aux yeux de la société, plane l’idée qu’être « inactif » revient à être « inutile ». Or, nous avons besoin de vide pour créer. Nous avons besoin d’une page blanche pour imaginer un ailleurs. L’horizon doit être dégagé pour percevoir les signaux faibles. Dans notre course effrénée à faire, tous nos cerveaux sont focus sur l’action en cours. Nous sommes à moitié aveugles et sourds.

Ne craignons pas le vide, le rien. Ils sont nos alliés pour se laisser porter par le courant et sentir où est notre place, s’envisager autrement. S’extraire de l’injonction du « faire » nous permet d’« être » pleinement soi, d’entrevoir un au-delà de soi, de dépasser notre cadre de référence. Cet état suspendu donne une hauteur de vue pour surplomber le champ des possibles, une forme de souplesse pour s’agrandir et voir à hauteur de nos rêves.

Le sens est un puissant levier d’engagement et de joie… Pourquoi je me lève chaque matin ? Pourquoi j’ai choisi ce métier ? Pourquoi je prends cette décision ? Cette quête de sens qui rythme votre quotidien de travail n’est pourtant pas un long fleuve tranquille car le sens ne se décrète pas ! Ni par votre entreprise, ni par votre manager. Pas davantage par vos clients.

La quête de sens est une chasse au trésor dont vous êtes l’explorateur central. Le sens est une pépite, le carburant qui entraîne votre moteur, l’élan qui vous propulse dans l’action avec énergie et enthousiasme. Cette pépite est nichée dans les profondeurs de votre « mine » intérieure. Vous êtes un gisement de sens et pourtant ne savez pas comment extraire cette matière précieuse. Ne cherchez pas à l’extérieur, vous détenez tous les outils à l’intérieur. Cela demande juste un peu d’apprentissage et d’entraînement. Et surtout de mobiliser toutes vos intelligences… jusqu’à les mettre en cohérence, les aligner en quelque sorte.

En conjuguant toutes vos intelligences, vous êtes capable de percevoir la vie en 4 dimensions et de prendre les décisions les plus justes, celles qui font sens pour vous.

Vous avez toutes et tous déjà fait l’expérience de l’alignement, c’est certain. Souvenez-vous de ce moment intense où vous avez ressenti une incroyable énergie qui a irradié du bout de vos orteils jusqu’à la pointe de vos cheveux et vous a procuré une joie indicible. Un moment suspendu pendant lequel vous vous êtes senti.e puissant.e et porté.e vers l’action.

Vivre de telles sensations reste un événement rare et fugace. Pourtant, tout être humain est doté des ressources dont il a besoin pour sentir le sens dans sa vie et discerner avec clarté ce qui est juste et bon pour lui. Nous le sentions distinctement lorsque nous étions enfant, tout à notre joie de vivre le moment présent. Puis, en traversant l’adolescence, nous avons oublié ; nous avons perdu le contact avec la légèreté, avec la fluidité des émotions. La gravité du cerveau rationnel a pris le dessous jusqu’à nous détourner des autres cerveaux auxquels nous étions connectés dès le plus jeune âge.

Avec les études, le travail, les responsabilités, les contraintes diverses, les expériences de la vie, nous nous sommes forgé un mental fort, car la société met sur un piédestal l’intelligence rationnelle. Depuis l’école, nous avons appris qu’en développant cette intelligence, nous allions accroître nos capacités intellectuelles, obtenir des diplômes, évoluer professionnellement et ainsi réussir dans la vie.

En mettant toute notre énergie à entretenir notre intelligence rationnelle, nous avons fait de notre mental le radar principal pour analyser les situations et prendre des décisions, en nous dissociant des autres intelligences humaines dont nous étions dotés depuis la naissance. Nous avons ainsi occulté des dimensions essentielles pour percevoir distinctement les événements de la vie dans notre monde complexe et incertain.

En ne percevant les situations, qu’à travers notre cerveau rationnel, nous nous limitons à une seule dimension. Alors qu’en conjuguant nos intelligences rationnelle, émotionnelle, sensorielle et spirituelle, nous sommes capables de voir la vie en quatre dimensions !

Les neurosciences ont démontré qu’il n’y a pas de cerveau sans corps. Il est par conséquent impossible de prendre une décision juste sans avoir pris en compte notre ressenti et les émotions qui y sont liées, au niveau corporel.

Nos émotions sont le fruit d’une coopération entre le corps et la tête ! C’est dans notre corps qu’elles se font vibrantes, si nous savons y prêter attention. En se focalisant sur la sensation physique qui fait écho à une émotion, dans les recoins de notre corps, en accueillant et en reconnaissant cette sensation, qu’elle soit agréable ou désagréable, confortable ou inconfortable, nous devenons capables d’en comprendre le sens.

L’intelligence spirituelle, quant à elle, nous permet d’élever notre niveau de conscience sur les événements que nous vivons, c’est-à-dire, les regarder avec l’esprit critique, le recul, la prise de hauteur nécessaires pour les appréhender en toute neutralité, comme un observateur extérieur. Ce cerveau nous autorise également à élargir notre champ des possibles, à voir plus grand et ainsi à nous dépasser. Moins pollués par les peurs, les doutes, les croyances et les limitations de notre mental, nous devenons plus créatifs. Nous nous ouvrons à la nouveauté et à l’inconnue.

Synchroniser tous nos cerveaux nous procure une forme de limpidité intellectuelle qui est littéralement la porte d’entrée de notre intuition.

Nous entraîner régulièrement à solliciter nos quatre cerveaux, en accueillant, écoutant, ressentant profondément, nous permet d’affuter notre perception des signaux faibles et de contacter le sens en nous.

En mettant en cohérence l’ensemble de nos ressources intérieures nous sommes plus à même de faire face aux défis qui nous animent avec énergie, enthousiasme et impact. Nous développons une conscience profonde des choses : sentir et ressentir les événements, les situations, de l’intérieur favorise le développement d’une acuité et d’un discernement très fins.

Dans le monde complexe et impermanent dans lequel nous évoluons, sortir de l’incertitude et avancer dans nos projets avec confiance requiert une grande humilité et beaucoup de tâtonnements. Savoir que l’on ne sait pas nous ouvre à un immense espace de liberté pour s’ajuster, inspirer du nouveau, et ainsi, s’adapter en permanence.

En alignant tous nos cerveaux, nous créons un état de cohérence dans lequel toutes les informations et tous les choix deviennent accessibles, toutes les réponses à nos questions sont disponibles. Avec un entraînement régulier à l’art du discernement, nous sommes en mesure d’ausculter nos mouvements intérieurs pour décoder et comprendre le sens qui est juste pour nous et prendre les décisions en conséquence.

Face à un événement que nous vivons, une situation que nous traversons, un projet que nous construisons, nos intelligences synchronisées se mettent au diapason de notre raison et de notre désir, les conjuguent pour peser leurs poids respectifs chargés de sens. Peser ces pépites de sens nous permet de jauger de quel côté penche notre balance intérieure, de sentir ce qui se qui se manifeste en nous pendant cette pesée, ce qui s’est éventuellement déplacé par rapport à notre position initiale, ou ce qui, au contraire, s’est confirmé.

La décision est prise « du dedans », à partir de notre identité singulière. Il n’y a pas ici de « bon choix en soi », mais un « bon choix pour soi ». La confirmation de ce choix éclot en nous dans un mouvement de paix intérieure, une sensation de stabilité émotionnelle, un élan de confiance. L’action qui en découle est fluide, juste, emprunte d’évidence. Elle ne demande aucun effort, elle ne suscite aucune peur, aussi audacieuse soit-elle.

Harmoniser nos capacités sensorielles et psychiques fait de nous des êtres pleinement incarnés, avec un sens du discernement aiguisé, pour acquérir un haut degré de performance, une maîtrise de soi et une capacité d’adaptation permettant de traverser les difficultés imprévues.

Mes sources d'inspiration :
Et si je libérais mon intelligence intuitive et spirituelle - Valérie SEGUIN
Foi et neurosciences - Thierry MAGNIN
Eloge de la métamorphose - Alain de VULPIAN

Dans un monde empreint d’incertitude et d’impermanence, il vous arrive certainement d’éprouver des difficultés à vous orienter dans votre vie professionnelle comme personnelle. Vous vous sentez chahuté(e) dans tous les sens, impuissant(e) face à cette agitation. Vous avez le sentiment de maîtriser peu de choses. Naturellement, pour trouver un peu de sérénité, vous avez tendance à chercher dans votre environnement des perspectives rassurantes, des signaux qui semblent vous indiquer la direction à prendre… Il est cependant superflu de chercher très loin, car vous seul(e) portez le sens qui vous mettra en mouvement avec énergie et impact. La boussole est en vous ; encore faut-il en connaître le mode d’emploi.

Dans le tumulte du monde d’aujourd’hui, gouverné par l’incertitude et une certaine dictature de la vitesse, nous faisons face à de profonds dérèglements, d’ordre écologique, social, économique… et individuel. Nos repères sont ébranlés et il nous est difficile de nous projeter avec confiance dans l’avenir.

Pourtant, au-delà de ce tableau inquiétant, il existe des voix porteuses d’espoir qui discernent d’immenses potentiels dans l’époque que nous vivons. Otto Scharmer, maître de conférences au MIT et cofondateur du Presencing Institute, y voit le berceau de transformations profondes. Pour lui, nous assistons au passage d’un mode de pensée ego-systémique, centré sur le « moi d’abord » et le « toujours plus », à un mode de pensée éco-systémique, plus sobre et incluant le bien-être de tous.

Pour sa part, le sociologue et ethnologue Alain de Vulpian considère que nous avons organisé notre société, nos entreprises, nos systèmes de gouvernance et nos relations de façon rationnelle. Nous avons construit une économie rationnelle dont nous avons été incapables de piloter le développement et qui s’est emballée. En réaction, il voit s’esquisser une société plus fraternelle pour affronter les défis du XXIe siècle. Une nouvelle société, plus organique qu’organisée, pleine de vitalité, douée pour panser ses blessures et prendre soin de son bien-être. Une société qui, en s’épanouissant prépare un futur plein de sens pour l’espèce humaine.

Tous deux évoquent les formidables capacités dont tous les êtres humains sont dotés pour transformer ces obstacles en opportunités et nous invitent individuellement et collectivement à nous connecter aux ressources insoupçonnées que nous procure notre « plasticité du vivant » pour trouver le sens, la direction qui est juste pour chacun d’entre nous.

Mesurez le niveau de vos indicateurs humains

Comment prendre ma place dans ma nouvelle activité ? Comment engager mon équipe dans un nouveau projet, une nouvelle organisation ? Comment retisser des liens avec un collègue, un collaborateur, un ami, un membre de ma famille ? Quelle nouvelle orientation professionnelle envisager ?

Ces interrogations que je vois régulièrement émerger lors de mes accompagnements illustrent le besoin de sens qui nous étreint sur les grandes questions de notre existence. Que l’on soit dirigeant pour s’adapter aux bifurcations des marchés et des règlementations, que l’on soit manager pour accompagner les défis de son équipe, à titre individuel pour prendre sa place dans un nouveau projet…

Dans un environnement instable, complexe, incertain ; face à un horizon bouché, le principal indicateur sur lequel nous pouvons compter, c’est nous-même ! Pour faire le parallèle avec les indicateurs de pilotage ou de qualité en entreprise, nous pouvons mesurer au quotidien quel est le niveau de nos indicateurs humains afin d’apprécier la justesse de nos décisions, de nos actions et se réguler le cas échéant.

Selon Otto Scharmer, nous sommes aveugles à la dimension profonde de notre leadership. Pourtant, comme ses recherches auprès de dirigeants et d’athlètes le montrent, être à l’écoute de l’état intérieur, à la source de nos décisions, de nos actions, permet d’accroître son acuité et donc ses performances. Il nous invite ainsi à mettre en lumière ce « point aveugle » en approfondissant notre expérience de l’écoute « de l’intérieur vers l’extérieur ».

Otto Scharmer nous propose trois chemins pour accéder à nos territoires profonds :

Pour Alain de Vulpian, dans notre environnement vivant, impermanent, fragile et robuste à la fois, nous ne pouvons pas prévoir ni commander les évolutions. Nous pouvons tout juste percevoir les tendances, en cultivant le vivant, et anticiper prudemment des bifurcations. Ce sont les mécanismes naturels du vivant beaucoup plus que les volontés et les initiatives des acteurs qui produisent des changements structurels majeurs.

Ainsi, il nous invite à être à l’affût des réactions du système afin d’ajuster notre intervention, et nous propose d’adopter une « posture tâtonnante ». Pour cela, il nous faut développer notre conscience de nous-même, de la façon dont nous fonctionnons et de notre évolution continue. C’est-à-dire mieux comprendre le vivant en augmentant notre « plasticité du vivant ».

Nous devons apprendre à être en prise directe sur nos émotions, nos sensations et nos intuitions, tout en restant connectés à notre raison. En mobilisant tout notre potentiel humain et en reliant toutes nos intelligences : rationnelle, émotionnelle, sensorielle et spirituelle, nous pouvons faire face aux problèmes complexes de la vie. Nous devenons ainsi plus aptes à repérer les signaux faibles annonçant des blocages ou des opportunités, des fluctuations ou des bifurcations à engager pour avoir plus d’impact dans ce que nous créons et plus d’énergie pour passer à l’action.

En nous découvrant plus grands, plus profonds, plus multiples que nous le croyions, nous prenons conscience de la richesse des ressources dont le vivant nous a dotés. Et nous trouvons la faculté de mieux sentir le sens de notre vie et la voie à suivre. Cette connexion augmentée à nous même et à notre environnement fait de nous des êtes « socioperceptifs », à la fois sensibles et connectés aux autres.

Ressentir, c’est faire l’expérience du sens

Sentir le sens, c’est donc vivre une expérience des sens, de tous les sens. Pas seulement le sens rationnel fabriqué par notre mental, porté par nos croyances, nos habitudes, nos modèles mentaux, nos peurs… mais aussi le sens issu de notre intelligence émotionnelle et corporelle. Car le corps pense et nous ne comprenons une situation distinctement qu’à travers ce que nous ressentons. Notre corps est notre ami intime, notre boussole intérieure, notre indicateur de sens.

Par exemple, la joie nous fait vivre des sensations délicieuses qui courent dans notre sang jusqu’au fond de notre cœur et qui traversent notre esprit le plus pur dans une impression de calme. Notre esprit et notre corps se mêlent en harmonie. La tristesse s’accompagne d’une sensation de rétrécissement intérieur, voire de verrouillage de certaines parties de notre corps. Notre esprit et notre corps se trouvent comme entravés et notre respiration peut être altérée jusqu’à l’apnée. Chacune de ces informations délivrées par notre corps est précieuse pour comprendre notre état intérieur.

Comme l’évoque la psychologue et psychothérapeute Jeanne Siaud-Facchin, ressentir, c’est rendre nos vies pleines de sens, au sens propre et avec tous nos sens. Ressentir, c’est se sentir vivant, c’est donner de la vie à la vie.

C’est avec tous nos sens que l’on discerne clairement ce qui est bon pour nous. Je le sens, je le sais. Nous savons avec nos sens, juste avant de comprendre avec notre tête. Ressentir nous libère du besoin de maîtriser, a fortiori dans un environnement incertain et impermanent. D’ailleurs, nous conservons la trace d’un souvenir, agréable comme désagréable à travers ce que nous avons ressenti, au-delà des mots échangés. Nous sommes un tout, une alchimie.

En ressentant le sens avec tous nos sens, un champ des possibles s’ouvre à nous avec clarté. Ainsi, nos pensées, nos mémoires, nos émotions, nos sensations s’accordent pour entrevoir un futur souhaitable vers lequel se mettre en chemin et faire les meilleurs choix. S’entraîner chaque jour à activer cette « plasticité du vivant », nous permet de développer notre acuité et d’affuter notre discernement en étant pleinement connectés à notre boussole intérieure.

Mes sources d'inspiration :
Théorie U, l'essentiel d'Otto SCHARMER
Eloge de la métamorphose d'Alain de VULPIAN
Happinez.fr - Jeanne SIAUD-FACCHIN - Ressentir
Le ressort invisible ou comment survivre aux situations extrêmes - Philippe SILBERZAHN

Systématiquement, lorsque j’anime ma conférence « En leadership, quel est mon meilleur guide, mon ego ou mon intention ? », une personne dans la salle se dresse pour défendre l’ego et soutenir combien il est essentiel pour conforter son leadership… Voilà qui illustre le paradoxe de l'ego. Il est très malin puisqu’il a réussi à se faire une place prépondérante dans la tête de nombre de personnes qui croient qu’il est le socle de leur identité. En réalité, l’ego est un faux ami, un imposteur ! Il est une construction de notre mental faite de nos croyances et de nos peurs. N’est-il pas un peu risqué de bâtir notre leadership à partir de nos peurs ?

L’ego est partout ! Il s’immisce dans nos relations, est en embuscade dans nos postures, prend le dessus dans nos décisions… C’est la raison pour laquelle nous le confondons avec notre identité. Il se manifeste par cette petite voix que nous entendons dans notre tête et qui nous assène encore et encore « tu es trop ci », « tu n’es pas assez ça », en nous comparant en permanence.

Depuis notre plus tendre enfance, nous avons acquis le réflexe de nous comparer aux autres, à nos frères et sœurs, à nos camarades de classe… Ce réflexe s’est ancré avec les années, nous invitant à nous juger et nous conduisant à nous conformer à l’image de ce qui serait bien ou mal. C’est cela l’ego, un filtre que l’on s’est fabriqué pour ne pas se montrer tels que nous sommes vraiment, comme les filtres avec lesquels nous jouons sur notre téléphone pour nous montrer plus beaux, plus jeunes…

L’ego porte en lui la quintessence de nos blessures, de nos peurs et de nos croyances ! C’est une construction mentale, une représentation que l’on a de soi-même, des autres et du monde. L’ego est une fausse identité en quelque sorte, un imposteur né de notre besoin de nous protéger des menaces qui semblent planer comme des ombres sur notre vie.

Notre mental, nourri par nos peurs et nos croyances, nous conduit ainsi à endosser des rôles qui font écran à notre vraie nature, à nous affubler de masques pour nous montrer tels que nous devrions être et non pas tels que nous sommes réellement. Comme une partie de nous qui s’exprimerait à notre place, verrait et entendrait à notre place… Nous ne réalisons pas à quel point notre ego dirige notre vie ! Quand il prend le pouvoir, nous sommes dans notre mental, dans l'illusion, pas dans notre identité. [A lire aussi : « Soigner son intention, c’est dire STOP aux ruminations ! »]

« C’est un peu comme si vous n’habitiez plus votre corps, n’écoutiez plus votre cœur, ne ressentiez plus votre existence : vous interprétez la réalité, le plus souvent en la déformant, vous prêtez aux autres des intentions qui ne sont pas les leurs, vous projetez vos peurs, vos problèmes, vos doutes, vos attentes. Vous réfléchissez les événements au lieu de les vivre. Car le mental ne connaît que le passé et le futur. Le mental vous coupe du présent. » confie Laurent Gounelle dans son roman Et tu trouveras le trésor qui dort en toi.

Ce « moi » qui nous sépare de soi et des autres

Les philosophes, lorsqu’ils parlent de l’ego, le qualifie souvent du « moi ». Le philosophe Pierre Guenancia, dans son ouvrage L’homme sans moi, le dépeint comme ce personnage que nous croyons être, voire que nous jouons, comme un rôle que nous endossons.

Le « moi » est cette force qui tend à ramener tout à soi, ce « moi » tyrannique qui veut tout pour lui-même. Pour se sentir exister, il dépend du regard des autres et de la valeur qu’ils lui reconnaissent ; il se regarde lui-même dans le regard des autres. Avec les années, ce « moi » familier et rassurant, est devenu une sorte d’idole, à laquelle nous nous identifions, supérieure et unique. A tel point que nous venons à penser que si nous ne sommes pas ce « moi », nous ne sommes rien !

Victor Hugo, dans Les Misérables, évoque « le moi si enflé qu’il ferme l’âme ».

L’ego a besoin de se sentir unique et différent. En cela, il nous sépare des autres et nous éloigne de notre vraie nature qui, au contraire, tend à l’union. Notre ego peut même nous pousser à l’opposition, au conflit et à la division pour se sentir exister, comme en témoignent les jeux de pouvoirs auxquels nous nous adonnons parfois dans nos relations.

En s’aimant lui-même, il s’empêche d’aimer une autre personne que lui, du moins d’un amour désintéressé. Pour le « moi », l’amour qu’il donne à l'autre n'est pas gratuit ; il doit lui revenir majoré du témoignage d’amour et de reconnaissance de la personne aimée.

Né de nos peurs, il exerce sur nous une grande emprise dont nous sommes prisonniers et qui nous empêche d’avoir le recul nécessaire et la liberté de nous voir autrement. Pourtant, il est possible de se libérer de sa tyrannie en comprenant qu’il n’est qu’un imposteur.

Notre ego n’est pas notre identité !

Pour sortir de l’emprise de l’ego, encore faut-il prendre conscience de son existence et des raisonnements erronés dans lesquels il nous confine.

Voici quelques exemples de manifestations de notre ego. Il est à l’œuvre lorsque :

Dès lors que nous avons démasqué notre ego, que nous avons mis à jour ces rôles qu’il nous presse de jouer pour nous montrer « plus ceci » ou « moins cela », ne soyons pas trop durs avec lui. Après tout, il n’a cherché qu’à nous protéger de notre peur d’être rejetés ! Il est incapable de connaître nos besoins profonds, c'est-à-dire ce qui nous rend vraiment heureux, car il n’est qu’une création mentale. Il revisite en permanence les expériences du passé et croit que nous allons toujours vivre la même souffrance dans le futur.

Observer notre vie, comme un témoin extérieur, est un bon moyen d'identifier les masques dont nous nous affublons depuis des années et de ne pas entrer dans son jeu. Lorsque nous détectons les filtres de notre ego à l’œuvre et que nous ressentons une forme de décalage, d’inconfort, le temps est venu de les déjouer. Cela signifie qu’à ce stade nous sommes capables de nous montrer tels que nous sommes vraiment, et prêts à en assumer les conséquences.

Sortir de ce « moi » dans lequel nous sommes restés enfermés toutes ces années demande du courage. Quitter la sécurité de l’ego pour s’aventurer à la découverte de soi requiert de l’audace et la curiosité d’aller explorer ce que cela fait d’être soi ! [A lire aussi : « En leadership, quel est mon meilleur guide, mon ego ou mon intention ? »]

S’entraîner sans cesse à ramener son attention vers le présent, ce qui se déroule « ici et maintenant », permet de distinguer la réalité, des scénarios inventés de toutes pièces par notre mental. Déconstruire les filtres de notre ego implique que nous les regardions bien en face, en étant à l’affût de nos comportements dissonants et inhibants, ceux-là même qui nous éloignent de notre vraie nature et nous empêchent d’exprimer qui nous sommes. C’est une discipline quotidienne qui nécessite beaucoup de patience et de détermination ; une poursuite de petits pas pour tester des comportements plus alignés, valider leur justesse et les ancrer durablement.

Cet entraînement à dépasser nos peurs et nos croyances pour nous aligner avec nos aspirations profondes est un formidable catalyseur d’énergie. Car l’ego est très consommateur de ressources pour parer aux menaces qu’il perçoit partout et tout le temps. Au fur et à mesure que nous nous libérons de son emprise, nous regagnons en énergie pour construire une vie plus compatible avec nos désirs.

Mes sources d'inspiration :
L’homme sans moi - Pierre GUENANCIA
Et tu trouveras le trésor qui dort en toi - Laurent GOUNELLE
Qui dirige votre vie, vous ou votre ego ? - Ecoutetoncorps.com - Lise BOURBEAU

Je n’ai jamais autant pris la mesure de l’impact des rencontres dans ma vie que depuis que j’en ai changé… Est-ce à dire que les grandes étapes de transformation qui jalonnent notre existence sont émaillées de rencontres clés, voire que ces transformations sont favorisées par les personnes que nous rencontrons sur notre chemin ? Oui, c’est une évidence : la rencontre est au cœur de l’aventure de notre existence. Pourtant, ce que l’on pourrait croire être l’œuvre du hasard, se provoque, en se tenant prêt.e à accueillir les rencontres.

J'ai donc décidé de les ritualiser, de me nourrir aussi souvent que possible du plaisir de la rencontre dans un principe de réciprocité. C’est-à-dire de gratifier mes journées de « rencontres augmentées », ces moments précieux de pleine présence à soi et à l’autre, d’où chacun repart comme « augmenté », plus grand, plus intense, plus profond… En plaçant la rencontre comme centrale dans le déroulement de ma vie, le champ des possibles s’est ouvert, telle une invitation à « sortir de moi », à quitter ma zone de confort. Dans la rencontre, je me suis rendue disponible pour accueillir ce que la vie m’offrait à travers l’autre, et donner à mon tour.

Pourquoi certaines rencontres nous donnent-elles l’impression de renaître ? Cette question que pose l’ouvrage de Charles Pépin : La Rencontre, une philosophie, traduit l’extrême puissance de cette aventure humaine qui peut nous bouleverser au plus haut point.

Rencontrer l’autre, c’est accepter d’être troublé, bousculé

Charles Pépin nous partage sa définition : le mot « rencontre » vient du vieux français « encontre ». Il exprime « le fait de heurter quelqu’un sur son chemin » et renvoie donc à un choc avec l’altérité. Deux êtres entrent en contact, se heurtent, et voient leurs trajectoires modifiées.

Quelque chose se produit, que nous n’avons pas choisi, qui nous prend par surprise : c’est le choc de la rencontre. Ce trouble qui nous étreint a une double résonance. Il nous porte vers l’autre, cet inconnu qui nous étonne et nous attire à la fois, pour qui nous ressentons perplexité et curiosité. Le choc de la rencontre nous renvoie également vers cette partie de nous-même qui nous échappe. Comme un retour à soi, il nous révèle à nous-même.

Selon le philosophe, dans la rencontre, l’autre m’intéresse, au sens le plus noble ; il m’intéresse même deux fois. Une première en tant qu’autre qui m’éblouit et me questionne. Une seconde en tant qu’occasion de progresser.

Rencontrer l’autre, c’est une invitation à explorer un autre monde

Pour Charles Pépin : « Rencontrer quelqu’un, c’est se trouver projeté au seuil d’un monde nouveau, happé par l’envie de l’explorer ; c’est une invitation au voyage. »

La rencontre nous aspire vers un ailleurs, un territoire inconnu et nous élève au rang d’explorateur. Le choc laisse place à une vibration, un désir intense de découvrir l’autre, de déplier le paysage dans lequel il est enveloppé et s’y promener.

Dans ce voyage, nous faisons l’expérience de l’altérité, en découvrant un autre point de vue, en acceptant de se décentrer pour voir les choses à travers son regard. Ce rapprochement d’horizons différents produit une pensée nouvelle et permet à chacun de progresser, de s’ouvrir à la vision de l’autre, sans renier la sienne, mais en l’approfondissant. Il s’agit de faire exister l’autre à ses côtés, dans son altérité. Se donner la chance de voir le monde avec les yeux de l’autre nous autorise à ressentir les choses avec son cœur.

La première rencontre a une saveur toute particulière. Ce moment où nous croisons le chemin de cette personne pour la première fois. Il peut nous sembler que nous la connaissions déjà, que nous avions rendez-vous avec elle. Ce sentiment d’évidence que nous ressentons lorsque l’inconnu nous semble si familier donne à la rencontre une forme de durabilité, l’espoir que l’autre reste un mystère à découvrir sans fin.

Il existe autour de moi quelques « personnes ressources » avec lesquelles je pourrais goûter au plaisir de la rencontre, encore et encore. Les retrouver me procure curiosité et joie, comme une soif inextinguible de les découvrir vraiment. Car chacune de nos rencontres est l’occasion d’approfondir et de croiser nos facettes respectives.

« Nous n’avons jamais fini de faire le tour de l’autre » écrit le philosophe Alain Badiou.

Parfois, une rencontre a lieu pour accompagner une transformation ou impulser la naissance d’un projet. Avoir rencontré l’autre nous donne des ailes. Nous allons additionner nos talents pour écrire une histoire ensemble et créer quelque chose de plus grand que nous, que nous ne pouvions accomplir seul.e.

Le signe que la rencontre a lieu est l’excitation que ce projet provoque en nous, cette envie de s’engager sans tarder, la certitude que nous allons faire équipe et ensemble réaliser de grandes choses. La rencontre permet alors de dépasser nos craintes ou nos angoisses, attachées à notre propre histoire, comme l’autre le fait avec les siennes. Ainsi, s’ouvre un champ des possibles inédits : du seul fait de la rencontre, le pouvoir de l’un s’accroît de celui de l’autre.

Lorsque nous changeons au contact des autres, nous comprenons combien nous avons besoin d’eux pour devenir nous-mêmes.

Nous avons besoin de rencontrer l’autre pour nous rencontrer

« Le plus court chemin de soi à soi passe par autrui » nous partage le philosophe Paul Ricoeur.

Si la rencontre est première, marquée par un mouvement hors de soi, où nous restons un temps fasciné par l’autre, vient le moment où nous revenons à nous-même, où nous intégrons cette rencontre dans notre propre histoire, où nous en faisons quelque chose pour nous-même.

Pour Charles Pépin, au fond, c’est comme s’il y avait deux rencontres simultanées : à travers l’altérité de l’autre se révèle l’altérité en nous. En s’aventurant hors de soi pour aller à la rencontre de l’autre, nous éprouvons cet ailleurs pour nous-même, nous goûtons à une nouvelle identité, échappée de notre conditionnement social.

Heureusement, certaines rencontres nous arrachent à ce cadre social dans lequel nous sommes enferrés. Elles produisent un choc capable de fissurer notre carapace et de faire souffler un vent de liberté sur notre identité figée.

Ces rencontres-là se jouent sur une fréquence transformatrice, elles ébranlent toutes nos croyances. Les émotions qu’elles génèrent provoquent un débordement qui abolit les limites ordinaires et laissent place à un espace infini pour exister pleinement.

Le trouble, la curiosité et le désir de se lancer sont les premiers signes de la rencontre en train de se faire. Puis l’expérience de l’altérité et la transformation sont les signes d’une rencontre qui se continue et produit ses effets.

Encore faut-il être disposé.e à la rencontre…

Nous avons tous connu des rendez-vous manqués ! La rencontre n’a pas eu lieu pour une raison ou une autre, avec son lot de déception et de frustration. Pour réussir la rencontre, Charles Pépin relève trois dispositions préalables.

Sortir de (chez) soi

Rencontrer quelqu’un, c’est s’arracher à sa position de sujet autocentré pour s’ouvrir à la perspective de l’autre. C’est provoquer la chance en faisant un pas de côté, rompre avec les habitudes qui nous engourdissent. C’est aussi être prêt à accueillir ce qui se présente, le bon comme le mauvais. Se lancer l’esprit ouvert, moins concentré sur le but qu’attentif à tout le reste.

Notre époque ne nous encourage pas suffisamment à l’action. Comment oser partir à la rencontre de l’imprévu, se jeter dans l’inconnu avec confiance, quand le mot d’ordre est à la prévision, à l’anticipation, au risque calculé ?

« Une vision gestionnaire de l’existence a triomphé des conceptions aventureuses de la vie » selon Charles Pépin.

Avec son mantra « J’y vais-je vois », le philosophe nous invite à la rencontre. Car la vie véritable, essentielle, repose précisément sur ce qui échappe à l’anticipation. Y aller vraiment, c’est y aller sans vraiment être prêt.

Se rendre disponible à la rencontre

Des attentes trop précises risquent de nous faire manquer la rencontre. Développons donc notre disponibilité en goûtant à l’excitation que connaît l’aventurier. Sortons de chez nous, enthousiaste à l'idée de ne pas savoir à quoi nous attendre.

« Plutôt qu’abolir le hasard, embrassons-le et jouons avec lui. […] Laisser le hasard présider à nos destins est souvent la promesse des plus belles rencontres » nous encourage Charles Pépin.

Nous rendre disponible, nous demande d’assouplir nos attentes, nos critères, nos préjugés. Pareils à des œillères, ces derniers restreignent notre champ de vision et nous empêchent d’envisager ce qui pourrait faire notre bonheur. Débarrassons-nous de nos restrictions, remettons en question nos habitudes et nos certitudes. Expérimentons notre aptitude à ne pas savoir.

Moins nos attentes sont précises, plus nous sommes ouverts à ce que le moment peut nous offrir dans le présent. Il ne s’agit pas d’une attention focalisée vers un but précis, mais d’un état général d’éveil. Là s’exprime la vraie disponibilité.

La rencontre exige cette disponibilité-là, être capable de prendre son temps, de la perdre aussi, de s’arracher à la dictature des choses à faire, à la pression de l’urgence. En discutant de tout et de rien, en flânant, nous nous donnons le loisir de rencontrer profondément, de vivre un moment hors du temps. Nous nous autorisons un instant de grâce en nous livrant entièrement à la rencontre.

Laisser sa vulnérabilité s’exprimer

S’autoriser à tomber le masque, se départir de son « meilleur profil » pour se montrer sous un jour moins lisse, plus sincère. Lorsque nous assumons nos doutes et nos craintes, lorsque nous osons les exprimer ouvertement, sans fard ni faux-semblant, alors s’ouvre un espace où la rencontre devient possible.

Nous croyons que ce masque social dont nous nous affublons nous protège, alors qu’il nous isole et nous éloigne des belles rencontres. Oser se montrer vulnérable permet de briser d’un coup tout un jeu de postures et de rôles qui font barrage à la rencontre.

« Il y a une faille en toute chose, c’est par là qu’entre la lumière » chante Léonard Cohen.

Se montrer vulnérable autorise l’autre à faire de même, à se montrer comme il est, sans craindre d’être jugé, à laisser surgir ses émotions, en écho à sa propre histoire.

Le dénominateur commun à ces trois dispositions à la rencontre est la confiance. Avoir confiance en l’action et son pouvoir de reconfigurer le réel. Avoir confiance dans l’imprévu et dans l’inconnu pour se découvrir autre. Avoir confiance en nous-même pour oser se « mettre à nu ». La meilleure façon de rencontrer les autres est de leur faire confiance.

Dans la rencontre, nous vivons littéralement un choc à retardement ! Un temps pour le choc initial, un temps pour l’assimiler. Un temps pour être désemparé, un temps pour agir et s’aventurer dans sa propre existence. Un temps pour s’oublier, un temps pour revenir à soi.

Nos rencontres nous permettent, en nous tournant vers les autres, d’exister au plus haut point possible par la conscience commune que nous avons l’un de l’autre.

La découverte de l’autre, et plus encore, sa redécouverte permanente dans une rencontre perpétuellement augmentée, est un rendez-vous avec soi, en même temps qu’une exploration du monde.

Honorons ces rencontres qui chaque jour tissent la toile de notre vie !

Les vacances m’inspirent bien souvent des textes plus personnels. Comme si la pause estivale m’invitait au retour sur soi. Évidemment, un livre n’est jamais loin. En l’occurrence, ce livre-ci, je ne l’ai pas choisi ; c’est un cadeau. Il s’intitule « Être à sa place », par la philosophe Claire Marin. Un titre qui sonne très juste alors qu’exceptionnellement cette année, mes vacances d’été ont pour principal décor mon jardin. C’est donc baignée par l’énergie de l’érable argenté trônant au pied de ma maison que j’ai dévoré ce livre qui, pour le coup, m’a fait voyager. Car, comme l’envisage Claire Marin, le propre d’une place est de sans cesse se déplacer ou de déplacer celui ou celle qui croit pouvoir s’y installer…

Quitter la place qui nous rétrécit

« Être à sa place », la question se pose bien souvent lorsque nous ressentons un inconfort, le sentiment de se rétrécir et de s’enliser inexorablement dans les sables mouvants de la déchéance. Il peut arriver que la place que l’on s’est pourtant choisie tourne au cauchemar, que l’on s’y trouve coincé.e, empêché.e. Lorsque chaque matin, reprendre le chemin du travail nous fait suffoquer et que la proximité de notre bureau provoque panique et malaise, il faut fuir, fuir pour s’en sortir… Même si la destination n’est pas connue, nous savons combien il est vital d’échapper à ce confinement.

« S'arracher comme on arrache les mauvaises herbes, s'extraire pour ne pas pousser de travers. »

Fuir pour sauver sa peau revient parfois à s’exiler, disparaître du champ, le temps nécessaire pour se refaire – une santé – retrouver la confiance et renaître ailleurs, presque anonyme. Pas facile de disparaître, on y laisse des plumes, des amis, des choses qu’on aimait faire, quand même. Et puis, dans cet espace-temps où notre vie est suspendue, entre l’avant et l’après, dans cette parenthèse de rien, on reprend son souffle. Seul.e avec soi-même, l’imagination fait son œuvre, et dans ce tête-à-tête solitaire, on retrouve une place où créer un ailleurs.

Souvent, cette parenthèse de rien fait peur. Car on ne sait pas être dans le rien, surtout lorsque l’on vient de s’extirper de l’agitation d’un tourbillon de non-sens. Après le vacarme, le silence est assourdissant. Après le monde qui grouille d’esprits difformes, la solitude est effrayante. Alors, on apprend à écouter le silence. On apprend à percevoir les signaux émis par notre corps ; ceux que l’on n’avait pas su entendre jusqu’ici, malgré le corps qui crie. On sent l’inflexion de notre état intérieur, sa douce inclinaison du mode survie au mode vie. La paix reprend sa place.

Dans ce reset complet, nous pouvons nous réinventer. S’envisager autrement, sans nécessairement tirer un trait sur ce que nous étions, simplement se mettre à jour. En se libérant de toute contrainte, de nouvelles possibilités s’offrent à nous, qui n’attendaient que notre pleine et entière attention, dans l’espace créé hors des limites de notre mental et de nos peurs. S’extraire du temps et de l’espace permet d’entrevoir un au-delà du soi, ce soi qui nous était familier jusqu’ici, de dépasser le cadre de référence. Cet état suspendu donne une hauteur de vue pour surplomber le champ des possibles, une forme de souplesse pour s’agrandir et voir à hauteur de ses rêves.

Tracer sa route pour faire sa place

Lorsque le désir d’ailleurs se précise et l’appel du mouvement vibre dans toutes les cellules de notre être, il est temps de se mettre en chemin pour tisser la continuité de notre vie. Cette fois-ci, il ne s’agit plus de fuir, mais de s’ouvrir vers l’extérieur, de créer une brèche pour laisser passer la lumière. En suivant la lumière, comme un guide, le chemin se dessine, notre pas se fait plus sûr, jusqu’à trouver l’élan pour s’aventurer vers cet ailleurs qui nous attire. Dans le même temps, nous faisons la place pour que cet ailleurs s’immisce en nous et prenne ses marques.

Chacun à son rythme. Certains préfèrent arpenter les nouveaux espaces que le hasard a mis sur leur route, tel un pèlerinage. Goûtant avec curiosité les nouvelles saveurs que leur procure ce voyage itinérant en terres inconnues. D’autres préfèrent tracer leur route, avides de conquêtes, près à risquer leur vie « hors de soi », arpentant ces nouveaux territoires comme des opportunités à investir. Cultiver sa disponibilité intérieure permet d’accueillir l’inattendu dans la joie et l’enthousiasme.

« Il faut parfois faire tourner notre vie sur elle-même pour qu’elle s’insère parfaitement dans un lieu tout autre, qu’elle s’offre à un nouvel espace. »

Certaines terres se montrent naturellement hospitalières, nous ouvrant en grand les portes et nous accueillant spontanément dans notre altérité. Là où pour d’autres, il faut « montrer patte blanche », se faire introniser, jouer des coudes, ou finalement renoncer face à une trop forte hostilité. Lorsque l’espace résiste, se pose bien souvent la question de notre adéquation avec cette place. Est-elle réellement faite pour nous ?

C’est là toute la différence entre « faire sa place » et « forcer la place ». Peut-être avons-nous mal visé ! Cette place-là n’était pas bonne pour nous. Pour autant, cette épreuve nous a permis de voir plus juste pour ne pas rater notre cible la prochaine fois.

Attention également aux places en trompe l’œil. Elles ont l’air de nous aller comme un gant, comme taillées sur mesure. En s’insérant parfaitement dans l’espace en creux, comme la pièce manquante du puzzle, nous nous soustrayons à l’expérience d’apprendre de nouvelles choses, de nous jeter à l’eau et de grandir encore. Car être à sa place dans la vie est une évolution permanente.

La place dans le mouvement perpétuel

Paradoxalement, « être à sa place » ne signifie pas élire domicile, poser ses valises et se fixer une fois pour toutes, tel un arbre ou une montagne, immuables. Au risque de se voir rattrapé.e par l’immobilisme, l’isolement et l’habitude, premières causes de notre cécité et de notre surdité.

C’est, au contraire, faire l’expérience de la légèreté ; flotter dans l’existence au gré du mouvement de la vie. Nous découvrons notre place dans le désordre et les perturbations existentielles, en nous adaptant sans cesse aux aléas, aux turpitudes, faisant ainsi émerger nos ressources insoupçonnées.

Nous sommes en réalité des êtres sans cesse déplacés, comme portés par le vent ou les courants, ballottés d’une place à l’autre, loin de notre direction initiale. Tantôt pressés par un vent en rafales, tantôt ralentis par sa chute subite.

« Peut-être n’arrive-t-on jamais quelque part, quand on a tant traversé pour y parvenir. Comme si l’épreuve du trajet s’était substituée au lieu, comme si la dynamique et l’effort du mouvement s’étaient imprégnés en nous plus définitivement, telle une inquiétude caractéristique de notre personnalité, comme si cette oscillation entre le point de départ et d’arrivée était devenue une sorte de mouvement intérieur, une intranquillité impossible à calmer. »

Habiter la vie, c’est se mouvoir avec elle, danser avec elle, se couler dans son rythme, marcher dans ses pas, créer l’harmonie avec sa fréquence. En lâchant la volonté et en faisant confiance à la vie, on cesse de chercher le bon endroit. On n’a plus peur de se perdre. C’est justement là qu’on se trouve.

La place est en moi !

Habiter la vie, c’est aussi faire corps avec elle car la place est en nous ! Elle est l’empreinte de notre désir d’être et de devenir. Il nous appartient de désencombrer l’espace pour que ce désir puisse s’exprimer clairement en nous et à l’extérieur de nous. Reconnaître ce désir, l’écouter, le questionner, le partager, le mettre à jour, revient à prendre sa place, jour après jour.

Habiter sa vie, c’est habiter son corps. Ce corps qui a conservé les traces, les mémoires du vécu des places antérieures, celles où on s’est abîmé.e, épuisé.e, disloqué.e. Le corps se souvient, des années plus tard, et il se rappelle à nous lorsque l'on prend la mauvaise route, que l’on choisit la mauvaise place, encore. Le corps est pugnace ; il continue à nous parler, quand bien même nous avons été sourd.e et aveugle à ses signaux par le passé. Le corps est malin, il reproduit les mêmes troubles, les mêmes maux ; il réveille les mêmes schémas pour que la tête se rappelle.

Lorsque nous sommes à notre place, le corps s’étire dans sa plénitude, il respire la paix et nous gratifie d’une joie douce. Comme dans un alignement d’énergies, nous ressentons la cohérence et la synchronisation de toutes les fonctions de notre organisme. Notre corps a son propre langage, sa propre musique, qu’il nous faut apprendre à décoder pour entrer en harmonie avec les expériences de la vie.

Être à sa place, c’est danser de tout son être avec la vie, dans un mouvement et une impermanence perpétuels. Tel un funambule en quête d’équilibre, c'est s'entraîner chaque jour à poser un pied devant l’autre sur le fil tendu par l’existence, tantôt lâche, tantôt rigide...

Et vous, que faites-vous de vos émotions lorsqu’elles vous assaillent !? Vous les cachez sous le tapis pour les occulter ? Vous « mettez le couvercle » pour éviter qu’elles ne débordent ? Vous les subissez et vous laissez submerger ? Vous les regardez en coin en attendant qu’elles passent ? Ou peut-être vous prend-il l’audace de traverser vos émotions, d’en devenir l’explorateur.rice et de les prendre à bras-le-corps, comme on enlace une amie. Pour ma part, je leur donne de petits noms : ma « petite tristesse », ma « gardienne de peur », ma « renversante colère »… Car aussi inconfortables soient-elles, nos émotions sont de précieuses alliées pour identifier les situations incompatibles avec notre état d’équilibre et donc notre bien-être. Plus encore, nos émotions sont la porte d’entrée vers nos sentiments et notre cœur.

Nos émotions nous embarrassent, nous mettent mal à l'aise... Et pour cause, nous ne savons pas les décrypter. Tout comme une langue étrangère qui nous est inconnue, l'expression de nos émotions provoque en nous perplexité et confusion. Notre première réaction consiste donc tout naturellement à les ignorer !

Pourtant, lorsque l'on prend la peine de les explorer, on découvre que chacune de nos émotions recèle un trésor enfoui. Elles sont un passage vers une dimension complètement privée, qui nous est inaccessible sans une écoute profonde de nous-même : nos sentiments. Eprouver nos sentiments est un privilège, une clé qui ouvre toutes les portes de la reconnaissance de notre vraie nature.

Pour comprendre le mécanisme de nos émotions, j’aimerais vous partager ici trois regards très éclairants et complémentaires. Le regard de la psychologue et psychothérapeute Jeanne Siaud-Facchin éclaire le chemin vers La guérison émotionnelle. L’éclairage scientifique est celui du neurologue Antonio R. Damasio dans un ouvrage où il mêle également la dimension philosophique : Spinoza avait raison. Joie et tristesse, le cerveau des émotions. Et enfin, Stéphane Drouet, psycho-praticien et thérapeute quantique nous amène à comprendre nos émotions avec L’intelligence quantique du cœur.

Nous sommes des êtres émotionnels

Emotion vient du latin « emovere » qui signifie mouvement. Une émotion est donc une force qui nous met en mouvement. Être traversé par une émotion se rapporte à faire l’expérience d’une énergie circulant dans notre corps, nous projetant vers l’action. Elles créent de la vie en nous. Elles nous façonnent et nous donnent le sentiment d’exister, d’être en lien avec ce qui se manifeste dans le présent. Voilà pourquoi nous y sommes tellement attachés. Car notre besoin profond est existentiel. En apprenant à accueillir nos émotions, nous nous ouvrons donc au mouvement de la vie.

En soi, l’énergie émotionnelle est neutre. C’est la sensation générée et la réaction physiologique qui rendent une émotion positive ou négative et ce sont les pensées qu’elle suscite, en miroir, qui lui donnent un sens. Que les émotions soient positives ou négatives, c’est l’affaire du mental. Il va aller chercher les expériences et croyances héritées du passé ou de l’éducation pour étiqueter chaque émotion.

Nous sommes littéralement sous influence émotionnelle car nos émotions circulent à une vitesse qui dépasse largement celle de nos pensées. Il nous est donc impossible de contrôler les émotions par la pensée. Bien au contraire, nous sommes sous le joug d’un véritable tourbillon intérieur, un ballet perpétuel : chaque émotion fait émerger une pensée, consciente ou inconsciente et chaque pensée déclenche une émotion, ressentie ou non. Les deux sont indissociables et ne peuvent s’exprimer qu’en écho l’une de l’autre.

Dans leur mode automatique, les émotions nous coupent de notre liberté d’être et de penser. Nous sommes alors soumis à leur diktat, victimes d’un fonctionnement souterrain auquel nous n’avons pas accès.

Si chaque émotion suscite une réaction automatique et stéréotypée de la part de notre organisme, elle n’en reste pas moins un processus complexe et élaboré. Ainsi, les émotions constituent le moyen naturel pour le cerveau d’évaluer notre environnement à l’intérieur et hors de notre corps, afin d’y répondre de façon adaptée.

Accueillir nos émotions pour se mettre en mouvement

Il existe principalement deux sources d’émotions : l’une est la peur et toutes les émotions qui en découlent ; l’autre est l’amour ainsi que les sentiments qui en résultent. Nous vibrons tous à travers ces deux polarités émotionnelles, mais celle qui nous assaille le plus souvent est la peur. Notre vie tout entière est émaillée par la peur, une peur aux mille visages, alimentée par notre mental, celui-là même qui a forgé nos blessures et nos schémas. En conséquence, nos relations se fondent majoritairement sur la peur et minoritairement sur l’amour.

Les émotions issues de la peur déclenchent des turbulences qui ébranlent tout notre corps et notre cœur. Nous avons tendance à les subir, comme des ennemies, en résistant aux réactions qu’elles suscitent en nous. Alors que, comme des amies intimes, elles viennent tambouriner par toutes les cellules de notre corps pour nous mettre en alerte sur une situation inconfortable pour nous.

Le signal émotionnel que nous ressentons entraîne un grand nombre de tâches importantes, consciemment ou inconsciemment. Il attire l’attention sur certains aspects du problème et améliore ainsi la qualité du raisonnement à son propos. Quand le signal est explicite, il produit des signaux d’alarme automatisés concernant les options d’action susceptibles de donner des résultats, à la lumière des expériences que nous avons vécues antérieurement. Le signal émotionnel marque les options et les résultats d’un indice positif ou négatif qui réduit l’espace de prise de décision et augmente la probabilité pour que l’action se conforme à l’expérience passée.

Plus nous sommes conscients de ces turbulences intérieures et de leur signification, meilleure sera notre réponse. Nous avons donc la responsabilité d’accueillir nos émotions et de les écouter, pour les comprendre. Nous entraîner à reconnaître nos ressentis, dans les recoins de notre corps, nous redonne de l’espace pour agir et la liberté de réguler notre monde intérieur.

« Je ressens – pause – j’agis »

Jeanne Siaud-Facchin

La pause, c’est l’espace entre le stimulus de l’émotion, ou signal émotionnel, et la réponse. C’est notre espace de liberté pour souffler, prendre notre température intérieure et peser ce qui semble juste pour nous en écho avec nos ressentis.

Cette respiration nous permet de nous dégager de l’influence de ces « shoots émotionnels » et de sortir du circuit fermé émotions-pensées en restant centrés sur nos sensations corporelles. L’idée n’est pas ici de chercher à nommer les émotions que nous vivons mais de ressentir ce qu’elles produisent en nous, de les explorer avec curiosité. Une gorge nouée, un thorax comprimé, un poids dans le ventre, sont autant de sensations qui parlent de notre émotion. Accueillir ces tensions et écouter le tumulte de notre corps avec attention permet d’apaiser l’émotion et de retrouver le calme nécessaire à la résolution de la situation.

Lorsque nos émotions créent de l’inconfort, notre vision de la vie est déformée. Rééquilibrer notre état émotionnel passe donc par la recherche d’une cohérence intérieure ; un état qui nous est accessible si nous prenons la peine de traverser ces émotions pour voir au-delà, dans le repli de notre cœur, dans la grandeur de nos sentiments.

Les émotions, une fenêtre ouverte sur nos sentiments

Les émotions et les sentiments sont si intimement liés qu’ils forment ensemble un processus continu qui nous donne à penser qu’ils ne sont qu’une seule et même chose. Pourtant, il serait plus juste de dire qu’ils sont jumeaux ! Le premier né étant l’émotion…

Pour comprendre la chaîne complexe des événements qui s’amorcent avec l’émotion et mènent au sentiment, il est utile d’observer la partie de ce processus qui est rendue publique et celle qui reste privée. En effet, les émotions sont des mouvements qui se déploient de façon publique, qui sont visibles pour autrui dès lors qu’ils se manifestent sur le visage, dans la voix et à travers des comportements spécifiques. A l’opposé, les sentiments sont toujours cachés, comme toutes les images mentales. Seul celui qui les possède peut les voir et ils constituent la propriété la plus privée de l’organisme.

« Les émotions se manifestent sur le théâtre du corps ; les sentiments sur celui de l’esprit. »

Antonio R. Damasio

Chaque shoot émotionnel ouvre une brèche et sert d’onde porteuse à tout le spectre des sentiments, entre bien-être et souffrance. Les sentiments résonnent comme la musique qui habite sans cesse notre esprit, une mélodie qui se fait tantôt chant d’allégresse lorsque nous sommes envahis par la joie, tantôt requiem funèbre quand la tristesse nous gagne.

Si quelque chose dans notre existence peut être un révélateur à la fois de notre faiblesse et de notre grandeur, ce sont bien les sentiments. Ils sont l’expression de l’épanouissement et de la détresse humaine, tels qu’ils se produisent dans notre esprit et notre corps. Ils révèlent l’état vécu au sein de notre organisme tout entier, dans le langage de l’esprit.

Le sentiment de joie s’apparente à des sensations délicieuses qui courent dans notre sang jusqu’au fond de notre cœur et qui traversent notre esprit le plus pur dans une impression de calme. Notre esprit et notre corps se mêlent en harmonie. Tout conflit intérieur s’apaise.

Le sentiment de tristesse s’accompagne d’une sensation de rétrécissement intérieur, voire de verrouillage de certaines parties de notre corps. Notre esprit et notre corps se trouvent comme entravés et notre respiration peut être altérée jusqu’à l’apnée.

Les sentiments sont des sentinelles. Ils font savoir à notre conscience quel est l’état vécu par notre organisme à un moment donné. Ce sont des manifestations mentales de l’équilibre et de l’harmonie, du déséquilibre et de la discorde vécus en nous.

Les sentiments, ces sentinelles qui veillent sur notre équilibre

Persévérer dans notre être requiert des efforts constants ; c’est même la destination première de notre existence.

« L’être humain n’a pas été créé en priorité pour le bonheur, mais essentiellement pour l’évolution. »

Stéphane Drouet

Tout ce qui nous arrive dans la vie est orienté dans ce sens. Le bonheur n’étant que la conséquence heureuse de notre trajectoire d’évolution.

Pour nous aligner avec notre juste place, nous attirons à nous, dans notre vie, des situations, des personnes, qui nous renvoient à nos excès, qui résonnent avec nos conditionnements. Lorsque nous ressentons une résistance, un inconfort, voire une souffrance, c’est le signe que la vie nous lance un défi, nous invitant à nous remettre en mouvement afin d’entrer en harmonie avec notre vraie nature.

Nous sommes donc responsables de tout ce que nous créons par nos pensées, nos émotions et nos sentiments en construisant un champ de cohérence en nous et autour de nous. Cette cohérence a également un rôle déterminant dans nos prises de décisions car notre mental, nos émotions et nos sentiments synchronisés s’accordent pour faire les meilleurs choix pour nous dans un discernement et une clairvoyance aiguisés. C’est dans cet état d’alignement profond que tous les choix deviennent accessibles, que toutes les réponses à nos questions sont disponibles.

En nous connectant à la grandeur de nos sentiments, nous ouvrons en grand notre corps et notre esprit et nous dilatons notre cœur. Alors, tout peut exister car nous avons un espace infini en nous.

linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram