A l’aube de cette nouvelle année, je peux clairement affirmer que ne me suis jamais sentie autant exister ! L’année qui vient de s’écouler, aussi singulière qu’elle ait été, a agi sur moi comme un véritable révélateur. Comme si quelqu’un avait ouvert en grand les vannes de mon subconscient et avait libéré des capacités enfouies que je n’avais jamais jusqu’ici eu l’audace d’explorer. Comme si j’avais enfin trouvé la clé pour me connecter à moi-même. Comme si soudain, tout devenait possible et que l’univers s’ouvrait devant moi, que les planètes s’alignaient et m’invitaient à m’accomplir dans une mission fondamentale, pour moi, bien sûr, mais surtout, une mission dont je puisse partager le sens avec d’autres. En entraînant une communauté de valeurs et de vision avec qui construire un projet plus grand que moi.
Car en l’espace d’une année, j’ai croisé la route de nombreuses personnes qui, comme moi, ont éprouvé l’urgence d’une transformation profonde et durable pour assouvir leur besoin de se réaliser. Une prise de conscience révélée par l’épidémie de Covid-19 et activée par le désordre hérité de cette crise inédite. Un chaos qui a profondément bousculé nos certitudes, ébranlé nos habitudes et fait émerger de nouvelles manières de vivre ensemble. Et lorsque je regarde en arrière, j’observe que cette crise, tel un tsunami, a libéré une vague d’humanité exceptionnelle !
Ce phénomène m’a donné envie de comprendre quel processus amenait un individu à enclencher une transformation profonde et vitale. Et à la lumière de ma propre expérience, dérouler la trajectoire d’une transformation personnelle qui allait prendre un tournant collectif.
Alors, êtes-vous prêt.e pour ce rendez-vous avec vous-même ? Quand tout devient possible…
Nous sommes au printemps 2019 et depuis quelques années, trop sans doute, j’ai l’impression que quoi que j’entreprenne dans mon activité professionnelle, je finis toujours par me fracasser contre un mur. J’utilise le mot « fracasser » à dessein car au fil des ans, l’impact contre le mur se fait de plus en plus violent. Et donc, naturellement, à force de prendre des murs, on se blesse. Une blessure qui atteint d'abord le psychologique et qui finit par frapper le physique. Elle est le fruit d’une frustration qui, gonflée jusqu’à l’implosion, atteint les moindres recoins de la confiance en soi et freine l’élan des plus engagé.es.
Baisse des ressources, défaut de stratégie, déficience managériale… peu importe la cause, le résultat est là, l’impression de régresser et que personne ne peut rien pour vous, pas même vous ! Car c’est là que la machine s’enraye. Bloqué.e dans vos prérogatives à l’intérieur de l’organisation, votre système de défense vous incite à en sortir et à tendre vers de nouvelles opportunités. Mais là encore, l’horizon semble bouché. Trop typé.e, trop cher.e, réduit.e à un métier saturé… Avec comme corollaire, la difficulté à se projeter vers un projet professionnel nouveau. Et c’est bien là le drame ! Quand on se trouve enfermé.e dans un cadre trop étroit depuis trop longtemps, on peine à s’imaginer à l’extérieur du cadre. Donc, rien ne se passe ni dedans, ni dehors. Alors, vous remplissez le vide en faisant le plein. Le plein d’activité pour vous rendre utile, à défaut d’être épanoui.e. Et comme un hamster dans sa roue, vous vous étourdissez jusqu’à l’épuisement. C’est à ce moment que la blessure physique apparaît. Elle peut prendre différentes formes : insomnies, maux divers, manque d’appétit… On l’appelle burn-out ; un terme hérité de l’aérospatial, qui désigne une fusée au décollage dont le carburant vient à s’épuiser avec comme conséquence la surchauffe du moteur et l’explosion de l’engin. Nous voilà donc rendus au chaos que j’évoquais plus haut, celui qui se manifeste juste après l’explosion.
Il s’agit là de chocs auxquels nous soumet la vie, à titre professionnel ou privé. Des épreuves plus ou moins violentes qui font bouger nos lignes et remettent en question nos certitudes. Ils créent une sorte de séisme intérieur qui irradie jusqu’à l’extérieur et bouscule notre écosystème. Ces chocs sont tels des marqueurs qui jalonnent le développement de chaque individu, comme le symbolise l’ennéagramme introduit par le philosophe et ésotériste Georges I. Gurdjieff au début du XXème siècle. Gurdijieff pensait qu'il était possible de passer à un état supérieur de conscience et d'atteindre le plein potentiel humain. Son ennéagramme symbolise ainsi la dynamique du développement de l’individu et son passage d’une étape à une autre. Il nous guide vers l’étape ultime : « qui nous sommes véritablement » !
L’ennéagramme est composé de sept niveaux et de deux chocs qui tout en étant indépendants, se complètent et contribuent au développement de la personne. Ces deux chocs sont la source de la transformation humaine. Ils participent simultanément à notre déconstruction par la remise en cause de notre nature humaine et à notre construction par l’énergie qu’ils nous apportent. Le premier choc, qui survient par surprise est très déstabilisateur. Vécu comme un traumatisme, il permet d’entreprendre un travail sur soi pour sortir de cette perturbation. A ce stade, l’individu cherche à mieux comprendre le but de son existence et par le fruit d’une réflexion personnelle amorce une première transformation. Le deuxième choc intervient alors qu’un travail de développement personnel a déjà été entamé. Il fait suite à l’acquisition de connaissances permettant de vivre de nouvelles expériences et ainsi, engendre des modifications profondes dans notre personnalité pouvant conduire à un état de « pleine conscience » proche de la réalisation de soi.
Personnellement, ces deux chocs se sont matérialisés très distinctement. Le premier, de façon totalement inattendue et avec une grande violence. Il a irradié longtemps mon environnement professionnel comme personnel, laissant derrière lui une faille béante. Jusqu’au second choc, dix ans plus tard, comme l’aboutissement d’une transformation inéluctable, avec à la clé un changement de vie professionnelle parfaitement assumé. Il s’est suffi d’un déclic, un fait loin d’être anodin, la suppression d’un poste au sein de mon équipe pour que tout devienne évident. Avec un collaborateur en moins, le hamster dans sa roue courait à sa perte. Il fallait sortir de cette situation, c’était une question de survie. Ce déclic a enclenché une sorte de reset au niveau de mon cerveau avec à la clé un grand vide... C'est ce grand vide qui a permis de faire émerger des solutions nouvelles en me libérant de mes modèles mentaux et de mes croyances auto-limitantes les plus profondes. Tout en débloquant un « pouvoir d’agir » que je n’avais encore jamais expérimenté. Comme si j’avais prononcé la formule magique qui laissait enfin libre court à mon énergie créative.
Dans son ouvrage Renaître chaque jour, l’auteur et orateur indien Jiddu Krishnamurti l’évoque ainsi : « La création ne peut se produire qu’en présence d’une énergie jamais entachée de volonté, qui n’est pas le résultat de l’effort, une énergie que l’action elle-même fait naître. »
J’ai compris soudain que je ne devais pas changer de métier mais changer ma façon d’appréhender mon métier. J’ai surtout compris que, si j’avais choisi de mener une carrière dans la communication, ça n’était pas pour me perdre dans une vision de plus en plus instrumentalisée de mon activité mais pour créer du lien entre les gens, favoriser le dialogue et ainsi contribuer à bonifier les relations entre les individus. Une révélation ! J’avais trouvé mon objectif supérieur et les clés de ce changement étaient entre mes mains…
Le changement personnel s’opère dans une tension entre l’idéal et le réel. Lorsque cet alignement avec notre personnalité profonde se matérialise enfin, l’incarnation de notre idéal nous donne des ailes pour nous transcender et dépasser les obstacles. Nous libérons alors une forme d’intelligence intuitive, comme une boussole intérieure, qui nous guide vers les bonnes décisions, les bonnes personnes…
Pour la neurologue Régine Zékri-Hurstel, auteure avec le philosophe du goût Jacques Puisais du Temps du goût : « notre intuition est connectée à notre banque de données sensorielles, toujours en mouvement, et s’adapte en permanence pour percevoir le moindre changement. Les plus intuitifs sont donc ceux qui ont le mieux développé leurs qualités sensorielles. L’émotion vient des sens, elle est essentielle dans la capacité intuitive ».
Les chocs et le chaos qui en a résulté ont mis tous mes sens en éveil. Et ont fait voler en éclat bon nombre de peurs, notamment la croyance selon laquelle je n’étais pas faite pour l’entrepreneuriat. J’ai été gagnée par une confiance et une audace que je ne me connaissais pas, portée par une certitude fulgurante qui m’attirait, comme un aimant dans la bonne direction et vers les bonnes personnes. A ce stade de mon développement, les rencontres ont été déterminantes.
C’est à ce moment-là que la Covid-19 a fait son apparition début 2020. D’abord comme une ombre qui planait au-dessus de nos têtes, nous laissant avancer dans nos projets avec insouciance. Stimulée par l’énergie créatrice qui m’habitait alors, j’ai croisé la route de personnes très inspirantes. Ces rencontres ont été vibrantes d’émotions tant nous parlions le même langage et partagions les mêmes aspirations.
Très vite, nous avons exprimé l’envie de construire ensemble pour avoir un impact sur le reste du monde en nous mettant au service de l’humain et de la transformation sociale. Nos énergies associées ont ainsi donné à notre entreprise un élan et une résonnance incroyables qui se sont trouvés freinés brutalement avec l’annonce du confinement. Une crise inédite dans sa nature et dans l’amplitude de son impact qui a révélé chez nombre d’individus des réalités inhibées et a débloqué des ressources jusqu’alors inexploitées.
Face à ce système complexe dans lequel nous a enfermé la crise, nous avons pu activer notre esprit critique et notre créativité pour ajuster nos connaissances à cette nouvelle réalité et développer des comportements adaptés.
Nous avons appris de ces perturbations comment percevoir les développements possibles ou souhaitables, « utiliser les forces du changement au lieu de leur résister », comme nous y invite l’auteur et directeur du Center for Organizational Learning du MIT Peter Senge.
Et profiter de cette épidémie, où la préservation de l’humain est au centre des préoccupations, pour transformer nos environnements de travail en espaces de liberté propices à l’observation, l’imagination, la création, l’expérimentation…
Un terreau idéal pour se réinventer et entraîner dans notre sillon un collectif d’acteurs à la fois diversifié et relié par une aspiration profonde à faire bouger les lignes. Cette crise, comme un accélérateur de changement, a fait émerger des « communautés restauratrices », centrées sur un idéal à construire collectivement et mobilisant des énergies incroyables au bénéfice d’une mission transcendante pour remettre l’humain au cœur des organisations. Dans un monde fragilisé par l’épidémie de Covid-19, en perte de repères et poussant à l’individualisme, ces communautés ont permis à de très nombreux individus de trouver du sens, de générer de l’engagement et d’offrir de la solidarité. Elles ont pris des formes très évoluées d’organisations humaines et se sont maillées bien au-delà de leurs missions et espaces géographiques pour partager l’entraide et la connaissance. Résilientes, résolument ouvertes, bienveillantes et fraternelles, elles sont le présent et l’avenir de la réalisation des individus et des organisations.
Génératrices de coopérations, d’idées nouvelles et d’innovations, elles augmentent le champ des possibles et se déploient dans une perspective utilitaire. Aussi anciennes que l’humanité, elles marquent aujourd’hui encore l’histoire du développement des individus et contribuent tous les jours à la création d’un nouveau monde. Un monde où tout devient possible…
Alors que l’heure de Noël est sur le point de sonner, je suis gagnée par un drôle de sentiment… L’impression que ce Noël pas tout à fait comme les autres inaugure une nouvelle façon de célébrer, plus intime, plus sobre, plus profonde. Resserré autour du noyau familial - tout en gardant les distances – ce moment de partage n’aurait-il pas cette année une saveur particulière ? Noël sera-t-il plus « light » ? Moins de monde autour de la table, mais quitte à être moins nombreux, n’est-ce-pas aussi l’occasion de célébrer la famille plus intensément, avec le cœur grand ouvert ?
Personnellement, en plein lancement de mon activité, avec un mari dirigeant absorbé par ses affaires, une jeune adulte exaltée par de nouvelles libertés et un adolescent cloué devant son ordinateur…, j’avoue être depuis quelques temps désemparée devant l’éclatement de mon cher noyau familial ! A force de se croiser sans se voir, de s’écouter sans s’entendre dans le tourbillon du quotidien, la perspective de ce Noël confidentiel vient réveiller chez moi le besoin de serrer dans mes bras ceux que j’aime. De célébrer ma famille en cette période de fêtes. De prendre le temps de redécouvrir chaque membre de mon clan à la lumière d’un feu de cheminée, au coin du sapin. Un Noël pour retisser les liens qui nous unissent, se témoigner de la gratitude et se dire combien chacun compte.
Le besoin de témoigner de la gratitude en cette veille de Noël, alors que la crise sanitaire couve toujours, semble d’ailleurs avoir gagné la sphère professionnelle. En effet, j’entendais cette semaine à la radio que les entreprises avaient particulièrement choyé leurs collaborateurs cette année pour les remercier de leur contribution exceptionnelle en cette période de Covid. Au-delà du principe de gratification, n’est-ce pas là avant tout l’occasion de célébrer le « clan professionnel » ?
Partout, on entend que la troisième vague de Covid-19 sera celle de la santé mentale, avec une forte hausse des états dépressifs liés aux bouleversements induits par la crise sanitaire. Incapacité de voir le bout du tunnel, solitude, perte de repères…, les sujets d’inquiétude sont nombreux et avec la répétition du confinement et la durée de la crise, les ressources pour s'adapter s'épuisent.
Alors comment profiter de la magie de Noël pour redonner le moral aux troupes ? En célébrant la communauté professionnelle, en retissant les liens de l’équipe, qu’elle soit en télétravail, en chômage partiel ou en petit comité. Rien d’ostentatoire cette année et c’est tant mieux car en entreprise comme au sein de la famille, la proximité est de mise. Il est temps de bannir les grands discours impersonnels déployés à grands renforts d’outils de communication : vidéo du dirigeant, carte de vœux corporate... L’heure est à la simplicité, à l’écoute, à la solidarité. Pour stimuler la bonne humeur, pourquoi ne pas colorer la dernière réunion de l’année, a plus forte raison en visio, en invitant chacun à décorer son environnement de travail aux couleurs de Noël. Et pour les collaborateurs en présentiel, le traditionnel « Secret Santa » qui favorise l’échange de petits cadeaux de façon anonyme constitue également une occasion de se retrouver et d’exalter le plaisir de donner et de recevoir.
Comme en témoignent les dirigeants, managers et collaborateurs de TPE-PME que notre collectif de professionnels de l'accompagnement humain Act4 Talents a interviewés lors du premier confinement dans son étude « Regards croisés », l’humour et la bonne humeur ont été déterminants dans cette période de forte incertitude. L’objectif étant de souder les équipes et de favoriser un contexte propice au dialogue, entre collègues et aussi avec le manager de proximité, pour mieux prendre le pouls de chacun. Parmi les bonnes pratiques qui sont ressorties de l’étude, certains managers ont d'ailleurs eu l’idée de constituer des binômes pour éviter l’isolement en télétravail, stimuler le soutien et la coopération.
Cette crise sanitaire avec ses contraintes de distanciation sociale nous amène nécessairement à revoir le périmètre du clan familial comme professionnel et à privilégier les groupes à taille humaine. Finalement, la Covid ne précipiterait-elle pas un mouvement déjà amorcé depuis plusieurs années selon lequel il fait bon travailler dans les petites structures ?
Les TPE et les PME ont la cote car elles sont réputées pour leur ambiance familiale et rassurante ; la proximité qui y règne est le gage d’échanges plus réguliers et d’une meilleure connaissance des missions de chacun. Les méthodes de travail y sont plus transversales et bien souvent les tâches qui sont confiées aux salariés demandent plus de polyvalence. Grâce à une hiérarchie moins complexe et un processus de prise de décision simplifié, les entreprises à taille humaine peuvent être plus réactives et octroient plus d’autonomie et de liberté à leurs collaborateurs.
Ambiance rassurante, proximité, échanges plus réguliers, polyvalence, réactivité, autonomie… Ce sont précisément les enjeux qui ont émergé de notre étude sur les évolutions du management et de l’organisation à l’épreuve de la crise sanitaire. En travaillant à distance ou au sein d’équipes très resserrées, il a fallu créer des rituels plus réguliers pour rassurer, pour partager sur les besoins de chacun. Afin de maintenir l’activité tout en palliant l’absence de certains de leurs collègues, les salariés ont dû faire preuve de polyvalence. Et tester leur autonomie, en distanciel, loin de leur hiérarchie. Avec à la clé, une explosion de sens pour des individus qui ont ainsi pu activer leur « pouvoir agir » et développer à cette occasion des compétences relationnelles fortes telles que l’écoute, l’empathie et la solidarité.
Cette nouvelle humanité que beaucoup ont pu expérimenter dans cette crise inédite a permis d’exacerber le sentiment d’appartenance et l’engagement au sein des organisations. Elle a porté le sens à un niveau inégalé et révélé des ressources insoupçonnées chez les individus. Elle est à n’en pas douter le meilleur vaccin contre l’épidémie de dépression qui nous menace ! Alors, apprenons à célébrer cette humanité nouvelle au sein de nos clans professionnels. Sachons distribuer la gratitude avec sincérité et générosité à nos collaborateurs les plus proches. Car la gratitude est contagieuse ; elle pourrait bien gagner les moindres recoins de nos organisations !!!
La période que nous traversons est incroyable ! Jamais nos modes de vie n’ont connu autant de remises en question, à travers nos interfaces privées comme professionnelles. La crise sanitaire, subordonnée à un contrôle de nos mouvements et relations, ainsi qu’à une privation de libertés jamais vue dans notre société contemporaine, constitue un révélateur à très grande échelle du pouvoir de la contrainte sur la transformation. Car, à n’en pas douter, le corollaire de cette crise sera notre capacité à s’adapter à ces contraintes et à apprendre de ces nouvelles conditions de vie et de travail.
C’est pour comprendre ces mécanismes de transformation que nous avons entrepris d’analyser les dispositions des organisations et des individus à apprendre de leurs situations de travail pour s’adapter aux mutations qui les bousculent. Au sein d’Act4 Talents, nous avons ainsi créé l’Observatoire des mutations du travail avec une première étude inédite sur la crise de la Covid-19 !
Pendant plus de 15 semaines, du mois d’avril au mois de juillet 2020, nous nous sommes immergés au sein de 24 TPE-PME de la région Auvergne-Rhône-Alpes afin d'appréhender comment leur organisation et leur management étaient impactés à l’épreuve de la crise.
Pour bénéficier d’une perception la plus réaliste possible des situations vécues dans les entreprises, nous sommes allés chercher les regards croisés de dirigeants, de managers et de collaborateurs pour confronter leurs perceptions. Nous les avons invités à prendre un peu de hauteur de vue sur l’enchaînement des événements et leurs conséquences. Des paroles vibrantes d’un contexte exceptionnel et d’émotions exacerbées que nous retraçons dans cet observatoire et à la lumière desquelles nous avons identifié 5 enjeux pour se projeter positivement et initier des transformations porteuses de valeurs pérennes dans les organisations.
Pour aller plus loin dans la compréhension des enjeux, nous vous invitons à télécharger l’étude complète sur notre site Act4 Talents.
Au moment de nos échanges avec les entreprises, entre fin mars et juillet, personne ne pouvait présager de la durée et de l’impact de la crise. Il était impossible alors de considérer si les adaptations mises en place par les organisations pendant le confinement allaient contribuer à des transformations durables ou être vite oubliées au bénéfice d’un retour à la normale. Nous portions un espoir collectif que la situation d’état d’urgence que nous venions de traverser ne pouvait qu’être temporaire, que l’été balayerait les effets du virus et que progressivement, nous pourrions revenir à une activité quasi-normale en septembre…
La « trêve » a été de courte durée ! Si dans notre espace privé nous avons pu relâcher un peu les contraintes pendant les vacances estivales, se retrouver en famille, se dépayser et savourer une forme de liberté retrouvée ; dans la sphère professionnelle, point de relâchement. La plupart des entreprises ont dû maintenir un mix présentiel/distanciel pour répondre aux exigences de distanciation sociale, avec l’obligation du port du masque au bureau lors des échanges interpersonnels. Et très rapidement, fin septembre, le spectre d’une deuxième vague a été confirmé avec le durcissement des mesures sanitaires et pour finir l’annonce d’un retour au confinement…
Dans nombre d’organisations, la rentrée de septembre a été vécue comme une « gueule de bois ». Après des vacances en demi-teinte, sans liberté de voyager à notre gré, à moitié masquées, bercées par de nombreuses inconnues… Le retour au travail a été froid et atone, en présentiel, amputé d’une partie des collègues ou en distanciel sans la possibilité d’échanger autour d’un café sur les plaisirs de vacances… Dans un de ces récents articles, Pierre-Yves Gomez, économiste et professeur à EM Lyon, voit dans cette période les signes d’une dépression collective : « Le fait que les choses ne reprennent pas « comme d’habitude » est déroutant. La société semble perdre ses repères ».
Une dépression en cascade avec des salariés perdus et démotivés, des managers désemparés par l’ampleur de la tâche, et des dirigeants fragilisés par de longs mois de bataille pour maintenir leur entreprise à flot et engourdis par le poids des responsabilités à faire respecter les mesures barrières dans les bureaux. Car toutes ces contraintes qui entravent notre autonomie, ce contrôle de nos moindres faits et gestes pour endiguer l’épidémie, contribuent in fine à bloquer notre énergie. Après de années d’une course effrénée vers le « toujours plus », nous avons été brutalement stoppés dans notre élan le 17 mars 2020. Nous avons alors fait l’expérience de l’immobilisme, du sur place. Un changement de rythme déstabilisant qui nous a amenés à nous questionner sur les fondamentaux de la condition humaine et à observer, grâce à la prise de recul qui nous était offerte alors que nous étions confinés, la vacuité de notre vie en mode accéléré. Sept mois plus tard, alors que la crise s’éternise, nous sommes réduits à un mouvement fatalement ralenti et de plus en plus sujets à l’inconfort de la privation de liberté. Une nouvelle réalité qui vient percuter la réalité antérieure, celle de l’exhortation au mouvement.
Face à cette perte de repères qui peut être synonyme d’angoisses, Pierre-Yves Gomez nous engage à nous focaliser sur les habitudes prises dans cette nouvelle réalité. Comme nous vous y invitons dans notre étude Regards croisés : observer comment les circonstances ont fait évoluer nos pratiques de travail et créer l’espace pour un dialogue ouvert et sincère dans lequel chacun pourra exposer son expérience du travail pendant cette période de crise. Dresser le bilan de ce que l’on a perdu et de ce que l’on a gagné individuellement et collectivement à travers cette épreuve. Tirer les enseignements de ce qui a fonctionné et de ce qui ne fonctionne plus aujourd’hui dans nos pratiques de travail pour construire ensemble un futur souhaitable.
Selon Pierre-Yves Gomez, « Pour accompagner le changement, il faut ne pas se concentrer sur ce que l’on perd, le monde frénétique d’hier. Il faut rendre la nouveauté du monde désirable, appétissante. On n’assiste pas à l’effondrement du monde d’avant – d’ailleurs beaucoup de choses vont perdurer – mais à l’émergence de comportements nouveaux et intéressants. A ce que nous ferons des occasions qui nous sont offertes. »
Les 5 enjeux qui ressortent de notre étude qualitative, constituent le socle de ce processus de dialogue qu’il nous semble impérieux d’animer au sein des équipes afin de favoriser l’expression des humanités du travail. De quoi parle-t-on lorsque l’on évoque les humanités du travail ? Pour comprendre quel est l’impact de cette crise sur les individus au travail, il faut développer une compréhension de la sensibilité des humains à l’égard des autres dans cette période exceptionnelle. Sans l’intégration de cette compréhension dans les modèles de management, aucun dirigeant ou manager ne sera en mesure d’appréhender l’explosion des émotions suscitées par ce contexte contraignant.
Boris Cyrulnik nous explique que donner l’occasion d’exprimer ses émotions, ses ressentis, modifie les perceptions du passé. Quand on est vulnérabilisé par un événement de la vie ou une situation particulière, on a la possibilité de remanier la représentation du réel par le récit que l’on en fait. On trouve ainsi la liberté d’agir par nos récits pour remanier intentionnellement le réel et mieux vivre ensemble. Lorsque ces récits sont collectifs, partagés avec quelqu’un ou un groupe en qui on a confiance, la parole a une fonction affective et socialisante. Cette parole est d’autant plus précieuse aujourd’hui, alors que nous travaillons dans un mix distanciel/présentiel et que nous ne communiquons plus avec nos collègues que derrière un écran ou à travers un masque. Des filtres à émotions particulièrement efficaces ! Il nous faut donc aller chercher les émotions masquées à travers le récit collectif et réapprendre à travailler ensemble en permanence.
Les entreprises ont la responsabilité d’investir pleinement ces territoires d’engagement que sont le management et l’organisation pour permettre à leurs collaborateurs de transformer l’épreuve qu’ils traversent actuellement en expérience dont chacun pourra tirer du positif. Pour commencer ce travail de co-construction, un temps de prise de recul s’impose. Un temps pour libérer la parole et écouter les besoins de chacun. Un temps pour permettre au collectif de se retrouver et à la coopération de reprendre corps sereinement. C’est sur le terrain de l’échange que l’on pourra explorer les impacts de la crise et tirer les enseignements sur ce qui a fonctionné et ce qui ne fonctionne plus. Reconsidérer et réajuster nos anciens modèles pour imaginer d’autres alternatives. Et enfin, accepter de désinvestir le superflu et de se recentrer sur l’essentiel.
A la lumière de nos 5 enjeux, quelles sont les questions à se poser collectivement pour se projeter positivement et initier des transformations porteuses de valeurs pérennes dans nos organisations ?
Ce que nous révèle l’étude Regards croisés en premier lieu, c’est le formidable regain d’humanité qui a transcendé les organisations au travers de cette crise. Cohésion, adaptation, créativité, intelligence relationnelle, vouloir agir, sens, sentiment d’appartenance, liens, confiance… sont autant de termes qui illustrent ces vécus collectifs et témoignent de l’amorce d’un changement culturel vers plus d’entraide et de solidarité. Le prolongement de notre étude nous conduira à réinterroger dirigeants, managers et collaborateurs afin de déceler les apprentissages profonds qui se seront matérialisés au fil des mois. Nous serons ainsi en mesure de confirmer ou d'infirmer la tendance selon laquelle cette crise pousse vers une plus grande humanisation de la gestion des organisations.
Nous vivons aujourd’hui un véritable renversement de valeurs ! Alors que la plupart des pays d’Europe se mettent en situation de sacrifier leur économie pour sauver des vies humaines, comment ne pas réinterroger la place des hommes et des femmes dans les organisations. Cette crise « existentielle » qui impacte respectivement l’existence des entreprises et celle des humains, peut-elle être le terrain d’une réconciliation entre performance économique et réalisation humaine autour de nouvelles valeurs de travail ?
Quelques lectures et une vidéo inspirante : L'OBS - Comment la crise du Covid a sonné la fin du « toujours plus » THE CONVERSATION - Transformation numérique : comment ne pas manquer la phase qui s’ouvre dans le travail ? YOUTUBE - Boris Cyrulnik - Le récit de soi
Vous connaissez certainement l’allégorie des 3 tailleurs de pierre : Un homme rencontre sur un chantier trois tailleurs de pierre. Au premier qui travaille mécaniquement sa pierre avec un air sombre et fatigué, il demande ce qu’il est en train de faire ; ce dernier lui répond qu’il taille une pierre. Quand il pose la même question au second qui effectue le même travail, mais de façon un peu moins mécanique, ce dernier explique qu’il taille une pierre pour construire un mur. Il s’approche alors du troisième qui semble heureux, voire radieux, où nulle trace de fatigue ne se lit sur son visage alors qu’il effectue le même travail, avec exactement les mêmes outils et la même technique, que les deux autres. Quand notre homme lui demande ce qu’il est en train de faire, le troisième tailleur de pierre lui répond avec un large et lumineux sourire : « je suis en train de construire une cathédrale ».
Cette allégorie du sens au travail a une résonance particulière en cette période de retour des collaborateurs au bureau et de reprise du « business as usual » dans beaucoup d’organisations. Car pour certains, l’expérience du travail vécue pendant la période du confinement s’est véritablement apparentée à la construction d’une cathédrale !
Un travail centré sur l’essentiel, où chacun, quelle que soit sa mission, a pu prendre une part active à la survie de son organisation et se sentir utile. Une période qui a stimulé la solidarité entre collègues, qui a fait grandir les individus en s’adaptant à de nouvelles missions, à de nouveaux outils, avec une forte productivité pointée sur la continuité de l’activité, qui a poussé chacun en dehors de sa zone de confort… Une expérience qui a bousculé les équilibres et qui a interrogé sur sa « juste place » dans son organisation et dans la société en général.
Cette sensation d’être monté au front et d’avoir « soutenu la maison », coûte que coûte, a suscité une « explosion de sens » à tous les étages de l’organisation. Que la mission pendant le confinement ait pris un caractère exceptionnel ou qu’elle ait simplement consisté à maintenir l’activité dans un nouveau contexte et un nouvel environnement de travail, il semble que chacun y ait trouvé sa petite part de sens.
Pour bien comprendre comment cette période de crise a boosté la question du sens au travail pour un grand nombre de collaborateurs, je vous propose de mettre en perspective les travaux des chercheurs E.Morin et B.Cherré et leurs prérequis du sens au travail :
La crise du Covid-19 a souvent coché toutes les cases !
Cette explosion du sens au travail a activé deux manifestations positives qui ont pu contrebalancer les effets négatifs de la crise sur les individus. En premier lieu, le sens trouvé dans l’activité de travail, qu’elle ait été vécue à distance, sur site, en chômage partiel… a permis de maintenir un certain équilibre psychologique. Là ou certains collaborateurs ont été privés de travail du fait de l’arrêt total de leur activité, ceux qui ont pu maintenir tout ou partie de leur activité semblent avoir été moins frappés par l’anxiété et le stress inhérents à la situation de crise traversée. Le second impact positif est l’engagement. Stimulés par de nouveaux enjeux pour maintenir le business dans leur entreprise (travail à distance, dématérialisation, nouvelles missions…), les collaborateurs ont su fournir les efforts nécessaires, en s’adaptant à un nouveau contexte de travail, de nouveaux horaires, de nouveaux outils, et ont témoigné ainsi d’une loyauté et d’un attachement forts à leur structure.
L’engagement qui s’est matérialisé pendant la période du confinement semble pourtant souffrir de l’obligation de revenir au bureau. Comme en témoignent les dirigeants croisés récemment, le retour physique en entreprise n’a suscité que peu d’enthousiasme, même de la part des collaborateurs les plus engagés. Si quelques volontaires ont trouvé dans cette reprise une opportunité de quitter l’isolement du confinement ; pour la plupart des effectifs, il a fallu se montrer ferme et souvent, imposer de reprendre le rythme « métro-boulot-dodo » lorsque l’aménagement des bureaux le permettait, à grand renfort de mesures sanitaires.
Pierre-Yves Gomez, professeur de stratégie à emlyon business school où il dirige l’Institut français de gouvernement des entreprises, pose la situation en ces termes : « L’exigence de « remettre » aujourd’hui les salariés au travail montre bien que quelque chose a été cassé dans le mouvement économique frénétique qui était le nôtre. Après le choc dépressif qu’a causé le confinement pour beaucoup, il faudra trouver des raisons substantielles pour embarquer les équipes au travail, et ce sera d’autant plus difficile que l’on prévoit un accroissement du chômage et de la précarité sociale. Les entreprises qui misent sur des discours morbides de type : « il faut vous mobiliser sinon nous allons disparaître » se fourvoient si elles pensent que dans notre société individualiste, cela peut constituer un discours stimulant. »
Si on comprend bien l’impérieuse nécessité des organisations de se mettre en ordre de marche pour retrouver une activité optimale, la question qui se pose au management est sa capacité à maintenir l’engagement des collaborateurs dans un contexte de retour au travail « forcé ». Et donc, de trouver de nouveaux leviers de sens au travail.
Surtout si l’on considère l’écart substantiel entre l’expérience du travail vécue avant et pendant le confinement. Dans l’urgence de la crise, chacun a dû adapter son métier à une nouvelle réalité de travail, en autonomie, à distance ou sur site mais déconnecté de son équipe et de son management. Faire preuve de créativité pour imaginer de nouvelles façons de faire son travail, à l’épreuve de certaines contraintes, certes, mais toute en bénéficiant d’une forme de liberté inédite. S’essayer à de nouvelles missions devenues vitales pendant la crise et développer sa polyvalence. Voir moins ses collègues, mais les écouter davantage, à travers leurs savoir-faire, leur vécu, leurs émotions via des médias empruntés à la vie privée comme Whatsapp. Cet investissement énorme pour maintenir l’activité à tout prix pendant cette période a donné au travail une nouvelle saveur. Comme débarrassé de nombreuses entraves : réunions à répétition, ordres et contre-ordres, processus de décisions à rallonge, jeux de pouvoir... Chacun a eu voix au chapitre du travail et a retrouvé une certaine foi dans le travail. Ce « travail à cœur » dans lequel chacun se reconnaît, que décrit si bien le psychologue du travail Yves Clot dans son livre du même titre.
« Chaque fois que des salariés introduisent quelque chose d’eux-mêmes dans leur métier, les chances de développer leur santé augmentent. »
Alors pour continuer à faire battre le cœur du travail de retour au bureau, pourquoi ne pas capitaliser sur les nouvelles pratiques de travail que nous avons expérimentées pendant le confinement ? Profiter du retour des équipes pour mettre en chantier une nouvelle architecture du travail pensée et modélisée par les collaborateurs pour les collaborateurs. Une réflexion prospective sur le design d’avenir de leur organisation au service du travail bien fait, ce travail dont ils ont pris soin pendant la crise. Quelle place pour le télétravail demain ? Comment transposer les habitudes et les outils qui ont fait leurs preuves en confinement dans cette nouvelle configuration en remplacement des pratiques anciennes jugées moins efficaces ? En définitive, apprendre à renoncer aux routines obsolètes pour investir de usages plus appropriés sur lesquels on se rejoint collectivement.
Car un tel chantier est aussi l’occasion de construire ensemble à partir du besoin des individus de se retrouver et de retisser les liens physiques du travail pour faire communauté. Créer les circonstances permettant à chacun de partager cette petite part de sens invoquée localement pendant le confinement et contribuer ainsi à redonner du sens au niveau global de l’organisation.
Pour introduire cette notion de communauté, je vous propose de reprendre la métaphore de la construction de la cathédrale. Pour construire une cathédrale, une équipe d’artisans hautement qualifiés étaient rassemblés, sous l’égide du maître d’œuvre attaché à l’édifice. Ces artisans étaient organisés en loges qui établissaient les statuts et les règles de travail. Pour accompagner l’édification d’une cathédrale sur plusieurs siècles, les artisans qui se succédaient sur le chantier s’influençaient et se transmettaient les techniques et les modes à travers toute l’Europe.
Cet exemple de communauté de métier et de pratiques, complètement ouverte pour favoriser l’apprentissage entre pairs, et ainsi collaborer au service d’une œuvre remarquable, me semble d’une actualité frappante pour refonder nos organisations au lendemain de la crise.
Pour Yves Clot : « Cette communauté de pratiques forme un cercle d’échanges dans lequel on s’intéresse moins aux limites de chacun des participants qu’aux limites de l’activité elle-même ».
Commençons par recréer du lien. D’abord en proximité, au niveau de l’équipe, pour renouer avec le terrain, dans une communauté de mission où chacun pourra réinterroger sa place, mettre en débat l’activité et ainsi mieux articuler le travail du collectif. Ou dans une communauté de projet construite sur le mode collaboratif, en confrontant ses idées, en exposant ses modèles mentaux, pour se projeter collectivement dans l’action. Une communauté en vue de « réaliser un triple maximum », comme le décrit le philosophe Abdennour Bidar : « le maximum d’accord pour chacun entre ce qu’il est et ce qu’il fait ; le maximum d’apport pour chacun, de ce qu’il est et de ce qu’il fait, et le maximum de rayonnement de chaque communauté, comme petite centrale nucléaire d’énergie ». Ou encore, dans une communauté de métier, extérieure à l’organisation, pour partager des pratiques, apprendre les uns des autres, grandir ensemble et ouvrir des horizons. Une communauté ouverte sur des écosystèmes plus larges pour amplifier le champ des possibles et stimuler notre pouvoir d’agir localement et globalement.
Comme nous y invite Abdennour Bidar : « Agir local pour agir global. Se donner un terrain de développement concret – l’échelle et l’espace de la communauté d’action – pour y cultiver ensemble la force de se projeter utilement, puissamment, vers le plus vaste extérieur qui soit en continuant de participer, par son métier, ses divers engagements, à l’invention d’un nouveau monde. »
La période post-crise dans laquelle nous entrons est le terrain idéal pour créer des « communautés restauratrices », telles qu’inspirées par Peter Block, auteur, consultant et conférencier américain dans les domaines du développement organisationnel, du développement communautaire et de l'engagement civique. Des communautés d’intérêt, synonymes de diversité, qui se maillent par le rapprochement de représentations communes. Centrées sur un idéal à construire collectivement et une logique de don, ces communautés vont chercher à mobiliser les talents de tous les membres d’un territoire, d’un quartier, d’une organisation. Pour autant, elles ne cherchent pas à valoriser un leader mais à produire du leadership chez chacun à travers des actes de « communityship », rendus possibles grâce à une implication personnelle et une motivation intrinsèque très fortes de chaque membre. Leurs moteurs sont la confiance en l’avenir et une forte énergie collective. Pour qu’il y ait communauté, il doit y avoir une action collective qui permet de renforcer cette haute qualité relationnelle, avec force de débat et de dialogue. Et au fil du chemin de ces communautés d’apprentissage, il y a la création de savoirs partagés pour tous.
Dans la vidéo que vous trouverez en annexe de cet article, Denis Cristol, chercheur sur les communautés d'apprentissage, l'autoformation et les apprentissages informels, nous partage les quatre étapes pour créer des « communautés restauratrices » :
Pour Denis Cristol : « Les organisations du travail ont besoin de se rappeler que ce sont des communautés humaines. […] Beaucoup d’entreprises, à force de gestion et d’optimisation, ont enlevé toute la dynamique humaine, ces apprentissages sociaux et cette capacité d’embarquer tout le monde. […] Elles doivent restaurer une qualité de lien qui s’est dégradée. »
C’est à partir de l’intention de faire commun que nous pourrons contribuer à la création et au développement de ces communautés. En dépassant la simple volonté de mieux faire son travail ou de s’adapter aux mutations du travail, pour développer de nouvelles façons d’apprendre. Et créer des espaces, dans les organisations, où chaque individu n’est pas seulement l’objet des transformations qui l’impactent mais au sein desquels il se sent faire partie d’un tout porteur de sens et d’énergie pour continuer à s’engager… et construire des cathédrales !
Quelques lectures et une vidéo inspirantes HUFFPOST - La vraie question que pose le télétravail, c’est l’utilité du travail ! LE MEDIABLOG DU COACHING - Entre sens et perte de sens au travail LE COMPTOIRE - Pierre-Yves Gomez : « L’époque que nous traversons a rendu au travail réel une présence qu’il avait perdue » LE MONDE - Abdennour Bidar : « Changer de vie pour changer la vie » APPRENDRE AUTREMENT - Communauté restauratrice / Communauté rétributrice (vidéo)
C’est véritablement un manifeste que je souhaite partager avec vous aujourd’hui, pour sortir nos organisations du sacre du « je » égocentrique et les faire entrer dans l’ère du « nous », l’ère d’une coopération décomplexée. C’est un article lu récemment qui a mis « le feu aux poudres » ! Avec un titre qui sonne comme un signal d’alarme : « Et si l’entreprise cessait d’être un panier de crabes ? ». Pour nombre de managers et de collaborateurs confinés, en télétravail, le constat a été sans appel… Chez soi, à l’abri des jeux de pouvoir, des luttes d’influence, des peaux de banane, des oppositions larvées, de la bullshit organisation, et j’en passe - tant les expressions des travers de nos organisations hiérarchiques sont nombreuses - le travail a pris une tournure plus sereine et responsabilisante, que l’horizontalité des relations a grandement favorisé pendant cette période.
Je suis frappée de constater combien nombre d’organisations restent sourdes et aveugles à ces faiblesses de leur management qui ont pourtant des impacts très lourds sur leur fonctionnement et leurs performances. Ce type de management par l’ego serait une fatalité, un mal incurable avec lequel nous devons cohabiter ? Qui n’a jamais croisé la route d’un manager dédouané de ses comportements toxiques sous prétexte qu’il est bon gestionnaire ou bon commercial. Qui n’a jamais souffert d’un comité de direction écartelé par des luttes intestines et réduit à de petits compromis sécurisant les pré-carrés de chacun de ses membres, au détriment de décisions plus collégiales, portées par l’intérêt général et tournées vers le bien commun.
Ces comportements autocentrés et défensifs sont l’héritage d’une culture du travail longtemps parcellisée et régie par la prescription et le contrôle. Dans l’ouvrage Communiquer en entreprise, signé par Jean-Marie Carpentier et Jacques Viers, le sociologue Philippe Zarifian découpe cet héritage en trois temps :
« En premier lieu, le taylorisme s’est traduit par une parcellisation des tâches très poussées. La séparation entre conception et production s’est accompagnée d’un isolement des postes de travail et d’un idéal managérial : le « zéro communication au travail » pour chasser les temps morts. En somme, la pure et simple interdiction de parler. En second lieu, il y a eu le modèle du métier qui, avec ses codes, a pu créer dans certains secteurs une non-communication portée par l’idéal des « secrets du métier ». En troisième lieu, il y a eu la division fonctionnelle du travail, inventée en France par l’ingénieur Henri Fayol. En créant une division entre les grandes fonctions de l’entreprise, elle a eu pour conséquence de restreindre les échanges entre ceux qui produisent et ceux qui vendent, entraînant un déficit de compréhension globale dans les organisations. »
Un triple héritage qui s’inscrit non seulement dans la culture managériale, mais aussi dans l’organisation du travail et qui a laissé des traces difficiles à effacer. Pourtant, dans une société faite d’incertitudes et de complexité, où l’environnement de travail est de plus en plus tendu, les relations sociales, bâties sur une confiance élevée, la sécurité psychologique et l’intelligence collective, sont le socle de la performance organisationnelle.
« Quand on considère ces écosystèmes qui sont les organisations de travail, quand on mesure leurs impacts psychologiques, on demande que les systèmes soient plus résilients, et pour qu’ils soient plus résilients, il faut qu’ils soient davantage fondés sur la coopération » souligne Bruno Roche, philosophe et directeur du Collège Supérieur dans un ouvrage intitulé L’art de coopérer, manager l’entreprise de demain.
Coopérer ? De quoi parle-t-on ? Pour comprendre, revenons à la nature même du travail, le travail réel, celui qui produit la valeur économique tel que décrit par Pierre-Yves Gomez, professeur à emlyon business school où il dirige l’Institut français de gouvernement des entreprises, dans son livre Le travail invisible, enquête sur une disparition.
Pour Pierre-Yves Gomez, le travail humain est une représentation en trois dimensions : « il est subjectif puisqu’il est toujours réalisé par un sujet singulier, quelqu’un qui travaille ; il est objectif car il produit un objet, un service, dont l’utilité et l’usage sont reconnus par d’autres (clients, collaborateurs, société) ; il est collectif parce que tout travail suppose une collaboration ou une coopération pour pouvoir produire, on ne travaille jamais seul ».
Ce modèle permet de repérer des dysfonctionnements lorsqu’une des dimensions est exacerbée au détriment des autres. On comprend alors aisément que si l’on néglige l’expérience collective du travail, et si l’on ne prend pas soin de la communauté sociale dans laquelle il s’inscrit, on diminue nécessairement son impact.
Alors collaboration ou coopération ? Et bien les deux. Car viser la collaboration, c’est penser à l’équipe d’abord. La collaboration au travail, c’est l’acte de travailler ensemble pour un objectif commun, grâce à des règles de fonctionnement partagées et une confiance affirmée. Alors que viser la coopération, c’est penser à l’entreprise d’abord. La coopération adresse d’autres leviers que sont le sens : pourquoi nous travaillons ensemble ; les valeurs communes aux parties prenantes de l’organisation et enfin, la fierté d’appartenance. Parfois, c’est la collaboration qui doit être renforcée, parfois c’est la coopération. Et toutes deux doivent être en interaction permanente pour susciter la meilleure dynamique collective possible.
Pour Sylvia Di Pasquale, rédactrice en chef de Cadremploi : « Le confinement a révélé qu’il était ainsi possible de coopérer autrement – plus sainement – depuis sa cuisine via les outils numériques. Cette coopération, entraide et horizontalité dont on nous rebat les powerpoints, est encore et toujours en chantier. Mais les enseignements du confinement pourraient bien permettre aux managers de garder de bons réflexes en surveillant les « angles morts de la productivité ».
La crise du Covid-19 a été le théâtre de multiples ajustements destinés à assurer la continuité de l’activité économique. Les coopérations non prescrites qui s’y sont déroulées ont permis aux systèmes de fonctionner, même en situation critique. C’est tout particulièrement durant ces situations difficiles que les actes de solidarité sont les plus forts et la coopération décomplexée.
La mission du management, top managers en tête, consiste donc à encourager la collaboration et la coopération au sein des équipes. Car cette expérience collective du travail se construit à partir des multiples liens humains qui se tissent, à la fois complexes et fabuleux, quand on prend conscience de l’ensemble des interactions qui ont favorisé la production d’un produit ou d’un service. Le fruit d’un travail dont la qualité dépend directement de la qualité des relations qui y ont contribué. Et c’est là que le bât blesse bien souvent !
Comment susciter une collaboration ou une coopération sincère et efficace ? En premier lieu, il faut créer le contexte. Cela impose de sortir d’une culture managériale qui valorise la performance individuelle en développant des d’objectifs collectifs. Le temps de la compétition entre collaborateurs est terminé, les managers doivent montrer l’exemple à leur échelle en s’inscrivant dans une dynamique de collaboration et de coopération avec leurs homologues. Pour créer le contexte, il s’agit également de donner du sens car la coopération ne s’impose pas, elle s’invite. Et le premier fondement de la coopération est le partage d’un objectif commun, une œuvre à bâtir ensemble, une aventure à vivre en équipe. Cette œuvre commune donne une finalité que l’on peut célébrer. Une réussite collective dans laquelle chacun se reconnaît, dans laquelle chacun identifie sa contribution, exprime ses talents, développe ses compétences, exerce ses responsabilités… Car dans chaque réussite collective, se dévoile une réussite individuelle. Cette œuvre commune va renforcer un lien essentiel à la coopération, le lien de confiance. La confiance doit être un prérequis en entreprise. Elle engage et favorise naturellement la coopération entre les collaborateurs dans le sens où elle donne une vision positive et optimiste de l’avenir. La confiance libère le dialogue au sein du collectif et ouvre des perspectives d’innovation et de performance. [à lire aussi : Le sens de la coopération. Poursuivre un bien commun]
Pour permettre à cette confiance de s’installer, chacun va devoir investir son « savoir être », être à l’affût des émotions, les siennes et celles de ses collègues ou collaborateurs. Si les émotions ont longtemps été reléguées à la sphère personnelle, il n’est plus à prouver que le contexte émotionnel en entreprise a un lien direct avec l’engagement et la performance des individus. L’entreprise évolue dans un monde complexe et changeant, voire violent. Une violence économique, psychologique et sociale, comme nous la vivons aujourd’hui, à la sortie de cette crise sanitaire. Dans ce contexte, l’intelligence émotionnelle prend tout son sens.
Le modèle d’intelligence émotionnelle adapté par le psychologue américain Daniel Goleman à la vie au travail se décline en cinq dimensions et vingt-cinq compétences :
L’intelligence émotionnelle est notre GPS ! Nous devons apprendre à en décoder les signaux pour mieux mieux vivre au quotidien, à titre individuel en améliorant notre gestion du stress, notre attention, la résolution de problèmes… Et à titre collectif, pour entretenir des relations plus saines et sereines avec ses collègues. Ainsi, elle facilite la communication, la collaboration, la cohésion et favorise un environnement de travail respectueux et ouvert aux transformations.
Dans son ouvrage Les communautés d’apprentissage, Apprendre ensemble à l’ère numérique, le chercheur Denis Cristol partage la théorie d’Otto Scharmer, maître de conférences à la Sloan School of Management du MIT, selon laquelle transformer la société exige une haute qualité relationnelle et de nombreuses aptitudes sociales : « il s'agit pour lui de faciliter le passage des ego-systèmes à des éco-systèmes prenant mieux en compte l’environnement et les besoins sociaux de chacun ».
Cette haute qualité relationnelle requise pour favoriser une bonne collaboration et coopération nécessite une pratique régulière de l’écoute, de ses propres besoins comme des besoins de ses interlocuteurs. Elle nécessite également la pratique de la discussion et du dialogue. Deux modes de conversation complémentaires et puissants lorsqu’ils sont en synergie.
Une équipe qui veut apprendre à collaborer et coopérer de façon efficace doit savoir passer de la discussion au dialogue et inversement, tout en connaissant bien les différences entre les deux en matière de règles du jeu comme d’objectifs.
Aujourd’hui, on pratique plus souvent la discussion que le dialogue dans les organisations. Dans son ouvrage La cinquième discipline, Peter Senge, professeur de management et directeur du Center for Organizational Learning (Centre pour les organisations apprenantes) du MIT définit la discussion comme « un jeu de ping-pong où la balle passe rapidement de l’un à l’autre ». Dans une discussion, des points de vue différents sont exposés et défendus. Le but du jeu est de « gagner » et que l’une des opinions soit acceptée par le groupe. Même si chacun prend en compte le point de vue des autres, il cherche toujours à faire prévaloir son opinion. Lorsqu’une équipe doit prendre une décision, c’est la discussion qui s’impose. Sur la base d’une analyse commune, les différents points de vue doivent être discutés et pondérés, et l’un d’entre eux choisi.
Pour Peter Senge : « Le dialogue est d’une nature très différente […], il fait circuler le « sens », un flot continu de significations allant de personne à personne, comme un fleuve qui coule entre deux rives. Par le dialogue, une équipe accède à un niveau de compréhension qu’un individu seul ne peut atteindre. […] Le dialogue permet aux individus d’observer leur propre façon de penser. […] C’est un jeu d’esprit qui repose sur la volonté de lancer de nouvelles idées, de les examiner, de les mettre à l’épreuve ».
Le dialogue est par essence divergent. Son but n’est pas de mettre les gens d’accord mais de mieux comprendre les enjeux complexes. Les retombées du dialogue sur les liens qui unissent les participants sont considérables. Une confiance mutuelle s’instaure et chacun apprend à exprimer son point de vue librement.
Peter Senge évoque trois conditions pour favoriser le dialogue :
« Un des principaux enseignements de l’art du dialogue est l’existence d’une pensée collective, d’un « réservoir de sens et d’intelligence » accessible seulement à une groupe ».
Peter Senge nous invite à aller chercher une vision plus large que celle des points de vue individuels. En permettant à chacun d’exposer au regard des autres son point de vue personnel sur la réalité et de voir la réalité de l’autre à travers ses propres yeux, il y a de fortes chances pour que nous découvrions quelque chose que nous n’avions vu ni l’un ni l’autre.
Cette pensée créatrice, à la découverte de solutions auxquelles aucun individu n’aurait pensé par lui-même, naît d’un nombre important d’idées contradictoires. Le conflit devient dans ces conditions une composante essentielle du dialogue. La force d’une équipe porte ici sur sa capacité à générer puis maîtriser ces conflits d’idées. Une discipline qui impose d’apprendre à regarder la réalité en face, avec lucidité, tout en débusquant nos propres mécanismes de défense pour la masquer.
Car aujourd’hui encore, admettre que l’on peut se tromper ou mal connaître un problème est un aveu de faiblesse. En prenant conscience de ces mécanismes de défense activés par nos peurs de révéler nos faiblesses, voire nos erreurs, aux yeux de l’équipe, nous nous affranchissons de protections aveuglantes. Désamorçons ces routines défensives qui, derrière l’excuse de nous protéger du jugement des autres, brident notre énergie et fonctionnent comme des murs bloquant l’accès à la co-création d’idées nouvelles.
Changeons de modèle mental ! Libérons-nous de ces routines défensives qui infectent les individus et contaminent les organisations. Elles ne sont ni une fatalité, ni une distorsion acceptable de la nature humaine. Juste un héritage dont nous pouvons nous soulager. Et portons haut et fort le besoin de discuter entre égaux et de mettre le débat au-dessus de l’autorité. Plaçons la confiance mutuelle comme moteur du dialogue et permettons à la pensée collective de s’épanouir pour éprouver de nouvelles idées. Une œuvre à bâtir ensemble, dans une coopération décomplexée, où le « nous » et le « je » se rejoignent pour célébrer les réussites.
A l’heure du déconfinement, nous surfons sur un paradoxe. Si notre protection individuelle comme collective passe jusqu’à nouvel ordre par le port du masque, il est de la responsabilité des organisations de profiter de cette période de transition pour inviter leurs collaborateurs à « tomber les masques » ! Car le visage masqué porte sur lui l’image du risque et de l’incertitude. Il impose la distanciation sociale. Loin de moi l’idée d’inciter à l’abandon des masques de protection, mais plutôt d’aller explorer derrière ces barrières de protection…
Car derrière ces masques, se cachent des expériences variées de l’épreuve que nous a fait vivre le Covid-19 qu’il nous faut libérer. Les salariés ont certes eu l’occasion d’expérimenter de nouvelles façons de pratiquer leur travail ; pour autant, le contexte dans lequel ces expérimentations se sont déroulées, à marche forcée, a pu laisser des traces. Isolement, chômage partiel, travail « bricolé », sur un coin de table au milieu du salon et des enfants, avec un faible débit internet, un accès limité à certaines données… Les équipes ont « tenu le coup » et « relevé le défi » pour reprendre certaines expressions qui remontent du confinement. Mais à quel prix !
A l’heure où les collaborateurs reprennent doucement le chemin de l’entreprise, il semble illusoire d’essayer de laisser cette crise derrière soi comme un mauvais souvenir, tant elle a bouleversé notre réalité de vie et de travail. Au contraire, il est temps de transformer notre vécu en mots et de verbaliser l’éventail d’émotions qui nous ont gagnées pendant cette période de confinement. Un temps pour libérer la parole et écouter les besoins de chacun à l’issue de ce « stress test », comme l’a formulé Catherine Joly, directrice de l’exploitation du cabinet Chappuis Halder & Co.
« L'expérience du Covid-19 a été le « stress test » que nul n'aurait jamais imaginé, une plongée sans préparation dans le monde digitalisé de l'entreprise. »
Sans empiéter sur le débat du « monde d’après », il me semble pertinent d’investir pleinement la période de transition actuelle. La zone grise que nous traversons aujourd’hui est une étape cruciale de cicatrisation et d’apprentissage pour nos systèmes humains et organisationnels, particulièrement traumatisés par la crise. Trop d’entreprises semblent pressées de tourner la page pour relancer leurs activités et préparer la reprise. Car cette préparation de la reprise doit prendre en compte les dégâts causés par le Covid-19. Dresser le bilan de ce que l’on a perdu et de ce que l’on a gagné individuellement et collectivement à travers cette épreuve. Tirer les enseignements de ce qui a fonctionné et de ce qui ne fonctionne plus aujourd’hui dans nos pratiques de travail. Reconnecter les collaborateurs et retisser les liens qui, au mieux se sont distendus pendant la période du confinement, au pire ont disparu bel et bien. Ces liens rompus au niveau managérial mettront du temps et nécessiteront beaucoup de dialogue pour se renouer.
Car il ne faut pas négliger que cette impressionnante adaptation des équipes pour soutenir l’activité des organisations a nécessité d’aller puiser profondément dans les ressources de chacun. En quelques jours, la grande majorité d’entre-nous a dû mobiliser son énergie pour sortir de sa zone de confort, se jeter à l’eau pour s’approprier de nouveaux outils, de nouvelles pratiques… dans un isolement plus ou moins soutenable en fonction de sa situation professionnelle comme personnelle.
C’est sur le terrain du dialogue que l’on pourra explorer les impacts de la crise sur les acteurs de l’entreprise. Un dialogue ouvert et sincère où chacun pourra témoigner librement et en toute sécurité pour confronter sa réalité vivante du travail pendant le confinement. Un dialogue horizontal en confiance au sein des équipes et avec le management pour laisser s’exprimer les émotions et les besoins non servis. Un dialogue constructif pour questionner nos anciens modèles, les reconsidérer et les réajuster pour imaginer d’autres alternatives.
Comme le souligne le philosophe et conseil en identité narrative Philippe Nassif : « La parole échangée est notre oxygène, et elle est notre véhicule. Elle nous précède et elle nous enveloppe. Elle nous restaure et elle nous transforme. »
Cette transition, faite d’écoute et de dialogue, est une occasion unique de regarder la réalité sous différents angles et de développer la capacité des individus et des entreprises à identifier les défis essentiels sur lesquels construire la relance.
Pour l'entrepreneur Patrick Lévy-Waitz, également président de la fondation Travailler Autrement : « Il faut identifier impérativement les combats décisifs, quitte à abandonner nos habitus. Les transitions à venir en sont une opportunité unique : saisissons-la ! »
Pour identifier les défis dans lesquels cette crise nous a projetés, nous devons prendre le temps d’observer les processus de changement qui se sont opérés en réaction au confinement et aller chercher des réponses nouvelles. Peter Senge, professeur de management et directeur du Center for Organizational Learning (Centre pour les organisations apprenantes) du MIT, nous invite à voir la réalité de tous les jours comme un tremplin plutôt que comme un obstacle et utiliser les forces du changement au lieu de leur résister. Apprendre à nous fier à nos observations plutôt qu’à notre conception de la réalité, nos a priori. Pour reprendre la métaphore de l’arbre et de la forêt, nous devons regarder au-delà des problèmes immédiats générés par le Covid-19 et prendre un peu de recul sur la situation vécue pour en cerner l’essentiel.
Comme l’exprime très simplement Peter Senge, dans son ouvrage La cinquième discipline : « Ce dont nous avons le plus besoin c’est de savoir identifier ce qui est important de ce qui ne l’est pas, les données sur lesquelles se concentrer et celles qui ne le nécessitent pas – et de le réaliser de manière à ce que cela aide les équipes à développer une compréhension commune. »
Cette prise de recul est nécessaire pour avoir une vision élargie permettant de faire émerger les représentations d’un futur souhaitable, commun à tous, qui suscitera adhésion et engagement. Pour créer cette « tension créatrice » décrite par Peter Senge, entre la vision d’ensemble et l’analyse lucide de la réalité, nous devons apprendre à poser les bonnes questions. Dépasser l’urgence de trouver des solutions immédiates, au risque de passer à côté des vrais problèmes, cachés derrière les « petits détails » du quotidien. Changer de posture pour sonder les profondeurs de la réalité en questionnant toutes les dimensions de cette réalité.
Une posture que le chercheur François Taddeï décrit ainsi, dans son dernier ouvrage Apprendre au XXIe siècle : « Cesser de penser en ingénieur et apprendre à penser en chercheur. Le premier cherche une solution ; le second cherche la bonne question. Le premier se désole quand une expérience dysfonctionne ; le second s’en réjouit, dès lors que ce dysfonctionnement est inédit – cela signifie qu’il est en présence de nouveaux possibles, qu’il va pouvoir labourer de nouveau champs de savoir. »
Notre capacité à se mettre à la place de l’autre, base de l’empathie, à regarder la réalité sous différents angles, de manière multidimensionnelle, est le socle de cette posture de chercheur. Frédéric Falisse, le coach et formateur qui a théorisé l’art de poser des questions : la « questiologie », en a fait le socle de sa technique. La discipline qu’il a développée ambitionne d’éveiller notre intelligence à interroger de façon pertinente, dans le but de découvrir de nouvelles possibilités, de nouvelles perspectives de développement personnel, relationnel ou professionnel. Poser des questions pour réfléchir et éduquer. Il a constaté que dans notre quotidien, nous n’exploitons que 15% des questions possibles. Tout simplement car lorsque nous posons des questions, nous cherchons avant tout à obtenir des informations qui confirment notre vision du monde et notre perception d’une situation.
Pour expliquer sa théorie, il cite la formule d’Einstein : « Si j’avais une heure pour résoudre un problème dont ma vie dépendait, je passerais les 55 premières minutes à chercher la meilleure question à me poser, et lorsque je l’aurais trouvée, il me suffirait de 5 minutes pour y répondre ».
Pour appréhender la « questiologie », Frédéric Falisse nous invite à nous mettre dans la peau de celui à qui nous posons la question en lui proposant de prendre une certaine posture. Dans la posture d’acteur, il s’interroge sur sa participation. En tant qu’observateur, il regarde ce qui se passe. En prenant une posture introspective, il réfléchit à ce qu’il ressent. Et enfin, en prise de recul, il se projette par rapport à la situation.
Tout se joue dans la qualité des questions. En coaching, on les appelle les « questions puissantes ». Des questions qui ont le pouvoir de nous faire cheminer. Partant du principe que si nous ne trouvons pas de solution à un problème, c’est que nous ne cherchons pas au bon endroit. Les meilleures questions nous amènent donc à nous décentrer de nos certitudes, et sont ouvertes pour laisser la place au silence et ouvrir sur nos ressources intérieures profondes.
J’ai eu l’occasion d’expérimenter une technique particulièrement efficace pour cheminer dans son questionnement avec l’appui du collectif : « De la question brûlante à la question puissante ». L’exercice consiste en un dialogue de questions ouvertes, qui fait progresser la réflexion à partir d’une question de départ. Dans cet échange, aucune solution n’est proposée par le groupe, juste des portes qui ouvrent sur d'autres points de vue en lien avec la question initiale. Très rapidement, la reformulation de nouvelles questions nous permet d’entrevoir la problématique de départ sous un autre angle et d’envisager de nouvelles possibilités.
En invitant leurs collaborateurs à « tomber les masques » et à questionner leurs représentations de la réalité en confinement, à la croisée de leurs postures d’acteur, d’observateur, en introspection et en prise de recul, les entreprises s’ouvrent à l’exploration d’une vision élargie sur laquelle construire la relance de leur activité. Et elles se positionnent ainsi en organisations apprenantes capables de tirer parti des processus de changement qui les impactent pour répondre aux grands défis à venir.
Quelques lectures inspirantes LES ECHOS - L'entreprise d'après, ses promesses et ses défis LE FIGARO - Patrick Lévy-Waitz, entrepreneur : « Attention au mythe de la seule industrie lourde, modèle 20e siècle » L'ADN - Les managers doivent-ils devenir des artisans de la conversation ?
Tiraillés, désorientés… les adjectifs sont nombreux pour traduire l’impact du déconfinement à venir, sur notre rapport au travail. Entre la perspective d’un retour au bureau, avec son lot de contraintes logistiques dans un contexte inédit de distanciation sociale et d’incertitudes : reprise de l’école, accès aux transports en commun, retour en open space, réunions en présentiel… et le maintien à domicile où une nouvelle réalité de travail s’est installée, tant sur le plan matériel que de l’organisation, pour beaucoup d’entre nous, la balance penche naturellement du côté de l’alternative rassurante du télétravail. Petit retour en arrière pour bien cerner la situation…
L’annonce du confinement à la mi-mars, à la fois prévisible et crainte, provoque sidération et chaos dans les organisations. Entre l’obligation de stopper certaines activités avec des mesures de chômage partiel à mettre en œuvre, et la poursuite du travail à coordonner, avec des sites de production à sécuriser et le déploiement massif du télétravail à marche forcée, les deux dernières semaines de mars ont mobilisé des trésors d’agilité et de créativité des équipes dans les entreprises. Une période de dérèglement s’ouvre alors, qui entraîne pour tout un chacun l’obligation de s’ajuster à de nouvelles règles de fonctionnement et à sortir de sa zone de confort. Une situation exceptionnelle qui va chercher profondément dans nos ressources adaptatives et face à laquelle nous ne sommes pas égaux. Elle provoque pour certains des postures de blocage et de résistance confortées par la durabilité des incertitudes, alors que pour d’autres, on assiste à un déblocage de potentiels et le développement de nouvelles possibilités. Cette phase d’apprentissage, qu’elle soit vécue positivement ou négativement, est déterminante pour s’engager dans le plan de déconfinement partiel annoncé à partir du 11 mai.
Car c’est à ce stade que les tiraillements se font les plus forts, notamment pour les collaborateurs qui ont quitté leur bureau le 16 mars dernier et qui depuis ont eu le temps de prendre leurs marques à leur domicile. Même si, pour la grande majorité d’entre eux, il a fallu au moins deux semaines pour organiser leur espace de travail, récupérer du matériel informatique, organiser les journées entre le temps consacré aux enfants, aux repas et au travail… ; après plus d’un mois, une nouvelle réalité, comme une forme de routine, s’est installée. Un cadre familier et sécurisant, bien que souvent précaire, chez soi, qui tranche avec les inconnues qui planent encore sur les conditions d’un retour au bureau, au-dehors.
Alors que le gouvernement a expressément demandé aux entreprises de maintenir le télétravail après le 11 mai, partout où c’est possible, au moins dans les trois prochaines semaines. Et que la pratique des horaires décalés est encouragée pour les personnes qui ne pourront pas télétravailler. Quelle perspective nous donne ce plongeon forcé dans les nouvelles formes de travail ?
Aujourd’hui en confinement, 33% des salariés travaillent à leur domicile alors que seulement 6,6% étaient en télétravail avant la crise du Covid-19. Une continuité de travail qui tient plus du bricolage que du télétravail, certes ! Il peut d’ailleurs être utile de rappeler que la notion de « télétravail » est très normée en France. Si un salarié a l’opportunité de travailler à distance de son entreprise avec l’accord verbal de son employeur, il n’est pas techniquement en télétravail sauf à l’avoir formalisé contractuellement en précisant les conditions d’exécution du télétravail (jours, plages horaires…). Mais ne jouons pas sur les mots ! A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Et ce contexte que vivent actuellement au moins 8 millions de salariés, selon le ministère du Travail, s’apparente bien au télétravail, qu’il soit contraint, confiné, bricolé... Jusqu’ici, beaucoup d’entreprises n’avaient pas pris la mesure de ce qu’était le télétravail. Perçu comme un palliatif à une activité en présentiel, il n’était pas du tout pensé comme une nouvelle manière de pratiquer le travail. Il semble que cette perception soit en train de changer à l’épreuve du réel. Même les plus réfractaires, du côté des salariés, semblent avoir pris goût à l’exercice. Certains dirigeants y voient aussi un moyen de décrocher de leur quotidien bousculé pour échafauder des stratégies et construire des projets dans le calme de leur foyer. Quant aux entreprises, plutôt récalcitrantes, certaines études montrent que le travail à distance pourrait devenir la norme à mesure qu’elles se rendent compte qu'elles peuvent être aussi efficaces tout en économisant de l'argent sur l'immobilier commercial.
Et ce n’est qu’un début… Les effets collatéraux du travail à distance sont nombreux. Que dire de la démocratisation des outils numériques de visioconférence ou de webinar, de l’accélération de la dématérialisation de la relation clients et fournisseurs ? La transformation digitale, encore à la peine dans nombre de PME, est passée à la vitesse supérieure pour maintenir l’activité à distance. On a sorti les projets des tiroirs pour les déployer dans l’urgence, parfois même en profitant du confinement pour former les salariés à ces nouveaux outils, en distanciel, bien sûr !
C’est dire si tous les acteurs de l’entreprise ont su faire preuve de réactivité, d’adaptabilité, de créativité, voire de solidarité en s’épaulant pour se concentrer sur des missions vitales. Une situation inédite qui a mis tous les échelons de l’organisation, des dirigeants aux collaborateurs, en passant par les managers de proximité, dans une posture d’apprentissage inégalée. Chacun a été amené à revoir ses croyances, son périmètre d’intervention, ses modes de fonctionnement, pour les ajuster et trouver sa place dans cette nouvelle réalité. Un tournant dans l’organisation du travail qui a fait émerger un nouveau « patrimoine de compétences » sur lequel les entreprises devront capitaliser.
La question du management est également au cœur de ce grand chantier de transformations ouvert par la crise du Covid-19. Car pour maintenir la mobilisation des équipes, il a fallu être à l’écoute et prendre en compte les besoins individuels des uns et des autres. Et surtout, à travers l’autonomie libérée par le télétravail, les managers ont dû apprendre à faire confiance à leurs collaborateurs. Apprendre à laisser leurs talents s’exprimer en dehors d’un cadre contrôlant. Et adopter une posture de soutien et de créateur de liens pour maintenir le sens et la cohésion au quotidien.
Après avoir expérimenté le télétravail, à l’heure du déconfinement, les entreprises sont invitées par le gouvernement à pratiquer les horaires décalés afin d’éviter à leurs collaborateurs la promiscuité dans les transports en commun, notamment dans les grandes villes. Indépendamment des métiers nécessitant un travail de nuit et le week-end, coutumiers de cette pratique, ce test à grande échelle peut constituer une réelle ouverture pour des salariés qui aux « heures de bureau » sont systématiquement confrontés aux bouchons et bousculades dans les transports. Une opportunité de mesurer la compatibilité de leur mission avec un travail en décalage de temps avec leurs collègues.
Cette accélération des transformations qui saute aux yeux est éclairante sur un point : « en temps de crise, on n’attend pas le changement mais on saisit l’opportunité des nouvelles conditions de l’action pour le créer. »
Regardons le côté positif, cette épidémie du Covid-19, a contraint les individus à activer leur esprit critique et leur créativité pour ajuster leurs connaissances et contribuer à assurer, à leur échelle, la continuité de l’activité économique. A l’échelle des organisations, la crise a favorisé le déploiement d’un terrain d’expérimentation exceptionnel sur les nouvelles pratiques de travail et engagé les entreprises dans une transition que l’on peut entrevoir comme progressive, mais durable.
Comme le souligne Vincent Berthelot, consultant RH auprès des entreprises : « Ce formidable travail d’ajustement mutuel va nous faire gagner plusieurs années dans l’évolution des relations et modes de travail tant du point de vue du style de management, du sens du travail que de l’expérience salarié. Nul doute que les managers qui auront réussi avec leurs équipes à assurer une continuité dans le travail seront les premiers bâtisseurs de l’entreprise de demain basée sur la confiance, les compétences et l’engagement des salariés. »
Comment imaginer que les semaines cumulées de confinement puis de déconfinement n’auront pas marqué de leur empreinte notre vision individuelle et collective du travail. Que cette expérience ait été vécue positivement ou négativement, elle appelle nécessairement un changement.
« Il s’est passé trop de choses pour que tout revienne comme avant » souligne Philippe Silberzahn, professeur à emlyon business school et co-auteur de l’ouvrage Stratégie Modèle Mental. « Ce monde d’aujourd’hui va changer, ni révolution, ni retour en arrière, et il faut le construire. »
Et pour construire le monde d’aujourd’hui, nous allons devoir mobiliser beaucoup d’énergie et d’enthousiasme. Un simple effort de relance ne suffira pas. Les entreprises auront la responsabilité d’investir pleinement ces territoires d’engagement que sont le management et l’organisation pour permettre à leurs collaborateurs de transformer l’épreuve qu’ils viennent de traverser en expérience dont chacun pourra tirer du positif. Pour commencer ce travail de construction, un temps de prise de recul s’impose. Un temps pour libérer la parole et écouter les besoins de chacun. Un temps pour permettre au collectif de se retrouver et à la coopération de reprendre corps sereinement. C’est sur le terrain de l’échange que l’on pourra explorer les impacts de la crise et tirer les enseignements sur ce qui a fonctionné et ce qui ne fonctionne plus. Reconsidérer et réajuster nos anciens modèles pour imaginer d’autres alternatives. Et enfin, accepter de désinvestir le superflu et de se recentrer sur l’essentiel.
Nous pouvons aussi apprendre du formidable élan d’intelligence collective qui galvanise les milieux scientifiques du monde entier pour circonscrire l’épidémie de Covid-19. Une communauté massive aux compétences variées s’est mobilisée pour partager la connaissance : accès gratuit aux publications, plateformes ouvertes de travail collaboratif, équipes auto-organisées… Les entreprises de leur côté n’ont pas hésité à se mettre en réseau pour innover et répondre à l’urgence sanitaire. Des partenariats qui pourraient survivre à la crise et donner lieu à de nouvelles coopérations, généreuses et inspirantes, pour construire ce monde qui donne du sens et parle à nos valeurs.
Quelques lectures inspirantes COURRIER CADRES - Coronavirus, confinement et management : Ceci n’est pas du télétravail ! Blog de Philippe Silberzahn - La course à « l’après » coronavirus: Le festival des lampadaires est ouvert CADRE & DIRIGEANT MAGAZINE - Dépasser la crise COVID 19 en s’appuyant sur la dynamique et la puissance des équipes FORBES - Télétravail Et Confinement : Dessiner Le Travail De Demain THE CONVERSATION - Comment le coronavirus a réveillé l’intelligence collective mondiale
La notion d’engagement est dans toute la littérature dès que l’on évoque les enjeux du monde de l’entreprise. Pour autant, votre entreprise vous renvoie-t-elle l’image d’une organisation engagée chaque matin lorsque vous poussez la porte de votre bureau ?
L’engagement, c’est le Graal des organisations. C’est la potion magique qui va permettre aux managers de démultiplier la performance de leur équipe et aux dirigeants d’accélérer la compétitivité de leur entreprise. L’engagement, c’est un sentiment profond d’attachement et de loyauté d’un individu pour son organisation. Un élan qui stimule le travail, non pas strictement pour percevoir un salaire ou pour garder son emploi, mais dans le but d’atteindre, voire de dépasser ses objectifs au sein de l’entreprise. L’engagement nous encourage à dépasser nos limites et à coopérer.
Face aux bouleversements qui affectent l’écosystème de l’entreprise : transformations continues et accélérées, nouvelles aspirations des salariés…, l’engagement est mis à mal. Les organisations sont donc confrontées à un défi de taille pour rester dans la course à la compétitivité : continuer à attirer des talents, engager durablement leurs collaborateurs et les faire monter en compétence. L’entreprise ne doit plus se poser en « consommateur de ressources » mais en « cultivateur de talents ». La performance économique demande désormais beaucoup de créativité, d’esprit critique, de coopération et de communication. Pour émerger, ces compétences ont besoin d’un environnement sain favorisant la confiance à travers la bienveillance, l’autonomie à travers la responsabilisation et l’intelligence collective à travers la coopération. Des compétences également stimulées par une raison d’être puissante agissant comme un exhausteur de talent. Développer l’engagement suppose donc une forte adéquation entre les valeurs de l’entreprise et celles du collaborateur, et une cohérence entre les éléments de sens dont elle est porteuse et leur traduction en actes vécus par les salariés. Et c’est là que la question de l’expérience collaborateur prend tout son sens.
« Comment une organisation peut-elle envisager d’attirer et de fidéliser les talents dont elle a besoin pour se développer si elle ne prend pas soin de l’expérience qu’elle leur fait vivre au quotidien ? »
L’Expérience Client se dresse en étendard de la plupart des entreprises commerciales, et c’est bien normal, puisque sans satisfaction et fidélisation client, pas de croissance sur des marchés de plus en plus concurrentiels… Pourtant, alors que les organisations mobilisent leurs forces vives pour délivrer au client la meilleure expérience possible, elles ont tendance à négliger l’expérience vécue au quotidien par leurs propres collaborateurs.
« Une entreprise, c’est avant tout une histoire d’hommes et de femmes qui vont unir leurs idées, parfois leurs moyens, leurs compétences, leurs savoir-faire, pour atteindre des objectifs communs. Une entreprise, c’est une aventure humaine ». Extrait de l’article [Collaborateur vs Client ? Et si on visait plutôt l’alignement des expériences…]
L’Expérience Collaborateur s’inscrit au carrefour de chaque interaction du collaborateur avec son organisation, avant même son intégration, tout au long de son évolution au sein de l’entreprise, voire même au-delà de son départ. Elle repose sur un principe de cohérence globale, définit par Séverine Loureiro et Myriam Lepetit-Brière dans leur ouvrage « Boostez l’Expérience Collaborateur », autour de cinq leviers d’engagement : le SENS, la mission commune ; l’IMAGE que l’entreprise renvoie et qui concourt au sentiment de fierté et d’appartenance des collaborateurs ; l’ECOSYSTEME qui désigne l’environnement physique, technologique et organisationnel dans lequel les collaborateurs évoluent, l’EPANOUISSEMENT favorisé par l’autonomie et la responsabilisation, alimentés par le développement continu des compétences et la reconnaissance exprimée par le management, et enfin, les CONNEXIONS, à savoir les relations des collaborateurs entre eux, avec l’organisation, avec le management…
La première question que devrait se poser tout dirigeant d’entreprise, notamment en amont de chaque changement de cap, pourrait se résumer ainsi : l’expérience que vivent mes collaborateurs est-elle alignée avec mon organisation et ses enjeux, actuels et futurs ? En bref, les conditions sont-elles réunies pour engager durablement mes équipes et les conduire vers de nouveaux challenges ?
Pour le savoir, pourquoi ne pas leur poser la question ? Evaluer et qualifier l’expérience vécue par les collaborateurs d’une entreprise est une étape déterminante pour identifier les points forts de l’organisation et les axes de progrès sur lesquels mettre le focus. C’est aussi, et avant tout, adopter une posture d’écoute et d’humilité. Les entreprises et leurs dirigeants doivent accepter qu’ils ne détiennent pas toutes les réponses et trouver les moyens d’aller les chercher. L’organisation doit apprendre à écouter, pas seulement ses clients et les marchés, mais aussi ses expertises internes, pour faire évoluer ses orientations dans la bonne direction. Pour ce faire, elle doit passer d’une communication hiérarchique descendante, proche du monologue, à une communication de proximité, de l’ordre du dialogue.
Ce changement de posture dans les organisations s’inscrit dans un nouveau registre de communication, entre écoute et dialogue. Un dialogue ouvert et sincère qui doit prendre sa source au cœur de l’entreprise, sur les questions du travail. Car donner la parole aux collaborateurs pour débattre des règles, des contraintes, des ressources…de leur activité, c’est les reconnaître dans leur autorité sur leur métier et c’est leur donner le pouvoir d’agir au sein de l’organisation. Dans un contexte où le changement est devenu la règle, il faut s’adapter continuellement. Et les solutions ne peuvent s’élaborer que dans un effort commun, par un dialogue permanent pour confronter les objectifs stratégiques avec les réalités opérationnelles. [à lire aussi : Manager, c’est se réapproprier l’essence (les sens) de la communication… et favoriser le dialogue]
Cette communication moins instrumentalisée et plus horizontale vient aussi bouleverser la nature du lien managérial. Car il est essentiel que les organisations reconnaissent le manager dans son rôle de « meneur d’hommes » et le valorisent dans cette mission suprême. Avec comme priorité de remettre le manager de proximité au centre du travail dans un dialogue permanent avec les équipes. Et de faire du manager le « premier média » de l’entreprise, acteur d’une nouvelle communication managériale pour coconstruire le sens, exercer de nouvelles formes de reconnaissance et porter une autorité basée sur l’exemplarité. Un management ramené à ses vertus essentielles : créateur de lien social, révélateur d’intelligence collective, catalyseur de décisions, contribuant simultanément au développement des personnes et de l’organisation. [à lire aussi : Communiquer sur le travail, c’est bien… Communiquer dans le travail, c’est mieux !]
Parce que le manager se trouve à la charnière de contraintes humaines, entre les personnes, le travail et la stratégie, c’est à lui que revient la responsabilité de maintenir l’engagement de ses équipes. Cette nouvelle communication managériale est donc déterminante pour crée les conditions d’un engagement durable dans les entreprises.
Une nouvelle communication qui donne à voir l’entreprise, et qui l’incarne en transparence en réinvestissant le potentiel humain. Une communication qui prend soin de la relation, à l’écoute des besoins des salariés, et qui porte leur voix, comme signe d’appartenance et gage de confiance. Une communication porteuse de valeurs nouvelles pour bâtir un nouveau modèle d’entreprise, en trois dimensions : une entreprise plus incarnée, plus constructive et plus solidaire...
Quand on parle de compétitivité, d’innovation, de numérique, de mondialisation… quels que soient les enjeux, quelle que soit la taille de l’entreprises, le premier défi à relever est celui des talents. Attirer les savoir-faire et les savoir-être qui accompagneront l’organisation dans ses challenges actuels et futurs est un besoin impérieux pour les dirigeants. Mais à l’heure des réseaux sociaux et de la recommandation, la relation employeur/salarié s’est débridée et le rapport de séduction s’est inversé. On n’attire plus aujourd’hui à grand renfort de campagnes hyper-marketées. Il ne suffit plus de scander de beaux slogans pour s’affirmer comme une entreprise où il fait bon travailler… Car aujourd’hui, les candidats sont à l’affût de la réputation des organisations. Et ils ont les moyens de s’informer et de vérifier les gages de popularité des entreprises sur le Net.
Pour être attractive, l’entreprise doit être incarnée. La dimension humaine est déterminante dans sa visibilité car ses valeurs ainsi personnifiées créent un lien affectif, une source d’inspiration et une relation de confiance qui suscitent naturellement l’adhésion, voire l’engagement. Humaniser l’entreprise, c’est lui donner plus de profondeur et de proximité.
Le dirigeant est l’un des principaux visages de l’entreprise. Son rôle est de l’incarner en lui insufflant ses propres valeurs et en prenant la parole de façon régulière sur l’actualité de son entreprise, ses innovations, ses succès, ses distinctions… Son expression est également une excellente opportunité de se démarquer de ses concurrents. Par ailleurs, les réseaux sociaux constituent des médias propices à une certaine liberté de ton pour les entrepreneurs désireux de prendre position sur des sujets moins corporate !
« Sur les réseaux sociaux, les publications de dirigeants reçoivent en moyenne dix fois plus de partages que les contenus de marque. »
Pour conjuguer sincérité et originalité des messages, rien de tel que de donner la parole aux collaborateurs qui sont eux aussi d’excellents ambassadeurs des valeurs de l’entreprise. Valoriser leurs expertises ou leurs réalisations au travers de portraits sur le site carrières, publier des interviews filmées d’experts sur la chaîne YouTube ou le compte Twitter de l’entreprise… Ou encore poster des photos du dernier séminaire d’équipe témoignant de l’atmosphère d’une organisation à laquelle les salariés contribuent tous les jours, sont d’excellents moyens de construire une « marque employeur » efficace. Des contenus qui pourront être partagés spontanément par tous les ambassadeurs de la marque dans un stratégie d’e-advocacy. [à lire aussi : L’Entreprise Incarnée dans toutes ses dimensions]
Le premier réflexe de l’entreprise dans sa course effrénée à la compétitivité, consiste à durcir son niveau d’exigences en interne : toujours plus, toujours plus vite, toujours plus loin… Un réflexe qui met en tension l’ensemble de l’organisation. Pour autant, l’exigence sur le niveau d’exemplarité requis dans le management pour soutenir ces objectifs ne fait que rarement partie du programme... Comment attendre de nos collaborateurs qu’ils soient exemplaires dans leur mission et leurs relations quand leur propre expérience avec leur hiérarchie n’est pas optimale ? Question de bon sens, non ?
Les effets de l’exemplarité sont multiples, notamment sur l'engagement et la volonté de coopérer. Au niveau managérial, Tessa Melkonian, professeur en Management et Comportement Organisationnel à emlyon business school, définit l’exemplarité comme la capacité d’une figure d’autorité, manager comme dirigeant, à mettre en œuvre à son niveau les comportements qu’il/elle déclare attendre du reste de ses salariés. L’exemplarité, c’est montrer à travers ses propres comportements ce qui est attendu et le chemin à suivre. Des comportements qui doivent évidemment être cohérents avec le discours !
A l’heure où les efforts demandés aux salariés sont de plus en plus importants et où les ressources qui leur sont redistribuées fondent comme neige au soleil, l’exemplarité managériale prend une dimension significative car plus que jamais, les collaborateurs observent les comportements de leur hiérarchie et de leurs dirigeants pour déterminer s’ils répondront aux demandes d’adaptation et de coopération de l’organisation ou si, au contraire, ils ne feront que le strict minimum…
Pour être considéré comme digne de confiance par ses collaborateurs, un manager doit donc non seulement faire la preuve de sa compétence professionnelle, mais il doit également démontrer sa capacité à être exemplaire et juste en toute occasion.
« Un salarié qui se sent justement traité déclare être plus confiant, plus satisfait et épanoui, reste plus longtemps dans l’entreprise, a des comportements de citoyenneté organisationnelle, coopère plus avec ses collègues et produit un service de meilleure qualité. » Extrait de l’article [Etes-vous un manager juste ? Ou juste un manager…]
Pour Thierry Nadisic, enseignant-chercheur en comportement organisationnel à emlyon business school, un manager juste est celui qui sait mettre en interaction quatre sentiments de justice :
Ces compétences sont d’autant plus utiles dans les cas de plus en plus courants où les ressources financières sont rares et doivent être partagées. Aujourd’hui, on observe qu’en entreprise, les incitatifs financiers sont minces, voire nuls ou distribués à tour de rôle. A tel point que le système de rémunération, qui était une source de motivation, devient une source de démotivation pour certains, ou une dimension du travail qui ne suscite aucune attente. Pourtant, au-delà des augmentations de salaires ou des primes, il existe d’autres leviers organisationnels pour développer la motivation individuelle et la mobilisation collective
La reconnaissance procure un sentiment puissant et stimulant qui touche aussi bien l’émetteur que le récepteur. Il existe peu d’outils RH ayant un aussi large éventail de retombées positives. Car la reconnaissance :
La notion de reconnaissance est bien plus large qu’on ne peut l’imaginer et au-delà des augmentations de salaires ou des primes, il existe une multitude de pistes pour développer la motivation individuelle et la mobilisation collective. D'ailleurs, une entreprise ne part jamais de zéro en matière de reconnaissance. Il peut donc être intéressant de commencer par identifier les pratiques existantes, puis de les compléter, afin d'établir une véritable culture de la reconnaissance dans l’organisation.
Pour être efficace, la reconnaissance au travail doit donc être partie prenante de la stratégie de l’entreprise et doit être déployée à tous les niveaux. Car elle n’est pas à sens unique, ni réservée à un groupe restreint de personnes que l’on doit motiver alors que d’autres n’en auraient pas besoin. Elle doit concerner tout le monde.
Pour reconnaître ses collaborateurs, il faut les connaître et donc être capable d’identifier leurs attentes personnelles en matière de reconnaissance. Car la reconnaissance s’exprime à travers des relations humaines. C'est pourquoi il est préférable de favoriser l’expression de la reconnaissance en face à face. Pour être authentiques et sonner juste, les gestes de reconnaissance doivent cadrer avec ses propres valeurs. L’impact sera d’autant plus fort, s’ils sont exprimés dans un délai court et s’ils soulignent le plus précisément possible une réalisation, un effort ou un événement particulier.
Les personnes qui font un bon usage de la reconnaissance au travail sont considérées comme possédant des qualités sociales fortes et génèrent un sentiment de confiance, de loyauté et un désir de travailler à leur côté.
Une tâche peut être réalisée seule mais pas un travail. Le travail nous inscrit dans un effort collectif. Cette expérience collective du travail se construit à partir des multiples liens humains qui se tissent, à la fois complexes et fabuleux, quand on prend un peu de recul sur l’ensemble des interactions qui ont favorisé la production d’un produit ou d’un service.
L’expérience collective du travail se traduit par la solidarité. Dans leur effort collectif, les collaborateurs sont solidaires entre eux. Cette solidarité est ce qui donne de la valeur au travail entrepris collectivement. C’est la raison pour laquelle elle doit être valorisée. Car prendre conscience de cette solidarité crée une confiance entre les travailleurs indispensable à la poursuite de leur coopération dans la durée.
« Quand on considère ces écosystèmes qui sont les organisations de travail, quand on mesure leurs impacts psychologiques, on demande que les systèmes soient plus résilients, et pour qu’ils soient plus résilients, il faut qu’ils soient davantage fondés sur la coopération » souligne Bruno Roche, philosophe et directeur du Collège Supérieur dans l’ouvrage L’art de coopérer, manager l’entreprise de demain.
La coopération ne s’impose pas, elle s’invite. Et le premier fondement de la coopération est le partage d’un objectif commun, une œuvre à bâtir ensemble, une aventure à vivre en équipe. Cette œuvre commune donne une finalité que l’on peut célébrer. Une réussite collective dans laquelle chacun se reconnaît, dans laquelle chacun identifie sa contribution, exprime ses talents, développe ses compétences, exerce ses responsabilités… Car dans chaque réussite collective, se dévoile une réussite individuelle.
Cette œuvre commune va renforcer un lien essentiel à la coopération, le lien de confiance. La confiance doit être un prérequis en entreprise. Elle engage et favorise naturellement la coopération entre les collaborateurs dans le sens où elle donne une vision positive et optimiste de l’avenir. La confiance libère le dialogue au sein du collectif et ouvre des perspectives d’innovation et de performance.
Le changement est devenu la règle dans les organisations et il faut s’adapter continuellement. Dans ce contexte, les solutions aux problèmes ne peuvent s’élaborer que dans un effort commun, par le partage de l’information, par un dialogue permanent pour confronter les objectifs stratégiques avec les réalités opérationnelles.
D’où l’importance de mettre en place des démarches facilitant l’expression des salariés comme les Espaces de discussion sur le travail, avec la volonté de renouer le dialogue autour des problématiques liées au travail. Ces espaces collectifs sont des espaces formels et réguliers co-construits avec les parties prenantes de l’organisation. Ils favorisent une culture de la discussion centrée sur l’expérience du travail et ses enjeux, et visent à produire des propositions d’amélioration ou des décisions concrètes sur la façon de travailler.
Dans son ouvrage Le travail à cœur, Yves Clot, psychologue du travail, insiste sur l’importance du collectif pour débattre du travail « bien fait » : « Une communauté de pratiques qui forme un cercle d’échanges dans lequel on s’intéresse moins aux limites de chacun qu’aux limites de l’activité elle-même… ».
Selon l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) les Espaces de discussion constituent de formidables leviers de performance pour les salariés, l’entreprise et le travail.
[à lire aussi : Les Espaces de discussion sur le travail]
Pour transformer en profondeur les pratiques professionnelles, les réponses traditionnelles en termes de formation sont aujourd’hui insuffisantes. Les entreprises doivent immerger leurs talents dans une culture de l’apprentissage en continu et mobiliser leurs ressources dans des situations de travail capacitantes. Elles doivent devenir « apprenantes ».
Née des travaux de Peter Senge, professeur au MIT et fondateur de The Society for Organizational Learning, l’organisation apprenante se définit comme une organisation qui développe sans cesse sa capacité à bâtir son futur.
« Des organisations dont les membres peuvent sans cesse développer leurs capacités à atteindre les résultats qu’ils recherchent, où de nouveaux modes de pensée sont mis au point, où les aspirations collectives ne sont pas freinées, où les gens apprennent en permanence comment apprendre ensemble. »
Développer une organisation apprenante permet d’être plus flexible, efficace, rapide et à la pointe des besoins du marché en mettant les collaborateurs au centre de la réflexion. Ils deviennent ainsi acteurs de l'efficience organisationnelle, et ensemble, ils apprennent de leurs erreurs.
La principale caractéristique de l'entreprise apprenante est que tous les acteurs apprennent les uns des autres. Cette communication transversale permet l'émergence de formes d’innovation, d’intelligence collective ou d’adaptation permanente à l'environnement. C'est ce qui assure le développement durable de l'organisation.
Peter Senge distingue 5 disciplines indispensables aux organisations apprenantes :
L’organisation axée sur l’apprentissage est construite comme un système écologique qui stimule l’apprentissage continu à travers le travail.
L’entreprise n’est pas en dehors de la société, elle est la société ! C’est pourquoi elle a un rôle déterminant à jouer dans l’organisation de la vie au travail. Constituée d’hommes et de femmes animés par des aspirations sociales renouvelées et portés par un élan de « vivre ensemble » inégalé, l’entreprise est responsable de la qualité du lien social qui s’y inscrit.
En invitant ses collaborateurs au dialogue et à l’apprentissage continu au cœur du travail, elle leur donne l’espace pour se confronter à la réalité vivante du travail, et légitimer leur action dans la construction d’un bien commun auquel chacun donne du sens et à l’origine de toute communauté harmonieuse et solidaire. Car aujourd’hui, le sens ne se délivre plus comme une prescription élaborée par une figure d’autorité. La transmission hiérarchisée des valeurs et du sens a cédé la place à l’échange et l’apprentissage entre pairs.
« L’un des principaux enjeux de la Qualité de Vie au Travail se matérialise dans la communication au cœur du travail. » Voilà en substance ce que m’avait répondu une ancienne dirigeante de l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) lorsque je lui avais fait part de mon souhait d’apporter ma contribution au bien-être en entreprise. A l’époque, j’étais au tout début de mon exploration des déterminants de la Qualité de Vie au Travail et je n’ai saisi que plus tard combien le fait que mon parcours dans la communication m’amène sur ce champ d’action n’était pas le fruit du hasard.
Après avoir consacré près de deux ans à m’instruire sur ce vaste sujet, je suis aujourd’hui convaincue que le bien-être en entreprise est une équation à deux variables : le travail et la communication. Pour illustrer mon propos, je ferai référence à deux ouvrages qui me semblent très complets et structurants. A la fois pour comprendre ce qui se joue actuellement dans les entreprises et pour permettre au management d’adopter une posture nouvelle.
Quand j’évoque le travail, je parle de l’activité, du métier dans lequel je mets de moi, le travail dans lequel j’accompli une « œuvre », le travail dans lequel je noue des relations et j’apprends des autres. Ce travail-là, est admirablement dépeint par Pierre-Yves Gomez, professeur à EM Lyon business school, où il dirige l’Institut français de gouvernement des entreprises, dans son ouvrage Le Travail invisible, enquête sur une disparition.
Quant à la communication, elle a aujourd’hui un formidable rôle à jouer au cœur du travail pour redonner du sens et tisser du lien entre les salariés. J’avais l’intime conviction que les entreprises devaient adopter une nouvelle conception de la communication pour attirer et engager leurs talents durablement. Cette conviction a trouvé sa confirmation dans le livre publié récemment par Jean-Marie Charpentier et Jacques Viers, tous deux consultants-formateurs en communication, Communiquer en entreprise, retrouver du sens grâce à la sociologie, la psychologie, l’histoire…
Je vous invite à cheminer entre travail et communication, deux adjuvants à la très actuelle question de l’engagement humain durable, que toutes les entreprises devraient se poser aujourd’hui.
Cette expression empruntée à Pierre-Yves Gomez me semble à elle-seule résumer tout l’enjeu à reconsidérer le travail en entreprise. Son postulat : « Nous devons voir le travail comme la ressource qui donne sens à l’activité économique et sociale et regarder le travailleur dans son effort et dans sa dignité. »
L’auteur fait ici référence au travail réel, le travail que fournissent les hommes et les femmes dans leurs activités quotidiennes. Et pour comprendre la nature du travail réel, il nous propose une représentation en trois dimensions :
Tarir une de ces expériences du travail revient à diminuer l’impact de l’ensemble. Le travail est une épreuve d’humanisation, ou de déshumanisation, selon que l’on en prend soin ou pas.
Et c’est bien là que le bât blesse car avec l’hyper-financiarisation de l’économie ces trente dernières années, le travail est devenu invisible. Invisible sur les radars des gestionnaires qui ne pointent que des résultats et des rendements rangés dans des tableaux… Car en prenant le pouvoir sur les ingénieurs, les techniciens, les commerciaux ou les responsables des ressources humaines, les représentants de la finance ont fait du profit le marqueur principal de ce langage chiffré.
« Il y a financiarisation lorsque la finance n’est plus une ressource pour réaliser les objectifs économiques mais devient l’objectif lui-même. L’atteinte du résultat financier est le but que se donne l’organisation, sa raison d’être ».
Les financiers aux manettes ont ainsi contribué à transformer les organisations en financiarisant le travail lui-même, réduit à des données chiffrées abstraites et globales dans des tableaux de bord. En accélérant les changements de cap et en construisant des stratégies éloignées du fonctionnement pratique des organisations, ils ont produit de la perte de sens et de l’inquiétude.
Selon Pierre-Yves Gomez, le travail a été altéré : « Or il constitue une dimension de l’être humain que l’on ne peut mépriser ou nier sans précipiter l’ensemble de la société dans une névrose inguérissable. Au point de détruire, finalement, même la valeur économique qu’il produit. »
Le travail est le prolongement de soi-même, une activité dans laquelle on se reconnaît. En rendant le travailleur invisible, on appauvrit la nature même du travail. Dans la vie, le travail n’est pas un détail. Il donne à chacun de nous sa place, sa responsabilité et sa dignité dans la fabrication du monde.
« C’est le travail des « vrais » hommes et des « vraies » femmes, leurs efforts, le temps qu’ils y consacrent et leur engagement personnel qui produisent les richesses et les profits. L’économie financiarisée a voulu ignorer ce principe de base : le travail humain est la source de la création de valeur économique. »
L’enjeu désormais consiste donc à construire une société où le travail est de nouveau visible, celui des salariés ordinaires comme celui des managers, des dirigeants... Car le travail est une expérience de vie. Il fabrique de l’humain. Et lorsque nous parlons de notre travail, nous parlons de nous et de la façon dont il nous façonne.
Pour recréer de la valeur économique grâce au travail, Pierre-Yves Gomez nous invite à revisiter chacune des trois expériences qu’il nous fait vivre.
« Le travail ne permet pas uniquement la croissance des capacités personnelles ou l’expression de talents individuels. Il met au monde des produits et des services qui alimentent des communautés. Les objets autorisent des usages et configurent des relations humaines, une façon de vivre ensemble. »
L’expérience subjective du travail est ce que nous mettons de notre individualité dans le travail. Quelle que soit notre fonction, caissière, ouvrier, ingénieur, manager, elle est nuancée par la personnalité avec laquelle nous accomplissons le travail.
Cette expérience subjective crée une valeur économique qui est valorisée par la reconnaissance. Pour bien travailler, le travailleur demande à être considéré, c’est-à-dire être vu pour lui-même, en tant que personne agissante et unique, révélée par le travail accompli. Sans reconnaissance, le travail est anonyme et donc vidé d’une partie de sa réalité, comme s’il avait été accompli par n’importe qui.
Le travail produit quelque chose. A l’issue de l’effort, il y a un objet, un service, qui le matérialise, l’inscrit dans une réalité commune, l’objective donc. Et pour que le fruit du travail puisse être valorisé et ne reste pas dans sa dimension subjective, il doit être apprécié selon des critères d’évaluation partagés.
Cette valorisation de l’expérience objective du travail est plus couramment appelée performance. Quel que soit son contenu concret, la performance exprime toujours l’adéquation entre le résultat du travail et l’objet tel qu’il fallait le réaliser. Rendre la performance manifeste est ce qui fait la valeur du travail.
Une tâche peut être réalisée seule mais pas un travail. Le travail nous inscrit dans un effort collectif. Cette expérience collective du travail se construit à partir des multiples liens humains qui se tissent, à la fois complexes et fabuleux, quand on prend conscience de l’ensemble des interactions qui ont favorisé la production d’un produit ou d’un service.
L’expérience collective du travail se traduit par la solidarité. Dans leur effort collectif, les travailleurs sont solidaires d’autres travailleurs. Cette solidarité est ce qui donne de la valeur au travail entrepris collectivement. C’est la raison pour laquelle elle doit être valorisée. Car prendre conscience de cette solidarité crée une confiance entre les travailleurs indispensable à la poursuite de leur coopération dans la durée. Sans elle, le réseau d’efforts se tarit et le travailleur isolé s’épuise.
Avec la financiarisation de l’économie et la compétition qu’elle a engendré, Pierre-Yves Gomez a constaté une hypertrophie de la dimension objective du travail. Les critères de performance ont pris le dessus sur les autres formes de valorisation du travail réel. Ainsi, l’expérience subjective a été dévalorisée par l’intensification du travail et la normalisation des procédures. Le travailleur n’étant plus perçu en tant que personne au travail mais uniquement au travers de sa production. Parallèlement, la dimension collective du travail a pâti elle aussi des outils techniques de gestion déployés pour intensifier les rythmes, contrôler et évaluer les résultats individuels. Ces outils ont affaibli le sentiment du faire ensemble en introduisant une compétition entre les membres de l’entreprise, les salariés comparant mutuellement leurs efforts et leurs rémunérations pour s’auto-évaluer.
Pour revaloriser cette triple expérience du travail, le rôle du management est aujourd’hui à repenser. Sa place ne se situe pas dans son cockpit à piloter des indicateurs et des données chiffrées abstraites, loin du travail réel. Elle n’est pas davantage sur le dos de ses collaborateurs à contrôler la moindre fraction de leur activité en pointant l’objectif visé. Le management de la performance ne peut être dissocié d’un management humain.
« Il nous faut recruter des managers réconciliés avec leur propre métier […] pour redevenir ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être : des meneurs d’hommes. »
Le rôle du manager est littéralement de soigner les expériences subjectives, objectives et collectives que vivent leurs collaborateurs dans le travail réel. Le manager est celui qui permet au travailleur d’exercer sa liberté au cœur du travail ; liberté nécessaire pour que la part normalisée du travail soit acceptable. Elle permet de s’ajuster, de s’adapter quand il le faut et donc d’assumer son engagement personnellement. Elle exprime aussi sa dignité, la capacité d’agir de lui-même, malgré la contrainte de processus complexes. La mission du manager est également de donner du sens au travail de remettre de la cohérence globale dans des tâches éclatées, en pouvant dire à tout travailleur à quoi et à qui son travail est utile, suscitant ainsi le désir de la réaliser. Enfin, le rôle du manager est de savoir, quand il le faut, être fier de ses collaborateurs. En considérant la personne au travail et en la valorisant comme telle, en regardant objectivement sa performance, qui l’engage indépendamment des objectifs et en étant solidaire d’elle dans un travail commun.
« Mais changer les managers ne sera pas suffisant, il faudra aussi que les organisations les accueillent et les valorisent. »
L’entreprise est un organisme vivant qui construit sa valeur économique sur l’expérience vécue du travail réel par ses salariés et les multiples connexions tissées entre ses différentes parties prenantes. Échanger avec un collègue sur un projet, prendre la parole en réunion, conduire son entretien annuel avec son manager… la communication est partout. Et c’est dans la proximité que se joue la plus importante transformation de la communication en entreprise.
Pour bien comprendre quelle place occupe la communication dans les organisations aujourd’hui, Jean-Marie Charpentier et Jacques Viers, nous apportent l’éclairage des sciences sociales. La communication en entreprise hérite en France d’un lourd passé. Pour trois raisons au moins selon le sociologue Philippe Zarifian :
Un triple héritage qui pèse lourdement sur les volontés à ouvrir la communication tant il est ancré dans l’organisation du travail et dans la culture managériale. Pourtant, l’urgence à communiquer n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui dans les entreprises pour répondre à une tendance grandissante à la coopération dans le travail et au besoin de « faire société » face à une altération des liens sociaux et une perte de solidarité.
« Pour être crédible et acceptée, la communication doit faire le pont entre l’opérationnel et le stratégique en mettant à jour, pour les résoudre, les difficultés – voire les conflits – liées à l’activité quotidienne des salariés. La communication se transforme par le bas en quelque sorte. »
Pour accompagner le changement perpétuel qui bouscule les entreprises et les nouvelles aspirations des salariés, la communication doit changer de registre. Elle doit sortir du monologue descendant inspiré de sa fonction de relais d’information et repenser ses moyens d’action. La place du communicant est sur le terrain pour comprendre le travail et interagir avec les équipes et les managers. Il devient activateur de sens et pour cela doit inventer des formes renouvelées de dialogue. Car la construction du sens au travail doit être collective et, surtout, le sens doit pouvoir s’inscrire dans le travail quotidien.
Pour Guy Lochard, chercheur en sciences de l’information et de la communication : « L’important, pour que cela fasse sens, se situe notamment dans l’articulation entre les projets des entreprises et ce que chacun vit comme sujet dans son activité quotidienne. »
Le sens est une affaire de langage et, plus encore, de parole. Échanger sur le sens que chacun met dans son action est le préalable à l’engagement à travers un sens commun.
L’acquisition des talents et l’engagement des salariés font désormais partie des préoccupations centrales des dirigeants ; il importe donc de créer les conditions d’une attractivité et d’un engagement durable dans les entreprises. « Hier, on calculait les gestes. On mesure désormais l’engagement. »
C’est en proximité, au cœur du travail, que les enjeux de communication sont les plus forts dans les organisations, à travers la parole des salariés et les échanges au sein des équipes avec le management. Car si la parole de l’entreprise est en apparence foisonnante et l’information omniprésente, la parole sur le travail au quotidien fait trop souvent défaut.
La communication dans le travail s’articule autour de deux dimensions fondamentales : l’écoute et la discussion. Elles ne vont pas de soi, d’une part parce qu’elles engagent les acteurs et d’autre part parce qu’elles appellent une suite. « On ne parle vraiment que si on est écouté, remarque François Hubault, ergonome. Et on sait bien aujourd’hui en entreprise que si ça ne remonte pas, c’est parce qu’on n’écoute pas ». L’organisation et son management doivent se mettre en situation d’écoute, c’est-à-dire entendre ce qui est dit pour en faire quelque chose.
Le rôle de la communication est ici d’ouvrir un dialogue permanent entre les acteurs de l’entreprise pour confronter les objectifs stratégiques avec les réalités opérationnelles. Ouvrir le débat au sein des équipes sur les différentes façons d’envisager l’activité et partager sur les critères du travail bien fait. En somme, créer des lieux d’expression sur l’activité dédiés à la coopération et permettant à chacun de développer son pouvoir d’agir dans une optique de résolution de problèmes.
Pour coopérer, selon Philippe Zarifian : « …il faut partager la compréhension des problèmes, confronter leur analyse, se projeter ensemble dans l’avenir et anticiper les actions à mener, voire coélaborer, coécrire en quelque sorte la conception de ce que l’on doit entreprendre ensemble. »
Un dialogue permanent avec les équipes qui ne peut s’inscrire que dans un management de proximité centré sur la question du travail.
Dans des organisations souvent hyper-hiérarchisées, le manager de proximité a pris sa place au plus près du terrain. Paradoxalement, en matière de communication, s’il est attendu dans son rôle classique de relais, voire d’interprète des orientations de l’entreprise, il manque trop souvent à l’appel lorsqu’il s’agit d’être en relation avec ses collaborateurs et de tisser du lien au sein de son équipe, en proximité. « Plus la mondialisation gagne du terrain, plus les technologies suppriment les distances, plus on a besoin de retrouver du local et de la relation proche. »
Happés par le pilotage des indicateurs de performance et le suivi des process internes, les managers ont pris de la distance vis-à-vis du travail de leurs collaborateurs. Conséquence directe, ayant une connaissance plus limitée du travail réel de leurs équipes, ils sont moins en confiance pour en parler avec eux.
Cet éloignement managérial produit un triple effondrement : un effondrement du sens, de la reconnaissance et de l’autorité. « Il faut connaître pour reconnaître », résume Mathieu Detchessahar, professeur en sciences de gestion. Si on ne connaît pas le travail, on est dans l’incapacité de le reconnaître, avec les bons mots adressés à « ceux du métier ». Le « bravo » du chef distant, sans autorité, non reconnu, ne vaut rien. Il est considéré comme une manipulation. L’autorité, c’est la reconnaissance d’une parole qui fait avancer, « qui va m’augmenter ». L’autorité augmente la capacité d’action et suscite l’obéissance volontaire. »
C’est donc dans le dialogue, la discussion avec les salariés à propos du travail que se joue l’essentiel de la communication du manager. Pour être crédible au regard des collaborateurs, cette communication managériale se déploie en deux dimensions :
Discuter du travail, c’est bien souvent appeler à sa transformation pour s’adapter à de nouvelles contraintes, de nouvelles tendances du marché… C’est le fait de communiquer qui produit le changement, en confrontant les points de vue, en inventant de nouvelles façons de faire, en co-construisant le changement. « Communiquer dans le travail, c’est se mettre d’accord sur quelque chose à faire en commun et agir avec d’autant plus de force que cet accord est profond. »
Il revient au manager d’organiser le dialogue sur le travail pour produire non seulement des mots, mais des solutions. Cependant, trop souvent, le manager n’est pas investi de ce rôle qui demande un ajustement de l’organisation.
Combien de dirigeants sont prêts aujourd’hui à incarner cette nouvelle communication, plus humaine qu’instrumentale, orientée relations plus qu’outils, soutenue par la proximité plus que par la hiérarchie ?
Combien d’organisations sont prêtes à transformer leur communication au bénéfice d'une véritable culture du dialogue sur le travail ?
Depuis plus de 20 ans, j’ai eu l’occasion d’expérimenter toutes les facettes de la communication, externe, interne, écrite, orale, digitale, institutionnelle, produit, événementielle… Pourtant, depuis quelques années, j’ai le sentiment que quelque chose sonne faux ! En confrontant mes pratiques professionnelles en communication à l’exercice du management de terrain au quotidien, j’ai constaté combien nous nous étions éloignés des règles de base de la communication interpersonnelle en entreprise. Et combien il était urgent de repenser le management à partir de l’essence même de la communication humaine. A partir des sens sur lesquels toute communication humaine exerce son influence.
Parce que l’entreprise est une affaire d’humains, elle se construit sur les multiples connexions tissées entre ses différentes parties prenantes. Échanger avec un collègue dans le couloir, négocier avec un client, prendre la parole en réunion, conduire son entretien annuel avec son manager… la communication est partout. Elle irrigue le système nerveux de l’organisation, alimente ses centres de ressources
Au XXe siècle, les chercheurs de l'Ecole de Palo Alto en Californie ont jeté les bases d’une approche systémique et interactionniste des phénomènes humains et modélisé ainsi les 5 grands principes de la communication interpersonnelle. Une découverte très utile pour comprendre l’impact de notre communication sur nos interlocuteurs.
1 – On ne peut pas ne pas communiquer
Lorsque nous communiquons, notre interlocuteur perçoit trois types de communication :
La congruence, quand notre corps est en phase avec ce que l’on dit, est donc primordiale pour une bonne communication. Il est également impossible de ne pas communiquer car « ne pas parler » constitue en soi une forme de communication et renvoie à un message de refus ou de rejet. Tout comportement, conscient ou non, constitue donc une communication.
2 – Toute communication présente 2 aspects : le contenu et la relation
Le message transmis par l'émetteur est le contenu. La façon dont ce message est reçu - compris et entendu - constitue la relation. C'est cette dernière - ou tout du moins la manière dont le récepteur s'implique dans celle-ci - qui traduit l’impact du message. Chacun interprète les informations qu'il reçoit en fonction de ses propres références. Dans le cadre d'une relation saine et de confiance, les protagonistes se concentrent sur l'information. A l'inverse, l'information sera déformée, ignorée, voire rejetée si la relation n'est pas sereine. Le récepteur s’impliquera donc dans la relation en fonction de son interprétation et non en fonction de l’intention première de l’émetteur.
3 – La nature de la relation dépend de la ponctuation des séquences de communication
Le mode de communication de l'émetteur influe sur le récepteur et vice versa. La relation est donc basée sur le para-verbal et le non-verbal, bien plus que sur les mots en tant que tels. Chacun interprète les messages transmis et reçus selon ses propres références : sa personnalité, son vécu, ses expériences passées... ainsi que le lien de pouvoir - hiérarchique ou non - ressenti face à son interlocuteur et les réactions - comportements - de ce dernier. Pour qu'une communication soit fluide et efficace, il est ainsi primordial de rendre explicites les messages émis ou reçus, par la reformulation par exemple, afin d’éviter toute interprétation erronée.
4 – La communication est simultanément digitale et analogique
L'être humain utilise deux modes pour communiquer :
Le contenu informationnel d’une communication est digital tandis que la relation ou les sentiments sont définis par la communication analogique.
5 – Tout échange de communication est symétrique ou complémentaire selon qu’il repose sur l’égalité ou la différence
Lors d'un échange entre deux personnes, chacun des protagonistes se positionne dans la relation :
Ce positionnement peut différer, de façon explicite ou implicite, en fonction du statut social, de la position hiérarchique, de l’âge, du niveau de compétences… Pour qu'une communication soit positive, chacun des protagonistes doit comprendre et accepter ce positionnement. Si tel n'est pas le cas, la communication a toutes les chances d'être de mauvaise qualité.
Voilà de quoi nous rafraîchir la mémoire sur le sens profond de la communication. Tout être humain est communication dans sa relation à l’autre. Rapporté à l’entreprise, au nombre et à la variété des connexions humaines qui s’y tissent chaque jour, ça laisse dubitatif sur le soin que nous apportons à notre communication interpersonnelle.
Quel professionnel de la communication ne s’est jamais vu répliquer : « Ah, mais vous à la Com’, vous ne pensez qu’à communiquer ! » ? En effet, pour reprendre l’un des principes de l’Ecole Palo Alto, nous, communicants, avons acté que « nous ne pouvons pas ne pas communiquer ». Et que se taire renvoie à un message de refus ou de rejet.
Un simple exemple pour illustrer mon propos. Il nous est tous arrivé de voir notre train s’arrêter en rase campagne et subir une - trop - longue attente avant de connaître, a minima le motif de cet arrêt, idéalement une estimation du délai avant un redémarrage. Quel a été votre ressenti pendant tout le temps où vous êtes resté sans la moindre information ? D’abord de l’agacement lié aux conséquences que cet incident sur votre programme. Ensuite, de la colère provoquée par le sentiment de ne pas être considéré. Enfin, une perception altérée de l’image de l’organisation à l’origine de votre retard.
Toute communication - ou absence de communication - parle à nos sens et suscite une émotion, neutre, positive ou négative. Il est aisé de faire le parallèle avec le monde de l’entreprise. Une organisation qui ne prend pas soin de jalonner ses projets stratégiques de phases de communication, notamment auprès de ses collaborateurs, risque de céder la place à « radio moquette » et de susciter défiance et désengagement.
Ainsi, la communication s’est professionnalisée jusqu’à devenir un instrument sophistiqué, multiforme, au service de la stratégie des entreprises et de leur management. Tour à tour institutionnelle pour porter l’image d’une organisation, marketing pour vanter les mérites de nouveaux produits, événementielle pour mobiliser des publics, interne pour faire adhérer les collaborateurs, de crise pour réagir à une situation complexe… la communication s’est dotée d’outils toujours plus affutés pour toucher leurs cibles avec le maximum d’impact, à grands renforts de slogans et de storytelling.
Cette notion technique de la communication a petit à petit pris le pas sur l’approche authentique de la communication qu’est la relation humaine, notamment au sein des organisations. Elle a ainsi accompagné le management vertical de l’entreprise, déroulant une information top-down destinée à intégrer, faire adhérer et animer des collaborateurs souvent cantonnés dans leur posture de récepteurs de messages, avec leurs managers comme prescripteurs. Un modèle de communication dont nous voyons les limites aujourd’hui. Bousculés par l’émergence de nouveaux codes qui ont investi le monde de l’entreprise et contribué à émanciper les salariés.
Internet et les réseaux sociaux ont véritablement bouleversé notre rapport à l’information et à la communication, en offrant à tout un chacun un espace de liberté illimité pour diffuser et surtout partager une information qu’il a soigneusement sélectionnée, voire produite. Cette parole libérée sur la Toile appelle aujourd’hui une communication plus authentique. Elle invoque un changement de ton qui frôle la connivence, avec sobriété et humilité dans une posture d’égal à égal.
Cette remise en cause d’une communication « instrumentalisée » orchestrée par un émetteur « sachant » vers sa cible « candide » est à mettre en perspective des nouveaux rapports des marques avec leurs clients et des nouvelles aspirations des collaborateurs de l’entreprise en matière de management, avec comme valeur commune : la confiance.
Une quête de confiance qui rend clients et collaborateurs solidaires dans leur engagement vis-à-vis de l’entreprise. La recherche de sens et de transparence, le besoin d’écoute et de reconnaissance des parties prenantes de l’entreprise ont ainsi fait tomber les frontières entre communication externe et communication interne.
Cette nouvelle communication s’érige en pivot de la « symétrie des attentions » et soutient ce principe fondamental selon lequel la qualité de la relation entre une entreprise et ses clients est symétrique de la qualité de la relation de cette entreprise avec ses collaborateurs. [à lire aussi : Collaborateur vs Client ? Et si on visait plutôt l’alignement des expériences…] Avec comme objectif de susciter auprès des clients et des collaborateurs, via la parole de l’entreprise, des émotions positives, ferment de leur motivation à agir et à s’engager en faveur de celle-ci.
Une nouvelle communication qui donne à voir l’entreprise, et qui l’incarne en transparence en réinvestissant le potentiel humain. [à lire aussi : L'Entreprise Incarnée dans toutes ses dimensions] Une communication ouverte sur le dialogue, où les marques échangent avec leurs clients et les managers débattent avec leurs équipes. Bref, une communication qui prend soin de la relation, à l’écoute des besoins des clients comme des salariés, et qui porte leur voix, comme signe d’appartenance et gage de confiance.
Selon le baromètre 2019 Paris Workplace, « La qualité des relations au travail est LE facteur le plus décisif pour générer du bien-être et de la performance. Les interactions, lorsqu’elles sont de qualité, facilitent la circulation de l’information, la transmission des savoirs et l’adhésion des collaborateurs. Ce faisant, elles deviennent un véritable levier de performance et d’attachement des salariés à leur entreprise ».
Et l’enjeu est bien là pour l’entreprise, dans cette nouvelle relation, plus horizontale, qu’elle tisse avec ses parties prenantes, en passant d’une simple logique d’adhésion à une véritable dynamique d’appropriation. D’une stratégie de communication à une culture du dialogue.
Un dialogue ouvert et sincère qui doit prendre sa source au cœur de l’entreprise, sur les questions du travail. Car donner la parole aux collaborateurs pour débattre des règles, des contraintes, des ressources…de leur activité, c’est les reconnaître dans leur autorité sur leur métier et c’est leur donner le pouvoir d’agir au sein de l’organisation. Dans un contexte où le changement est devenu la règle, il faut s’adapter continuellement. Et les solutions ne peuvent s’élaborer que dans un effort commun, par un dialogue permanent pour confronter les objectifs stratégiques avec les réalités opérationnelles.
Dans son ouvrage « Le travail à cœur », Yves Clot, psychologue du travail, insiste sur l’importance du collectif pour débattre du travail « bien fait » : « Une communauté de pratiques qui forme un cercle d’échanges dans lequel on s’intéresse moins aux limites de chacun qu’aux limites de l’activité elle-même… ».
La culture du dialogue sur le travail constitue un formidable accélérateur de progrès et un moyen d’irriguer toute l’organisation d’un souffle d’innovation. Une pratique susceptible de réconcilier performance sociale et performance économique. [à lire aussi : Les espaces de discussion sur le travail]
L’enjeu de la qualité du dialogue sur le travail dépasse d’ailleurs le cadre de l’entreprise et rejailli sur la société toute entière.
« Quand il est vécu à un bon niveau de dialogue, le travail devient une véritable « école de la citoyenneté » où l’on s’entraîne à examiner des problèmes de façon partagée et critique, où l’on est invité à cultiver les vertus de la dépendance assumée : écoute, prudence, maîtrise de soi, respect d’autrui… » - L’entreprise délibérée. Refonder le management par le dialogue, Mathieu Detchessahar
L’entreprise n’est pas en dehors de la société, elle est la société ! C’est pourquoi elle a un rôle déterminant à jouer dans l’organisation de la vie au travail. Constituée d’hommes et de femmes animés par des aspirations sociales renouvelées et portés par un élan de « vivre ensemble » inégalé, l’entreprise est responsable de la qualité du lien social qui s’y inscrit.
En invitant ses collaborateurs au dialogue sur le travail, elle leur donne l’espace pour se confronter à la réalité vivante du travail, et légitimer leur action dans la construction d’un bien commun auquel chacun donne du sens et à l’origine de toute communauté harmonieuse et solidaire. Car aujourd’hui, le sens ne se délivre plus comme une prescription élaborée par une figure d’autorité. La transmission hiérarchisée des valeurs et du sens a cédé la place à l’échange et l’apprentissage entre pairs.
Une relation plus horizontale qui vient bouleverser la nature du lien managérial. Aujourd’hui, manager prend une nouvelle dimension et requiert par-dessus tout des capacités empruntes d’humanité.
« Il nous faut recruter des managers réconciliés avec leur propre métier […] pour redevenir ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être : des meneurs d’hommes. » - Le travail invisible, Pierre-Yves Gomez
Un leadership ramené à ses vertus essentielles : créateur de lien social, révélateur d’intelligence collective, catalyseur de décisions, contribuant simultanément au développement des personnes et de l’organisation.