Je n’ai jamais autant pris la mesure de l’impact des rencontres dans ma vie que depuis que j’en ai changé… Est-ce à dire que les grandes étapes de transformation qui jalonnent notre existence sont émaillées de rencontres clés, voire que ces transformations sont favorisées par les personnes que nous rencontrons sur notre chemin ? Oui, c’est une évidence : la rencontre est au cœur de l’aventure de notre existence. Pourtant, ce que l’on pourrait croire être l’œuvre du hasard, se provoque, en se tenant prêt.e à accueillir les rencontres.

J'ai donc décidé de les ritualiser, de me nourrir aussi souvent que possible du plaisir de la rencontre dans un principe de réciprocité. C’est-à-dire de gratifier mes journées de « rencontres augmentées », ces moments précieux de pleine présence à soi et à l’autre, d’où chacun repart comme « augmenté », plus grand, plus intense, plus profond… En plaçant la rencontre comme centrale dans le déroulement de ma vie, le champ des possibles s’est ouvert, telle une invitation à « sortir de moi », à quitter ma zone de confort. Dans la rencontre, je me suis rendue disponible pour accueillir ce que la vie m’offrait à travers l’autre, et donner à mon tour.

Pourquoi certaines rencontres nous donnent-elles l’impression de renaître ? Cette question que pose l’ouvrage de Charles Pépin : La Rencontre, une philosophie, traduit l’extrême puissance de cette aventure humaine qui peut nous bouleverser au plus haut point.

Rencontrer l’autre, c’est accepter d’être troublé, bousculé

Charles Pépin nous partage sa définition : le mot « rencontre » vient du vieux français « encontre ». Il exprime « le fait de heurter quelqu’un sur son chemin » et renvoie donc à un choc avec l’altérité. Deux êtres entrent en contact, se heurtent, et voient leurs trajectoires modifiées.

Quelque chose se produit, que nous n’avons pas choisi, qui nous prend par surprise : c’est le choc de la rencontre. Ce trouble qui nous étreint a une double résonance. Il nous porte vers l’autre, cet inconnu qui nous étonne et nous attire à la fois, pour qui nous ressentons perplexité et curiosité. Le choc de la rencontre nous renvoie également vers cette partie de nous-même qui nous échappe. Comme un retour à soi, il nous révèle à nous-même.

Selon le philosophe, dans la rencontre, l’autre m’intéresse, au sens le plus noble ; il m’intéresse même deux fois. Une première en tant qu’autre qui m’éblouit et me questionne. Une seconde en tant qu’occasion de progresser.

Rencontrer l’autre, c’est une invitation à explorer un autre monde

Pour Charles Pépin : « Rencontrer quelqu’un, c’est se trouver projeté au seuil d’un monde nouveau, happé par l’envie de l’explorer ; c’est une invitation au voyage. »

La rencontre nous aspire vers un ailleurs, un territoire inconnu et nous élève au rang d’explorateur. Le choc laisse place à une vibration, un désir intense de découvrir l’autre, de déplier le paysage dans lequel il est enveloppé et s’y promener.

Dans ce voyage, nous faisons l’expérience de l’altérité, en découvrant un autre point de vue, en acceptant de se décentrer pour voir les choses à travers son regard. Ce rapprochement d’horizons différents produit une pensée nouvelle et permet à chacun de progresser, de s’ouvrir à la vision de l’autre, sans renier la sienne, mais en l’approfondissant. Il s’agit de faire exister l’autre à ses côtés, dans son altérité. Se donner la chance de voir le monde avec les yeux de l’autre nous autorise à ressentir les choses avec son cœur.

La première rencontre a une saveur toute particulière. Ce moment où nous croisons le chemin de cette personne pour la première fois. Il peut nous sembler que nous la connaissions déjà, que nous avions rendez-vous avec elle. Ce sentiment d’évidence que nous ressentons lorsque l’inconnu nous semble si familier donne à la rencontre une forme de durabilité, l’espoir que l’autre reste un mystère à découvrir sans fin.

Il existe autour de moi quelques « personnes ressources » avec lesquelles je pourrais goûter au plaisir de la rencontre, encore et encore. Les retrouver me procure curiosité et joie, comme une soif inextinguible de les découvrir vraiment. Car chacune de nos rencontres est l’occasion d’approfondir et de croiser nos facettes respectives.

« Nous n’avons jamais fini de faire le tour de l’autre » écrit le philosophe Alain Badiou.

Parfois, une rencontre a lieu pour accompagner une transformation ou impulser la naissance d’un projet. Avoir rencontré l’autre nous donne des ailes. Nous allons additionner nos talents pour écrire une histoire ensemble et créer quelque chose de plus grand que nous, que nous ne pouvions accomplir seul.e.

Le signe que la rencontre a lieu est l’excitation que ce projet provoque en nous, cette envie de s’engager sans tarder, la certitude que nous allons faire équipe et ensemble réaliser de grandes choses. La rencontre permet alors de dépasser nos craintes ou nos angoisses, attachées à notre propre histoire, comme l’autre le fait avec les siennes. Ainsi, s’ouvre un champ des possibles inédits : du seul fait de la rencontre, le pouvoir de l’un s’accroît de celui de l’autre.

Lorsque nous changeons au contact des autres, nous comprenons combien nous avons besoin d’eux pour devenir nous-mêmes.

Nous avons besoin de rencontrer l’autre pour nous rencontrer

« Le plus court chemin de soi à soi passe par autrui » nous partage le philosophe Paul Ricoeur.

Si la rencontre est première, marquée par un mouvement hors de soi, où nous restons un temps fasciné par l’autre, vient le moment où nous revenons à nous-même, où nous intégrons cette rencontre dans notre propre histoire, où nous en faisons quelque chose pour nous-même.

Pour Charles Pépin, au fond, c’est comme s’il y avait deux rencontres simultanées : à travers l’altérité de l’autre se révèle l’altérité en nous. En s’aventurant hors de soi pour aller à la rencontre de l’autre, nous éprouvons cet ailleurs pour nous-même, nous goûtons à une nouvelle identité, échappée de notre conditionnement social.

Heureusement, certaines rencontres nous arrachent à ce cadre social dans lequel nous sommes enferrés. Elles produisent un choc capable de fissurer notre carapace et de faire souffler un vent de liberté sur notre identité figée.

Ces rencontres-là se jouent sur une fréquence transformatrice, elles ébranlent toutes nos croyances. Les émotions qu’elles génèrent provoquent un débordement qui abolit les limites ordinaires et laissent place à un espace infini pour exister pleinement.

Le trouble, la curiosité et le désir de se lancer sont les premiers signes de la rencontre en train de se faire. Puis l’expérience de l’altérité et la transformation sont les signes d’une rencontre qui se continue et produit ses effets.

Encore faut-il être disposé.e à la rencontre…

Nous avons tous connu des rendez-vous manqués ! La rencontre n’a pas eu lieu pour une raison ou une autre, avec son lot de déception et de frustration. Pour réussir la rencontre, Charles Pépin relève trois dispositions préalables.

Sortir de (chez) soi

Rencontrer quelqu’un, c’est s’arracher à sa position de sujet autocentré pour s’ouvrir à la perspective de l’autre. C’est provoquer la chance en faisant un pas de côté, rompre avec les habitudes qui nous engourdissent. C’est aussi être prêt à accueillir ce qui se présente, le bon comme le mauvais. Se lancer l’esprit ouvert, moins concentré sur le but qu’attentif à tout le reste.

Notre époque ne nous encourage pas suffisamment à l’action. Comment oser partir à la rencontre de l’imprévu, se jeter dans l’inconnu avec confiance, quand le mot d’ordre est à la prévision, à l’anticipation, au risque calculé ?

« Une vision gestionnaire de l’existence a triomphé des conceptions aventureuses de la vie » selon Charles Pépin.

Avec son mantra « J’y vais-je vois », le philosophe nous invite à la rencontre. Car la vie véritable, essentielle, repose précisément sur ce qui échappe à l’anticipation. Y aller vraiment, c’est y aller sans vraiment être prêt.

Se rendre disponible à la rencontre

Des attentes trop précises risquent de nous faire manquer la rencontre. Développons donc notre disponibilité en goûtant à l’excitation que connaît l’aventurier. Sortons de chez nous, enthousiaste à l'idée de ne pas savoir à quoi nous attendre.

« Plutôt qu’abolir le hasard, embrassons-le et jouons avec lui. […] Laisser le hasard présider à nos destins est souvent la promesse des plus belles rencontres » nous encourage Charles Pépin.

Nous rendre disponible, nous demande d’assouplir nos attentes, nos critères, nos préjugés. Pareils à des œillères, ces derniers restreignent notre champ de vision et nous empêchent d’envisager ce qui pourrait faire notre bonheur. Débarrassons-nous de nos restrictions, remettons en question nos habitudes et nos certitudes. Expérimentons notre aptitude à ne pas savoir.

Moins nos attentes sont précises, plus nous sommes ouverts à ce que le moment peut nous offrir dans le présent. Il ne s’agit pas d’une attention focalisée vers un but précis, mais d’un état général d’éveil. Là s’exprime la vraie disponibilité.

La rencontre exige cette disponibilité-là, être capable de prendre son temps, de la perdre aussi, de s’arracher à la dictature des choses à faire, à la pression de l’urgence. En discutant de tout et de rien, en flânant, nous nous donnons le loisir de rencontrer profondément, de vivre un moment hors du temps. Nous nous autorisons un instant de grâce en nous livrant entièrement à la rencontre.

Laisser sa vulnérabilité s’exprimer

S’autoriser à tomber le masque, se départir de son « meilleur profil » pour se montrer sous un jour moins lisse, plus sincère. Lorsque nous assumons nos doutes et nos craintes, lorsque nous osons les exprimer ouvertement, sans fard ni faux-semblant, alors s’ouvre un espace où la rencontre devient possible.

Nous croyons que ce masque social dont nous nous affublons nous protège, alors qu’il nous isole et nous éloigne des belles rencontres. Oser se montrer vulnérable permet de briser d’un coup tout un jeu de postures et de rôles qui font barrage à la rencontre.

« Il y a une faille en toute chose, c’est par là qu’entre la lumière » chante Léonard Cohen.

Se montrer vulnérable autorise l’autre à faire de même, à se montrer comme il est, sans craindre d’être jugé, à laisser surgir ses émotions, en écho à sa propre histoire.

Le dénominateur commun à ces trois dispositions à la rencontre est la confiance. Avoir confiance en l’action et son pouvoir de reconfigurer le réel. Avoir confiance dans l’imprévu et dans l’inconnu pour se découvrir autre. Avoir confiance en nous-même pour oser se « mettre à nu ». La meilleure façon de rencontrer les autres est de leur faire confiance.

Dans la rencontre, nous vivons littéralement un choc à retardement ! Un temps pour le choc initial, un temps pour l’assimiler. Un temps pour être désemparé, un temps pour agir et s’aventurer dans sa propre existence. Un temps pour s’oublier, un temps pour revenir à soi.

Nos rencontres nous permettent, en nous tournant vers les autres, d’exister au plus haut point possible par la conscience commune que nous avons l’un de l’autre.

La découverte de l’autre, et plus encore, sa redécouverte permanente dans une rencontre perpétuellement augmentée, est un rendez-vous avec soi, en même temps qu’une exploration du monde.

Honorons ces rencontres qui chaque jour tissent la toile de notre vie !

Très récemment dans un de mes articles, je vous partageais ma détresse face aux joutes oratoires qui ont gâché les échanges lors des dernières élections présidentielles et mon besoin impérieux que nous nous employions à relever le débat ! [à lire : "Employons-nous à relever le débat ! »] Je me suis donc mise en quête d’initiatives, de pratiques, d’expertises à partir desquelles nous pourrions « inventer des espaces pour discuter, débattre, délibérer et faire avancer les idées ». Vous trouverez l’inventaire de mes recherches à ce stade sur la plateforme collaborative #EtSiNous initiée par le Learning Planet Institute, qui rassemble des communautés de change-makers dans le but de partager aspirations, ressources, idées, et de faire face ensemble aux défis du XXIème siècle. Sur cette plateforme, j’anime la « Chaîne de l’intention » sur laquelle je vous communiquer mes découvertes sur le thème du débat et du dialogue, dans l’onglet « EtSiNous relevions le débat ». Cette plateforme est collaborative ; je vous invite donc vivement à compléter ces contenus avec vos propres actions et inspirations...

Pour aller plus loin, il me semble que la question qui se pose véritablement aujourd’hui, au cœur de nos conversations, est celle de la qualité du lien que nous voulons tisser avec les autres et, par conséquent, du soin avec lequel nous communiquons. « L’incapacité à se parler dans la différence est criante », constate le chercheur, sociologue et sémiologue Olivier Fournout. Il y voit une urgence à trouver des modes de dialogue pour faire émerger les possibilités et agir. « Dialoguer autrement pour agir devient une nécessité absolue, pour ne pas rajouter une couche de problèmes relationnels aux problèmes de fond, déjà suffisamment complexes. »

Œuvrer en faveur d’une écologie relationnelle

Olivier Fournout propose d’œuvrer en faveur d’une écologie relationnelle, en considérant la relation comme le milieu dans lequel prennent racines les solutions collectives face aux problèmes globaux.

Car c’est bien collectivement, dans le dialogue, que l’on échange des idées, que l’on offre des ressources, que l’on crée l’innovation. Le dialogue devient alors « un lieu d’apprentissage collectif d’où peut émerger un sens accru d’harmonie, de camaraderie et de créativité » selon David Bohm, physicien et philosophe américain auteur de l’ouvrage Le dialogue.

Force est de constater que l’art du dialogue n’est pas aisé. Nous avons tous fait l’expérience de réunions dans lesquelles nous perdions notre temps, de conversations qui tournent rapidement au débat, d’entretiens dans lesquels chacun reste campé sur sa position sans volonté sincère d’entendre l’autre. Même si les protagonistes souhaitent véritablement contribuer au dialogue, ils ne savent pas comment s’y prendre !

« Contre les débats stériles et les positions opposées qui ne se rencontrent jamais, il s’agit d’innover dans le traitement sociétal des controverses, tant aux niveaux politiques que médiatiques et citoyens ; monter des dialogues partout, tout le temps, pour tous, sur tous les sujets, pour toutes les décisions, de la manière la plus inclusive possible ; former à l’exercice ; développer un recul réflexif et transverse sur le processus même de dialogue ; s’entraîner à respecter les écarts sans fermer la porte au rapprochement ; et ne pas tomber dans le piège que, bien sûr, au moindre anicroche, c’est toujours l’autre qui ne sait pas dialoguer. », clame O. Fournout.

Car le dialogue requiert avant tout de la pratique, bien plus qu’un ensemble de méthodes. Il s’agit de développer notre capacité à travailler avec les autres et d’aider les autres à mieux travailler ensemble. Et ce n’est pas une science exacte, particulièrement en ces temps de complexité croissante ! C’est sur ce constat que se déploie la pratique de l’Art of Hosting, développée par un large réseau de praticiens dans le monde entier. Le terme « hosting » faire référence à la notion « d’accueillir ». Il s’agit d’accorder une attention et un soin particuliers à tous les aspects qui entrent en jeu lorsque des personnes travaillent ensemble. L’intention est d’accompagner le groupe dans sa réussite, de la même manière qu’une personne qui accueille des invités s’assurera qu’ils ont tout ce dont ils ont besoin pour que leur séjour soit réussi.

Les groupes et les organisations qui utilisent l’Art of Hosting comme mode de fonctionnement constatent une amélioration de leur processus de décisions, un développement plus efficace de leurs compétences et une plus grande réactivité dans leur réponse aux opportunités, aux défis et aux changements. Les participants ont le sentiment d’être plus autonomes, plus responsables et plus à même de contribuer aux réunions et conversations auxquelles ils prennent part et, ainsi, d’aboutir plus efficacement aux résultats escomptés.

Pour D. Bohm, dans un dialogue, il s’agit pour les personnes de faire quelque chose en commun, c’est-à-dire de créer ensemble quelque chose de nouveau.

« Bien entendu, une telle communication ne peut conduire à la création de quelque chose de nouveau que si les individus sont capables de s’écouter librement, sans préjugés, sans chercher à s’influencer. Chacun d’eux doit s’intéresser avant tout à la vérité et à la cohérence et être disposé à abandonner ses idées et buts obsolètes, pour passer à quelque chose de différent, quand il l’estime nécessaire. »

En quelque sorte, D. Bohm nous invite individuellement à nous abandonner, à faire don de soi au dialogue. Le dialogue devient ainsi un voyage dans lequel chaque participant est explorateur de cet inédit qui émerge. En se laissant porter par sa curiosité de l’autre, d’un ailleurs. En prenant plaisir à rebondir d’une idée à l’autre, comme d’une terre à l’autre, pour découvrir où ce nouveau chemin peut nous mener. En fusionnant nos horizons pour découvrir de nouvelles contrées, inexplorées jusqu’ici.

Dialoguer pour créer le monde dans lequel nous vivons

Pour Otto Scharmer, maître de conférences au MIT où il a co-fondé le Presencing Institute, les conversations créent le monde dans lequel nous évoluons au sein des groupes, des organisations et de la société. Dans son ouvrage qui traite du modèle d'innovation et de conduite du changement qu'il a développé : Théorie U, l'essentiel, il parle de « cultiver le sol du champ social ». Le champ social représente ici l’ensemble des relations entre individus, groupes et systèmes donnant naissance à des modes et schémas de pensée, de conversation et d’organisation qui, à leur tour, produisent des résultats pratiques.

On retrouve dans la pratique du dialogue de D. Bohm et d’O. Scharmer les mêmes fondamentaux que ceux décrit par the Art of Hosting :

O. Scharmer a identifié quatre modes de conversation correspondant à quatre qualités d’échange : le mode automatique, le débat, le dialogue et la conversation générative. Le leadership tel qu’il le conçoit consiste à accompagner le passage d’un niveau de conversation à un autre en fonction de ce que requiert le contexte ou la situation.

Pour D. Bohm, l’image du dialogue est « un flux de sens circulant parmi nous, à travers nous et entre nous ». Ainsi, ce flux de sens qui circule dans l’ensemble du groupe permet à une nouvelle compréhension d’émerger.

« Dans un dialogue, personne n’essaie de l’emporter. Lorsque quelqu’un gagne, tout le monde gagne. »

Dans le dialogue, tout le monde gagne !

Etes-vous prêts à vous aventurer dans ce dialogue authentique, à vous laisser guider par une curiosité tranquille, sans préjugés, afin d’avoir sur les choses un regard aussi nouveau et clair que possible ?

Vous sentez-vous suffisamment libre de faire émerger cette pensée collective, cette pensée qui vous permet de tout envisager ? Car dans le dialogue, les personnes pensent ensemble…

Pour D. Bohm : « Penser ensemble, c’est quand une personne à une idée, qu’une autre l’adopte et qu’une autre la complète. On a alors une pensée fluide et non pas des personnes qui essaient de se convaincre les unes et les autres ».

L’objet d’un dialogue n’est pas d’analyser les faits ou les événements, ni d’avoir raison ou d’échanger des opinions. Il s’agit plutôt de « suspendre les opinions et de les examiner », en écoutant les points de vue de chacun, et en observant ce qu’ils signifient. Si nous parvenons à en comprendre le sens, alors nous partageons un contenu commun, même lorsque nous ne sommes pas entièrement d’accord. Nous découvrons peut-être que les opinions ne sont pas si importantes après tout, elles sont seulement des hypothèses. Et en nous donnant la possibilité de toutes les envisager, nous pourrons alors explorer de manière plus créative différentes directions et simplement apprécier ensemble ce qu’elles représentent. « C’est à partir de ce processus que la vérité émergera à l’improviste, sans que nous l’ayons choisie. »

« Dans le dialogue, chaque participant est libre. Ce n’est pas comme dans une foule où l’esprit collectif prend le dessus. Il s’agit de quelque chose qui évolue harmonieusement entre l’individu et le collectif pour aller vers toujours plus de cohérence. »

D. Bohm a imaginé des « cercles de dialogue », des espaces ouverts qui invitent à la communication et au partage de la parole. Le seul enjeu est d'écouter et de laisser émerger les différents points de vue pour se rendre compte de ses différences et réfléchir ensemble. Ces cercles permettent d’apaiser les tensions et de faire émerger la bienveillance, la sagesse et l’intelligence collective. Grâce à l’échange d’expériences, ils participent à créer une relation plus humaine et plus consciente pour penser en confiance.

Si vous êtes curieux(se) de vivre l'expérience d'un « cercle de dialogue », connectez vous à la Place du dialogue dont l'intention est de diffuser dans la société une culture du dialogue respectueuse de chacun, à travers des espaces éphémères. L'idée est simple, partager 30 minutes de conversation avec des inconnus sur une place publique ! Le thème est donné, les règles du jeu sont énoncées, il ne vous reste plus qu'à vous laisser porter au rythme du dialogue...

Quelques références pour poursuivre l'inspiration :
Association culturelle Krishnamurti - Le dialogue selon David Bohm
up-magazine.info - L'urgence à dialoguer autrement pour agir
Learning Planete Insitute - EtSiNous - La Chaîne de l'intention (EtSiNous relevions le débat)

C’est véritablement un manifeste que je souhaite partager avec vous aujourd’hui, pour sortir nos organisations du sacre du « je » égocentrique et les faire entrer dans l’ère du « nous », l’ère d’une coopération décomplexée. C’est un article lu récemment qui a mis « le feu aux poudres » ! Avec un titre qui sonne comme un signal d’alarme : « Et si l’entreprise cessait d’être un panier de crabes ? ». Pour nombre de managers et de collaborateurs confinés, en télétravail, le constat a été sans appel… Chez soi, à l’abri des jeux de pouvoir, des luttes d’influence, des peaux de banane, des oppositions larvées, de la bullshit organisation, et j’en passe - tant les expressions des travers de nos organisations hiérarchiques sont nombreuses - le travail a pris une tournure plus sereine et responsabilisante, que l’horizontalité des relations a grandement favorisé pendant cette période.

Je suis frappée de constater combien nombre d’organisations restent sourdes et aveugles à ces faiblesses de leur management qui ont pourtant des impacts très lourds sur leur fonctionnement et leurs performances. Ce type de management par l’ego serait une fatalité, un mal incurable avec lequel nous devons cohabiter ? Qui n’a jamais croisé la route d’un manager dédouané de ses comportements toxiques sous prétexte qu’il est bon gestionnaire ou bon commercial. Qui n’a jamais souffert d’un comité de direction écartelé par des luttes intestines et réduit à de petits compromis sécurisant les pré-carrés de chacun de ses membres, au détriment de décisions plus collégiales, portées par l’intérêt général et tournées vers le bien commun.

Ces comportements autocentrés et défensifs sont l’héritage d’une culture du travail longtemps parcellisée et régie par la prescription et le contrôle. Dans l’ouvrage Communiquer en entreprise, signé par Jean-Marie Carpentier et Jacques Viers, le sociologue Philippe Zarifian découpe cet héritage en trois temps :

« En premier lieu, le taylorisme s’est traduit par une parcellisation des tâches très poussées. La séparation entre conception et production s’est accompagnée d’un isolement des postes de travail et d’un idéal managérial : le « zéro communication au travail » pour chasser les temps morts. En somme, la pure et simple interdiction de parler. En second lieu, il y a eu le modèle du métier qui, avec ses codes, a pu créer dans certains secteurs une non-communication portée par l’idéal des « secrets du métier ». En troisième lieu, il y a eu la division fonctionnelle du travail, inventée en France par l’ingénieur Henri Fayol. En créant une division entre les grandes fonctions de l’entreprise, elle a eu pour conséquence de restreindre les échanges entre ceux qui produisent et ceux qui vendent, entraînant un déficit de compréhension globale dans les organisations. »

Un triple héritage qui s’inscrit non seulement dans la culture managériale, mais aussi dans l’organisation du travail et qui a laissé des traces difficiles à effacer. Pourtant, dans une société faite d’incertitudes et de complexité, où l’environnement de travail est de plus en plus tendu, les relations sociales, bâties sur une confiance élevée, la sécurité psychologique et l’intelligence collective, sont le socle de la performance organisationnelle.

« Quand on considère ces écosystèmes qui sont les organisations de travail, quand on mesure leurs impacts psychologiques, on demande que les systèmes soient plus résilients, et pour qu’ils soient plus résilients, il faut qu’ils soient davantage fondés sur la coopération » souligne Bruno Roche, philosophe et directeur du Collège Supérieur dans un ouvrage intitulé L’art de coopérer, manager l’entreprise de demain.

Tendre vers une coopération décomplexée

Coopérer ? De quoi parle-t-on ? Pour comprendre, revenons à la nature même du travail, le travail réel, celui qui produit la valeur économique tel que décrit par Pierre-Yves Gomez, professeur à emlyon business school où il dirige l’Institut français de gouvernement des entreprises, dans son livre Le travail invisible, enquête sur une disparition.

Pour Pierre-Yves Gomez, le travail humain est une représentation en trois dimensions : « il est subjectif puisqu’il est toujours réalisé par un sujet singulier, quelqu’un qui travaille ; il est objectif car il produit un objet, un service, dont l’utilité et l’usage sont reconnus par d’autres (clients, collaborateurs, société) ; il est collectif parce que tout travail suppose une collaboration ou une coopération pour pouvoir produire, on ne travaille jamais seul ».

Ce modèle permet de repérer des dysfonctionnements lorsqu’une des dimensions est exacerbée au détriment des autres. On comprend alors aisément que si l’on néglige l’expérience collective du travail, et si l’on ne prend pas soin de la communauté sociale dans laquelle il s’inscrit, on diminue nécessairement son impact.

Alors collaboration ou coopération ? Et bien les deux. Car viser la collaboration, c’est penser à l’équipe d’abord. La collaboration au travail, c’est l’acte de travailler ensemble pour un objectif commun, grâce à des règles de fonctionnement partagées et une confiance affirmée. Alors que viser la coopération, c’est penser à l’entreprise d’abord. La coopération adresse d’autres leviers que sont le sens : pourquoi nous travaillons ensemble ; les valeurs communes aux parties prenantes de l’organisation et enfin, la fierté d’appartenance. Parfois, c’est la collaboration qui doit être renforcée, parfois c’est la coopération. Et toutes deux doivent être en interaction permanente pour susciter la meilleure dynamique collective possible.

Pour Sylvia Di Pasquale, rédactrice en chef de Cadremploi : « Le confinement a révélé qu’il était ainsi possible de coopérer autrement – plus sainement – depuis sa cuisine via les outils numériques. Cette coopération, entraide et horizontalité dont on nous rebat les powerpoints, est encore et toujours en chantier. Mais les enseignements du confinement pourraient bien permettre aux managers de garder de bons réflexes en surveillant les « angles morts de la productivité ».

La crise du Covid-19 a été le théâtre de multiples ajustements destinés à assurer la continuité de l’activité économique. Les coopérations non prescrites qui s’y sont déroulées ont permis aux systèmes de fonctionner, même en situation critique. C’est tout particulièrement durant ces situations difficiles que les actes de solidarité sont les plus forts et la coopération décomplexée.

La mission du management, top managers en tête, consiste donc à encourager la collaboration et la coopération au sein des équipes. Car cette expérience collective du travail se construit à partir des multiples liens humains qui se tissent, à la fois complexes et fabuleux, quand on prend conscience de l’ensemble des interactions qui ont favorisé la production d’un produit ou d’un service. Le fruit d’un travail dont la qualité dépend directement de la qualité des relations qui y ont contribué. Et c’est là que le bât blesse bien souvent !

Faciliter le passage des ego-systèmes à des éco-systèmes

Comment susciter une collaboration ou une coopération sincère et efficace ? En premier lieu, il faut créer le contexte. Cela impose de sortir d’une culture managériale qui valorise la performance individuelle en développant des d’objectifs collectifs. Le temps de la compétition entre collaborateurs est terminé, les managers doivent montrer l’exemple à leur échelle en s’inscrivant dans une dynamique de collaboration et de coopération avec leurs homologues. Pour créer le contexte, il s’agit également de donner du sens car la coopération ne s’impose pas, elle s’invite. Et le premier fondement de la coopération est le partage d’un objectif commun, une œuvre à bâtir ensemble, une aventure à vivre en équipe. Cette œuvre commune donne une finalité que l’on peut célébrer. Une réussite collective dans laquelle chacun se reconnaît, dans laquelle chacun identifie sa contribution, exprime ses talents, développe ses compétences, exerce ses responsabilités… Car dans chaque réussite collective, se dévoile une réussite individuelle. Cette œuvre commune va renforcer un lien essentiel à la coopération, le lien de confiance. La confiance doit être un prérequis en entreprise. Elle engage et favorise naturellement la coopération entre les collaborateurs dans le sens où elle donne une vision positive et optimiste de l’avenir. La confiance libère le dialogue au sein du collectif et ouvre des perspectives d’innovation et de performance. [à lire aussi : Le sens de la coopération. Poursuivre un bien commun]

Pour permettre à cette confiance de s’installer, chacun va devoir investir son « savoir être », être à l’affût des émotions, les siennes et celles de ses collègues ou collaborateurs. Si les émotions ont longtemps été reléguées à la sphère personnelle, il n’est plus à prouver que le contexte émotionnel en entreprise a un lien direct avec l’engagement et la performance des individus. L’entreprise évolue dans un monde complexe et changeant, voire violent. Une violence économique, psychologique et sociale, comme nous la vivons aujourd’hui, à la sortie de cette crise sanitaire. Dans ce contexte, l’intelligence émotionnelle prend tout son sens.

Le modèle d’intelligence émotionnelle adapté par le psychologue américain Daniel Goleman à la vie au travail se décline en cinq dimensions et vingt-cinq compétences :

L’intelligence émotionnelle est notre GPS ! Nous devons apprendre à en décoder les signaux pour mieux mieux vivre au quotidien, à titre individuel en améliorant notre gestion du stress, notre attention, la résolution de problèmes… Et à titre collectif, pour entretenir des relations plus saines et sereines avec ses collègues. Ainsi, elle facilite la communication, la collaboration, la cohésion et favorise un environnement de travail respectueux et ouvert aux transformations.

Dans son ouvrage Les communautés d’apprentissage, Apprendre ensemble à l’ère numérique, le chercheur Denis Cristol partage la théorie d’Otto Scharmer, maître de conférences à la Sloan School of Management du MIT, selon laquelle transformer la société exige une haute qualité relationnelle et de nombreuses aptitudes sociales : « il s'agit pour lui de faciliter le passage des ego-systèmes à des éco-systèmes prenant mieux en compte l’environnement et les besoins sociaux de chacun ».

Cette haute qualité relationnelle requise pour favoriser une bonne collaboration et coopération nécessite une pratique régulière de l’écoute, de ses propres besoins comme des besoins de ses interlocuteurs. Elle nécessite également la pratique de la discussion et du dialogue. Deux modes de conversation complémentaires et puissants lorsqu’ils sont en synergie.

Passer de la discussion au dialogue !

Une équipe qui veut apprendre à collaborer et coopérer de façon efficace doit savoir passer de la discussion au dialogue et inversement, tout en connaissant bien les différences entre les deux en matière de règles du jeu comme d’objectifs.

Aujourd’hui, on pratique plus souvent la discussion que le dialogue dans les organisations. Dans son ouvrage La cinquième discipline, Peter Senge, professeur de management et directeur du Center for Organizational Learning (Centre pour les organisations apprenantes) du MIT définit la discussion comme « un jeu de ping-pong où la balle passe rapidement de l’un à l’autre ». Dans une discussion, des points de vue différents sont exposés et défendus. Le but du jeu est de « gagner » et que l’une des opinions soit acceptée par le groupe. Même si chacun prend en compte le point de vue des autres, il cherche toujours à faire prévaloir son opinion. Lorsqu’une équipe doit prendre une décision, c’est la discussion qui s’impose. Sur la base d’une analyse commune, les différents points de vue doivent être discutés et pondérés, et l’un d’entre eux choisi.

Pour Peter Senge : « Le dialogue est d’une nature très différente […], il fait circuler le « sens », un flot continu de significations allant de personne à personne, comme un fleuve qui coule entre deux rives. Par le dialogue, une équipe accède à un niveau de compréhension qu’un individu seul ne peut atteindre. […] Le dialogue permet aux individus d’observer leur propre façon de penser. […] C’est un jeu d’esprit qui repose sur la volonté de lancer de nouvelles idées, de les examiner, de les mettre à l’épreuve ».

Le dialogue est par essence divergent. Son but n’est pas de mettre les gens d’accord mais de mieux comprendre les enjeux complexes. Les retombées du dialogue sur les liens qui unissent les participants sont considérables. Une confiance mutuelle s’instaure et chacun apprend à exprimer son point de vue librement.

Peter Senge évoque trois conditions pour favoriser le dialogue :

« Un des principaux enseignements de l’art du dialogue est l’existence d’une pensée collective, d’un « réservoir de sens et d’intelligence » accessible seulement à une groupe ».

Peter Senge nous invite à aller chercher une vision plus large que celle des points de vue individuels. En permettant à chacun d’exposer au regard des autres son point de vue personnel sur la réalité et de voir la réalité de l’autre à travers ses propres yeux, il y a de fortes chances pour que nous découvrions quelque chose que nous n’avions vu ni l’un ni l’autre.

Faire des désaccords une opportunité de confronter nos angles de vue

Cette pensée créatrice, à la découverte de solutions auxquelles aucun individu n’aurait pensé par lui-même, naît d’un nombre important d’idées contradictoires. Le conflit devient dans ces conditions une composante essentielle du dialogue. La force d’une équipe porte ici sur sa capacité à générer puis maîtriser ces conflits d’idées. Une discipline qui impose d’apprendre à regarder la réalité en face, avec lucidité, tout en débusquant nos propres mécanismes de défense pour la masquer.

Car aujourd’hui encore, admettre que l’on peut se tromper ou mal connaître un problème est un aveu de faiblesse. En prenant conscience de ces mécanismes de défense activés par nos peurs de révéler nos faiblesses, voire nos erreurs, aux yeux de l’équipe, nous nous affranchissons de protections aveuglantes. Désamorçons ces routines défensives qui, derrière l’excuse de nous protéger du jugement des autres, brident notre énergie et fonctionnent comme des murs bloquant l’accès à la co-création d’idées nouvelles.

Changeons de modèle mental ! Libérons-nous de ces routines défensives qui infectent les individus et contaminent les organisations. Elles ne sont ni une fatalité, ni une distorsion acceptable de la nature humaine. Juste un héritage dont nous pouvons nous soulager. Et portons haut et fort le besoin de discuter entre égaux et de mettre le débat au-dessus de l’autorité. Plaçons la confiance mutuelle comme moteur du dialogue et permettons à la pensée collective de s’épanouir pour éprouver de nouvelles idées. Une œuvre à bâtir ensemble, dans une coopération décomplexée, où le « nous » et le « je » se rejoignent pour célébrer les réussites.

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