3 janvier 2019

Et si on réconciliait vérité et entreprise ?

Lorsque j’ai lancé mon moteur de recherche sur le sujet de la vérité, sans surprise, j’ai trouvé de nombreux articles sur l’approche philosophique de la vérité, mais aucun sous le registre de l’entreprise. C’est dire si la proposition de Jean-Jacques Montlahuc, dans son ouvrage Se dire la vérité en entreprise, est singulière. Singulière mais frappée au coin du bon sens, à l’heure où les dirigeants doivent s’inscrire dans l’un des plus grands défis de notre société contemporaine : requalifier la place de l’homme dans son rapport au travail, au cœur d’une entreprise bousculée par les nouveaux usages et la nécessité de se transformer toujours plus vite, toujours plus loin. Face aux nombreuses inconnues qui déstabilisent les organisations, l’enjeu pour les dirigeants et les managers est d’instiller la confiance à travers un cap clair, stimuler la fierté d’appartenance et créer les conditions d’une saine coopération. Dans ce contexte, existe-t-il valeur plus forte que la vérité pour mettre en lien et en mouvement les acteurs de l’entreprise ?

Pour Jean-Jacques Montlahuc : « S’intéresser à la vérité, c’est répondre à des enjeux plus que jamais d’actualité : clarifier les contributions, donner du sens, accélérer l’engagement et, par ce biais, augmenter la performance individuelle et collective. »

La vérité n’est pas une finalité mais un cheminement, un véritable cercle vertueux qui sert la performance de l’entreprise. Et si une telle approche naît généralement sous l’impulsion du dirigeant, elle est une démarche puissante pour accompagner des changements au sein d’une organisation.

La vérité, une démarche simple et puissante

« La vérité, c’est ce qui simplifie le monde et non ce qui crée le chaos», Antoine de Saint-Exupéry

Pratiquer la vérité en entreprise est un vecteur de lien et d’opportunités pour tous les acteurs en présence. En premier lieu, être en vérité avec les autres est une ligne de conduite qui engage personnellement, car elle exige du courage, de la détermination et beaucoup d’humilité. C’est oser parler de son expérience personnelle et de sa représentation de la réalité, c’est aussi oser partager son opinion et son ressenti avec sincérité face à une situation.

La vérité d’un système émerge ensuite par la rencontre de vérités individuelles. Nous avons tous déjà expérimenté, dans le cercle professionnel comme dans le cercle privé, combien la vérité de l’un appelle inconditionnellement la vérité de l’autre. Et pour être vertueuse, cette posture requiert des dirigeants, directeurs, managers qu’ils reconnaissent leurs collaborateurs dans leur singularité, leurs forces et leurs faiblesses.

Comme le rappelle J-J. Montlahuc : « Dans la mesure où elle permet des relations directes et franches, une circulation de la parole plus libre, la vérité est également une source réelle d’harmonie dans les relations interpersonnelles. Dire et se dire la vérité favorise une vision partagée et permet de faciliter les relations, de travailler de façon ouverte et de « faire corps » à l’égard des enjeux communs à tous. »

La vérité libère, la parole, les peurs, les émotions. Elle décongestionne et met en lumière la réalité des problèmes rencontrés, voire les dysfonctionnements, parce qu’elle autorise l’expression des besoins, la révélation pour chacun de ses envies et de ses fragilités. La démarche conduit également à une simplification des relations dans la mesure où tout peut être dit, dans la bienveillance et au moment opportun.

« La démarche de vérité conduit les individus à oser. Oser faire des propositions puisque tout est « entendable ». Oser essayer puisqu'il est autorisé d’essayer et de se tromper. Cet alignement et cette absence de peur de se tromper génèrent alors une puissance d’audace et de créativité qui sont au service de l’entreprise et de l’individu. »

Certes, la vérité ne peut pas tout résoudre mais elle est une condition essentielle pour construire et mobiliser l’intelligence collective du groupe, moteur de performance des entreprises, en donnant du sens aux décisions prises et aux actions engagées.

Comment dépasser les obstacles à la vérité en entreprise ?

La vérité est exigeante, elle nous met face à nos rigidités, sources de dysfonctionnement et de souffrance en entreprise ! Agir en vérité impose donc de porter un regard honnête sur soi-même et sur les autres, être lucide face à ses peurs et ses blocages. Le manager doit être exemplaire, s’accepter et accepter les autres dans leur authenticité.
Il est donc essentiel de considérer les résistances de nos collaborateurs comme des informations à prendre en compte, comme l’expression d’un besoin à satisfaire pour créer une relation constructive de coopération.

Pour J-J. Montlahuc : « Nos rigidités sont de véritables protections qu’il ne s’agit pas de nier, mais de chercher à contourner en construisant des espaces de discussion sécurisés, dans lesquels nos vérités, et en particulier nos peurs, peuvent être exprimées et accueillies. Car si elles ne sont pas canalisées, nos rigidités finissent, à plus ou moins long terme, par parasiter la vie de l’équipe. Les jeux de pouvoir deviennent alors l’enjeu numéro un de la vie de l’équipe. »

Les jeux de pouvoir dont nos entreprises sont trop souvent le théâtre, et qui nuisent à l’épanouissement de la vérité, ont un lien direct avec le besoin d’asseoir son autorité, voire de pallier son manque d'autorité. En revanche, plus l’autorité est forte et saine, plus elle autorise l’accès à un espace de vérité. La place de la vérité dans les organisations dépend donc de notre rapport au pouvoir et à l’autorité. Et il n’existe pas de contradiction entre la pratique de la vérité et l’autorité. Au contraire, lorsqu'un manager crée un espace de vérité, il favorise le développement des membres de son équipe. Il est ainsi plus légitime et renforce son autorité.

Comment expérimenter la démarche de vérité en entreprise ?

La démarche de vérité en entreprise est une méthode globale et progressive. Sa réussite suppose un changement de regard sur l’organisation et la mise en œuvre d’un véritable projet managérial. Car moins que l’acquisition de techniques ou de savoir-faire, elle requiert l’appropriation d’une nouvelle posture qui appelle un travail sur son savoir-être relationnel, individuel et collectif.

Pour que cet engagement de vérité ne soit pas qu’une belle promesse ou un effet de communication, il faut proposer un nouveau « contrat social » aux équipes qui remplisse trois conditions. Tout d’abord, une volonté politique portée par le top management, dans un esprit de co-construction avec les équipes. Ensuite, une cohérence entre les enjeux organisationnels et humains. Car le management « en vérité » doit répondre à des enjeux humains tels que les besoins de reconnaissance, de bien-être au travail ou de sentiment de contribution, mais également à des enjeux organisationnels qui sont de partager une même ambition et servir un projet d’entreprise, fidéliser et embarquer les équipes. Enfin, toute démarche de vérité nécessite de s’appuyer sur des instances de régulation sécurisées dans lesquelles l’incarnation du projet pourra se vérifier, voir s’ajuster.

Ce nouveau contrat s’appuie sur une démarche articulée autour de huit principes validés et mis en œuvre :

  • L’espace protégé : offrir un espace protégé représente une condition nécessaire pour rendre la vérité possible. Il s’agit d’offrir à une équipe un cadre sécurisé à l’intérieur duquel chacun pourra libérer sa parole, dire sa vérité, en toute sécurité. L’espace protégé se fonde sur des règles de fonctionnement co-construites avec l’équipe et confortées par une posture protectrice et sécurisante du leader.
  • La coopération : reconnaître la valeur inestimable de l’intelligence d’un collectif, la richesse d’un travail en équipe. Il s’agit tout d’abord de trouver, chez le acteurs concernés, l’intérêt qu’ils ont à coopérer. Ensuite, il est essentiel d’accueillir chaque membre de l’équipe dans sa singularité. Enfin, pour qu’une dynamique de coopération voie le jour dans une équipe, elle ne doit abriter aucun secret, en particulier à propos des besoins de chacun. Il s’agit pour cela d’apprendre à reconnaître nos besoins et à formuler des demandes pour les satisfaire.
  • L’agilité : accepter que l’on ne puisse pas tout maîtriser et pour cela, générer et l’autonomie des personnes et des systèmes. L’agilité est une perpétuelle recherche d’équilibre entre une dimension active (faire et démontrer que l’on sait faire), une dimension réactive (être opportuniste face aux changements observés pour fidéliser) et une dimension proactive (créer de la valeur).
  • L’intégration de l’histoire : connaître et accepter l’histoire de l’équipe, son passé, sa constitution, les parcours de ses membres et leurs relations. Connaître son histoire, c’est être capable de la mettre en perspective, de l’interroger et d’en intégrer les fondements personnels et collectifs en la partageant, la formulant et en échangeant à son propos. Une fusion, un changement de direction… sont autant de faits historiques pour l’équipe. Ils appartiennent à l’histoire commune, expliquent des décisions, des tensions, des actions, des conflits. Il est essentiel que chacun l’entende, le comprenne, puis l’intègre comme une réalité. Le devoir de mémoire ensemble et partagé, puis intégré et digéré, est un pilier essentiel de la démarche de vérité.
  • La confrontation à la réalité : appréhender la réalité des faits au fil de l’eau, en corrigeant les décisions prises et les actions menées au regard de cette information.
  • L’exemplarité : montrer de la cohérence entre sa volonté et ses actes. Il n’est pas de comportement plus puissant et efficace que l’exemplarité. C’est aussi considérer que nous avons en ce qui concerne la vie de l’équipe les mêmes droits : de penser, de donner son avis, d’agir sur le processus, de confronter un des membres…
  • La co-responsabilité : le fait que chaque membre de l’équipe se sente responsable de la réussite du collectif dans la mesure où il sait que sa contribution est une part aussi importante que celle de son collègue.
  • L’idéal : se reconnaître dans une cause suffisamment importante pour qu’elle fasse bouger l’équipe, collectivement. L’idéal doit être défini, affirmé et communiqué. Il est la ligne d’horizon vers laquelle chacun tend. L’idéal répond à un besoin de sens et de cohérence et c’est en lui qui réside l’énergie du changement et de la transformation.

La relation de vérité se construit dans le temps. Trois années sont nécessaires pour installer le concept et l’intégrer dans une pratique régulière.

La vérité est un chemin et une belle aventure qui relie ceux qui le suivent. Alors, laissez-vous conduire par la vérité. Elle vous surprendra !

One comment on “Et si on réconciliait vérité et entreprise ?”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Je suis Valérie Charrière-Villien

Je suis une exploratrice ! Animée par la communication humaine et l'engagement, j'aime faire émerger ce qui se joue dans l'organisation et les relations au travail, en clarifiant les intentions personnelles qui sont à l'œuvre. Et ainsi, permettre à chacun.e de passer du JE au NOUS avec énergie et impact.
Connecter les individus et les équipes à leurs aspirations profondes est un formidable accélérateur dans l'accomplissement de leurs projets professionnels comme personnels, et un véritable levier de performance.

Mon dernier article directement dans votre boîte mail !

Inscrivez-vous pour être averti lorsqu'un nouvel article est en ligne
Votre adresse de messagerie est uniquement utilisée pour vous envoyer notre lettre d'information ainsi que des informations concernant nos activités. Vous pouvez à tout moment utiliser le lien de désabonnement intégré dans chacun de nos mails.

Allons plus loin ensemble

linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram