A l’aube de cette nouvelle année, je peux clairement affirmer que ne me suis jamais sentie autant exister ! L’année qui vient de s’écouler, aussi singulière qu’elle ait été, a agi sur moi comme un véritable révélateur. Comme si quelqu’un avait ouvert en grand les vannes de mon subconscient et avait libéré des capacités enfouies que je n’avais jamais jusqu’ici eu l’audace d’explorer. Comme si j’avais enfin trouvé la clé pour me connecter à moi-même. Comme si soudain, tout devenait possible et que l’univers s’ouvrait devant moi, que les planètes s’alignaient et m’invitaient à m’accomplir dans une mission fondamentale, pour moi, bien sûr, mais surtout, une mission dont je puisse partager le sens avec d’autres. En entraînant une communauté de valeurs et de vision avec qui construire un projet plus grand que moi.

Car en l’espace d’une année, j’ai croisé la route de nombreuses personnes qui, comme moi, ont éprouvé l’urgence d’une transformation profonde et durable pour assouvir leur besoin de se réaliser. Une prise de conscience révélée par l’épidémie de Covid-19 et activée par le désordre hérité de cette crise inédite. Un chaos qui a profondément bousculé nos certitudes, ébranlé nos habitudes et fait émerger de nouvelles manières de vivre ensemble. Et lorsque je regarde en arrière, j’observe que cette crise, tel un tsunami, a libéré une vague d’humanité exceptionnelle !

Ce phénomène m’a donné envie de comprendre quel processus amenait un individu à enclencher une transformation profonde et vitale. Et à la lumière de ma propre expérience, dérouler la trajectoire d’une transformation personnelle qui allait prendre un tournant collectif.

Alors, êtes-vous prêt.e pour ce rendez-vous avec vous-même ? Quand tout devient possible…

D’abord, il y a des murs !

Nous sommes au printemps 2019 et depuis quelques années, trop sans doute, j’ai l’impression que quoi que j’entreprenne dans mon activité professionnelle, je finis toujours par me fracasser contre un mur. J’utilise le mot « fracasser » à dessein car au fil des ans, l’impact contre le mur se fait de plus en plus violent. Et donc, naturellement, à force de prendre des murs, on se blesse. Une blessure qui atteint d'abord le psychologique et qui finit par frapper le physique. Elle est le fruit d’une frustration qui, gonflée jusqu’à l’implosion, atteint les moindres recoins de la confiance en soi et freine l’élan des plus engagé.es.

Baisse des ressources, défaut de stratégie, déficience managériale… peu importe la cause, le résultat est là, l’impression de régresser et que personne ne peut rien pour vous, pas même vous ! Car c’est là que la machine s’enraye. Bloqué.e dans vos prérogatives à l’intérieur de l’organisation, votre système de défense vous incite à en sortir et à tendre vers de nouvelles opportunités. Mais là encore, l’horizon semble bouché. Trop typé.e, trop cher.e, réduit.e à un métier saturé… Avec comme corollaire, la difficulté à se projeter vers un projet professionnel nouveau. Et c’est bien là le drame ! Quand on se trouve enfermé.e dans un cadre trop étroit depuis trop longtemps, on peine à s’imaginer à l’extérieur du cadre. Donc, rien ne se passe ni dedans, ni dehors. Alors, vous remplissez le vide en faisant le plein. Le plein d’activité pour vous rendre utile, à défaut d’être épanoui.e. Et comme un hamster dans sa roue, vous vous étourdissez jusqu’à l’épuisement. C’est à ce moment que la blessure physique apparaît. Elle peut prendre différentes formes : insomnies, maux divers, manque d’appétit… On l’appelle burn-out ; un terme hérité de l’aérospatial, qui désigne une fusée au décollage dont le carburant vient à s’épuiser avec comme conséquence la surchauffe du moteur et l’explosion de l’engin. Nous voilà donc rendus au chaos que j’évoquais plus haut, celui qui se manifeste juste après l’explosion.

Des chocs qui jalonnent le développement de chaque individu

Il s’agit là de chocs auxquels nous soumet la vie, à titre professionnel ou privé. Des épreuves plus ou moins violentes qui font bouger nos lignes et remettent en question nos certitudes. Ils créent une sorte de séisme intérieur qui irradie jusqu’à l’extérieur et bouscule notre écosystème. Ces chocs sont tels des marqueurs qui jalonnent le développement de chaque individu, comme le symbolise l’ennéagramme introduit par le philosophe et ésotériste Georges I. Gurdjieff au début du XXème siècle. Gurdijieff pensait qu'il était possible de passer à un état supérieur de conscience et d'atteindre le plein potentiel humain. Son ennéagramme symbolise ainsi la dynamique du développement de l’individu et son passage d’une étape à une autre. Il nous guide vers l’étape ultime : « qui nous sommes véritablement » !

L’ennéagramme est composé de sept niveaux et de deux chocs qui tout en étant indépendants, se complètent et contribuent au développement de la personne. Ces deux chocs sont la source de la transformation humaine. Ils participent simultanément à notre déconstruction par la remise en cause de notre nature humaine et à notre construction par l’énergie qu’ils nous apportent. Le premier choc, qui survient par surprise est très déstabilisateur. Vécu comme un traumatisme, il permet d’entreprendre un travail sur soi pour sortir de cette perturbation. A ce stade, l’individu cherche à mieux comprendre le but de son existence et par le fruit d’une réflexion personnelle amorce une première transformation. Le deuxième choc intervient alors qu’un travail de développement personnel a déjà été entamé. Il fait suite à l’acquisition de connaissances permettant de vivre de nouvelles expériences et ainsi, engendre des modifications profondes dans notre personnalité pouvant conduire à un état de « pleine conscience » proche de la réalisation de soi.

Un reset qui ouvre le chemin vers une transformation assumée

Personnellement, ces deux chocs se sont matérialisés très distinctement. Le premier, de façon totalement inattendue et avec une grande violence. Il a irradié longtemps mon environnement professionnel comme personnel, laissant derrière lui une faille béante. Jusqu’au second choc, dix ans plus tard, comme l’aboutissement d’une transformation inéluctable, avec à la clé un changement de vie professionnelle parfaitement assumé. Il s’est suffi d’un déclic, un fait loin d’être anodin, la suppression d’un poste au sein de mon équipe pour que tout devienne évident. Avec un collaborateur en moins, le hamster dans sa roue courait à sa perte. Il fallait sortir de cette situation, c’était une question de survie. Ce déclic a enclenché une sorte de reset au niveau de mon cerveau avec à la clé un grand vide... C'est ce grand vide qui a permis de faire émerger des solutions nouvelles en me libérant de mes modèles mentaux et de mes croyances auto-limitantes les plus profondes. Tout en débloquant un « pouvoir d’agir » que je n’avais encore jamais expérimenté. Comme si j’avais prononcé la formule magique qui laissait enfin libre court à mon énergie créative.

Dans son ouvrage Renaître chaque jour, l’auteur et orateur indien Jiddu Krishnamurti l’évoque ainsi : « La création ne peut se produire qu’en présence d’une énergie jamais entachée de volonté, qui n’est pas le résultat de l’effort, une énergie que l’action elle-même fait naître. »

J’ai compris soudain que je ne devais pas changer de métier mais changer ma façon d’appréhender mon métier. J’ai surtout compris que, si j’avais choisi de mener une carrière dans la communication, ça n’était pas pour me perdre dans une vision de plus en plus instrumentalisée de mon activité mais pour créer du lien entre les gens, favoriser le dialogue et ainsi contribuer à bonifier les relations entre les individus. Une révélation ! J’avais trouvé mon objectif supérieur et les clés de ce changement étaient entre mes mains…

Concilier le réel et l’idéal pour avancer avec confiance et audace

Le changement personnel s’opère dans une tension entre l’idéal et le réel. Lorsque cet alignement avec notre personnalité profonde se matérialise enfin, l’incarnation de notre idéal nous donne des ailes pour nous transcender et dépasser les obstacles. Nous libérons alors une forme d’intelligence intuitive, comme une boussole intérieure, qui nous guide vers les bonnes décisions, les bonnes personnes…

Pour la neurologue Régine Zékri-Hurstel, auteure avec le philosophe du goût Jacques Puisais du Temps du goût : « notre intuition est connectée à notre banque de données sensorielles, toujours en mouvement, et s’adapte en permanence pour percevoir le moindre changement. Les plus intuitifs sont donc ceux qui ont le mieux développé leurs qualités sensorielles. L’émotion vient des sens, elle est essentielle dans la capacité intuitive ».

Les chocs et le chaos qui en a résulté ont mis tous mes sens en éveil. Et ont fait voler en éclat bon nombre de peurs, notamment la croyance selon laquelle je n’étais pas faite pour l’entrepreneuriat. J’ai été gagnée par une confiance et une audace que je ne me connaissais pas, portée par une certitude fulgurante qui m’attirait, comme un aimant dans la bonne direction et vers les bonnes personnes. A ce stade de mon développement, les rencontres ont été déterminantes.

Une histoire de rencontres

C’est à ce moment-là que la Covid-19 a fait son apparition début 2020. D’abord comme une ombre qui planait au-dessus de nos têtes, nous laissant avancer dans nos projets avec insouciance. Stimulée par l’énergie créatrice qui m’habitait alors, j’ai croisé la route de personnes très inspirantes. Ces rencontres ont été vibrantes d’émotions tant nous parlions le même langage et partagions les mêmes aspirations.

Très vite, nous avons exprimé l’envie de construire ensemble pour avoir un impact sur le reste du monde en nous mettant au service de l’humain et de la transformation sociale. Nos énergies associées ont ainsi donné à notre entreprise un élan et une résonnance incroyables qui se sont trouvés freinés brutalement avec l’annonce du confinement. Une crise inédite dans sa nature et dans l’amplitude de son impact qui a révélé chez nombre d’individus des réalités inhibées et a débloqué des ressources jusqu’alors inexploitées.

Faire communauté pour cultiver ensemble la force de se projeter utilement et puissamment vers une nouvelle réalité

Face à ce système complexe dans lequel nous a enfermé la crise, nous avons pu activer notre esprit critique et notre créativité pour ajuster nos connaissances à cette nouvelle réalité et développer des comportements adaptés.

Nous avons appris de ces perturbations comment percevoir les développements possibles ou souhaitables, « utiliser les forces du changement au lieu de leur résister », comme nous y invite l’auteur et directeur du Center for Organizational Learning du MIT Peter Senge.

Et profiter de cette épidémie, où la préservation de l’humain est au centre des préoccupations, pour transformer nos environnements de travail en espaces de liberté propices à l’observation, l’imagination, la création, l’expérimentation…

Un terreau idéal pour se réinventer et entraîner dans notre sillon un collectif d’acteurs à la fois diversifié et relié par une aspiration profonde à faire bouger les lignes. Cette crise, comme un accélérateur de changement, a fait émerger des « communautés restauratrices », centrées sur un idéal à construire collectivement et mobilisant des énergies incroyables au bénéfice d’une mission transcendante pour remettre l’humain au cœur des organisations. Dans un monde fragilisé par l’épidémie de Covid-19, en perte de repères et poussant à l’individualisme, ces communautés ont permis à de très nombreux individus de trouver du sens, de générer de l’engagement et d’offrir de la solidarité. Elles ont pris des formes très évoluées d’organisations humaines et se sont maillées bien au-delà de leurs missions et espaces géographiques pour partager l’entraide et la connaissance. Résilientes, résolument ouvertes, bienveillantes et fraternelles, elles sont le présent et l’avenir de la réalisation des individus et des organisations.

Génératrices de coopérations, d’idées nouvelles et d’innovations, elles augmentent le champ des possibles et se déploient dans une perspective utilitaire. Aussi anciennes que l’humanité, elles marquent aujourd’hui encore l’histoire du développement des individus et contribuent tous les jours à la création d’un nouveau monde. Un monde où tout devient possible…

Vous connaissez certainement l’allégorie des 3 tailleurs de pierre : Un homme rencontre sur un chantier trois tailleurs de pierre. Au premier qui travaille mécaniquement sa pierre avec un air sombre et fatigué, il demande ce qu’il est en train de faire ; ce dernier lui répond qu’il taille une pierre. Quand il pose la même question au second qui effectue le même travail, mais de façon un peu moins mécanique, ce dernier explique qu’il taille une pierre pour construire un mur. Il s’approche alors du troisième qui semble heureux, voire radieux, où nulle trace de fatigue ne se lit sur son visage alors qu’il effectue le même travail, avec exactement les mêmes outils et la même technique, que les deux autres. Quand notre homme lui demande ce qu’il est en train de faire, le troisième tailleur de pierre lui répond avec un large et lumineux sourire : « je suis en train de construire une cathédrale ».

Cette allégorie du sens au travail a une résonance particulière en cette période de retour des collaborateurs au bureau et de reprise du « business as usual » dans beaucoup d’organisations. Car pour certains, l’expérience du travail vécue pendant la période du confinement s’est véritablement apparentée à la construction d’une cathédrale !

Le confinement a provoqué une explosion du sens au travail

Un travail centré sur l’essentiel, où chacun, quelle que soit sa mission, a pu prendre une part active à la survie de son organisation et se sentir utile. Une période qui a stimulé la solidarité entre collègues, qui a fait grandir les individus en s’adaptant à de nouvelles missions, à de nouveaux outils, avec une forte productivité pointée sur la continuité de l’activité, qui a poussé chacun en dehors de sa zone de confort… Une expérience qui a bousculé les équilibres et qui a interrogé sur sa « juste place » dans son organisation et dans la société en général.

Cette sensation d’être monté au front et d’avoir « soutenu la maison », coûte que coûte, a suscité une « explosion de sens » à tous les étages de l’organisation. Que la mission pendant le confinement ait pris un caractère exceptionnel ou qu’elle ait simplement consisté à maintenir l’activité dans un nouveau contexte et un nouvel environnement de travail, il semble que chacun y ait trouvé sa petite part de sens.

Pour bien comprendre comment cette période de crise a boosté la question du sens au travail pour un grand nombre de collaborateurs, je vous propose de mettre en perspective les travaux des chercheurs E.Morin et B.Cherré et leurs prérequis du sens au travail :

La crise du Covid-19 a souvent coché toutes les cases !

Cette explosion du sens au travail a activé deux manifestations positives qui ont pu contrebalancer les effets négatifs de la crise sur les individus. En premier lieu, le sens trouvé dans l’activité de travail, qu’elle ait été vécue à distance, sur site, en chômage partiel… a permis de maintenir un certain équilibre psychologique. Là ou certains collaborateurs ont été privés de travail du fait de l’arrêt total de leur activité, ceux qui ont pu maintenir tout ou partie de leur activité semblent avoir été moins frappés par l’anxiété et le stress inhérents à la situation de crise traversée. Le second impact positif est l’engagement. Stimulés par de nouveaux enjeux pour maintenir le business dans leur entreprise (travail à distance, dématérialisation, nouvelles missions…), les collaborateurs ont su fournir les efforts nécessaires, en s’adaptant à un nouveau contexte de travail, de nouveaux horaires, de nouveaux outils, et ont témoigné ainsi d’une loyauté et d’un attachement forts à leur structure.

L’engagement qui s’est matérialisé pendant la période du confinement semble pourtant souffrir de l’obligation de revenir au bureau. Comme en témoignent les dirigeants croisés récemment, le retour physique en entreprise n’a suscité que peu d’enthousiasme, même de la part des collaborateurs les plus engagés. Si quelques volontaires ont trouvé dans cette reprise une opportunité de quitter l’isolement du confinement ; pour la plupart des effectifs, il a fallu se montrer ferme et souvent, imposer de reprendre le rythme « métro-boulot-dodo » lorsque l’aménagement des bureaux le permettait, à grand renfort de mesures sanitaires.

Pierre-Yves Gomez, professeur de stratégie à emlyon business school où il dirige l’Institut français de gouvernement des entreprises, pose la situation en ces termes : « L’exigence de « remettre » aujourd’hui les salariés au travail montre bien que quelque chose a été cassé dans le mouvement économique frénétique qui était le nôtre. Après le choc dépressif qu’a causé le confinement pour beaucoup, il faudra trouver des raisons substantielles pour embarquer les équipes au travail, et ce sera d’autant plus difficile que l’on prévoit un accroissement du chômage et de la précarité sociale. Les entreprises qui misent sur des discours morbides de type : « il faut vous mobiliser sinon nous allons disparaître » se fourvoient si elles pensent que dans notre société individualiste, cela peut constituer un discours stimulant. »

De retour au bureau, savoir faire battre le cœur du travail

Si on comprend bien l’impérieuse nécessité des organisations de se mettre en ordre de marche pour retrouver une activité optimale, la question qui se pose au management est sa capacité à maintenir l’engagement des collaborateurs dans un contexte de retour au travail « forcé ». Et donc, de trouver de nouveaux leviers de sens au travail.

Surtout si l’on considère l’écart substantiel entre l’expérience du travail vécue avant et pendant le confinement. Dans l’urgence de la crise, chacun a dû adapter son métier à une nouvelle réalité de travail, en autonomie, à distance ou sur site mais déconnecté de son équipe et de son management. Faire preuve de créativité pour imaginer de nouvelles façons de faire son travail, à l’épreuve de certaines contraintes, certes, mais toute en bénéficiant d’une forme de liberté inédite. S’essayer à de nouvelles missions devenues vitales pendant la crise et développer sa polyvalence. Voir moins ses collègues, mais les écouter davantage, à travers leurs savoir-faire, leur vécu, leurs émotions via des médias empruntés à la vie privée comme Whatsapp. Cet investissement énorme pour maintenir l’activité à tout prix pendant cette période a donné au travail une nouvelle saveur. Comme débarrassé de nombreuses entraves : réunions à répétition, ordres et contre-ordres, processus de décisions à rallonge, jeux de pouvoir... Chacun a eu voix au chapitre du travail et a retrouvé une certaine foi dans le travail. Ce « travail à cœur » dans lequel chacun se reconnaît, que décrit si bien le psychologue du travail Yves Clot dans son livre du même titre.

« Chaque fois que des salariés introduisent quelque chose d’eux-mêmes dans leur métier, les chances de développer leur santé augmentent. »

Alors pour continuer à faire battre le cœur du travail de retour au bureau, pourquoi ne pas capitaliser sur les nouvelles pratiques de travail que nous avons expérimentées pendant le confinement ? Profiter du retour des équipes pour mettre en chantier une nouvelle architecture du travail pensée et modélisée par les collaborateurs pour les collaborateurs. Une réflexion prospective sur le design d’avenir de leur organisation au service du travail bien fait, ce travail dont ils ont pris soin pendant la crise. Quelle place pour le télétravail demain ? Comment transposer les habitudes et les outils qui ont fait leurs preuves en confinement dans cette nouvelle configuration en remplacement des pratiques anciennes jugées moins efficaces ? En définitive, apprendre à renoncer aux routines obsolètes pour investir de usages plus appropriés sur lesquels on se rejoint collectivement.

Car un tel chantier est aussi l’occasion de construire ensemble à partir du besoin des individus de se retrouver et de retisser les liens physiques du travail pour faire communauté. Créer les circonstances permettant à chacun de partager cette petite part de sens invoquée localement pendant le confinement et contribuer ainsi à redonner du sens au niveau global de l’organisation.

Faire communauté pour cultiver ensemble la force de se projeter utilement et puissamment vers une nouvelle réalité de travail

Pour introduire cette notion de communauté, je vous propose de reprendre la métaphore de la construction de la cathédrale. Pour construire une cathédrale, une équipe d’artisans hautement qualifiés étaient rassemblés, sous l’égide du maître d’œuvre attaché à l’édifice. Ces artisans étaient organisés en loges qui établissaient les statuts et les règles de travail. Pour accompagner l’édification d’une cathédrale sur plusieurs siècles, les artisans qui se succédaient sur le chantier s’influençaient et se transmettaient les techniques et les modes à travers toute l’Europe.

Cet exemple de communauté de métier et de pratiques, complètement ouverte pour favoriser l’apprentissage entre pairs, et ainsi collaborer au service d’une œuvre remarquable, me semble d’une actualité frappante pour refonder nos organisations au lendemain de la crise.

Pour Yves Clot : « Cette communauté de pratiques forme un cercle d’échanges dans lequel on s’intéresse moins aux limites de chacun des participants qu’aux limites de l’activité elle-même ».

Commençons par recréer du lien. D’abord en proximité, au niveau de l’équipe, pour renouer avec le terrain, dans une communauté de mission où chacun pourra réinterroger sa place, mettre en débat l’activité et ainsi mieux articuler le travail du collectif. Ou dans une communauté de projet construite sur le mode collaboratif, en confrontant ses idées, en exposant ses modèles mentaux, pour se projeter collectivement dans l’action. Une communauté en vue de « réaliser un triple maximum », comme le décrit le philosophe Abdennour Bidar : « le maximum d’accord pour chacun entre ce qu’il est et ce qu’il fait ; le maximum d’apport pour chacun, de ce qu’il est et de ce qu’il fait, et le maximum de rayonnement de chaque communauté, comme petite centrale nucléaire d’énergie ». Ou encore, dans une communauté de métier, extérieure à l’organisation, pour partager des pratiques, apprendre les uns des autres, grandir ensemble et ouvrir des horizons. Une communauté ouverte sur des écosystèmes plus larges pour amplifier le champ des possibles et stimuler notre pouvoir d’agir localement et globalement.

Comme nous y invite Abdennour Bidar : « Agir local pour agir global. Se donner un terrain de développement concret – l’échelle et l’espace de la communauté d’action – pour y cultiver ensemble la force de se projeter utilement, puissamment, vers le plus vaste extérieur qui soit en continuant de participer, par son métier, ses divers engagements, à l’invention d’un nouveau monde. »

Faire émerger des communautés restauratrices

La période post-crise dans laquelle nous entrons est le terrain idéal pour créer des « communautés restauratrices », telles qu’inspirées par Peter Block, auteur, consultant et conférencier américain dans les domaines du développement organisationnel, du développement communautaire et de l'engagement civique. Des communautés d’intérêt, synonymes de diversité, qui se maillent par le rapprochement de représentations communes. Centrées sur un idéal à construire collectivement et une logique de don, ces communautés vont chercher à mobiliser les talents de tous les membres d’un territoire, d’un quartier, d’une organisation. Pour autant, elles ne cherchent pas à valoriser un leader mais à produire du leadership chez chacun à travers des actes de « communityship », rendus possibles grâce à une implication personnelle et une motivation intrinsèque très fortes de chaque membre. Leurs moteurs sont la confiance en l’avenir et une forte énergie collective. Pour qu’il y ait communauté, il doit y avoir une action collective qui permet de renforcer cette haute qualité relationnelle, avec force de débat et de dialogue. Et au fil du chemin de ces communautés d’apprentissage, il y a la création de savoirs partagés pour tous.

Dans la vidéo que vous trouverez en annexe de cet article, Denis Cristol, chercheur sur les communautés d'apprentissage, l'autoformation et les apprentissages informels, nous partage les quatre étapes pour créer des « communautés restauratrices » :

Pour Denis Cristol : « Les organisations du travail ont besoin de se rappeler que ce sont des communautés humaines. […] Beaucoup d’entreprises, à force de gestion et d’optimisation, ont enlevé toute la dynamique humaine, ces apprentissages sociaux et cette capacité d’embarquer tout le monde. […] Elles doivent restaurer une qualité de lien qui s’est dégradée. »

C’est à partir de l’intention de faire commun que nous pourrons contribuer à la création et au développement de ces communautés. En dépassant la simple volonté de mieux faire son travail ou de s’adapter aux mutations du travail, pour développer de nouvelles façons d’apprendre. Et créer des espaces, dans les organisations, où chaque individu n’est pas seulement l’objet des transformations qui l’impactent mais au sein desquels il se sent faire partie d’un tout porteur de sens et d’énergie pour continuer à s’engager… et construire des cathédrales !

Quelques lectures et une vidéo inspirantes
HUFFPOST - La vraie question que pose le télétravail, c’est l’utilité du travail ! 
LE MEDIABLOG DU COACHING - Entre sens et perte de sens au travail
LE COMPTOIRE - Pierre-Yves Gomez : « L’époque que nous traversons a rendu au travail réel une présence qu’il avait perdue »
LE MONDE - Abdennour Bidar : « Changer de vie pour changer la vie »
APPRENDRE AUTREMENT - Communauté restauratrice / Communauté rétributrice (vidéo)

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